Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

lundi, 03 mai 2010

Après Vialatte

 

Esso_Carburant_P1230601_300x300.jpg

« Le réel n’est qu’une habitude » écrivit Alexandre Vialatte, dans une chronique qui parut le 29 décembre 1964. Il y a dans cette phrase, à quelque niveau qu’on se la remémore, quelque chose d’étrangement juste, d’étrangement grave. peut-être même d'étrangement angoissant : tout dépendant de l'amplitude que l'on donne à ce mot étonnant : Le Réel... Pour mesurer l’étrangeté de cette justesse et de cette gravité, il suffit de poser le corollaire de la formule : ce qui est irréel est ce à quoi je ne me suis pas encore habitué. La phrase ainsi posée, se comprend mieux l'angoisse qu'elle soulève implicitement : quelle forme extrême d'Irréel serai-je (serons-nous) capable, par la force de l'habitude, d'admettre, d'engendrer ? 

Lire la suite

samedi, 01 mai 2010

Vécu dans le vingtième

« Un peu plus d’un an après ma naissance, la guerre de 1914 éclata. L’avance de l’ennemi fut, comme on disait alors, foudroyante » (Roger Caillois, Le fleuve Alphée, 1978)


« Dès avant même de sortir de l’enfance, il me semble que j’eus, très net, ce sentiment qui devait me dominer pendant toute la première partie de ma vie : celle de vivre dans un monde sans évasion possible, où il ne restait qu’à se battre pour une évasion impossible »

(Victor Serge, Mémoires d’un Révolutionnaire - 1940)

 

« Que quelques-uns de mes derniers poèmes soient convaincants ne retire pas de son importance au fait que je les compose avec de plus en plus d’indifférence et de répugnance (Pavese, Le métier de vivre, 1935)

 

« Je suis né rue Notre-Dame –des-Champs dans un appartement dont je ne garde aucun souvenir » (Raymond Aron, Mémoires, 1983)

 

« Toute ma vie, je n’ai vu que des temps troubles, d’extrêmes déchirements dans la société et d’immenses destructions… » (Debord, Panégyrique, 1989)

 

On pourrait continuer encore longtemps cet alignement, cette juxtaposition, ce catalogue de premières phrases de récits autobiographiques, toutes piochées chez des auteurs qui eurent en commun le bonheur fou d'avoir vécu dans le XXème.

 

 

5 tour eiffel.jpg

Bergère, ô Tour Eiffel ...

 

 

vendredi, 16 avril 2010

L'ère du foot

546x273_1571580_0_0abb_ill-1334332-66be-blanc.jpg

Sur cette photo, tout le foot actuel : Une cage vide, à prendre d’assaut. Derrière, une foule anonyme, des visages fondus, une simple muraille de spectateurs. Un entraineur en costume cravate, mains dans les poches, décontracté & speedé juste ce qu’il faut, l’homme moderne, quoi, comme on dit dans la pub. En pleine crise. Entre la  muraille de spectateurs et l'entraineur stressé, une muraille de pubs, justement. L’air du temps. Au sol, du gazon. Important, le gazon, dans le foot. Quand on s'emmerde, on compte les brins.


Sur cette vidéo, tout le foot également : le capitaine de l’Olympique de Marseille Mamadou Niang sortant de l’entrainement où l’attendent depuis deux heures des supporters. Il est multimillionnaire. Ils sont pauvres. Comme il passe d’un trait en feignant de les ignorer, l’un d’entre eux botte en touche sa bagnole. Son carrosse. L’idole descend, et, sans faire dans la dentelle, l’insulte, le gifle. Escarmouches. L’air du temps à nouveau. L'ère du foot

post-1-1217000506_thumb.jpg

Voilà qui rappelle une page de Musset dans la Confession d’un enfant du siècle. Les pauvres de Ménilmontant regardent passer les calèches des aristocrates à l’occasion d’un carnaval. La farine manquant (cruauté du jeux de mots), la boue vint à pleuvoir. Que dire ? Au moins les aristocrates de ce temps-là avaient-ils plus de tenue que ceux d’aujourd’hui. Et les pauvres étaient quand même moins abrutis.

Ci-dessous, le texte de Musset L’un de ses plus beaux. Dédié à l' Eventail. Et aussi à la mémoire de Jacques Seebacher , qui nous commentait si intelligemment cet extrait de Musset au premier étage d'une tour de Jussieu il y a fort longtemps - un siècle autre - mais les paroles demeurent.

Lire la suite

mardi, 13 avril 2010

Légereté d'un Savignac

654126517.jpg

On voudrait être léger comme le fut Savignac. Mais l’air n’est pas léger. Les informations nous assaillent, bribes de sons, de mots, d’images saisis ça et là. Il y a dans ce déluge, ce charivari, quelque chose qui voudrait, on le sent, nous uniformiser. C’est lourd, dramatiquement lourd, la société de l’information. Celui qui cherche la légèreté à partir de cette lourdeur est condamné au cynisme. Il s’ébroue, donc. Mais sa tête est traversée par tant d’ondes, tant de sons. Tant de messages adressés à d’autres que lui.

