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lundi, 08 février 2010

Tout bas

J’ai retrouvé dans ma bibliothèque un exemplaire de la Poétique d’Aristote. J’ai pu constater l’autre mois en allant à Paris que la librairie où je l’avais acheté n’existe plus. Le livre est, lui, toujours-là, encore que quelque peu oublié, sur mes rayons : « Collection Poétique », aux éditions du Seuil, 1980. Des lignes, auxquelles je ne faisais pas attention à l’époque se découvrent. A la page 9, par exemple :

« La publication de ce livre a été facilitée par des aides financières de l’Ecole Normale supérieure et de la Compagnie IBM France. Que MM Jean Bousquet et Michel Hervé, directeurs de l’ENS, et M René Moreau, directeur du développement scientifique à la Compagnie IBM, soient ici remerciés de leur généreux appui. »

 

240_SH20_OU08_.jpgCe n'est qu'alors que je m'aperçois que l’édition est bilingue, ce dont je ne me souvenais pas du tout. Cela fait longtemps que mon regard ne s’était pas posé sur des paragraphes en grec ancien. Je ne saurais dire pourquoi, à cette heure, c’est si reposant. En couverture, le détail d’un bas relief de la cathédrale de Chartres, représentant Aristote. La préface est de Todorov et la traduction de Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot. Le texte et sa traduction occupent très exactement 107 pages (de la page 32 à la page 139). S’y rajoutent 270 pages de notes et une soixantaine d’autres, d’index et de bibliographie.

Ce livre, avant de vous le décrire, je l’ai feuilleté en rêvant. Et puis je me suis demandé – juste à titre de curiosité – combien il coûtait à l’époque. J’aurais voulu comparer avec ce qu’il coûterait à présent. Mes yeux se sont machinalement dirigés au bas du quatrième de couverture, là où il se trouve d’habitude. Surpris, je n’ai rien vu.

                                                                                      

Et puis je me suis rendu compte à quel point j’avais oublié l’état dans lequel se trouvait le  monde dans lequel j’avais grandi. Forcément. Ni l'évolution qu'il a subi.  C’est arrivé peu à peu, tout bas. C’était avant la loi sur le prix unique du livre. Bel apologue, finalement, dont je laisse à chacun tirer la morale.

samedi, 06 février 2010

Common indecency

On apprend que le centre des monuments nationaux vient de commander une étude  pour permettre l’implantation d’une activité d’hôtellerie gérée par des entreprises privées dans une vingtaine de monuments, parmi lesquels l’abbaye de Montmajour, le château de Bussy-Rabutin, l’hôtel de Sade, l’abbaye de la Sauve-Majeure, la forteresse de Salses, le monastère de Saorge… Cette étude a été commandée dans le cadre d’’une convention visant à rendre le patrimoine français « rentable », laquelle a été passée entre le ministre de la Culture  (Frédéric Mitterrand) et le ministre du Tourisme (Hervé Novelli)

 

On trouvera sur le site de François Bon le détail des explications sur ce qui concerne le monastère de Saorge, jusqu’à présent résidence d’écrivains, ainsi qu’un lien permettant d’envoyer une pétition contre ce dernier projet.

 

J’avoue que les bras m’en tombent.

Car à Lyon, c’est l’Hôtel Dieu, après l’hôpital de l’Antiquaille et celui de Debrousse, qui est menacé du même sort, par un type du nom de Gérard Collomb qui se déclare opposant à la politique de Sarkozy mais fait la même chose que ses ministres, faute peut-être de participer à son gouvernement. La pétition est toujours en lien, d'ailleurs.

 

Ces politiques de prédateurs sont rendues possibles par plusieurs facteurs :

Une relative indifférence de l’opinion publique, tout d’abord, qui, pour sa plus grande part a, en temps de crise, d’autres chats à fouetter.

Pour conduire ce genre de projets aussi ahurissants que putassiers, il faut aussi rappeler que les politiques, de quelque bord qu’ils soient, disposent  d’une argumentation béton que leur ont peaufinée depuis vingt ans de fumeux mais efficaces théoriciens.

