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mardi, 07 juin 2011

La fortune du peintre

Où s’épuise la fortune du peintre…

Dans un méli-mélo tragi-comique, digne d’un mauvais Zola. Un méli-mélo qui demeure à écrire, et qu’on situerait entre L’Œuvre, La Curée et son Excellence Eugène Rougon. Politique, sexe, gloire et pognon, New-York et la place des Vosges, tous les ingrédients du roman de gare sont réunis et la distribution est presque à jour : Anne Sinclair dans le rôle assez risible de la sainte milliardaire ou de la cocue magnifique, DSK dans celui du politicien libidineux ou de l’affligé repentant,  Nafissatou Diallo dans un troisième qui reste à écrire et dont je crains qu’il finisse par être celui du bouc-émissaire. Sans côté la horde des avocats roués, de journalistes à l’affût, du PS en campagne, du téléspectateur blasé… 

Le peintre, dans tout ça ? Il fait office d’alibi culturel, d’ancêtre glorieux, de gage de sérieux.

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Portrait de Madame Rosenberg et sa fille, daté de 1918. Portrait dans la pure tradition des portraits de cour, un portrait de commande, du peintre à son galeriste. Offert par Anne Sinclair au musée Picasso à l'occasion de son entrée dans le conseil d'administration en 2010.


12:42 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : politique, scandale dsk | | |

lundi, 09 mai 2011

Quelque chose de Mitterrand

Ah, le socialisme à la Tonton ! Impossible de ne pas jeter un regard ironique sur les festivités naphtalinées qui vont encombrer la télé cette semaine à l’occasion des Trente ans du 10 mai 81 ! S’agit-il, avec ce « Quelque chose de Mitterrand »,  de tenter de susciter des désirs d’alternance et de mythifier la non-histoire du PS français à l’heure où DSK qui débarque en Porsche voudrait que les clés du pouvoir fussent dans la boite à gants ?  Le PS, comme l’UMP, n’a jamais été autre chose qu’une machine électorale, un raconteur d’histoires assez simpliste.  Changer la vie, disait-il sublime, forcément sublime…

Depuis l’été, la stratégie d’Aubry se borne à expliquer aux Français que leur seul problème, c’est Sarkozy. De marteler que ce qui clocherait chez ce président, c’est sa personne. Une certaine partie de la droite, celle où l’anti-sarkozisme est le plus véhément, lui a prêté main-forte. L’idée est ainsi passée via les medias dans de nombreux esprits. La suite logique de cette première idée, c’est qu’il suffirait de changer la personne pour continuer à sa place la même politique. CQFD.  

C’est alors que DSK pointe le bout de son nez avec son expérience de gouvernance économique mondiale incontestable, patron du FMI, pensez-donc ! Les Moscovici et autres  Cambabélis apparaissent, au simple nom de Dominique, comme des chats en rut.  

On croit les voir déjà à cet instant où, l’Elysée en poche, ils useront de l’expérience de Dominique au FMI  comme d’un argument d’autorité pour affirmer, la main sur le cœur, que, tout socialistes qu’ils soient, la seule politique réaliste pour le peuple français sera une politique de rigueur. Parlez-en voire aux Grecs !

Par rapport à ce futur qu’ils espèrent proches, ce lointain passé de mai 81 qu’on célèbre sur toutes les chaînes comme si c’était un événement fondateur se voudrait un âge d’or.

Mitterrand lui au moins était cultivé, entend-on ça et là.

A ce point, il faut reconsidérer l’argument de la non-culture du président actuel, que le récent livre de Franz Olivier Gisbert, M. le Président et le film La Conquête,  qui va sortir bientôt, replace à nouveau sur la table, et qu’on a l’air d’opposer à la prétendue culture de François Mitterrand. 

