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dimanche, 24 janvier 2010

Chronique du grand style et des transpositions cinématographiques de vies héroïques

C’est un 24 janvier (76) que naquit l’empereur Hadrien, dont Marguerite Yourcenar (1903-1987) dressa bien plus tard la flamboyante chronique. C’est aussi un 24 janvier (1857) que comparut pour « atteinte aux bonnes mœurs » un dénommé Gustave Flaubert, accusé d’avoir écrit Madame Bovary. Quel rapport, me direz-vous ?

Celui-ci : Dans ses Carnets de notes, Yourcenar a confié que l’idée des Mémoires d’Hadrien lui était venue d’une citation lue dans la Correspondance de Flaubert : « Les dieux n’étant plus et le Christ n’étant pas encore, il y a eu de Cicéron à Marc Aurèle un moment unique où l’homme seul a été » L’homme !

Le voilà, le rapport. Le rapport, c’est Alexandre Vialatte, expert patenté  devant l’Eternel du coq à l’âne et spécialiste, s’il en marguerite.jpgest, de la troublante question de l’homme dont les dernières nouvelles sont toujours les meilleures à prendre.

Un hasard heureux fait que la toute première de ses chroniques hebdomadaires qu'il écrivit pour le journal La Montagne un 24 janvier (celle de l’an de grâce mil neuf cent cinquante six) est précisément titrée : Marguerite de la nuit. Il n’y cause point de Yourcenar, mais de Claude Autant-Lara, lequel vient de signer une adaptation cinématographique d’un roman de Mac-Orlan (avec Michèle Morgan et Yves Montand) que le chroniqueur de la Montagne n’a que moyennement appréciée. Le roman de Marc Orlan, une parodie de Faust elle-même datée de 1924 était, nous dit Vialatte, possède « un ton, un style, un accent, une saveur, un goût ». Pour tout dire, c’était une appellation contrôlée. « Que reste-t-il au cinéma de cette appellation contrôlée » ? s’interroge-t-il, tout en jugeant ampoulé et, au final, faussement pathétique l’adaptation d’Autant-Lara : « Le grand style n’est jamais voulu. Il n’est pas nécessairement simple, mais il est toujours naturel ».

De nos jours, il semble que les adaptations de grands romans se comptent sur les doigts du pied. A cela, une cause bien naturelle serait qu’il ne s’écrit plus guère de grands romans, et que ceux du passé ont déjà été tous adaptés et pas toujours à la meilleure sauce. L’époque, à la fois amnésique et épuisée, édicte sa loi et d’autres transpositions cinématographiques voient le jour : celles des vies non pas illustres mais médiatiques, les vies de people. Ainsi, celle de Gainsbourg vient de donner matière après tant d’autres à une heure et quelques de pellicule. Inutile de vous dire que cet embaumement héroïque (parait que vivre une existence de peintre raté dans les affres du show-business dans la seconde moitié du vingtième siècle, c’est mener une « vie héroïque ») ne m’inspire guère.

Pourquoi ne ferait-on pas, dans le genre du film sur Gainsbarre, et après celui sur Piaf, Coluche, Mitterrand, De Gaulle (qu’est-ce que le cinéma est original…), une vie de Vialatte ? Non, sérieux. Je lance un appel d’offre à un producteur dont les guêtres traîneraient par là, moi, je veux bien faire le scénariste. On le verrait durant de longs plans écrire interminablement au stylo-plume, penché sur son bureau… Il traduirait Kafka, compulsant on ne sait quel vieux dictionnaire, gommant, raturant… A ses côtés le bruit d’un réveil matin de marque Jaz, qui ferait tic-tac, tic-tac, tic-tac. Il écrirait Battling le ténébreux avant guerre et puis les Fruits du Congo après guerre. A partir de 1952, il deviendrait chroniqueur à la Montagne. On le verrait alors chaque dimanche soir porter le texte de sa chronique, de son appartement au 158 rue Broca, d’où il observerait la cheminée de la Santé fumer à gros bouillons noirs, jusqu’à la gare de Lyon, d’où partirait le train pour Clermont-Ferrand. A la fin du film, il serait opéré de l’aorte à l’hôpital Necker, dans le quinzième arrondissement de Paris. Il ne s’en remettrait pas. Comme Gainsbarre, il fumerait. Mais on n’en ferait pas toute une histoire. Tout un mythe.

Ses Pascal, au lieu de les brûler à l’écran, il les porterait méticuleusement à sa banque. Comme tout le monde. Pour un tel sommet du septième art, il faudrait dégotter un acteur comme l’époque est incapable d’en produire : lent, minutieux, presque muet.

Tout cela, bien sûr, serait tourné en noir et blanc. En noir et blanc, comme les photos de Blanc et Demilly.

Mais je me suis écarté de mon sujet. Quel était-il d’ailleurs ? Le grand style ? Est-ce que cela a une espèce d’importance ? Pour qui donc ?

Et c’est ainsi qu’Alexandre est grand.