En gros, et pour faire court, cela se déplie ainsi :

 

1.      Le patrimoine public est une notion historiquement datée de la Révolution Française.

2.      A cette époque, un certain nombre de bâtiments récupérés par l’Etat (châteaux, couvents…) ont vu leur valeur d’usage transformée : ils ont servi à l’éducation du peuple en devenant des lieux à vocation culturelle (musées, résidences d’artistes ou d’écrivains…)

3.      Les peuples disposant en ce XXIème siècle naissant, avec l’inauguration de l’ère du virtuel, de moyens d’éducation autrement plus efficaces, légers et pour tout dire économiques que des bâtiments de pierres (le musée virtuel est un concept  très tendance) ces derniers n’ont plus besoin d’être voués à cette noble et attachante mission.

4.      Ne pouvant retrouver leur valeur d’usage initiale, reste à en inventer une qui soit économiquement rentable. Le tourisme culturel ou la culture du tourisme est un marché prometteur, bien entretenu par les médias : le secteur de l’hôtellerie, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de bâtiments somptueux, est donc le secteur vers lequel se tournent les administrations pour les reconvertir.

 

Il y a, on le voit bien, un lien direct entre le bradage des éducations nationales des pays européens et celui des patrimoines nationaux. Les deux procèdent d’une même logique et suivent une même gouvernance. Et contre les deux, il est très difficile de lutter en demeurant isolé. D’autant plus difficile que se sont effondrés les principes moraux ou  éthiques qui tenaient debout, dans le peuple de droite comme dans celui de gauche, une sorte de common decency, comme aurait dit Orwell. Dans le monde de la common indecency, quoi de plus normal que les plus riches, pour quelques biftons, aillent partouzer dans un hôpital des pauvres, un ancien monastère, une résidence d’écrivain… On vous dira que si vous ne pouvez pas le faire, vous, c'est que n'êtes qu'un aigri. Un jaloux.

06:33 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : monastère de saorge | | |

dimanche, 24 janvier 2010

Chronique du grand style et des transpositions cinématographiques de vies héroïques

C’est un 24 janvier (76) que naquit l’empereur Hadrien, dont Marguerite Yourcenar (1903-1987) dressa bien plus tard la flamboyante chronique. C’est aussi un 24 janvier (1857) que comparut pour « atteinte aux bonnes mœurs » un dénommé Gustave Flaubert, accusé d’avoir écrit Madame Bovary. Quel rapport, me direz-vous ?

Celui-ci : Dans ses Carnets de notes, Yourcenar a confié que l’idée des Mémoires d’Hadrien lui était venue d’une citation lue dans la Correspondance de Flaubert : « Les dieux n’étant plus et le Christ n’étant pas encore, il y a eu de Cicéron à Marc Aurèle un moment unique où l’homme seul a été » L’homme !

Le voilà, le rapport. Le rapport, c’est Alexandre Vialatte, expert patenté  devant l’Eternel du coq à l’âne et spécialiste, s’il en marguerite.jpgest, de la troublante question de l’homme dont les dernières nouvelles sont toujours les meilleures à prendre.

Un hasard heureux fait que la toute première de ses chroniques hebdomadaires qu'il écrivit pour le journal La Montagne un 24 janvier (celle de l’an de grâce mil neuf cent cinquante six) est précisément titrée : Marguerite de la nuit. Il n’y cause point de Yourcenar, mais de Claude Autant-Lara, lequel vient de signer une adaptation cinématographique d’un roman de Mac-Orlan (avec Michèle Morgan et Yves Montand) que le chroniqueur de la Montagne n’a que moyennement appréciée. Le roman de Marc Orlan, une parodie de Faust elle-même datée de 1924 était, nous dit Vialatte, possède « un ton, un style, un accent, une saveur, un goût ». Pour tout dire, c’était une appellation contrôlée. « Que reste-t-il au cinéma de cette appellation contrôlée » ? s’interroge-t-il, tout en jugeant ampoulé et, au final, faussement pathétique l’adaptation d’Autant-Lara : « Le grand style n’est jamais voulu. Il n’est pas nécessairement simple, mais il est toujours naturel ».