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Denis Podalydès, interprète de Mitterrand dans Changer la vie

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mercredi, 23 mars 2011

Le printemps contaminé

« Ça grimpe de plus en plus », grésille niaisement une souris météorologique à la jupe rose et au col orangé sur une chaîne infos. Elle a l’air bien satisfaite. C’est le printemps !  « Que caches-tu sous ta jupe, Margot ma voisine ?», aurait rajouté jadis la romance populaire. Mais cette image numérique n'est pas ma voisine, l'illusion grimpe de plus en plus. Voici qu'à présent un rat à lunettes sentencieuses nous explique  que l’horloge interne de l’être humain a besoin de trois semaines pour se réhabituer à la douce chaleur qui vient. Boudiou. La lumière, la rétine, le cervelet, bref… Exposez-vous progressivement pour vous préparer à l’été. Exposer ? Où ça ? 
Sortir une chaise-longue et prendre un bain de soleil dans son jardin (quand on a encore les moyens d’en avoir un), sur sa terrasse (quand on a encore les moyens d’en avoir une), – eh oui, les souris et les rats miévreux de la télé ont toujours cette tendance à oublier que le seule question qui tourneboule l’esprit des gens sensés reste quand même, printemps, été, automne comme hiver, la question économique – S'exposer, c'est être libre, car la peau, c'est l'organe de la liberté, voilà l’idéologie qu’on propose aux citoyens des florissantes démocraties. Mais ce besoin de tout scientifiser, techniciser, chez des êtres qui se prétendent par ailleurs si joliment éclairés, glissons... La niaiserie a fait tant d’émules que c’est, murmuraient nos grand-pères avant d'aller se pieuter, peine perdue

Pendant ce temps-là, Dominique de Villepin, qui se croit toujours Premier Ministre, explique que confier la gouvernance de l’opération Aube tralala à l’OTAN serait une erreur. M’énerve, ce mec. Pas pour ce qu’il dit spécialement (si peu d’intérêt…). Mais cette prétention d’ex à la mèche grise. Boulimique et intoxiqué, le grand dadais passé aux rayons, l'ex parfaitement ravalé, ce Villepin. S’y verrait bien à nouveau, sans doute. Addicted. Comme tant d’autres, me direz-vous, à tant de trucs dont on a tué la valeur, le politique, par exemple. Bon moyen de passer le lundi, et tous les autres jours de la semaine, au soleil... Nous autres, pendant ce temps. 

Tant d’autres, hélas ! Ex du même acabit…Martine Aubry, bourgeoise hautaine et cassante, expliquant à l'écran sans la moindre conscience de son propre et profond ridicule que « Claude Guéant est jeune en politique… ». L'idiote ! Me souviendrait toujours de sa tête, simiesque et impériale, cette moue médiatique, lorsqu'elle a filé un pièce de 2 euros aux bohémiens de la rue Victor Fort ! Le socialisme … Péguy avait bien raison. Mais comment comprendre vraiment Péguy, dans la fournaise et les volutes putrides de tout ce show
Glissons à nouveau.
Revenons plutôt à la lumière qui frappe tout à coup la rétine, et donc le cervelet, et bla bla bla… Ce qui vient du Japon risque-t-il de contrarier l’exposition au Sun des chairs occidentales ? Grosse angoisse des Bronzés, pour leur capital santé et celle de leurs rejetons Du côté du lait, des épinards, des salades, de la tyroïde, ah, ah, ah ! La précieuse tyroïde... Est-ce avec ce bidule que les cons pensent ? Tout ça me rappelle Argan et son poumon vous-je... La tyroïde, vous dis-je, quand ce n'est pas l'Alzeimer galopant : Voilà, à l’heure actuelle, où nous en sommes… Et ce putain de printemps qui vient. Au secours ! 

François Hollande, s’il obtient sa majorité dans les cantons corréziens, se verrait bien à l’Elysée. Comme Paris (disait Henri IV) vaut bien une messe, l'Elysée, après tout,  vaudrait bien un régime...  Tout prêt à embrayer le pas au footing de Nicolas.  Une photo présidentielle devant des carottes rapées et du jus de pamplemousse bio, ça changerait des livres et des drapeaux sentencieux, surtout quand on ne sait plus bien lire La Princesse de Clèves  ni parler le français de Bossuet, n'est-il pas ?Il faudrait quand même qu'on m'explique en quoi l'ancien rond François est mieux que le toujours sec Nicolas.

