mercredi, 10 février 2010
L'Oeil du berger
La circulation de monnaie divisionnaire était constituée, avant guerre, de pièces de nickel de 5 francs et de pièces d’argent de 10 et de 20 francs. Parmi les billets, la plus petite valeur faciale était un billet de 5 francs qui datait de 1917. A la suite de la mobilisation, la Banque dut faire face à la demande croissante du public, puis à la nécessité de retirer le plus rapidement possible les marks d’occupation. Elle créa alors plusieurs billets de format très réduit, dont le plus petit de son histoire : un billet de 5 francs que Clément Serveau réalisa à Villeneuve-sur-Lot. Il était illustré du portrait d’un berger pyrénéen dans un décor de montagne. En filigrane, le profil de Bernard Palissy.
Curieux choix : celui d’une sorte de consolation, coulant comme l'eau vive, de toute évidence. Comme s’il fallait, après le feu de la débâcle, offrir aux Français d’alors l’image d’une mélancolie révolue et localisée à l’extrême, une image faite de rondeurs dans laquelle le passé du pays affleurerait et insérerait, dans leurs poches et dans leur imaginaire, une teinte susceptible d’amortir la douleur : ce bleu et ce vert venus des champs et pesant d’une égale lumière, d’un même poids, celui des racines. Le bâton semble un appui sûr au berger qui a posé dessus ses doigts noueux. Du Séguéla et de la force tranquille, déjà. Du Mitterrand avant l’heure. L’efficacité du rustique et la promesse des bas de laines : voyez comme est dodu le ventre bleu de ce faible chiffre, le plus humble de la gamme, malgré tout majestueux. Suivez le berger.
Pour comprendre la poésie toute particulière de ce billet-ci, il faut le retourner et observer à son verso avec quelle sureté le volume de chaque fleur fut tracé, le relief de chaque pétale profilé. Avec quelle minutie le pinceau a déposé la teinte. Et dans quel but ? Et pour quel acte déjouer ? Quel profanateur évincer ? Dans ce décor floral et mièvre, une Agenaise coiffée de sa coiffe traditionnelle, les épaules recouvertes d’un châle mordoré, veille. Veille également. Très peu de lettres, mais quelles ! La Banque de France s’y affirme seule propriétaire des lieux : ce visage luisant ni vraiment beau, ni vraiment laid, dont on ne sait trop s’il est celui de l’homme ou de la femme, ne serait-il pas en vrai son allégorie la plus provinciale ?
L’œil qui chercherait à échapper aux senteurs confinées dans ce rectangle-là ne trouve là, pour tout songe, qu’un autre rectangle bleu, celui où la loi se rappelle.
L'oeil du Berger ...
06:16 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : billets français, clément serveau, villeneuve-sur-lot |
mercredi, 16 décembre 2009
Jeune Paysan
« Ils quittent un à un le pays, pour s'en aller gagner leur vie,
Loin de la terre où ils sont nés. Depuis longtemps qu'ils en rêvaient,
De la ville et de ses secrets, du formica et du ciné… »
Jeune paysan, 1964 : Lorsque Jean Ferrat créait La Montagne, cela faisait déjà dix ans que sa coupure était retirée de la circulation. Celui qu’on voit sur la vignette fut donc un ultime résistant avant le progressif démantèlement de l'agriculture du pays. La « date de création » de la coupure, comme il est d’usage de le dire, fut le 7 novembre 1945. Quelques trois mois plus tôt (le 6 août et le 9 août), le bon Truman avait largué ses bombes atomiques sur Hiroshima puis sur Nagasaki. Dans les mémoires de Truman, je relève au passage cette phrase assez succulente : « Le 24 juillet à Potsdam, je signalai en passant à Staline que nous possédions une nouvelle arme dont la puissance de destruction était exceptionnelle mais le chef soviétique ne parut pas s’intéresser vraiment à cette nouvelle. Il se contenta de dire qu’il était heureux de l’apprendre et espérait que nous en ferions « bon usage contre les japonais. »
