Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 19 janvier 2017

Fin de partie (reprise)

Le mot juste, juste le mot. Tel est le parti pris de la direction d'acteurs revendiqué par Sandrine Bauer. Le mot, le souffle, le silence. Du coup, le texte de Beckett se donne à entendre dans une plénitude qui étonne, surprend, captive.  Hamm, l'infirme aveugle et tyrannique (Arnaud Chabert), n'existe que dans son phrasé, à l'articulation ample et déhanchée; Clov (Jacques Pabst), le fils souffre-douleur, tient tout entier dans une gamme d'expressions alliant le clownesque lunaire à la trivialité mélancolique et résignée; tous deux lâchent mot à mot ce texte qui semble en devenir incertain, puisqu'autour d'eux comme en eux, « tout est déjà fini ». La vacillante et insuffisante existence du moi de chacun détermine l'absurde nécessité de leur relation qui se déroule et se répète cruellement. Le plaisir du mot articulé, soufflé, respiré se suffit alors à lui-même, fait corps, sinon sens.

Les parents de Hamm, Nagg (André Sanfratello ) et Nell (Sandrine Bauer ), anticipant la Winnie de Oh les Beaux Jours, s'éteignent à petits feux, chacun dans une poubelle. Ils constituent là comme un passé sans mémoire qui se redirait une fois de plus, tel un arrière plan vocal qui tarde à disparaître, et dont les deux autres dépendent. Tous deux, au contraire des deux autres, lâchent en effet des paroles heureuses, des paroles issues des beaux jours et du vieux style, tragiquement audibles dans le huis-clos glacé qui s'apprête à les engloutir.   

Tout le théâtre de Beckett interroge la présence réelle de l'homme de l'après guerre à lui-même, après la catastrophe, figé dans l'absence de Dieu. C'est cette interrogation sur la présence réelle des personnages que la scénographie quasi polaire d'André Sanfratello restitue à sa façon. Le lieu et ses ressources, sa hauteur, sa profondeur, ses hors-champs, sont efficacement intégrés à la mise en plateau. Ce Fin de Partie  constitue ainsi une valeur sure pour débuter cette nouvelle année à l'Espace 44, rue Burdeau. Le Royal Court Théâtre, au sein duquel Roger Blin monta en 1957 la première de la pièce en français, était à peine plus grand que lui. C'est que l'espace restreint sied au langage de Beckett, à ce langage qui ne cesse d'osciller de la retraction à la délivrance. Un petit joyau à voir (ou revoir) du 19 au 29 janvier.

 

unnamed.jpg

Crédit Photo Malo Lacroix / J-S Pourre

FIN DE PARTIE de SAMUEL BECKETT
PRODUCTION ESPACE 44

DU 19 AU 29 JANVIER

Vendredi, samedi | 20h30 Mercredi, Jeudi | 19H30

 

23:20 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : beckett, espace44, sanfratello, fin de partie, lyon, croix-rousse, théâtre | | |

samedi, 10 décembre 2016

Fête des lumières à Lyon

maxresdefault.jpg

Ci-dessus, procession du 8 décembre;

Ci-dessous, animation éphémère de la passerelle saint-Georges, pendant la messe, séculaire, du même soir. 

saint georges.GIF

Voici deux lumières, deux mondes, deux fêtes inconciliables, qui se superposent et s'ignorent

 

21:47 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : lyon, illuminations, 8décembre | | |

jeudi, 27 octobre 2016

De l'honneur des prêtres en Croix-Rousse

Le temps médiatique dans lequel on nous laisse mijoter passe, emportant avec lui l'attention des peuples, de plus en plus disséminée. Aux affaires s'enchaînent les attentats, aux scandales les élections. Il arrive que la machine médiatique broie non seulement l'attention des peuples, mais aussi l'honneur des gens. Ce fut le cas d'un prêtre croix-roussien, Jérome Billioud, accusé de pédophilie puis innocenté. Je publie aujourd'hui ce texte de mon ami Xavier Charpe, auquel je souscris entièrement, qui relate pour ceux qui n'ont pas suivi le dossier le déroulement des événements, et s'adresse, par delà les paroissiens et les chrétiens de la Croix-Rousse, à tous les hommes de bonne volonté 

Ignoble ! Tel est le qualificatif qui convient à l’attaque dont  notre ancien curé de la Croix Rousse a été victime. Attaque infamante, de la plus extrême gravité, puisqu’il a été accusé d’être un prêtre pédophile[1].

Attaque  bien lâche au demeurant, puisque avec la complicité de la journaliste l’accusateur masquait son identité sous un pseudo. De l’autre côté, le nom de notre ancien curé et son identité était étalés en toutes lettres. A soi seul, cette dissymétrie jette la suspicion sur l’accusateur et ses allégations. Comment peut-on accuser un curé d’être un prêtre pédophile sans preuve mais plus encore quand l’accusation est mensongère  et la manoeuvre  perverse ?

L’article était visiblement malveillant ; les termes de l’accusation si invraisemblables que j’ai cru devoir mener  une enquête serrée. Vous comprendrez que cela ait pris du temps. J’ai maintenant la preuve que l’accusateur est un menteur et un manipulateur ;  il a été le premier à qui j’ai écrit pour le lui dire. Si je l’accuse d’avoir porté publiquement une accusation mensongère, c’est que j’en ai la preuve. Je l’attends paisiblement s’il avait l’intention que l’explication entre nous se fasse devant un tribunal.

Quand une accusation est aussi grave, celle d’avoir commis des actes de pédophilie, surtout s’il s’agit d’un curé ou d’un éducateur, il est  essentiel de savoir si l’accusation est véridique ou si elle est mensongère. Dans le premier cas il faut sans délai et avec fermeté écarter le prédateur de tout contact avec les enfants. Ce que précisément le cardinal  n’a pas fait dans le cas de l’abbé Preynat. Mais à l’inverse, si l’accusation est mensongère, le curé doit être  défendu avec vigueur.

L’accusation a été publique ; elle doit être lavée publiquement. Cela n’a été fait ni par le diocèse ni par les responsables de notre paroisse. Cette inertie est indigne, d’un simple point de vue humain; elle l’est plus encore de la part de responsables de notre Eglise : si on se prétend chrétien, on ne pactise pas avec l’injustice ; ne venez pas me parler ensuite de charité ou de communion, si un évêque ne prend pas la défense d’un curé injustement accusé et trainé dans la boue ; cela vaut dans une moindre mesure pour ceux qui sont ses frères dans le ministère pastoral.