Hollande, Villepin, Bayrou, Aubry, et tous les autres, qui devant le risque Le Pen en sont encore à s’inquièter à voix haute et à vertu effarouchée des risques de contamination de l’électorat : le dernier carré des clowns électoraux. Leur fameux front républicain. Eux ? La République ! Se rendent-ils bien compte, naïfs ou péremptoires,  de ce qu’ils affirment ? Ont-ils lu les chiffres de l'abstentionSe rendent-ils bien compte de ce qu'ils disent, de ce qu'ils sont ? 

Nucléaire, Kadhafi, irradiés, bombardés, OTAN, forces de frappe, crise, bourses, tsunami, sont les fleurs des champs que pétrissent leurs bouches. Niveau 7, 8, 9... A quand  le 10 ? 

A demain, si vous le voulez bien...

samedi, 19 mars 2011

La catastrophe, c'est nous

Nous. Pas forcément les riches ou les pauvres, ceux d’ici ou ceux d’ailleurs, les ceci ou les cela, les mêmes qui seraient mieux que les autres, et les autres qui seraient meilleurs que les mêmes,  non, non, nous, nous, tous. Nous : Cet ensemble dément de 7 milliards de personnes, ce nombre obtenu par la grâce des excédents du capitalisme, et dépendant de lui, que ça leur plaise ou non, ces gens jaillis sur la planète, peuples devenus masse comme en terrain désormais dompté, assiégé, nous les prédateurs.

La catastrophe ce n’est pas l’eau, la terre, le feu, non, c’est bel et bien nous, ce nombre pour qui il fallut construire des autoroutes, des gratte-ciel, des cargos, des avions, des supermarchés et des centrales atomiques,  des couche-culotte aux cercueils par milliards, pour qui il fallut tout démultiplier partout, nombre fondu en cette désorganisation économique toute puissante, cette machine administrative sans borne, quittant, oui, ayant quitté « la maison natale », terre, la conscience de cette maison, nous, la catastrophe que nous sommes devenus, qui ne voulons plus mourir jamais à coup sûr mais consommer : « détruire, dit le Petit Robert, détruire par l’usage ». 

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08:36 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : société, politique, japon, actualité | | |

dimanche, 13 mars 2011

La communication roublarde et ringarde de Strauss-Kahn

 

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A l’opposé du petit sec nerveux et agité qui a fondé toute sa communication de conquête de l’Elysée en 2007 sur la volonté personnelle, l’ambition individuelle et l’image de l’homme providentiel façonné par l’intérieur et l’histoire du pays, Strauss-Kahn, le professeur d’économie patient et réfléchi, joue sur le registre plus maternant de ses rondeurs corporelles et de ses circonvolutions langagières : la France aurait été bousculée par la dureté machiste de Sarkozy, elle aurait donc besoin qu’on la rassure avec d'autres arguments, qu'il croit détenir.

Le gros chat du FMI pointe donc le bout de son nez et de ses griffes malgré tout bien acérées. Car malgré les 30  000 euros net mensuels de la fonction, il semble intéressé par les 19 331 de celle de locataire de l’Elysée. Un premier téléfilm de propagande diffusé aujourd’hui en clair sur Canal + en guise de carte de visite et premier tract de campagne :

 

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samedi, 12 février 2011

Fête du livre à Bron

La Fête du livre à Bron est un événement désormais inscrit dans le patrimoine culturel rhône-alpin, comme on dit : vingt cinq ans !  A l’hippodrome de Parilly, non loin de l’université Lyon 2, la formule est désormais bien rôdée. Dans la salle des parieurs ou dans celle des balances la journée égrène ses tables rondes, regroupant à chaque fois deux écrivains autour d’un même thème, d'un journaliste, et devant un public à la toison grisonnante ou bien de lycéens. Les débats sont souvent de qualité, qu’ils se déroulent devant un public à la toison grisonnante ou devant des lycéens. Dans le hall, les libraires lyonnais venus en force proposent un éventail d’essais ou de romans de saisons. Après les débats, les auteurs signent leurs ouvrages. On y vient en famille par le tramway T2. Sous un chapiteau, le coin « jeunesse » et le coin « restauration ». Tout ça très bon enfant.