Le pays se trouve alors en plein Gouvernement Provisoire de la République Française, lequel dure depuis un an ( juin 44) et en durera encore un autre (jusqu’en janvier 46). Période que dans ses Mémoires de Guerre, De Gaulle nomma celle du Salut. Et dans le Salut le chapitre Discordances. Sous l’égide de René Pleven le ministre des finances, on venait de procéder entre le 4 et le 15 juin, à l’échange des billets dans plus de 34 000 guichets (banques, bureaux de poste, caisses d’épargne, perceptions) : « L’opération visait écrit De Gaulle, à révéler l’avoir de chaque français. Déjà l’administration connaissait la valeur des fortunes en biens immobiliers, rentes, actions, obligations nominatives. Il lui restait à savoir comment était répartie la masse des titres au porteur : billets et bons à court terme. Les propriétaires avaient à présenter et par là même, à déclarer leurs titres. On les leur remplacerait franc pour franc, par des nouvelles vignettes. Du coup devenaient caduques les coupures qui n’étaient pas remises aux guichets publics, celles notamment, que les Allemands avaient emportées chez eux, celles aussi que leurs possesseurs préféraient perdre plutôt que d’en avouer le total (…) Cette photographie de la matière imposable allait permettre au gouvernement d’établir sur une base solide la contribution qu’il méditait de lever.»
Pour remplacer au plus vite les coupons anglais et américains qui avaient été distribués en masse (voir video ICI ), et dont les contrefaçons se multipliaient, on confia donc à Robert Pougheon (1886-1951) , ancien directeur de l’Académie de France à Rome, la création d’une série homogène : le 500 francs Chateaubriand, le 50 francs Le Verrier, et ce Cent francs jeune paysan.
Le dessin de Poughéon symbolise d’une part le monde agricole, avec ce jeune héros aux blondes boucles et aux joues roses, précédant une paire de bœufs, et d’autre part l’univers de la mer représenté au verso par une famille de marins dans le décor cinématographique d’un port. L’homme assis, coiffé d’une casquette et en tricot de corps, rêve au large, là où sont les mats des cargos. La femme en jupe et en fichu, accoudée à une amarre, regarde dans la direction opposée vers les terres en tendant un crabe à l'un de ses trois enfants nus qui jouent entre eux. Entre eux, précisément, ça n'a pas l'air d'aller très fort. Les regards des personnages ouvrent le billet en tous sens. On dirait bien que ce vieux pays, "cet antique pays que vous ne comprenez pas", disait De Gaulle à Truman, veut quitter une terre et des frontières dont, à tort ou à raison, il est las.
La dernière émission de ce billet de cent francs qui fut, parait-il, l’un des plus populaires de cette valeur faciale, date du 1er avril 1954. Il ne valait alors quasiment plus rien et fut remplacé par une simple pièce après son retrait.
La Banque de France ne réédita à nouveau cette valeur faciale de cent francs que le 5 mars 1959, lorsque le 10 000 AF Bonaparte fut changé en 100 NF. Pour une quarantaine d’années, le franc allait se donner l’illusion de vivre encore.
12:47 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : jeune paysan, billets français, libération, de gaulle, pléven |
jeudi, 19 novembre 2009
La mode était aux fraises
Celui que j’ai sous les yeux est tout déconfit. Un morceau de scotch, à présent jauni, lui redonna naguère un corps entier. Rogné, fendillé, les coins pliés - pauvre hère ! Je doute qu’un collectionneur m’en concéderait plus d'un liard, ce cent francs Sully demeurant l’un des billets les plus communs sur le marché. Quant à la Banque de France elle-même... Il m’est souvent arrivé de tailler le bout de gras à propos de ces vieux francs démonétisés, images d'un siècle à présent autre, si autre. On m'évoquait à chaque fois, l'oeil comme retombant en enfance, quelque vieux tiroir à la campagne où il s'en trouvait, croyait-on, dans un coin d'un certain garage, ou bien chez une tante - la prochaine fois qu'on ira la voir... .Immanquablement, quelques jours plus tard, dans leur trésor aussi précieux que dérisoire se trouvaient, quelques cent francs Sully…
- Tu crois que ... ?