De nos jours, il semble que les adaptations de grands romans se comptent sur les doigts du pied. A cela, une cause bien naturelle serait qu’il ne s’écrit plus guère de grands romans, et que ceux du passé ont déjà été tous adaptés et pas toujours à la meilleure sauce. L’époque, à la fois amnésique et épuisée, édicte sa loi et d’autres transpositions cinématographiques voient le jour : celles des vies non pas illustres mais médiatiques, les vies de people. Ainsi, celle de Gainsbourg vient de donner matière après tant d’autres à une heure et quelques de pellicule. Inutile de vous dire que cet embaumement héroïque (parait que vivre une existence de peintre raté dans les affres du show-business dans la seconde moitié du vingtième siècle, c’est mener une « vie héroïque ») ne m’inspire guère.

Pourquoi ne ferait-on pas, dans le genre du film sur Gainsbarre, et après celui sur Piaf, Coluche, Mitterrand, De Gaulle (qu’est-ce que le cinéma est original…), une vie de Vialatte ? Non, sérieux. Je lance un appel d’offre à un producteur dont les guêtres traîneraient par là, moi, je veux bien faire le scénariste. On le verrait durant de longs plans écrire interminablement au stylo-plume, penché sur son bureau… Il traduirait Kafka, compulsant on ne sait quel vieux dictionnaire, gommant, raturant… A ses côtés le bruit d’un réveil matin de marque Jaz, qui ferait tic-tac, tic-tac, tic-tac. Il écrirait Battling le ténébreux avant guerre et puis les Fruits du Congo après guerre. A partir de 1952, il deviendrait chroniqueur à la Montagne. On le verrait alors chaque dimanche soir porter le texte de sa chronique, de son appartement au 158 rue Broca, d’où il observerait la cheminée de la Santé fumer à gros bouillons noirs, jusqu’à la gare de Lyon, d’où partirait le train pour Clermont-Ferrand. A la fin du film, il serait opéré de l’aorte à l’hôpital Necker, dans le quinzième arrondissement de Paris. Il ne s’en remettrait pas. Comme Gainsbarre, il fumerait. Mais on n’en ferait pas toute une histoire. Tout un mythe.

Ses Pascal, au lieu de les brûler à l’écran, il les porterait méticuleusement à sa banque. Comme tout le monde. Pour un tel sommet du septième art, il faudrait dégotter un acteur comme l’époque est incapable d’en produire : lent, minutieux, presque muet.

Tout cela, bien sûr, serait tourné en noir et blanc. En noir et blanc, comme les photos de Blanc et Demilly.

Mais je me suis écarté de mon sujet. Quel était-il d’ailleurs ? Le grand style ? Est-ce que cela a une espèce d’importance ? Pour qui donc ?

Et c’est ainsi qu’Alexandre est grand.

lundi, 28 décembre 2009

Parole de profs

Se refaire un silence, comme on dit se refaire une beauté,  une santé ou une virginité. Un prof passe son temps à blablater devant des groupes d’élèves qui l’écoutent, ou font semblant, ou encore ne l’écoutent pas. La plupart des profs qui savent que leur parole est imposée se consolent en la songeant essentielle (phobie, par exemple, de ne pas finir le programme…)  ou bien, au moins, d’une quelconque  importance. La plupart tentent de la rendre intéressante.  Voire attrayante. Peu acceptent vraiment de comprendre à quel point la parole du savoir est devenue accessoire et, comme le reste, noyée dans la consommation. Paroles de classe qu’il faut tenir, comme  le soldat tient son rang.

Et puis après ?

 

Les paroles des profs, comme le reste de leur personne, sont surtout regardées.