Hier, après le déjeuner, Eric Faye rencontrait par exemple un public de lycéens. Certains s’étaient, ça se respirait, donné le mot pour « questionner l’écrivain ». Un petit marlou aux cheveux gominés, sur un ton mi insolent mi réservé, mi nature mi solennel, genre « tu vois, je l’ai dit » : « Bonjour. Bonjour Eric. Bonjour Eric Faye ». Et puis, micro en main, sourire en coin : « Comment ça va ? »

Un autre : « J’ai pas compris pourquoi le héros prend son frigo en photo au début du roman ». Un autre, très pertinent à sa façon : « Vous apprenez vos livres par cœur ? » L’écrivain commence à expliquer qu’un écrivain ne demeure pas avec un livre, mais pense bien vite à ceux qui vont venir. Le lycéen : « Mais, moi je sais par cœur mes BD. » Au fond, le moment est assez aérien, pour le lycéen comme pour  l’écrivain qui se prête au jeu : tous deux entre sortie scolaire et marketing,  ingénuité et curiosité, promotion d’un livre et moment passé loin du cours officiel. Les profs encadrent. L’animatrice, elle, recentre : « le placard, donc, n’est-ce pas un peu la figure du port de Nagasaki par lequel est entré l’étranger ? » ou «  on pense avec ce placard à la figure de l’exclusion sociale et de la mise au rebut ». A moins, dit-elle tout à la fin « que dans le placard ne se niche l’ami imaginaire ? » L’écrivain opine. Il se retrouve en terre connue. A la sortie, quelques-uns disent qu’ils ont trouvé tout ça relou. D’autres sont contents : ils vont passer à FR3.

 

Ce matin, Frédéric Martel évoquait Mainstream et son enquête « sur cette culture qui plaît à tout le monde ». Il avait un peu les yeux cernés d’être resté une partie de la nuit scotché devant Al-Jazeera, tandis que je dormais. Quand je lui ai rappelé plus tard, à propos de la première page de Libé de ce jour (« Libres ! ») que j’étais en Grèce en 1974 lorsque les militaires avaient été chassés du pouvoir (Libé avait bien dû titrer la même chose ce jour-là), et que parler de liberté quand l’armée prend officiellement le pouvoir politique (guère de nouveauté) c’était un peu… il m’a dit qu’il restait optimiste. Ma foi… Pour ma part, devant ce genre d’emballement médiatique… Bref.

Mainstream reste un livre intéressant ne serait-ce que pour tous les renseignements qu’il contient. Une véritable mine d’informations, que prolonge le site Internet de l’auteur. Sans doute aussi parce qu’il met les pieds dans le plat sur l’état piteux de la production culturelle française. Qu’il replace l’hexagone à l’endroit où il se trouve. Il était temps.

Non loin de là, Yves Bonnefoy signe son dernier livre (L’inachevable). J’avais apporté une édition du Mercure de France (M.CM.LIII) de Du mouvement de  l’immobilité de Douve que le vieil homme me dédicace avec plaisir. J’ai le temps de lui glisser à l’oreille combien j’avais apprécié ses cours sur la représentation de l’image d’Hamlet au collège de France vers l’an 1987 ou 1988… Il fait un geste de la main et me dit : « c’est presque aussi vieux que l’édition ! »  Je me dis qu’en 1988, je n’avais pas encore cette édition de 1953, sinon je ne la lui ferais pas signer si tard. Je suis en retard. Je serai toujours en retard. Moi qui ne demande que rarement des autographes, je ne sais pourquoi, ça m’émeut tant de voir cette signature, moi qui prétend ne pas non plus être fétichiste…