L’étude de ce billet fut confiée en 1933 au peintre Lucien Jonas. Le filigrane choisi fut celui qui avait déjà été utilisé pour le cent francs 1906, encore en cours de circulation : profils superposés du vieux ménage de Cérès et Mercure, fertilité des moissons et prospérité du commerce incarnant les deux sources les plus fiables de revenus. Mais les maquettes présentées au Conseil Général de la Banque de France par Lucien Jonas avaient soulevées quelques critiques à l’époque et l’émission du billet fut suspendue jusqu’en mai 1939, date de sa première émission. Il fut imprimé jusqu’en 1942. En raison de probables disparitions massives, on lui préféra alors le cent francs Descartes.
Au recto on voit une femme en péplum, appuyée du bras droit sur un sceptre et tendant du bras gauche une couronne de roses et de raisins que soutient un enfant à l'épaule ronde et nue. Cette couronne sert de cadre au filigrane. Derrière les deux personnages, une vue à vol d’oiseau du centre de Paris, Notre Dame en son centre. Le 16 janvier de cette année 1933, Jean Mermoz et un équipage de 5 membres avaient effectué, à bord du Type 70 Arc en ciel, un vol sans escale entre Saint-Louis (Sénégal) et Natal (Brésil) en 14 h 27 mn. Le mois suivant, les Britanniques Gayford et Nicholetts effectuaient le premier vol sans escale entre la Grande Bretagne (Cranwell) et l'Afrique du sud (Walvis Bay) en 57 heures et 25 minutes. En juillet, le premier tour du monde solo était réussi par Wiley Post (lequel devait s’abîmer en vol deux ans plus tard) sur monoplan Lockheed et 7 jours 18 h et 49 mn. Et le 30 août naissait une certaine Compagnie Air France. Ceci explique-t-il cela ?
L’engouement pour les tout récents maîtres du ciel était alors réel. Aussi, cette vue aérienne de Paris, qui confèrait à la vignette une modernité indéniable par rapport aux coupures précédentes, fut-elle appréciée en son temps.
Sur l’autre face le pensif Sully. Derrière lui se distingue, au milieu des champs, le village de Sully-sur-Loire et son château. L’œil est vif, bleu, déterminé. La barbe poivre et sel. La fraise – ah la fraise aux godrons immaculés est admirable ! Que n’avons-nous plus le loisir de déambuler, tels Sully ou Montaigne, le cou ainsi ceint d’un tel ornement ! De cette fraise si caractéristique, Pierre de l'Estoile, décrivant les jeunes gens du temps à la mode, écrivit :
- leurs fraises de chemises de toile d'atour empesées et longues de demi-pied de façon qu'à voir leur tête par-dessus leur fraise, il semblait que ce fût le chef de Saint-Jean dans un plat... (1)
19:51 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : billets français, cent francs sully |
mardi, 03 novembre 2009
Billets rêvés
« La monnaie des pays que l’on veut connaître et comprendre en dit bien souvent plus que les peuples eux-mêmes sur leurs chefs, leurs aventures, leurs aspirations, leurs soucis, leur orgueil. La monnaie, c’est l’histoire qui court les rues, c’est un témoignage involontaire des pensées secrètes et communes, que les hommes se passent de main en main»
(Henri Béraud, Ce que j'ai vu à Rome -1929)
Rêveries autour de billets
- Charles Péguy & le premier billet de cent francs
- Les vingt-cinq francs de Flaubert
- Pour cinq mille balles de mythologie
- Arthur Rimbaud et le square de la préfecture
- Françoise Sagan et Georges Pérec
- Taille douce d'une star du muet
- L'empereur du faux-monnayage
- Vingt--cinq francs et des faux-monnayeurs
- Stasiuk et les zlotys de son enfance
04:43 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : billets français |
vendredi, 23 octobre 2009
Un Colbert en réserve
Colbert n’était guère aimé de la Cour de Louis XIV qui lui reprocha sa roture, sa vulgarité ainsi que son caractère froid et distant. Mme de Sévigné qui, comme Saint-Simon, n'était pas avare de ses compliments, le surnomma « Le Nord », en raison de son attitude qu'elle jugeait glaciale. Louis XIV aurait-il été le monarque le plus puissant du monde sans le génie cet homme ? La BdF le jugea suffisamment charismatique pour lui consacrer une coupure de 500 francs le 14 janvier 1943. Malgré les 3 millions de billets imprimés, il ne fut cependant jamais mis en circulation et demeura, si on peut le dire, une effigie de l'ombre, puisque cette véritable éminence grise fut placée en réserve pour des raisons de stratégie autant économique que militaire.