Comprenez : le seul point d’accord que j’ai avec le diocèse c’est qu’ils ont reconnu (du bout des lèvres) que notre curé n’est pas un pédophile. Autrement dit, notre curé a été diffamé publiquement ; pas seulement lui : le cardinal également.  En effet, le cardinal  est accusé par ricochet d’avoir protégé ce prêtre prétendument pédophile ; plainte  a donc été déposée contre le cardinal pour « non  dénonciation de crime » et « mise en danger de la vie d’autrui ». Le cardinal  avait tous les moyens de porter plainte pour diffamation et par la même de défendre notre curé et son frère ; de défendre du même coup notre Eglise, dont vous vous doutez bien qu’elle est l’objet d’une attaque en cette affaire. Comment a-t-il pu rester  amorphe et les bras ballants, sans réaction ? Il a même osé dire à notre curé : « Pourquoi Charpe n’attaque-t-il pas lui-même ? » Ce n’est pas moi qui  suis diffamé ! Ne l’étant pas,  je ne suis pas habilité à porter plainte.

La première chose à faire de la part du diocèse, et à son défaut par notre nouveau curé, était de dévoiler publiquement l’identité de l’accusateur particulièrement lâche qui se cachait sous un pseudo ; il s’agit de monsieur Pierre-Henry Brandet, un journaliste qui a mené une brillante carrière et qui se retrouve porte-parole du Ministre de l’Intérieur et des Cultes, membre du Cabinet de monsieur Cazeneuve ; déjà sous monsieur Manuel Valls à ce poste[2].  Si cet anonymat avait été dénoncé publiquement, chacun aurait aussitôt pressenti que nous étions devant une cabale politique menée contre le cardinal  et contre les positions de certains responsables de notre Eglise sur les questions de sexualité et de morale sexuelle. Ce n'est pas par hasard si la charge s’est concentrée sur l’Eglise de Lyon, précisément en raison des prises de positions parfois sans nuances prises par le cardinal et  en raison de son goût prononcé pour la médiatisation[3]. Ce monsieur Brandet est un homme de pouvoir ; il fait partie du cercle rapproché du ministre, un poste politique ; il a en charge la communication du ministère. D’où l’omerta généralisée protégeant ce monsieur ; aucun journal, même pas le journal La Croix, n’a eu le courage de dévoiler son identité et sa position de pouvoir. Qui peut d’ailleurs imaginer qu’à son poste il ait pu porter une telle accusation contre le cardinal sans prévenir sa hiérarchie ? Notre curé  n’est que l’instrument de cette machination, ce que j’appelle « l’affaire Brandet-Barbarin ».

Loin de défendre avec courage notre curé injustement accusé, le diocèse a tenu des propos parfaitement ambigus, laissant planer le doute sur sa culpabilité ; pliant aux exigences de l’accusateur qui avait demandé qu’il soit écarté du ministère pastoral, le diocèse l’a écarté de la paroisse de l’Immaculée  Conception. Chacun a compris  entre les lignes qu’il faisait partie du groupe des quatre « pestiférés » ; entre les lignes certes, mais Le Figaro s’est chargé d’expliciter la chose… Dans ses déclarations au Figaro, l’accusateur présentait le cardinal comme une sorte de caution de ses accusations. Belle manipulation ! Aucune réaction de la part du cardinal ; et les dirigeants du diocèse n’arrivent pas à comprendre que le fait de ne point défendre notre curé et de le mettre « sur la touche » était « de facto »  comme une caution apportée à l’accusation.

Sur la paroisse l’ambigüité de certains a été similaire. Nous avons entendu des « il n’y a pas de fumée sans feu » ; le refrain  était « laissons la justice se prononcer » ce qui justifiait la passivité ; en effet les motifs de l’accusations sont si ridicules au regard du droit que l’affaire sera classée sans suite ; la  justice ne sera pas rendue ; l’inculture juridique  peut servir d’excuse à ceux qui tiennent cette position ; pire certains  colportent les pires ragots, ignorant les règles élémentaires  de la vie chrétienne qui condamne la « médisance » et la « calomnie ». Devant la gravité  de l’accusation portée la moindre des choses si l’on se prétend responsable c’est de chercher à faire émerger la vérité. Ce n’était pas à moi de chercher à savoir ce qu’il y avait  au juste dans le dossier de l’accusation initiée devant la justice en 2009 et ressortie juste à propos en 2016 pour les besoins de la cabale politique. Rester inerte en cette affaire, c’était se faire le complice de l’injustice. On tend une oreille  complaisante à l’accusation et on ne sait pas ce que le dossier contient au juste ; on juge sans connaissance de cause ; on condamne sans preuve et dans l’ignorance des faits. J’accorde que ces attitudes  regrettables sont induites par le comportement même du diocèse.

Heureusement des paroissiens ont réagi. Les témoignages en faveur de notre curé ont afflué. Une lettre collective de soutien en sa faveur a été signée par quelques 135 paroissiens, amis ou collègues de notre curé[4]. En sus des témoignages individuels. Ces fidèles parlaient d’expérience, pour avoir éprouvé la qualité avec laquelle notre curé avait exercé  son ministère pastoral. Leur « sensus fidei » ne les trompait pas ; leur jugement était sûr et droit, visiblement davantage que celui de certains clercs[5].

Les échanges  avec le cardinal et avec  les responsables  du diocèse sont particulièrement rudes. J’ai été dans l’obligation de rappeler au cardinal et au diocèse les  nombreuses fautes qu’ils ont commises en cette affaire. Je leur ai demandé de rétablir publiquement la vérité et la justice  par rapport à l’injustice  commise ; en pure perte. J’en suis arrivé à la conviction qu’ils n’avaient jamais mené l’enquête indispensable pour savoir si l’accusation était fondée ou non. On a fini par m’avouer  qu’ils n’ont en effet jamais eu accès au dossier d’instruction de la plainte  déposée en 2009 et instruite en 2010, instruction qui a  conduit à classer la plainte sans suite. Ce qui veut dire qu’ils ont laissé accuser notre curé sans  avoir la connaissance du dossier, en accordant crédit à un accusateur de mensonge et en s’en tenant à des ragots. La présomption d’innocence et l’obligation de récuser les accusations diffamatoires, ils ne semblent pas  connaitre.