Cet après-midi, Jean Rouaud a parlé de son dernier livre, « Comment gagner sa vie honnêtement ». Il siégeait avec Claude Arnaud, et son « Qu’as-tu fait de tes frères». (1) Un débat entre quinquagénaires malicieux sur une époque disparue, volatilisée, avant que « le cercle d’insouciance ne se referme sur nous » (la phrase est de Rouaud). C’était le temps où Benny Lévv s’appelait Pierre Victor, où Barthes pouvait sans friser le ridicule proclamer que « toute langue était fasciste ». Avec beaucoup d’humour, Rouaud balance que c’était une époque sans nuances, « où l’on vivait bloc contre bloc, ouest contre est, cheveux courts contre cheveux longs, auto-stoppeurs contre gens en place, et où il était impossible de faire des études de droit sans être fascistes. »

Inutile de dire qu’avant de rentrer, j’ai évité de croiser Bégaudeau et Mathias Enard. Chacun ses têtes, c’est ainsi. Il y avait beaucoup d’enfants que des parents toujours bons éducateurs traînaient dans les travées. C’est ça aussi, le charme de la fête du livre à Bron.

Le soir pointait derrière l’ossature métallique de  l’université. Avant, par ci, par là, ça devait être champs de naviaux ou de colza ; comme quoi, la culture humaine finit toujours partout par tout rattraper. Me souviens être resté étudiant dans cette fac de lettres trois semaines et d’avoir foutu le camp, peu de saisons après son année d’ouverture. A Bron, on navigue partout dans du récent : l’hippodrome ne date que de 1965. La fac que de 72. Et le salon n’a que 25 ans.  Et presque, on dirait que c’est là depuis toujours, comme dirait Mme Michu. Le salon se poursuit demain. Christine Angot fait la clôture. Aux abris, camarades !

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(1) Le jeudi 24 mars 2011, de 19.30 à 22.30, Claude ARNAUD évoquera son parcours, en dialogue avec Cécile GUILBERT, devant le public de la villa GILLET, 25 rue Mazière, 69004 LYON.

vendredi, 11 février 2011

Ecole, la servitude au programme

 

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Notes et morceaux choisis, numéro 10 vient de sortir avec ce titre éloquent :  La servitude au programme. Le numéro se compose de deux articles de Florent Gouget. Dans le premier (L’école à l’époque de son reconditionnement technologique), il se penche sur le rapport Fourgous, du nom d’un haut fonctionnaire, dont le titre Réussir l’école numérique est en soi tout un programme et qui a été remis à Luc Chatel en février dernier. Dans le second ( Impuissance de la critique : un cas d’école) il critique un ouvrage de Charlotte Nordmann paru en novembre 2008, La Fabrique de l'impuissance 2. 

 

Dans ces deux articles à la fois brillants et pertinents, Florent Gouget constate les dégâts opérés par l’introduction massive et irraisonnée des nouvelles technologies depuis une quinzaine d'années dans les écoles, les collèges et les lycées, et anticipe sur ceux qui, dans la foulée, risquent d’arriver. Il démontre brillamment que si l’ancien système scolaire, si décrié par les modernistes de droite comme de gauche, basé sur « l’enseignement des humanités et la maîtrise du raisonnement qu’il permettait d’acquérir » autorisait sa propre remise en cause, « il n’y a plus rien de la sorte à attendre de celui qui s’est mis en place », basé sur la participation de chacun au partage numérique des savoirs et sur la soumission de tous à la technologie. L’école numérique telle que les ministres successifs de l’éducation nationale l’ont souhaitée n’est plus, en effet, « une simple idéologie  susceptible d’être combattue avec les outils qu’elle fournit », mais une « idéologie matérialisée » portant en elle « le discours qui la justifie ».

 

Le fait est que depuis que les technologies dites de l'information et de la communication ont été introduites au galop, dans les écoles comme dans le reste de la société, on n'a jamais pris le temps d'évaluer correctement leur pertinence pédagogique;  les conséquences de leur emploi sur l’apprentissage des élèves (notamment en matière de maîtrise de la langue) ne l’ont jamais été non plus. La France, de gauche et de droite, comme d'ailleurs le reste des pays occidentaux, s’est contentée de réciter le catéchisme de l’OCDE.