Il voudrait s’enfuir par le haut. Le très-haut. Mais l’air est pesant, là-haut, vraiment. Paraît qu’on y balance des produits toxiques pour l’avoir, à l’usure, notre simple innocence. Et par le bas ? Par le bas, on ne rencontre que ses pieds, aurait dit La Palisse. Reste l’arrière, toujours. L'arrière, ah ! La facétie de ce passé qui fuit. Je me souviens de cette affiche de Savignac (1907-2002) placardée le long du périphérique. Pour Aspro. Le type un peu mauve et carrément chauve, à la tête comme un œuf de Pâques traversée d’une oreille à l’autre par un tunnel routier parcouru d'une file de voitures avançant cul à cul. On se demande ce qui est le plus dur : le boucan ou l'odeur de ses bagnoles, tous deux logés au crâne du contemporain assailli. Regard dérisoire d’une société qui se mordait déjà la queue, si j’ose dire. 

vive-reclame-L-1.jpgOu cette autre, du bœuf Maggi, coupé en deux. Avec ce qui lui restait de tête, la paupière close, la narine frémissante, la mèche sage entre deux cornes, il humait tel un gourmet le parfum de son propre derrière en train de cuire dans du bouillon. Belle vieille marmite en cuivre de nos campagnes. Un peu nous autres, pas vrai ? Etrange (autant que comique) apologie de l’amputation. De la dévoration de soi, comme l'écrivit je ne sais plus quel essayiste à succès, au passage du nouveau millénaire. La société de la consommation de soi, avec humour, Raymond Savignac l'avait donc annoncée un peu avant de prendre congé. S'en était-on alors rendu compte ? Pour lui, pourtant, « l'affichiste doit dessiner gros : gros comme Guignol, qui a du style et n'est jamais vulgaire », disait-il. Bel hommage au plus gone des Lyonnais.

Et belle définition de la légèreté.

samedi, 10 avril 2010

Le métro de Paris anagrammé

L’idée est de Gilles Esposito Farèse : sur le mode de l’Oulipo, recomposer une carte du métro parisien avec, en lieu et place du nom original de chaque station, son anagramme : Rue du Bac devient ainsi « Au bec dur », Cluny - La Sorbonne « Brûlons-y le canon », Saint-Germain des Prés « Garnements à dissiper », Place des Fêtes « Pacte des elfes », porte de Saint-Cloud « ce tordu désopilant », Vaugirard « dur à vagir », stade de France Saint-Denis « Essai de défi transcendant », Gare du Nord « Ô dur danger ! », Porte de Clignancourt « Plan d'égout incorrect », Rue Saint-Maur « Utérus à marin », Richelieu Drouot « Huître de couloir », Grands Boulevards « Survol de bagnards », Porte de Bagnolet « Protège ta blonde »,  Saint-Philippe du Roule « Hôpital du pénis puéril », Étienne Marcel « Mécène ralenti »…

 

metro.jpg
Tous les anagrammes et la carte complète sur la page de l'auteur.

 

 

lundi, 05 avril 2010

Gloire du pamphlet

Quand on cause de polémique, de nos jours, c’est pour évoquer quoi ? Un vague conflit d’idées – et encore – d’opinions, plutôt, tant il est criant que les idées sont mortes. Une tiède controverse plus ou moins manufacturée en loges entre deux politiciens. Lequel conflit, laquelle controverse, noircissent les feuilles de chiottes d’une presse à bout de souffle et les écrans chronophages et publivores un certain temps, trois petits tours… Sans passionner quiconque, à vrai dire, le conflit, la controverse, quel que soit le sujet traité.

Nous avons oublié combien le polémique fut avant tout un registre. Un registre littéraire d’excellence, qui, comme le lyrisme ou le tragique, avait ses rythmes, ses tropes, ses codes. Comme la joute nautique, c’était un art. Hélas, la frilosité, la bêtise, la veulerie des temps contemporains, la manipulation par une élite technocratisée du plus grand nombre sont venus à bout des grands pamphlétaires qui, tous, n’étaient que des individus, des sujets. S’ils revenaient dans notre univers faits d’objets, Les polémistes de l’Ancien Régime, de la Révolution, de la Monarchie De Juillet, de l’Empire – ceux, même, de la Troisième République, nul doute qu’ils s’étonneraient d’entendre les imbéciles que nous sommes devenus leur dire sur un ton de chochotte que « oui, un mot ça peut blesser, et qu’on peut même mourir pour un mot ». Car au mépris de tout bon sens, au mépris de l’arbitraire du signe, la police de la pensée est parvenue à faire avaler au plus grand nombre que les mots, comme les objets qu’ils désignent, avaient le pouvoir de tuer. Quid des images, alors ? Le mot serait-il vraiment une pipe ? Et quid des bombes ? Quels abrutis ! Et quid des terrifiantes inégalités sociales, quid du nombre ? Les mots, je crois, au contraire des billets de banque et des fusils, n’ont jamais bien tué que des morts.