J’ai demandé à rencontrer le cardinal ; « il n’avait pas le temps de me recevoir… » ; j’ai eu droit à  cinq minutes d’entretien, dans une sorte d’audience publique, un vendredi soir, entre deux piliers de la cathédrale Saint Jean, debout appuyé sur ma canne. J’ai été stupéfait de l’entendre me dire qu’il tenait le témoignage de l’accusateur pour véridique et que c’était notre curé qui était le menteur. Ahurissant et scandaleux ; une double erreur de jugement. Tout d’abord sur l’accusateur ; le cardinal  n’a pas saisi que l’accusateur  était un manipulateur. Certes ce n’est pas très agréable  pour notre cardinal  de devoir avouer qu’il a  été naïf et s’était fait manipuler ; bref d’avoir commis une erreur de jugement. Dieu sait que la ficelle était grosse : le porte-parole  du Ministre de l’Intérieur et des Cultes ; il n’a rien vu venir ! Et bien entendu sans s’être donné la peine de savoir ce qu’il y avait dans le dossier instruit par la justice en 2010. Mais l’autre erreur de jugement est à propos de notre curé; il faut croire que le cardinal ne le connait pas, qu’il n’a jamais  parlé d’homme à homme et de frère à frère avec « son curé » ; il fait confiance à un accusateur pervers qui ment et il se méfie de son collaborateur dans le ministère. Il échange des mails avec l’accusateur sans même prévenir  notre curé, puis va diner avec lui au restaurant Le train bleu  à la Gare de Lyon ; ce n’est qu’au tout dernier moment qu’il avertit le curé de ce « repas d’affaires ». Quel manque de fraternité. Et comment se tromper à ce point sur Jérôme ; il est tout le contraire du profil de l’abbé Preynat ; allez lire le portrait qu’en dresse madame Isabelle de Gaulmyn dans son livre sur l’omerta ; des amis m’avaient délivré la même description du personnage : autoritaire, imbu de sa personne, se prenant pour un « père », un homme de pouvoir qui se prétendait  au-dessus de ses paroissiens ; ah, je vous accorde des grands talents d’organisateur qui faisaient l’admiration de ses supérieurs.. Jérôme est un doux, rien d’un autoritaire ; un pasteur amical, joyeux et fraternel et plein d’empathie[6] ; l’avez-vous entendu une seule fois nous prêcher et se situer par rapport à nous comme nous étant supérieur ? Bordélique au possible je vous l’accorde ; rien d’un violent en tout cas. Comment le cardinal  a-t-il pu se tromper à ce  point sur « son » curé.

Et comment  l’accusateur a-t-il pu porter son accusation de pédophilie, alors qu’il sait qu’il n’en est rien ? Passons encore sur le caractère invraisemblable de son récit (à certains moments c’est abracadabrantesque ; je n’ose vous raconter… tellement c’est grotesque) ; passons sur le fait que dans l’article du Figaro il ment sur son âge en se rajeunissant ; passons sur le fait que sur l’un des points  qu’il évoque son témoignage est contredit par un tiers témoin ; passons encore sur le fait  qu’il accuse sans preuve ; l’essentiel n’est pas là : il n’y a rien dans le dossier qui justifie l’accusation de pédophilie. Au juste, dans sa propre déposition il ne parle que d’une simple « avance », sans que l’on sache au juste qui aurait fait l’avance. Il prétend avoir été traumatisé, mais il revient trois ans après ; s’il a été  traumatisé pourquoi serait-il revenu une seconde fois ? Et au vu de sa belle carrière comment croire qu’il aurait été traumatisé ? Le grand gaillard de 17 ans révolus, devenu journaliste sportif,  officier de réserve de pompier et de gendarmerie, occupant un poste de pouvoir au ministère de l’Intérieur, comment peut-il se faire passer pour un jeune enfant du genre des enfants de chœur et des jeunes scouts de l’abbé Preynat ? « Une avance », le mot de monsieur Brandet  dans sa déposition de 2010, me parait probablement juste, en tout cas plausible et correspond au reste du dossier; dans quel sens s’est fait l’avance, je ne sais ; je n’y étais pas ; en tout cas des deux côtés rien de violent ; je crois à une imprudence réciproque du jeune curé d’alors et du jeune homme, à coup sûr un grand gaillard. C’était sympathique d’accueillir ce garçon qui ne savait pas où loger ce soir-là, mais dans ce cas-là il faut se montrer prudent ; des deux côtés ; à 17 ans on dort sur la moquette ou sur le parquet; en tout cas, cette affaire  est un « pas grand-chose » et ne mérite pas que l’on en fasse tout un plat, 26 ans après. Avec du recul, je ne suis pas certain que nos séminaristes  soient toujours bien formés et instruits dans ces domaines. Puisqu’on leur impose de manière bien imprudente le célibat, alors que celui-ci doit s’exercer normalement dans le cadre d’une vie religieuse communautaire[7] , mieux vaudrait les  bien avertir…

Pour l’heure la situation est bloquée. Le diocèse comme les responsables de notre paroisse se refusent à dévoiler publiquement l’identité de l’accusateur et à dénoncer la manipulation, comme la cabale politique.  Le diocèse a mis sur la touche le curé injustement accusé ; à croire que le diocèse regorge  de pasteurs de sa qualité. Refus de reconnaitre  publiquement qu’ils ont jugé et sanctionné sans preuve, sur le témoignage d’un seul, pire sur le témoignage d’un menteur. Là-dessus tout ce dont nous pouvons témoigner est tenu pour quantité négligeable : ils sont les clercs ; nous sommes les moutons qui devons obéir docilement et n’avons pas voix au chapitre. Tout cela est inacceptable et difficilement compréhensible.

Sauf que le cardinal est sur la sellette dans l’affaire de l’abbé Preynat, le pédophile notoire et  récidiviste.  Si  le cardinal a été « absous », au strict  plan juridique,  par le Procureur de Lyon[8], il n’en est pas  pour  autant indemne de tout reproche sur le fond. Il a affirmé publiquement à deux reprises qu’il n’avait été  tenu informé sur les pratiques de l’abbé Preybat qu’à partir de 2007-2008, par les soins de madame de Gaulmyn. Or celle-ci affirme qu’elle l’a alerté  dès 2004 ; il est même possible que le cardinal ait été averti déjà dès 2002, tant la rumeur courrait de tous côtés sur Lyon. Et il ne pouvait ignorer la gravité et la nature des actes de pédophilie, puisque l’épiscopat français avait été  alerté de manière très circonstanciée sur ces questions dès  l’année 2000, lors de l’assemblée plénière de l’épiscopat ; il y participait en tant qu’évêque de Moulins. Il a donc commis une grave imprudence en renommant l’abbé Preynat comme curé, et même comme doyen, le remettant ainsi au contact d’enfants, organisant comme par le passé des camps et colonies de vacances. Le cardinal étant sur la défensive, il pense d’abord à défendre sa réputation, quitte à se montrer  particulièrement sévère sur des  fautes bien moins graves commises par tel ou tel des prêtres de son diocèse : bref, ce que l’on peut appeler la « purification sur les autres », comme pour se disculper soi-même. Il serait temps que le diocèse  se ressaisisse et rectifie sa position.  Pouvons-nous espérer qu’il en soit ainsi ?