Quant à la critique de cette évolution, comme le précisent les auteurs de l’éditorial, elle demeure taboue « y compris chez ceux qui se disent volontiers anticapitaliste, car sans les gains de productivité promis par l’accroissement sans fin de la puissance informatique comment espérer financer les retraites la sécu, l’assurance-chômage ? Les ravages provoqués par ces gains de productivité ont beau s’intensifier,  l’espoir de les voir enfin profiter durablement à l’humanité souffrante persiste. »

 

Un court extrait du premier article :  

« Que la dépendance à l’égard de la machine soit considérée comme une source de liberté n’est en outre pas sans incidence sur la conception du savoir et celle de sa transmission. D’après le rapport Fourgous, (1) la civilisation du numérique permet de passer d’une société et d’une intelligence individuelles à une société et une intelligence collaboratives  (« nous savons ensemble) puis collectives (« nous savons ce que les autres savent »).  Je peux le trouver sur Wikipedia, donc je sais. Et comme d’après Jimmy Wales, l’un des fondateurs de la fameuse encyclopédie en lignes, « si ce n’est pas sur Google ça n’existe pas » le pas est vite franchi de considérer qu’un accès à internet garantit la connaissance universelle.

Outre que les idées d’appropriation et de maturation progressive du savoir sont totalement étrangères à ces nouvelles conceptions, elles officialisent le ravalement du savoir au rang d’information. Gageons que de la même façon que le flux continu d’informations délivré par les mass media ne permet pas d’en retenir grand-chose, l’école connectée, celle de l’école « multitâches », qui déclarent utiliser régulièrement plusieurs médias en même temps » contribuera fortement à mettre fin à l’acquisition individuelle des savoirs. On laisse déjà les connaissances glisser sur les élèves (bien plus qu’ils ne surfent sur elles) sans qu’ils s’en imprègnent, en affirmant que l’essentiel est la « méthodologie ».  Après trente ans de réformes pédagogiques, nous touchons enfin au but : bientôt les élèves seront capables de trouver les réponses à un QCM sur Internet. »

 

(1)  Réussir l’école numérique, rapport de Jean Michel Fourgous, député des Yvelines, rendu public le 15 février 2010.

 

Ecole, la servitude au programme. Notes et morceaux choisis n° 10, bulletin critique des sciences, des technologies et de la société industrielle - Ed. La Lenteur.

jeudi, 10 février 2011

Propaganda

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«La personnalité est au centre de la vie politique actuelle. C'est sur la base de cet élément intangible que l'on essaie d'obtenir l'adhésion du public à un parti, un programme, une stratégie internationale. Le charme du candidat est le secret d'alchimiste capable de transmuter un programme prosaïque en l'or des suffrages. Si utile que soit cet homme qui, pour une raison ou pour une autre, enflamme l'imagination du pays, il est tout de même moins important que le parti et les objectifs définis en son sein. Un plan de campagne bien conçu devrait mettre en avant non pas la personnalité du candidat, mais sa capacité à réaliser le programme du parti, et le contenu même de ce programme. Henry Ford lui-même, la personnalité la plus haute en couleur des milieux d'affaires américains, s'est fait un nom grâce à sa production ; ce n'est pas son nom qui a d'abord aidé à vendre sa production.

Il est essentiel que le directeur de campagne sache jouer des émotions en fonction des groupes. Le corps électoral ne comprend pas uniquement des démocrates et des républicains. Puisque la grande majorité de nos contemporains ne se passionnent pas pour la politique, il faut piquer leur curiosité en reliant les questions abordées dans la campagne à leurs intérêts particuliers. Le public se compose de centaines de groupes emboîtés les uns dans les autres – des groupes économiques, sociaux, religieux, éducatifs, culturels, raciaux, corporatistes, régionaux, sportifs, et quantité d'autres.»

Edward Bernays – Propaganda –(1928)

 

Edward Bernays (1891-1995) fut le neveu de Freud, le fondateur des  relations publiques ; il pilota la commission Creel, chargée de retourner l’opinion publique américaine en 1917, avant l’entrée en guerre des USA. En 1929, il fut à l’origine de la campagne de Lucky Strike pour inciter les « suffragettes » à fumer.