Contrairement à la légende, Colbert (1619- 1683) n’était pas le fils d'un marchand drapier. Ses ancêtres, laboureurs à la fin de la guerre de Cent Ans, puis maçons au XVème siècle, s’étaient rapidement enrichis en devenant marchands grossistes au XVIème, puis banquiers et financiers. Ils avaient donné bon nombre d’échevins à la ville de Reims. Sous Henri IV et Louis XIII, ils étaient très liés aux marchands et banquiers lyonnais, et avaient atteint le sommet de leur pouvoir sous Louis XIV : Le grand commis de la royauté française ne fut donc pas le self made man du Grand Siècle qu'on imagina par la suite dans les préaux des écoles, mais bien plutôt un fils à papa poussé dans les allées du pouvoir par des politiques et des gens d’affaires influents, au sein desquels on retrouve Le Tellier (père de Louvois), Particelli d'Émery, Lumagne, Camus…
Jean Baptiste Colbert a donné son nom au colbertisme, doctrine économique prônant entre autres l’idée que la richesse d'un État est avant tout fonction de l'accumulation des métaux précieux. La toujours irrévérencieuse postérité, en ayant songé un temps à le faire figurer sur l’un des ces bouts de papier auxquels les hommes modernes, oublieux des métaux, accordent tant de valeur, fut donc à son égard assez ironique.
De 1634 à 1645, il connut une ascension fulgurante, du comptoir lyonnais banquier Mascranny, où il fréquenta le milieu de la soie, au secrétariat d’Etat à la Guerre du ministre Le Tellier. Quelques trois ans plus tard, après un mariage qui lui rapporta 100 000 livres de dot, le jeune Colbert passa du service de Le Tellier à celui de Mazarin, sut profiter de la disgrâce de Fouquet, et petit à petit gagner les faveurs de Louis XIV. La légende voulut qu'il travaillât jusqu'à 16 heures par jour et Michelet alla jusqu’à le comparer à un « bœuf de labour », pour signifier cette puissance de travail qui dama le pion à tous les premiers de la classe du Grand Siècle.
Homme de l’épargne, homme du travail, protecteur des manufactures royales, Colbert reste aussi dans les mémoires comme l’homme du commerce maritime et colonial, qui dota le pays d’une flotte de guerre de plus de 276 bâtiments, ainsi que celui des Compagnies, dont celle des Indes: Voila pourquoi la coupure qui l'honore le représente la paume de la main posée sur une mappemonde.
A l'autre bout du billet, l'éphèbe gracile qu'on voit danser par-devant les voiles lointaines d'une caravelle, c'est donc le dieu Mercure, dieu, comme chacun le sait, des commerçants et des voleurs. Ah Cherbourg ! Ah Rochefort ! Tous les Dunkerquois s'en souviennent et en sont fiers, c'est lui qui en 1662 racheta leur ville aux Anglais pour l'offrir au tout jeune Roi de France. Les astronomes lui furent par ailleurs reconnaissants d'avoir, en 1667, fondé l'Observatoire de Paris. Ceux ou celles parmi vous que saisirait - sait-on jamais - l'envie de se recueillir un instant devant les cendres de Colbert peuvent toujours se rendre à Saint-Eustache dans la bonne ville de Paris. Non loin du Forum des Halles et de sa fièvre trop commerciale, la poussière des seules jambes de l'illustre trépassé y demeure, dans la pénombre d'un sarcophage orné d'une magnifique statue dudit en prière sculpté par le sculpteur lyonnais Coysevox.