Dans l’attente, c’est à nous de réagir. Il faut que de la manière la  plus large possible  nous fassions connaitre l’identité du diffamateur et qu’il s’agit d’un homme  qui détient un poste clé  auprès du Ministre de l’Intérieur et des Cultes.  J’ai pris les devants en accusant directement Pierre-Henry Brandet d’avoir porté  une accusation mensongère et d’être un manipulateur ; même pas le courage d’accuser à visage découvert.  Je prends la responsabilité de l’accusation que je porte contre lui. Chacun doit savoir dans notre paroisse que notre ancien curé n’a rien d’un pédophile et que l’accusation était diffamatoire et abjecte. Sur notre paroisse les colporteurs de ragots doivent se taire et je demande à notre nouveau curé de s’employer pour que cela soit. Puisque les responsables de notre diocèse se refusent à défendre notre curé, c’est à nous de le faire. Les lâchetés de quelques-uns ne nous autorisent pas, pour ce qui est de nous,  à manquer de courage et à ne pas assumer notre responsabilité propre.

Xavier Charpe                                                                                   

 

saint-denis,croix-rousse,jerôme billioud,lyon,abbé preynat,pédophilie,cardinal barbarin,Pierre-Henry Brandet,cazeneuve,figaro,Isabelle de Gaulmyn,xavier charpe,la parole libérée,france,société,politique,justice,

Auguste Perrodin, Christ en majesté, coupole du chœur de Saint-Denis, Croix-Rousse, 1878

 NOTES :

[1] Dans un article du journal Le Figaro, en date du 15  mars, reproduit  quelques 1200 fois par  presque tous les médias.

[2]  Comme par hasard, à peine l’attaque  portée dans l’article du  Figaro, le Premier Ministre a appelé le cardinal « à prendre ses responsabilités », ce qui en langage politique codé veut dire à  démissionner.  Étrange manière de respecter la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

[3] On pouvait prendre position contre certains aspects de la loi Taubira ouvrant le mariage à des couples homosexuels, sans pour autant le faire sans  nuances ou avec outrance, par exemple en  établissant un rapprochement injurieux avec la zoophilie ! Le cardinal semble  parfois  se bien mal garder de propos malheureux : on se souvient, lors de la conférence de presse à Lourdes, à propos de l’affaire Preynat : « Grâce à Dieu tous ces faits sont prescrits ».

[4] On ne saurait dire que notre nouveau curé nous ait apporté son concours ; plutôt des bâtons dans les roues. On nous objectait  qu’une lettre collective de soutien  ne plairait pas au cardinal …

[5] Disant à un paroissien que je détenais les preuves du mensonge de l’accusateur Brandet, il m’a répliqué : « Je n’ai pas besoin de preuve ; je connais mon curé ; je sais que l’accusation est mensongère ». Le  bon sens de la foi.

[6] Même l’accusateur l’a reconnu quand il m’a appelé au téléphone ; il m’a même parlé du « côté lumineux » de Jérôme !

 [7] C’est en tout cas la sagesse traditionnelle de l’Eglise : le célibat et la chasteté  sont liés au vœu d’engagement libre dans la vie religieuse ;  il est imprudent de les imposer à des curés, isolés dans leur paroisse et que l’on déplace sans cesse, en sorte  qu’ils sont arrachés à intervalle régulier de la « Communion d’Eglise » qu’ils sont censés édifier.

[8] Le Procureur a classé sans suite la plainte déposée par les anciennes victimes de l’abbé Preynat regroupées dans l’association La Parole Libérée. Pour des strictes raisons juridiques, ce qui laisse entier le problème de fond.

vendredi, 25 décembre 2015

Propter nostram salutem descendit de caelo

J’ai croisé cette nuit six des 120 000 policiers et gendarmes mobilisés, les églises étant, parait-il, « des cibles potentielles d’attaques terroristes ». Trois d’entre eux déambulaient dans la rue saint Jean presque déserte. L’un s’est arrêté devant la vitrine d’un marchand de bonzaïs, pour désigner à ses deux collègues une plante qui, leur dit-il, « gobe les mouches comme ça. »  (et vivement, il rabattit les doigts de sa main gauche sur sa paume, la dextre tenant le fusil). Rangers, bérets, treillis, drôles de bergers ! Trois autres sur le parvis de la primatiale. Il était 22 heures environ, les portes étaient encore fermées. J’ai filé tout droit, vers l’église saint-Georges où l’on célébrait « selon le rite extraordinaire », comme on dit à présent, c'est-à-dire en latin, dos au peuple et selon le missel d’avant Vatican II.  Devant cette église, point de surveillance, ou alors très discrète.

C’est la nuit de la Nativité. « Depuis quatre mille ans nous le promettaient les prophètes », et depuis deux mille, pouvons nous rajouter, martyrs et saints l’ont glorifié.  La chrétienté, c’est d’abord une histoire, qui débute à nouveau cette nuit. C’est aussi une architecture, des églises répandues partout dans le monde pour la raconter encore et encore, aux hommes de bonne volonté. Ce sont, enfin et surtout, des sacrements. La chrétienté, ça ne se laisse pas terroriser aussi facilement que ça. Tout ce climat dans lequel le gouvernement et les médias tiennent l’opinion parait s’évaporer dans une sorte d’illusion artificielle, théâtralement entretenue, lorsque la chorale entame l’introït : « Dominus dixit ad me : Filius meus es tu, ego hodie genui te » (1)

Je me suis demandé un jour combien d’hosties les hommes avaient dévoré depuis l’établissement de l’Eucharistie. Combien, à travers les siècles des siècles et au cours de leurs misérables vies ?  Insondable mystère de la présence continue du Dieu invisible. Je me suis souvent demandé aussi ce qui avait pu se passer dans la tête des premiers disciples, quand ils virent leur Christ pour la première fois prendre ce pain, ce simple pain posé là, sur la table, et leur dire tout à coup : « Prenez et mangez, car ceci est mon corps… ». Leur surprise. Leur tête !  Pouvaient-ils imaginer, eux, ce qu’Il était en train de fonder ? D’instituer ? Et ces milliards, ces milliards d’hosties à venir ? Jusqu'à cette nuit pleine de militaires... In saecula saeculorum...