Paroles épiées jusqu’au trognon, par ennui ou désœuvrement. Très rarement par intérêt ou par passion. Avez-vous remarqué combien,  ici ou là, rien n’échappe au regard d’un groupe de gens qui s’ennuient ? Commères, jadis, derrière leurs jalousies : l’éternel humain n’a pas d’âge ni de renouveau, au contraire de ce qu’espère le populo. Surtout quand il croit à la modernité du monde et au renouveau du printemps. Regardez-les, par exemple, en train d’attendre le bus, et de quêter du regard dans la grisaille environnante du paysage ce qui pourrait les divertir un peu de cette attente désobligeante.  Les êtres humains  sont semblables sur les bancs de la classe. Le droit d’écouter leur MP3 en moins. Quand on coupe le MP3, ils sont enfermés dans le bocal, ils n’ont plus que cette parole de profs pour horizon…

 

La parole du prof est  sortie du dialogue, extirpée de l’échange, interdite de bavardage. Elle n’est jamais réplique, et condamnée au monologue, elle s’étire en toile de fond  comme ces couleurs ternes sur la tôle du hangar où seraient peints des textes de loi. Elle doit être à sa façon et séduisante, et volumineuse, et variée, et aussi mener quelque part comme les routes nationales ou les lignes de bus qui sillonnent les banlieues : autant dire qu’elle est vouée à l’échec de l’ordinaire.

 

Quand de plus cette parole se retrouve instrumentalisée, tel le muscle du prolétaire ou le sifflet de l’agent,  puisqu’elle devient la seule force de production de celui qui la détient  et qu’au terminus de chaque mois, elle lui amène le salaire, la parole a besoin de repos.

 

Le repos de la parole.  

Je dis : se refaire un silence, comme se refaire une beauté,  une santé ou une virginité.

19:50 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : noël, vacances | | |

dimanche, 20 décembre 2009

Du merveilleux chrétien

J’ai entendu et lu tellement d’âneries ça et là à propos de la polémique autour des propos de Nadine Morano que j’en reste stupéfait. Peut-on descendre plus bas dans l’esprit et dans le débat que certains de ses contradicteurs, s'élevant au niveau d'elle-même, sont descendus à cette occasion ?

Parler en verlan et porter une casquette à l’envers, mon dieu, c’est vrai que c’est extraordinaire, ça  ! Un signe de liberté et de culture, que c’est très poétique et très intelligent, très courageux, très cultivé, en un mot très moderne. Ecrire La Colline Inspirée ça, c’est ignoble, crapuleux, ordurier. Et puis nous en sommes tous capables, pas vrai ? Mais jusqu’où va-t-on aller dans la plus profonde imbécilité à marcher ainsi la tête en bas ?

Occasion de se plonger dans la lecture de La Colline Inspirée. Et sur La colline Inspirée de Barrès, j'ai senti souffler un peu de la poésie de la lande de Lessay de Barbey d'Aurevilly.

« J’ai surpris la poésie au moment où elle s’élève comme une brume des terres solides du réel » (1)

Un peu de la Touraine balzacienne un peu de ce merveilleux chrétien qui souffle depuis le moyen-âge sur la folie Tristan comme sur la folie Joinville  A propos de La Colline Inspirée, Albert Thibaudet a eu ce mot : «  un rendez-vous de mythes assagis ». Et puis Barrès, continue-t-il, « aura été le dernier faiseur de mythes. La littérature directe et pressée d’aujourd’hui tourne le dos au climat indulgent qu’exigent les mythes (…) Barrès a été un créateur de mythes parce qu’il vivait dans les mythes circulait en eux simplement et intelligemment. Il y vivait et y circulait à la française, sans gène sans obscurité, sans emphase, sans duperie » (2)

La littérature est ce pays où chaque auteur est nécessaire. Chaque. Je parle, ici, de la littérature, tel que le mot s’est entendu durant plusieurs siècles, dans ce vieux continent dont chacun de nos  je est l’héritier. C'est à dire d'un levier puissant et efficace, le seul, depuis la dévastation des villes et des paysages, capable de nous tirer hors de cette atroce contemporanéité et de la fierté maladive que nous avons d'en être les piètres et multiples locataires.