13:25 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : jean baptiste colbert, billets français, politique, littérature |
mercredi, 21 octobre 2009
A coeur vaillant, rien d'impossible
13 juin 1940, la Banque de France lance la première impression du premier de ces billets de guerre dont le petit format permet, sur une unique feuille de papier, de tirer le plus grand nombre possible d'échantillons. C'est une coupure de 50 francs. Elle est dédiée à la mémoire de Jacques Cœur. Insolite retour du Moyen Age, en plein cœur du vingtième siècle et alors que se noue le deuxième conflit mondial du monde industriel : Au quinzième siècle, dans le Conseil de Charles VII, (le roi de la petite Jeanne) Jacques Cœur, incarne à la fois le roturier et le grand argentier. Personnage à la trouble légende, parti faire fortune sur les pistes de Syrie et du Liban, dont Michelet a dit :
« Ici il fait son fils unique archevêque de Bourges, là-bas, il marie ses nièces aux patrons des galères »
Ce Jacques Cœur devint très vite une légende, à en croire le bon clerc de François Villon, qui parle de lui dans son pauvre Testament :
« Le cœur dit à Villon
Ne te chagrine pas, homme
Et ne demeure pas en douleur
Si tu n'as tant eu que Jacques Cœur
Mieux vaut vivre sous tissu de bure
Pauvre, qu'avoir été seigneur
Et pourrir sous riche tombeau ».
Etrange, oui, ce personnage aux contours flous et presque anachroniques qui, en sa maison de Bourges, collectionnait des bas-reliefs représentant, en lieu et place de saints et de saintes, tantôt une fileuse (cf verso du billet), tantôt une balayeuse, tantôt un vigneron, et dont on murmura qu'il fut sans aucun doute à l'origine de l'empoisonnement de la belle Agnès Sorel. Romanesque, oh combien ! Son cœur, précisément, Lucien Jonas l'a placé en filigrane, telle une fenêtre ouvrant de part et d'autre de la demeure, sur des boiseries chaudes ou sur un ciel laiteux. Bergère, filez votre quenouille et gardez vos blancs moutons : Le billet de juin 40 met à l'honneur le Berry, ses humbles et lointaines aïeules des héroïnes de George Sand,
Le curieux personnage, marchand, courtisan, aventurier, n'a jamais cessé, de son vivant, de balancer entre deux devises : Le billet reproduit la première dans le rectangle rouge du recto, qui sert de reposoir à son bras :
« A vaillans (cuers) riens impossible ».
On imagine qu'en juin 1940, alors que triomphait la chanson de Lucienne Delyle ("Mon Ange, mon ange qui veillez sur moi / Mon ange, mon ange, ayez pitié d emoi..."), la formule pouvait être d'un certain réconfort, en effet...
L'autre devise reste moins célèbre sans doute. Elle résume cependant tout ce que ce quatorzième siècle fascinant et déjà bourgeois, qui paracheva l'invention du Purgatoire, contient de neuve sagesse :
« Bouche close. Neutre. Entendre dire. Faire. Taire. »
L' opulente demeure de Jacques Cœur se profile derrière son effigie. D'une main, il porte une plume qu'on devine destinée non pas à consigner quelque pensée de philosophe, mais plutôt à tenir l'un de ces livres de compte qui furent les véritables ancêtres du journal intime. De l'autre, il soupèse son menton, dans un geste où peuvent se lire et la hardiesse et la défiance du véritable parvenu. Devant lui, un coffre, et un petit encrier bleu. Quelque chose du roué politique se déchiffre aussi sous ce bonnet, et dans ce geste. Nul autre que lui, parmi tous les personnages dont la Banque de France honora (ou déshonora, c'est selon) la mémoire, nul autre que lui, qui définissait la sagesse ainsi, "prêter d'une main, se payer de l'autre", nul autre mieux que lui, finalement, ne mérita de passer de main en main, de croupir dans des bourses, d'être joué, volé, échangé, comme une putain et comme un presque roi bref, de figurer sur un billet.