Le Christ : qu’elle est sainte, en effet, cette nuit, bien au-delà des menaces des fous d’Allah et des craintes des politiciens…. Cette nuit, Sa première nuit de nouveau… L’un des abbés, à la sortie, me serre chaleureusement la main :

« C’est beau...

   Oui, c’est très très beau !»

Je suis revenu à pied, ne rencontrant finalement que très peu de monde, dans cette nuit de Noël aux relents anormalement printaniers, l’autre menace contre laquelle les rondes militaires ne peuvent rien. Quel temps ! Je portais en moi cette simple parole du Credo, «  propter nostram salutem descendit de caelo » et j’étais comme vidé de tout le reste. Ca et là, des traces d’urine, de vomi, des détritus. Dans le ciel sombre, sous la basilique de Fourvière, les lettres brillantes du « Merci Marie » retrouvaient un sens pleinement religieux : malgré tous les efforts de la municipalité pour le réduire à une formule lapidaire pour syndicat d’initiative (où est passé le « Marie Mère de Dieu de jadis » ?), oui, merci Marie pour ce Fils. Car Dieu, affirment les théologiens, lui ayant laissé pleinement son libre arbitre, elle aurait pu se refuser, comme la plupart d’entre nous nous refusons, à Lui.

Magnificat ! Une histoire sainte dans laquelle vivre, donc. Certes, nous ne sommes plus habitués, empêtrés dans nos raisonnements limités. Une ancienne action de grâces byzantine que j’aime particulièrement dit à un moment « Mère compatissante du Dieu de Miséricorde, ayez pitié de moi et placez la componction et la contrition dans mon cœur, l’humilité dans mes pensées, et la réflexion dans la captivité de mes raisonnement. » La réflexion dans la captivité de mes raisonnements… J’aime beaucoup. Beaucoup… Quelle captivité de mes raisonnements, en effet, me fait encore tiquer devant tel ou tel point du Credo, n’en pas comprendre toute l’authentique sagesse ni gouter toute la surnaturelle réalité ? Ah, si l’on comprenait vraiment ce que signifie la rémission des péchés, la communion des saints, la résurrection de la chair, quel Gloria unanime s’élèverait alors ! Et comme on clouerait le bec à tous les prôneurs de valeurs abstraites et théoriques ! Ne parlons pas des faiseurs de Jihad ! Et de quelle utilité nous seraient alors militaires comme politiques...

merci_marie.jpg

(1) Le Seigneur m’a dit : « Tu es mon fils, je t’ai engendré aujourd’hui »

mercredi, 09 décembre 2015

Porte sainte et sainte procession

Rome était hier au cœur du monde. Place saint-Pierre, tout d’abord, lorsque le pape François, l’air grave, ouvrit l’année sainte du Jubilé de la Miséricorde. Place d’Espagne, ensuite, devant la colonne fleurie de l’Immaculée Conception, lorsqu’il assista aux Litanies de la Sainte Vierge et prit le temps de bénir les nombreux malades rassemblés là. Il va comme le monde, le pape : Sa démarche est de plus en plus lourde. Il est objectivement de plus en plus las. Son sourire recèle quelque chose d'indéfiniment triste.

Non loin de François, Benoit, pape émérite, image frêle et saisissante de la vulnérabilité de la vieillesse, venu pénétrer la basilique saint Pierre à sa suite par la porte sainte tout juste ouverte. Deux papes, deux silhouettes, un peu comme les deux formes du rite, l’ordinaire et l’extraordinaire, témoins de l’époque schizophrénique qui fracture l’histoire commune dans laquelle nous voici plongés tous, quels que soient nos idées, nos goûts, nos besoins et nos désirs. Divisés devant l’Incarnation.

« Un mystère qui va au-delà de toutes les capacités de la raison » a dit François en évoquant l’Immaculée Conception. Au-delà de toutes les capacités de la folie également, suis-je tenté de rajouter. Car le catholicisme a fait de la longue histoire du péché des hommes et de sa rémission la colonne vertébrale de toute sa théologie. Une UNIQUE histoire que porta Marie, et qui nous plonge au cœur de son originalité, à l’endroit même où toutes les autres religions apparaissent bien fades et bien simplistes, avec le simple bonheur des individus pour but ou la seule paix du monde pour credo. « Dieu n’est pas Dieu de morts, mais de vivants », asséna le Christ au comble de son propre mystère, à propos de la Résurrection (Matthieu, XII, 32). 

Il y a ainsi dans le catholicisme et sa théologie du Péché & du Salut comme le fondement même de l’espèce humaine et de sa destinée, une trajectoire à la fois singulière et universelle, historique et éternelle, qui fait de lui à mes yeux non pas une religion parmi d’autres, mais au-delà même de toute religion, la seule Vérité qui fût acceptable à la fois par notre raison et par notre folie, parce qu’elle nous transporte bien au-delà des objectifs mesquins du politique ou du sociétal dans lesquels s’engluent irrémédiablement le pacifisme béat ou la violence intrinsèques à toutes les autres. Le Christ et le mystère de sa Venue demeurent à travers notre foi de Son temps et du nôtre, tel est aussi le mystère de l’Avent et celui de la miséricorde : telle est aussi la symbolique du franchissement de cette porte. Le bonheur, la paix viennent de surcroît...

immaculée conception,8 décembre,jubilé de la miséricorde,pape françois,rome,place saint pierre,place d'espagne,catholicisme,miséricorde,procession,lyonL'Immaculée Conception est une fête aussi dans la capitale des Gaules, que l'actualité récente a rendue à sa dimension religieuse. Il faut bien avouer que l
a façade de la primatiale Saint-Jean n’est jamais si belle que lorsqu’elle n’est livrée qu’à l'éclat de sa seule pierre, comme ce fut le cas hier soir, en l’absence de la folie technologique qui la recouvre de pied en cap chaque 8 décembre depuis une quinzaine d’années. Loin des Lumières, Lyon a donc retrouvé ses Illuminations, sa propre fête. Et les Lyonnais que j’ai croisés avaient l’air heureux de déambuler en grappes sur le pavé, de boire du vin chaud en discutant entre amis, sans se voir infligés la foule des touristes béats devant des façades platement colorées, ni surtout cette sinistre musique d'accompagnement de ces piétinements oppressants. Une fête enfin redimensionnée à sa juste échelle, en phase surtout avec la tradition mariale qui est à son origine.