 

Son livre, Propaganda, est placé en ligne gratuitement sur ce site Zones 

Un petit bijou, une soixantaine de pages dont la lecture demeure très éclairante, par les temps qui courent. 

 

 

 

samedi, 15 janvier 2011

L'étudiant au salon

Je ne veux  pas faire d’analogies déplacées, mais enfin, la halle Tony Garnier fut à Lyon, durant plusieurs décennies, un abattoir, pour ne pas dire l’abattoir municipal. Veaux, vaches, cochons y rendirent donc en masses beuglantes ce qu’ils avaient d’âme, avant d’aller remplir en tranches et morceaux les assiettes des bonnes et braves gens d’entre Saône et Rhône.

C’est entre ces murs que depuis hier et jusqu’à demain se tient le salon de l’étudiant.

Passage obligé d’un parcours qu’on nomme désormais pré-professionnalisant ; dans les travées étroites entre les multiples stands, de longs convois de marcheurs : on cause masseterre, bétéhesse et class’prepas, en familles ou en couples.

Ce n’est là, me direz-vous, qu’une parenthèse de temps sérieux, pris en sandwiches entre des spectacles du plus haut intérêt  (des animations waltdisneyesques, un tour de chant nohâesque, une soirée avec Michel Sardou, voyez, que du divertissement mainstram très basic, suffit de consulter le programme, quoi) .

Mais là, en attendant, c’est du sérieux, l’avenir des petits, quoi !

On compulse avec fébrilité ou détachement les brochures emplies de sigles et de photos, on interroge, on a – et c’est un peu normal dans toutes ces traverses – du mal à trouver le chemin de l’avenir. Tel métier : combien ça gagne ? L’avenir ? A quoi ça ressemble ? Et puis, combien sommes-nous sur le coup ?

Une certaine morosité s’installe.

Trouver sa place, y accorder son goût, ni simple ni facile, dirait-on. C’est alors qu’on s’aperçoit que pour les parents les plus modestes, la novlangue technicienne des sciences de l’orientation, c’est de l’étrusque, pour ne pas dire du basque paléolithique. Voilà que cela saute aux yeux, combien tout est démontable dans cet univers en kit, et que même les plus sages, les plus sérieux, les mieux avertis d’entre nous, ne faisons qu’y passer, passablement désorientés à l’endroit où ça compte, celui du cœur.

 

Au cœur de l’après-midi, justement, je me suis pris à rêver à ce que Justin Godart écrivit en 1899 dans sa thèse sur l’Ouvrier en Soie : Justin Godart expliquait qu’un apprenti-tisseur passait au minimum cinq ans en apprentissage chez un maître, avant de subir l’examen dit « du chef d’œuvre », puis de devenir compagnon pour au minimum  rester deux ans chez un nouveau maître, chez lequel il devait dormir chaque soir, gage de son sérieux. Au sortir de cette « formation», il n’était encore qu’un ouvrier, et pas un « Bac + 7 ».

« Pendant les années de l’apprentissage, écrit Godart, « l’homme se développe, à qui bientôt on pourra en toute sécurité (le point est d’importance) décerner ses lettres de maîtrise. »  La maîtrise arrivait enfin, et avec elle « l’inscription faite sur les registres de la Communauté, aux armes de la ville » Alors seulement l’ouvrier en soye pouvait s’installer à son compte, et revendiquer le titre de ce métier.

Combien (s’ils revenaient), ces gens-là - qui tissèrent entre autres les splendides teintures de Versailles et des robes d’évêques par centaines - s’étonneraient de voir ces bacheliers à la fois si vaniteux et si désemparés, errant d’un stand à l’autre, à la recherche de quoi – finit-on par se demander, la barre au front dans ce brouhaha en fin d’après-midi.

On se dit finalement que tout comme mères, pères, grand-mères, femmes, amoureux et autres ont leur fête et leur journée, il convient que comme l’automobile, l’agriculture, le livre, le mariage ou le chien, l’étudiant aussi ait son salon.  

Et que cela, seul, est ce qui compte.

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