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lundi, 28 décembre 2009

Parole de profs

Se refaire un silence, comme on dit se refaire une beauté,  une santé ou une virginité. Un prof passe son temps à blablater devant des groupes d’élèves qui l’écoutent, ou font semblant, ou encore ne l’écoutent pas. La plupart des profs qui savent que leur parole est imposée se consolent en la songeant essentielle (phobie, par exemple, de ne pas finir le programme…)  ou bien, au moins, d’une quelconque  importance. La plupart tentent de la rendre intéressante.  Voire attrayante. Peu acceptent vraiment de comprendre à quel point la parole du savoir est devenue accessoire et, comme le reste, noyée dans la consommation. Paroles de classe qu’il faut tenir, comme  le soldat tient son rang.

Et puis après ?

 

Les paroles des profs, comme le reste de leur personne, sont surtout regardées.

Paroles épiées jusqu’au trognon, par ennui ou désœuvrement. Très rarement par intérêt ou par passion. Avez-vous remarqué combien,  ici ou là, rien n’échappe au regard d’un groupe de gens qui s’ennuient ? Commères, jadis, derrière leurs jalousies : l’éternel humain n’a pas d’âge ni de renouveau, au contraire de ce qu’espère le populo. Surtout quand il croit à la modernité du monde et au renouveau du printemps. Regardez-les, par exemple, en train d’attendre le bus, et de quêter du regard dans la grisaille environnante du paysage ce qui pourrait les divertir un peu de cette attente désobligeante.  Les êtres humains  sont semblables sur les bancs de la classe. Le droit d’écouter leur MP3 en moins. Quand on coupe le MP3, ils sont enfermés dans le bocal, ils n’ont plus que cette parole de profs pour horizon…

 

La parole du prof est  sortie du dialogue, extirpée de l’échange, interdite de bavardage. Elle n’est jamais réplique, et condamnée au monologue, elle s’étire en toile de fond  comme ces couleurs ternes sur la tôle du hangar où seraient peints des textes de loi. Elle doit être à sa façon et séduisante, et volumineuse, et variée, et aussi mener quelque part comme les routes nationales ou les lignes de bus qui sillonnent les banlieues : autant dire qu’elle est vouée à l’échec de l’ordinaire.

 

Quand de plus cette parole se retrouve instrumentalisée, tel le muscle du prolétaire ou le sifflet de l’agent,  puisqu’elle devient la seule force de production de celui qui la détient  et qu’au terminus de chaque mois, elle lui amène le salaire, la parole a besoin de repos.

 

Le repos de la parole.  

Je dis : se refaire un silence, comme se refaire une beauté,  une santé ou une virginité.

19:50 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : noël, vacances | | |

Commentaires

Parfait Solko, vous maitrisez votre sujet. Faites vous un beau silence.

Écrit par : tanguy | lundi, 28 décembre 2009

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous sur le non-dialogue, le non-échange, dans lequel cette parole serait emprisonnée. Mais il faut en convenir: après une journée de cours, j'ai besoin de me re-cueillir.

Écrit par : calystee | lundi, 28 décembre 2009

@ Callyste : Bien sûr qu'il y a des échanges. Mais ces échanges eux-mêmes ne sont-ils pas pris dans les impératifs du programme, dans la logique de l'institution, dans le monologue ? J'ai eu quelques véritables échanges hors classes avec des élèves qui sont devenus ensuite des amis. Certains ont joué dans l'une de mes pièces. mais alors, ils n'étaient, précisément, plus mes élèves...

Écrit par : solko | mardi, 29 décembre 2009

Cette "parole de prof" atteint beaucoup plus qu'on le croit celui-là même qui ne veut pas où ne peut plus l'entendre; l'échec de l'ordinaire est loin d'être total. Cette parole est devenue cruciale quand elle n'est pas folie ou charabia. Mais alors, oui le repos et le silence aussi car c'est au delà de la parole une énergie monstre qui est apirée par l'auditoire inégal des élèves.

Écrit par : Marie-Hélène | mardi, 29 décembre 2009

Bonjour Solko,
Très intéressant votre texte. Ce que vous décrivez n'est-ce pas l'ennui ou les interrogations que tout un chacun éprouve à un moment donné concernant son travail professionnel. On s'interroge sur l'utilité de ce que l'on fait, sur le sens. Quand bien même le métier que l'on exerce nous passionne et qu'on l'a choisi par vocation. Que doivent alors ressentir ceux qui font un métier uniquement pour des raisons alimentaires, un métier routinier et pénible (manutention, préparateur de commandes...)?

Écrit par : pier paolo | mercredi, 30 décembre 2009

@ Marie Hélène : De toute façon, même si des barjos en haut lieu (OCDE) ont songé à remplacer cette parole par un enseignement avec didacticiels (plus économique, et plus malléable politiquement on le comprend bien), cette parole reste évidemment fondamentale. Il n'empêche que son vécu donne, dans sa linéarité, ce sentiment-là d'échec par rapport à des véritables rencontres. Je dis souvent : "il n'y a pas de bon profs ni de bons élèves. Il n'y a que des bonnes rencontres". Mais je me situe sans doute dans une sorte d'idéal.

Écrit par : solko | mercredi, 30 décembre 2009

@ PierrePaolo : Il y a de ça, oui, de la routine. Il y a aussi le fait que la parole du prof est à priori, dans l'esprit des élèves celle de l'institution. Et que trop souvent, même si c'est mon boulot "d'incarner" cette parole institutionnelle,demeure en moi le souci d'être dans une parole plus individuelle, de la susciter chez les autres, y compris les jeunes. L'institution scolaire demeure le lieu du formatage de la pensée, tel est le sens de l'échec que j'évoquais là-haut. Mais encore une fois, je me situe sans doute dans une sorte d'idéal.

Écrit par : solko | mercredi, 30 décembre 2009

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