Du coup, j'ai pu sortir de chez moi, ce que j'évitais de faire depuis pas mal d'années. Beaucoup de monde pour la procession jusqu’à Fourvière, sous la présidence du cardinal Barbarin. Derrière la bannière Merci Marie, la montée du Chemin-Neuf et la rue de l’Antiquaille étaient emplies de flambeaux et de chants, de pèlerins méditant en marchant les Mystères joyeux du rosaire. Trop habitué à les réciter seul, ces mystères, ou dans des églises presque désertes, je me suis senti agréablement surpris d'être soudain entouré de tant de monde reprenant même en latin le Gloria Patri. Une présence discrète de policiers et de militaires, jusque sur le parvis de Fourvière. L'air du temps, auquel tout le monde s'habitue. 

Puis une messe en l'église saint-Georges selon la forme extraordinaire du rite romain, comme on dit, c'est-à-dire en latin et en grégorien. Vers vingt-deux heures, un pavé humide et des badauds tranquilles et détendus, un 8 décembre comme je n'en avais plus connu depuis longtemps...

 

samedi, 26 septembre 2015

Noms de mères, noms de rues

Il longeait le trottoir légèrement humide de la rue Alsace Loraine, l’esprit alourdi par la charge sans intérêt des soucis quotidiens, quand soudain lui revint en mémoire le nom de Madame [kãyé]... Pourquoi, fichtre ? Car c’était par là [derrière l’une de ces façades, une fois passée la rangée de boites aux lettres disjointes puis les marches usées, incrustées de coquillages fossilisés, qu’il comptait une à une lorsqu’il fallait à pas démesurés les gravir, enfant], que les gosses chaque jeudi après midi allaient se faire catéchiser. Tant d’années plus tard, impossible de préciser le numéro de la rue, ni l’étage. Mais les tentures, les rideaux, les bibelots, les tapis, si ! Drôle, ça : il ne se souvenait que de ce qui avait certainement changé quand du reste qui, sans doute encore, demeurait sous ses yeux, du bâti, rien ne palpitait en sa mémoire. Mort. Indiscutablement. Et dressé pourtant devant ses yeux.

Les histoires, également. Moïse traversant la mer Rouge, le buisson ardent, le bœuf et l’âne… Ainsi parlait la mère Caillé. Ou Cahier. Plus très sûr que ce fût le nom de la vieille du catéchisme, ou bien de celle qu’on payait pour l’amener et le ramener chaque jour de l’école au domicile. Plus très sûr. Cahier, bien sûr, cela était lié dans sa mémoire aux encriers en faïence et aux pupitres en bois inclinés, tandis que Caillé évoquait l’espèce de fromage blanc qu’on lui servait au gouter juste après le caté et, finalement, il se pouvait que ce fût la même bonne femme qui l’accompagnait et le catéchisait. Estompées, leurs silhouettes de vieilles… Quelle importance, au fond, d’autant qu’il n’était foutu de se remémorer aucun des traits de son visage ; ces histoires qui lui paraissaient alors terriblement exotiques [oh, sa peur d’Abraham sur le point de sacrifier Isaac !], l’odeur vague et rance du salon, ce nom de rue tout en contrebas de la sienne, Alsace Lorraine, qu’il longeait de nouveau tant et tant d’années après. Et peut-être qu’elle n’était (ou qu’elles n’étaient) pas si vieille(s) que ça après tout, saisie(s) avec tout le reste dans la capsule de sa mémoire en argentique. « Entre quarante et soixante-dix », se dit-il en se souvenant combien tout ce qui dépassait la trentaine lui semblait alors d’un autre âge, d’un autre temps, d’un autre monde que le sien alors.

Brazier_005.jpg

Enseigne de la façade du restaurant « La mère Brazier » au 12, rue Royale (2009)

© A. Delaigue

 

Cet autre nom, cette enseigne, Mère Brazier, juste derrière, rue Royale, ces messieurs toujours très bien mis quittant l’établissement, cigare aux lèvres, avant de  grimper dans leurs automobiles. Avec cet autre nom, Brasier, Braisier, il avait noué alors à son insu quelque familiarité sans jamais avoir adressé la parole à la Mère ni non plus bien sûr franchi le seuil de son renommé restaurant, ni même avoir vu véritablement les traits de son visage. La Mère. Les récits de ses oncles durant des repas de Noël avaient intégré ce nom-là à sa mythologie personnelle : on y mangeait bien, et ça paraissait l’essentiel. Peu de plaisirs, tout compte fait, durant son enfance, sinon celui de la bonne bouffe, de la cuisine gastronomique faite de rien, par une main leste et savante de grand-mère. Peu de plaisirs mais beaucoup de paix, qu’il puisa toute sa vie à gorge déployée, dans le silence épais de son cœur. Il réalisait combien, pour les adultes qui l’entouraient alors, la guerre qu’il n’avait lui, pas connue, n’était pas très éloignée.

Les passants certes avaient changé depuis, beaucoup surgis du Sud, occupants braillards la dissolution de son autrefois à lui. Ceux-là ne seraient guère plus éternels que les siens, se consolait-il [que les chères figures dont il se souvenait, et que le cadre dans lequel il avançait pouvait malgré l’étrangeté du présent encore contenir.]

 

Tout lui indiquait à quel point la France allait dorénavant mal, et que cela empirerait inexorablement comme si ses dirigeants l’avaient poussée, la France, du haut d’un escalier pour qu’elle se fracasse en bas. D’elle, demeuraient ces quelques noms, accrochés à des plaques de rue et des enseignes, qui lui donnaient à sucer au fond du palais des souvenirs aussi sucrés que des bonbons, comme pour l’aider à longer sa route, un temps bref encore, avant qu’on ne les emporte tous et, comme l'écrivit un jour Céline, qu'on n'en parle plus, plus jamais.

samedi, 08 août 2015

Saint Jean-Marie Vianney, confesseur

285982546_c5d69ab6bd_z.jpg

C'est vraiment tout comme s'il dormait. La face légèrement inclinée du côté de l'oreiller, les mains à plat sur l'aine, en cette belle chasse dorée, il attend. Demeure dans son attitude un je ne sais quoi d'épuisé et de reposé à la fois, qui suggère toute la sérénité et la magnificence de sa patience. Il attend la Résurrection, dans ces chaussures à clous au cuir épais et noir de curé-paysan, aux lacets élimés d'autrefois.