 

De la lande de Lessay (relisez L'Ensorcelée de Barbey d'Aurevilly qui ne parlait pas en verlan) à la colline de Sion (relisez La Colline Inspirée de Barrès qui ne portait pas sa casquette à l'envers), une poésie, tout aussi vivifiante, digne et élevée qu'une autre, souffle. Il n'est besoin ni de la confondre avec le Réel, car le foutu Réel dans lequel nous sommes est tout, mais vraiment tout, sauf poétique ! Ni de la magnifier. Ni de la piétiner. Mais de l'entendre. Et de cesser de dire ou d'écrire n'importe quoi à son sujet. Car le merveilleux chrétien est un registre comme un autre, qui comme les autres, possède ses chefs-d'oeuvre.

 

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(1) La Colline Inspirée, I - 4

(2) Réflexions sur la littérature, Thibaudet, p 1254 - Quarto Gallimard

 

jeudi, 10 décembre 2009

Les mémoires de Sarkozy

Pal Sarkozy de Nagy-Bocsa, le père de Nicolas, s’est rendu à 81 ans dans le petit village de Alattyan en Hongrie. C’est ce village qui abritait l’ancien château familial à 100 kilomètres à l’est de Budapest. Cette visite est destinée à affiner son autobiographie, laquelle devrait paraître en 2010

Nul doute qu’un mémorialiste hors pair est né. Nulle doute qu’une plume exceptionnelle et qu’un destin digne d’intéresser l’Histoire se sont soudainement ensemble dévoilés.

En attendant le premier roman de Jean ?

07:24 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : sarkozy, alattyan, littérature | | |

jeudi, 03 décembre 2009

La fosse-langue

Bel exemple de fosse-langue 1.

Le prix Nobel de la Paix a annoncé mardi devant un parterre d'élèves de l'école militaire de West Point, l'envoi rapide de 30 000 soldats supplémentaires en Afghanistan et demandé l'aide de ses alliés.

Saluée par la presse américaine, la décision d'Obama sera-t-elle suivie par les autres membres de l'Otan ? Il est vrai qu’il aurait dit que les soldats en question viennent « porter la paix. »

 

Bel exemple de fosse-langue 2 :

Daniel Cohn Bendit a déclaré que les plus riches des pays musulmans devraient retirer leur argent des banques suisses, vider les caisses de la Confédération, en riposte au vote sur les minarets.

Les plus riches des pays musulmans seraient donc à ses yeux de parfaits humanistes qui n’auraient, contrairement aux autres riches, pas d’argent sale à blanchir où mettre au frais dans les banques suisses, par pur intérêt personnel ? Des riches sympas, quoi ! Et pourquoi pas des militants écolos ?

 

Bel exemple de fosse-langue 3 :

Nicolas Sarkozy a déclaré à un syndicaliste qui s’inquiétait de la pérennité des emplois industriels en France : « on n’a laissé tomber personne »

 

Etc, etc, etc.

 

Imposture intrinsèque à tout discours politique de quelque bord qu'il soit : faiblesse du militant ou du sympathisant, de songer que de son bord à lui, il n'y aurait ni manip', ni propagande, ni  corruption.

Que de la vertu...

 

 

 

07:31 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : obama, sarkozy, cohn-bendit | | |

dimanche, 15 novembre 2009

Chronique de Séfiradis, de l'argent qui tombe du ciel et de la cantatrice chauve

Le canular d’Orson Welles, en octobre 38 avait provoqué un mouvement de panique tel qu’entre les jambes cassées, les fausses couches, et les accidents sur les routes,  l’acteur avait dû verser 200.000 dollars de dommages et intérêts à tous les naïfs qui avaient cru à la réalité du débarquement, par lui annoncé sur les ondes, des martiens. Terrible leçon, que de prendre conscience de la connerie de ses contemporains et de ce que coûte le fait de jouer avec.

Jouer avec la connerie des imbéciles porte dorénavant un nom : opération de marketing :  n’est-ce pas par ces termes que la société de droit belge Rentabiliweb justifie ce qu’en d’autres temps on aurait appelé un canular ? faire se déplacer plus de 7000 cynico-candides jusqu’au pied de la tour Eiffel, dans l’espoir d’une douche de billets…  On le savait me direz-vous depuis longtemps que le dressage des imbéciles et l’art du marketing avaient des points communs,  mais à ce point !