La coupure circula peu de temps, de janvier 41 à juin 45. Le temps d'une guerre moderne et de toutes ses atrocités. Une guerre qui fit oublier, il est vrai, tout ce que la Guerre de Cent Ans avait eu de modestie dans l'horreur et d'amateurisme dans la technicité. C'est que du quinzième siècle de Jacques Coeur au vingtième d'Einstein, les hommes avaient su prendre le temps de peaufiner aussi bien l'art de la planche à billets que celui (qui va de pair) de la destruction massive.
19:45 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, villon, numismatique, écriture, billets français, jacques coeur |
dimanche, 11 octobre 2009
Les artistes de la Banque de France
Artistes de la banque de France (cliquer sur leur nom respectif pour lire les commentaires)
Peintres :
Musiciens :
23:29 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : billets français |
lundi, 14 septembre 2009
Les savants de la Banque de France
La première représentation d’un savant sur un billet français date de 1897. On la doit au crayon de François Flameng. Elle se trouve sur le verso d’un billet de 1000 francs qui n’aura finalement été édité en 1918, mais n’a jamais émis avant 1938, avec une valeur faciale de 5000 francs. On l’y découvre dans une représentation à l’antique, bizarrement désœuvré devant un globe et un atlas ouvert, entre deux misérables petits paysans, l’un tenant une bêche, l’autre une faux. Derrière ce trio étonnant, la pâle brume d'un petit matin sur l'île de la Cité. Devant, des papiers épars sur le sol, comme si, en ce tournant entre deux siècles et avant le cataclysme de 1914 s'exprimait une lassitude du savoir.
En 1927, sur un autre billet de mille, ( dit Cerès et Mercure), la figure plus discrète d’un savant se retrouve. Mais ce ne sont, pour l’instant, que des personnages anonymes.
Le premier personnage de scientifique véritablement inspiré d'une personne à figurer sur un billet fut un chimiste inconnu du grand public, du nom du docteur François Debat, ami du dessinateur Clément Servau, qui accepta de servir de modèle lors de la création d’un billet de 20 francs, émis en 1940. A cette occasion, on le découvre penché sur un microscope, son instrument de prédilection. Vétu d'une blouse blanche symbolisant la recherche mise au profit de l'industrie, il arbore la barbe en pointe, symbole de volonté. François Debat, membre de la délégation spéciale qui géra la ville de Saint-Cloud, fut le créateur, à Garches, de laboratoires ultra modernes pour l'époque, consacrés à la recherche pure. Industrialisés, ses produits ont fait, par le monde entier, la renommée de l’opothérapie.
Le trait de plume de Serveau, sur ce billet, fleure bon son scientisme des années trente. On voit, juste derrière le savant, un pont métallique enjamber la Seine, et des usines fumantes déployer leurs tentacules orangées, comme dans un poème de Verhaeren.
De l'autre côté du billet, se découvrent deux personnages : l'enfant paysan, enfin raisonné par le vieux scientifique à barbiche grise, l'ancien et le nouveau monde conciliés idéalement : tous deux, tels pères et fils, nous fixent dans les yeux, confiantes figures résolument tournées comme deux icones soviétiques, vers l'avenir... Science et travail : tel fut le nom donné à ce billet daté de la funeste année 40.
Une année durant laquelle il fallut se tenir droit (tout comme le doigt du chercheur qui longe sa joue) et raide (tout comme la nuque de ce garçon aux traits efféminés). Le billet ne vit définitivement le jour qu'un an plus tard, et ce en pleine Occupation. Il ne circula d'ailleurs pas très longtemps et fut le dernier billet de 20 francs d'une telle largeur. Restriction et vaches maigres obligent, le suivant fut de moitié moins large, de sorte que pour le mettre en poche, il ne fut plus nécessaire de le plier en quatre.