On l'a déposé en cet écrin, guère loin de son presbytère. Il réside là, au centre de la basilique érigée en son honneur dont son corps incorruptible constitue l'attraction et qui prolonge d’une solennelle pompe l'humble église d'Ars, dans laquelle il confessa dès l'aurore jusqu'à 17 heures d'affilée certains jours, ce qui lui permettait de confier magnifiquement : « Mon cimetière est ensemencé de saints », et autorisa Barbey d’Aurevilly, dans un article du Journal de l'Ain en 1862, à chiffrer à un million le nombre de "convertis puisque confessés" par cet "Inspiré de la conscience"  : « Il avait donné le goût et presque la faim de la confession. Il avait fait trouver doux enfin ce pain si amer à la bouche de l’homme » .

Ses paroissiens, il les appelait chaque dimanche « mes enfants ». Imagine-t-on, dans le monde faussement sympa, sec et athée d’aujourd’hui, un curé apostropher ainsi des gens de sa chaire : « Si vous demandez, mes enfants, ce que c'est que le péché mortel, voici ce que saint Augustin nous en dit : C'est une aversion de Dieu et un attachement déréglé et criminel aux créatures. » 

« Nous connaissons le prix de notre âme aux efforts que le démon fait pour la perdre » leur répétait-il. Sage propos, que son siècle matérialiste et borné avait déjà du mal à comprendre ! Que dire du nôtre, droit-de-l’hommiste et technologique, en route pour une Apocalypse dont aucun d’entre nous n’est à même d’imaginer la teneur tant il y participe de l'hystérie de toutes ses fibres, frénétiquement.

J’ai pour le curé d’Ars une tendresse spécifique, presque familiale. Peut-être parce qu’il naquit non loin de chez moi, à Ecully, descendant de ces cultivateurs des Monts du Lyonnais qui sont aussi mes ancêtres, dont certains peut-être croisèrent son chemin. Mais pas seulement. Le curé d’Ars possède son franc parler : «Il faut que vous fassiez naître dans votre cœur, la douceur, la bonté et la charité, à la place de cette colère, de cet air de mépris que vous faites paraître à la moindre injure qu'on vous fait. »

Il sait aussi être un poète incomparable : « Le jour du jugement, on verra briller la chair de Notre Seigneur à travers le corps glorifié de ceux qui l’auront dignement reçu sur la terre, comme on voit briller l’or dans du cuivre, ou l’argent dans du plomb ».

On dirait qu’en vivant, il ne fit que planter la sainteté dans ce terroir paysan et rude, aujourd’hui occupé par les enfants de la mondialisation, mais dont je connais bien la tradition des habitants de longue date, faite d’âpreté égoïste, de bravoure têtue, et de camaraderie agricole. Faut avouer que pour placer en leur bouche les paroles du Misere mei de David, Créez en moi un cœur pur, mon Dieu, et renouvelez un esprit droit au-dedans de moi, il en fallait de la sainteté, une sainteté populaire, et qui ne s'embarrassât pas de manières !

Il suffit d’aller humer à Ars les parfums de sa maison rustique, puis de se retirer un instant dans la chapelle de la Providence qu’il fit ériger à la gloire de Sainte Philomène, à propos de laquelle Pauline Jaricot lui déclara un jour : « Monsieur le Curé, ayez grande confiance en cette sainte; elle vous obtiendra tout ce que vous lui demanderez…» : Quel que soit le temps, le ciel d’Ars, entre Dombes et Beaujolais, s’imbibe alors d’une douceur exquise et surnaturelle, et l’on serait fichu de croire que lui aussi, à son tour, pourrait nous obtenir tout ce que nous lui demanderons. C'est aujourd'hui sa fête dans le Propre de France. Profitons en.

barbey d'aurevilly,littérature,écully,lyon,jean-marie vianney,confesseur,ars-sur-formans,curé d'ars,pauline jaricot,sainte philomène,religion,christianisme

Le curé d'Ars, peu après son décès

barbey d'aurevilly,littérature,écully,lyon,jean-marie vianney,confesseur,ars-sur-formans,curé d'ars,pauline jaricot,sainte philomène,religion,christianisme

Chapelle de la Providence, Ars

mercredi, 24 juin 2015

Le Précurseur

J’ai toujours ressenti pour Saint Jean-Baptiste une sympathie particulière. Peut-être parce qu’il est le patron de la primatiale de Lyon… C’est possible ! Il est surtout, comme saint-Joseph, ce précieux trait d'union entre l'Ancien et le Nouveau Testament, le monde des Prophètes Juifs, dont le Christ lui-même dit qu'il ne s'en est pas levé de plus grand que lui, et celui des Saints Chrétiens dont il affirme que le plus petit dans le royaume des Cieux sera plus grand que lui (Mathieu, XI-11). Vertigineuse promesse, qui en ces temps d'œcuménisme égalitaire où l'on voit un pape François s'excuser sans frémir d'être catholique devant des protestants vaudois, nous plonge dans le religieusement incorrect et salutaire jusqu'au cou...

 J’exhume pour l’occasion ces deux billets, l’un datant de 2008 l’autre de 2007, et je retrouve dans des notes qui datent de l’hiver encore précédent ces considérations, cette prière jaillie du plus profond de moi devant la haute sculpture en pied du saint, dans l’église saint Sulpice à Paris :

« Une brebis allongé à sa gauche, un bras levé qui désigne le Ciel au passant. Jean-Baptiste ! O grand saint, maintiens toujours en vie ma jeunesse, ma vitalité et ma virilité spirituelles, mon désir d’entreprendre, de vaincre et d'être heureux. Ce qui est destructeur pour mes proches et pour moi-même, en mon cœur comme en ma pensée, ôte-le. Fais de moi un constant arbre de vie. Protège mon baptême que tout menace, en ruisseau comme en lumière, saint Jean-Précurseur. Amen. »

 

Je me souviens très bien avoir adressé cette prière au Précurseur, à l’époque, m'être aussi promené dans beaucoup d'églises parisiennes durant toute une semaine; je notais tout alors sur les pages d'un cahier à spirales et sans doute est-ce pourquoi les premiers billets de Solko furent nimbés, quelques semaines plus tard, de ma timide dévotion envers ce très grand saint. Il est vrai qu’à l’époque, je me morfondais dans un affreux état d'épuisement, pour ne pas dire d’accablement, spirituel. Les Canuts, montés depuis deux ans, n’avaient rien donné de plus qu’un succès éphémère et le théâtre, tout le théâtre, – celui que j’aime en tout cas -, je le voyais se diluer dans une forme de spectacle sans grand intérêt ni grande épaisseur, qui faisait la part belle à un comique idiot ou une technicité frigide.  Idem pour la vie intellectuelle et littéraire, dont on sentait que des puissances de propagande extérieures au pays faisaient tout pour l'en débarrasser définitivement.