-So curious, aurait dit, en câlinant l’une des mèches argentées qui tombaient sur son front, une romancière des années vingt, en contemplant le spectacle de tous ces abrutis, dépités de n’avoir pas eu leur ration annoncée de billets, en train de caillasser, pour se venger, bus et vitrines. Car c’est bien connu, l’argent, ça tombe du ciel, et le droit à la connerie est désormais si inaltérable qu’il est le premier des droits de l’homme.

 

Un peu plus tard, on retrouverait notre très british observatrice dans un sofa moelleux. Un chat nommé Séfiradis se loverait sur ses genoux. Elle se saisirait négligemment d’un journal et lirait :

« Samedi après-midi, dans le bourg Dommary-Baroncourt de 850 habitants, le maire ceint de son écharpe a posé la question rituelle à Magali. Elle a dit  « Oui » (…)  A coté d'elle, un grand portrait de  Jonathan, posé sur un chevalet. La jeune femme de 25 ans qui souhaitait épouser à titre posthume son fiancé décédé il y a un an dans un accident a vu son rêve exhaussé : elle s’est mariée avec Jonathan, mort en 2008. »

Elle se tournerait alors vers son mari : Oh look, look, so curious…

Son mari s’approcherait par-dessus son épaule et dirait en faisant claquer sa langue : « Non, ce n’est pas le feuilleton de la Chronique de Paris. Une femme épouse un mort, c’est désormais la re-a-li-té d’un fait-divers

-Oh ! Wonderful ! Comme dans un conte de Lewis Caroll

-Yes darling ! »

 

Puis se saisissant d’une paire de jumelles de théâtre, tous deux  retourneraient  à la fenêtre de leur hôtel, pour assister à la fin du caillassage sur le Champ de Mars.

 

Le travestissement, l’usurpation, le canular, font désormais partie intégrante de ce que, si distanciés de la nature, nous nommons le réel. Quel talentueux peintre a-t-il au juste réalisé le tableau des Onze qui trône au Louvre ? Valéry Giscard d’Estaing ne siège-t-il pas à l’Académie Française ? Et Bernard Pivot au Goncourt ? Dany Boom ne vient-il pas d’être fait Chevalier de la Légion d’Honneur ? Carla Bruni n’est-elle pas première dame de France ? Ou Mireille Mathieu ? On s’y perd. N’est-ce pas le but secret de ce fameux métissage des cultures dont on nous rebat les oreilles ?  Après tout, pourquoi un jeune Blanc n’aurait-il pas le droit d’avoir des cheveux comme Yannick Noah et une jeune Noire des mèches à la Marylin ? Si c’est leur choix ? Leur goût ? Après tout, pourquoi l’argent ne tomberait-il pas du ciel, et pourquoi n’aurait-on pas le droit – nom de Dieu – d’épouser des morts ?  Séfiradis ronronne sur les genoux de sa maitresse. Mr Smith fait à nouveau claquer la langue : « Cependant, la soupe était peut-être un peu trop salée. Elle avait plus de sel que toi.  Ah, ah, ah » :

« La civilisation actuelle décomposée ne passe pas par la Barbarie ; elle se perd en elle-même ; le vase qui la contient n’a pas versé la liqueur dans un autre vase ; c’est le vase qui est brisé et la liqueur répandue. »

Je vous laisse en compagnie de ce constat déjà ancien. Celui qui trouve le nom de son auteur a gagné tout l’argent qui tombera demain du ciel.

Et c'est ansi qu'Alexandre est grand

lundi, 31 août 2009

Chronique du gras, de l'idiotie, de l'oursin et du prolétaire

« J'étais il y a quelques jours sur les plages de Sète, de plus en plus emplies de familles de gros (voire d'obèses), qui ne se déplacent plus sans un attirail littéralement dément (pliants, parasol, crèmes, serviettes, balles, vêtements de rechange, musique, magazines...) et je pensais à Jules Michelet qui ne venait dans ce genre de lieu qu'avec une plume et une page de papier, pas pour y piailler ou y cuire sur le sable, pas pour y draguer ou y mater ses voisin(e)s, mais pour  y comparer par exemple un oursin à un prolétaire (1)ou une baleine (2) à une mère universelle : quels dégâts auront fait, quand même, et la mal-bouffe et cette confusion incessante entre culture et divertissement, me disais-je. »  