Urbain Le Verrier (1946), Pasteur ( 1966), Pierre et Marie Curie (1994) furent les derniers savants honorés par la Banque de France (cliquer sur les noms pour suivre les liens)
05:54 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : opothérapie, billets français, banque de france, pierre et marie curie, françois debat, clement serveau |
dimanche, 13 septembre 2009
Votre astre existe
Hanna Arendt considère que l'invention du télescope fut un événement au moins aussi important que la découverte de l'Amérique ou que la Réforme religieuse. Avec cet instrument révolutionnaire, en effet, l'homme européen pu envisager l'espace terrestre non plus seulement en demeurant la victime de l'illusion de ses sens, mais à partir d'un point abstrait, situé dans l'univers et mathématiquement déterminé par sa raison. L'invention du télescope aurait ainsi permis le transfert du point d'Archimède, grâce auquel on pouvait décrire et comprendre le monde, de l'expérience sensible à l'analyse scientifique : L'astronome détrônait ainsi définitivement l'astrologue en tant que figure d'autorité incontournable. Ce qu’on retrouve en effet dans la lettre du bon Gargantua à son fils, dès le Pantagruel de Rabelais : « de l’astronomie sache-en tous les canons ; laisse-moi l’astrologie divinatrice et l’art de Lullius comme abus et vanité ».
La Banque de France a toujours tenu à honorer les scientifiques. Dans sa dream team, elle ne célèbre pourtant qu'un seul astronome : Urbain Leverrier, né le 11 mars 1811 à Saint Malo, et célèbre pour sa participation à la découverte de la planète Neptune dont on commémora, en 1946, l'anniversaire du centenaire par la création d'un billet. Urbain Leverrier (1811-1877), mathématicien français alors âgé de 35 ans, avait en effet remarqué un certain nombre de perturbations apportées à la trajectoire de la planète Uranus. Il en avait déduit l'existence d'une planète hypothétique. Ne disposant pas de télescope, il envoya à un collègue astronome allemand du nom de Galle les données nécessaires pour la repérer.
« Votre astre existe », lui répondit, enthousiaste, ce dernier, dans une missive pieusement conservée depuis à l'Observatoire de Paris, après avoir découvert, à quelques secondes près de l'emplacement signalé par Leverrier, une nouvelle planète. C'était Neptune. Dans les mois qui suivirent, l'astronome français fut honoré dans toute l'Europe, sujet de nombreux articles scientifiques, et décoré par de multiples médailles ou récompenses. En 1853, il prend la direction de l'Observatoire de Paris, qu'on devine au loin derrière son effigie sur le billet de Robert Poughéon. L'originalité de cette série Poughéon (voir également le 500 francs dédié à Chateaubriand) est le format, basé sur la règle harmonique du nombre d'or de Pythagore.
Sur le verso, on découvre un Neptune au ventre plat et au corps d'éphèbe haltérophilisé. Il porte encore barbe blanche et trident, comme le réclame une certaine tradition. Mais par bien des aspects, l'Ebranleur du Sol - ainsi le surnomma Hésiode - cède à la modernité. Paresseusement assis (ou plutôt vautré) sur deux dauphins, comme on le serait sur un sofa, dirait-on pas le patron d'un bordel d'après-guerre, surveillant d'un œil amusé ses deux maîtresses, Vénila et Salacria (l'une incarne l'eau qui vient du large et se répand sur le sable, l'autre celle qui va du rivage à la haute mer ) ? A moins qu'il ne songe dans quel farniente il passera la journée du lendemain, l'œil distraitement rivé à un programme-télé quelque peu ennuyeux ? Derrière lui, un enchevêtrement de signes du zodiaque, bleuâtre et confus. Cette coupure, qui circula du 14 mars 1946 au 7 juin 1951, fut la dernière de ce montant-là en anciens francs, montant pour lequel on ne jugea plus nécessaire d'imprimer un billet, tant il ne représentait plus grand chose en terme de pouvoir d'achat. On ne retrouverait cette somme que onze ans plus tard, mais cette fois-ci en nouveaux francs, avec le billet consacré à Racine, et édité un autre 7 juin, en 1962.
19:22 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : neptune, urbain le verrier, billets français, astronomie, pantagruel de rabelais, littérature, philosophie |