Malgré son vote à presque 55 % contre le traité constitutionnel, la France commençait à s’engluer dans l’impasse politique où la fourrèrent de concert le médiocre Sarkozy et l’inutile Hollande. Je me sentais aux abois, pris jusqu’au trognon dans le piège fétide d’une Education Nationale dont se dérobait toute exigence, au point de se métamorphoser en ce parc d’attraction ridicule et ouvert à tous les vents d'une République libérale sans ambitions. Je ne suis pas Charlie, je ne suis pas ça.  Je  lisais Bloy pour me consoler de cette déroute inévitable. Saisi par la perspicacité du bonhomme, j’amorçais un  retour épineux vers l’Eglise, en allant communier à la chapelle de Fourvière chaque matin en douce, avant de sauter dans le funiculaire d’en face, pour arriver à l’heure en cours dans un satané lycée. Je me sentais saisi d'une foi déjà ferme bien que tressaillante : comme quoi il fait bon s’adresser à saint Jean-Baptiste. Grand saint des commencements et des re-commencements, toujours précurseur de quelque chose. Il faut qu'il croisse et que je diminue : tout était dit. 

Pour l’occasion, je remets en ligne l’album-photos que j’avais réalisé alors. Je n’aime pas ce Jean-Baptiste efféminé de De Vinci ; ni celui, sombre pour l'occasion du Caravage, que La Tour, d’ailleurs, imite à son tour trop ostensiblement ; ni ce florilège de têtes coupées, du Titien ou de Moreau. Pour moi, le Précurseur est un cri en lettres capitales dans le désert, et un habit en peau de chameau. C'est à cela qu'il faut s'en tenir. Je crois que celui que je préfère est encore la simple statue qu’on peut voir à la primatiale de Lyon, ou encore ce chef magnifique de la cathédrale de Reims. Vous trouverez dans l'album Précurseur, sous cette sculpture, le magnifique poème que Bloy a composé à propos de saint Jean Baptiste.  Parmi l'un de ses plus beaux...

 

précurseur,saint-jean baptiste,lyon

 

 

00:04 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : précurseur, saint-jean baptiste, lyon, bloy, littérature | | |

vendredi, 03 avril 2015

L'inconnu de la rue saint-Jean

L’enterrement  achevé, nous  nous sommes réunis autour d’une table, puis nous nous sommes tous quittés vers quinze heures. J’étais triste, fatigué, troublé.  Je suis descendu à pied jusqu’à Trion, de là en funiculaire jusqu’à Saint-Jean. Je me suis assis sur un banc au fond de la primatiale et j’ai dû m’y assoupir  un long moment. En ressortant, j’ai trouvé le parvis légèrement humide, et c’est alors que mon regard l'a croisé.

Avec un peu de technicité, cela pourrait former une nouvelle fantastique. Mais je n’ai pas envie de jouer avec cela. Il ressemblait vraiment au mort que je venais de quitter là-haut, dans l’ancien cimetière de Loyasse. Vraiment. Tel un sosie allant tranquille.  Il portait un pantalon de velours, une veste, une écharpe, la même calvitie que lui ramenée six ou sept en arrière, Il vaquait lentement, d’un pas de touriste très posé, contemplant la façade de la primatiale d’un air dubitatif, présent à ce sur quoi son regard se posait,  absent à tout le reste, vraiment, songeur,  les mains derrière le dos.

Un sosie : le même visage, tout comme LUI à six ou sept ans de ça en arrière,  et l'exacte même stature d'avant sa maladie : je l’ai dépassé, j’ai fait semblant de nouer un lacet pour l’observer mieux.  Le nez levé, lui détaillait le moindre détail des immeubles Renaissance, très engagé dans chacun de ses regards, et toujours comme flottant, la mine à la fois intriguée par le lieu qu’il découvrait et indifférente aux gens qui l’entouraient, le pas calme et aérien, le dos droit, inclinant parfois la tête pour vérifier qu'il marchait bien sur du sol.

J’ai beaucoup d’imagination, j’aime depuis toujours douter de ma raison, ma vieille et pauvre raison si répétitive dans son fonctionnement, car rien ne m’ennuie autant qu’une certitude surtout lorsqu’elle est rationnelle, mais à cet instant…  J’ai réprimé l’envie d’aller lui parler, car m’adresser à lui, c’était chercher la preuve qu’il n’était pas une apparition, ni une hallucination vivante. Personne d’autre que moi ne faisait attention à lui, ce qui renforça mon trouble. Il paraissait invisible d’eux tous,  de toute façon, me disais-je, qui s’intéresse aux vieillards, dans une rue ?

Personne, nous le savons tous.  Je me suis malgré tout saisi de mon smartphone et je l’ai photographié de dos. Puis j’ai vérifié presque fébrile que la photo, elle aussi, fût bien réelle, que je n’étais pas en plein rêve éveillé. La rue Saint-Jean calme, sur son pavé gris il faisait bon. Je l’ai alors doublé, presque rassuré. J’ai pressé le pas.

 louis carlier,lyon,france,littérature,hasard,rue saint-jean,loge du change,lyon légendaire et imaginaire,adieu

Cliquez sur la photo pour l'agrandir 

Un nouveau doute, cependant. Devant la loge du Change, je me suis accroupi, faisant mine de m’intéresser aux travaux, mais guettant sa lente progression. J’ai pu détailler longuement son visage aux traits si semblables à celui de mon parrain mais à l’expression différente de toutes celles que je lui avais connues, comme s’il découvrait chaque pierre de ces immeubles et d'un regard, leur donnât tout leur prix, absorbé totalement et sans aucune autre expression que cet air autant neutre que contemplatif, si contemplatif que j’en ai eu le frisson. J’ai songé à nouveau à aller lui demander son nom, comme pour quémander sa réalité, mais je n’ai pas osé. La raison qui est en moi m’a fait sentir que c’était aller trop loin dans sa remise en cause, une entreprise de démolition, et pourtant…

Nous vivons dans des enclos intellectuels sans reliefs, nous ne connaissons quasiment rien de fiable à 100% n'en déplaise à tous nos prix Nobel, sinon qu’un jour nous serons morts : Et de cette évidence, tout ce que nous faisons, pensons, désirons  cherche à nous en divertir au sens le plus strictement pascalien quand mourir, ce n’est peut-être rien d’autre que passer ainsi d’un monde à l’autre, le pas tranquille, se laisser glisser sans peur, paisible et lumineux vers un lieu dont nous ignorons tout, dans l'approche duquel il faudra placer un jour toute notre attention.