Consignant à l’instant cette phrase dans un commentaire laissé sur le blog de Bertrand Redonnet à la suite d’un superbe texte de lui sur sa lecture de l’Histoire de la Révolution Française de Jules Michelet, me sont revenues ces images que la société de consommation a faites peu à peu du littoral maritime, si éloignées de celle du rêveur romantique, seul avec son papier, son esprit. Si humain, lui.

Si humain car pour lui (Jules Michelet) les grands événements de l’histoire (Histoire de la Révolution française), les grands éléments (La Mer) et les grands corps sociaux (Le Peuple) avaient le pouvoir  métaphorique de se signifier les uns les autres : ainsi, dans l’œuvre de l’historien romantique, le Peuple du dix-neuvième siècle est presque au sens propre un océan, dont le cours est aussi inévitable que ne l’est celui du temps, transformant un moyen âge en renaissance. Il y a ainsi chez Michelet une même vision économique et sociale de la marche du monde, qui embrasse et les grands espaces (La Mer) et les grandes périodes historiques (Moyen Age, Renaissance, Révolution) pour acquérir une véritable valeur poétique et spirituelle, fascinante, vraiment.

Mais je ne veux pas développer outre mesure la poétique de Michelet, j’en serais incapable au-delà de ces quelques généralités et surtout, tel n’est pas le propos de ce billet.

Le propos de ce billet est juste de livrer à vous tous une sorte d’étonnement devant ce peuple d’occidentaux abondamment et si universellement gras (y compris les enfants) du XXIème siècle ; ce peuple vautré sur ces plages du XXIème siècle où l’on rencontre à bien y regarder si peu de lecteurs ; ce peuple littéralement noyé (comme aurait dit Jules) dans la mer du divertissement et dans la graisse de la mal-bouffe.

Georges Pompidou, auteur d’une anthologie de la poésie française qui a fait date, aurait dit que les Français ne lisaient pas assez (je crois que c’est Claude, sa veuve, qui rapporte ces propos) et qu’à l’origine, le centre Pompidou était censé n’être « qu’une bibliothèque, avant de s’ouvrir à d’autres champs disciplinaires ». Il est vrai que jamais, dans l’histoire de l’humanité, la culture n’a été aussi disponible. Il me semble aussi que jamais, dans l’histoire de l’humanité, la culture n’a été autant confondue avec tout et n’importe quoi. Et que jamais, les autorités ou les institutions chargées de la porter aux gens (je pense en premier lieu à l’école) n’ont autant trahi leurs missions.

Ainsi, comme on dit que le design d'une carosserie est poétique, on dit que le très bling bling BEIGDEGGER est un écrivain, ou que la première dame de France est une chanteuse,  et autres terrifiants foutages de gueules, comme le fait que les Français seraient des lecteurs.

Et pourtant je ne peux m’empêcher de constater que de la Mer de Michelet à celle de mes contemporains, un océan, si je puis dire, un véritable abîme, pour reprendre les métaphores romantiques, s’est creusé, se creuse encore…  Qui fait qu’on croise à Sète (voir billet du jour précédent) des prolétaires embourgeoisés, défaits de tous piquants et armés d'un seul barda photographique, sautant hystériquement d’un cimetière à l’autre, de la tombe de Valéry à celle de Vilar ou de Brassens, sans trop savoir qui est qui, au nom de ce sacro-saint divertissement culturel qui engouffre dans l’’idiotie aussi surement que la malbouffe généralisée dans le gras des êtres dont je ne peux m’empêcher de penser, comme Vilar en son temps, qu’ils méritaient autre chose.

Et c'est ansi que Jules et Alexandre sont grands.

 

 

(1)  La Mer, folio 1470 – II, 7, « le piqueur de pierres »

(2)  La Mer, folio 1470 -  II,12, «  la baleines »