La novlangue, pourtant, emplie d’euphémismes abstraits et faussement délicats, nous a chié un dialecte pour bisournous inoffensifs et stérilisés, une langue dont on ne peut rien faire, ni grands romans, ni beaux poèmes, ni véritables dramaturgies, ni surtout pamphlets emplis de veine et de souffle. Une langue parfaitement traductible, c'est-à-dire sans originalité. Et pendant ce temps, l’image n’a jamais été aussi vindicative, l’Etat si policier, l’administration si procédurière, le capitalisme si belliqueux. Et c’est ainsi que la connerie règne sur terre, protégée par une police de la pensée qui sème en tous lieux ignorance et fatuité, sous couvert d’information et de tolérance.

lundi, 29 mars 2010

Ceux qui dressent des listes

liste%20noms%20hosto.jpg

Cette manie, cette folie, cette peur, cette surveillance, cette institution, cette sécurité, ce contrôle...

Les gens qui dressent des listes m’ont toujours fait horreur, ceux-là comme les autres.

L’Histoire a toujours montré comment ils finissaient à chaque fois. Ceux qui se croyaient dotés des plus vertueuses intentions et des plus louables missions se révélant toujours, au final, les plus dangereux, les plus cinglés.


 

jeudi, 11 mars 2010

Le parti des abstentionnistes

C’est ce que les partis ont trouvé de plus filou pour enrôler les abstentionnistes dans leur univers frelaté : cette expression ridicule, fausse et tordue : le parti des abstentionnistes. Je ne sais quel communicant véreux en profondeur a créé l’expression : un de gauche, un de droite ? un petit copain du centre ? Je ne me souviens pas, non plus, depuis quand on la répand à profusion dans les medias pour forcer la main de l’électeur. Voter étant, de ce point de vue, la seule attitude normale, civique, responsable, celui qui ne l’adopte pas n’est donc récupérable qu’au prix de cette contorsion sémantique absurde : lui aussi serait membre d’un parti, lui aussi aurait une opinion enrolable, il serait membre du parti des abstentionnistes. Les fumiers !

fumee.jpgCela s'inscrit dans le paradigme d’une idéologie puante (comme beaucoup d’autres, venue des USA), le comportementalisme. De la même façon que vous seriez fumeur ou non fumeur, vous vous retrouvez ainsi votant ou non-votant ; ces gens-là, souvent adeptes de l’hygiénisme physique et moral au moins autant que de l’hygiénisme politique, vous expliqueront toujours que vous êtes réductible à ce que vous faites, comme le petit bourgeois est réductible à ce qu’il possède, l'animal à ce qu'il chasse. Pour ma part, j’ai tour à tour fumé et non fumé au moins autant que j’ai voté et non voté, bu et non bu, sans me définir pour autant comme un fumeur ou un non fumeur, un votant ou un abstentionniste, un gars sobre ou un alcoolique.

Abstenir : du latin abtinere, tenir éloigné. S’abstenir : se tenir éloigné…

Une attitude unanimement réprouvée, tant le vote est devenu, jusque dans les aspects les plus futiles de la société du spectacle, à la fois un jeu et une mise en scène de soi ; il n’est qu’à compter le nombre de fois où l’on sollicite, ici et là, de jeux stupides en sondages inutiles, votre implication, participation, point de vue, solidarité – appelons ça comme on veut – à l’édifice prétendument commun…

Je n’irai pas voter dimanche parce qu’au final les deux partis qui se retrouvent au second tour mènent sur le fond la même politique depuis des décennies. Ces deux partis n'ont-ils pas tous deux été créés, d'ailleurs, pour être, à toutes les strates de la participation citoyenne, de gigantesques et efficaces usines électorales ?  Et qu’au premier tour les listes prétendument dissidentes, d’un bord comme de l’autre, ne font, in fine, que servir la soupe aux deux autres. Servir le nombre. On se compte.

Je n’irai pas voter parce que je n’ai aucun intérêt à voir au pouvoir untel plutôt qu’untel.

Aucun intérêt particulier non plus à faire partie du nombre. Je n’irai pas voter parce que je ne suis membre d’aucun parti, et surtout pas de celui des abstentionnistes.

Ne pas donner sa voix, pour sauver sa parole.

vendredi, 12 février 2010

La haine de la littérature

« La haine de la littérature est la chose la mieux partagée au monde » (Flaubert)

Cette phrase est d’une lucidité fascinante, terrible, presque d'acier. S’y lit d’abord une exigence absolue, celle qui anima le styliste hors pair que fut l’écrivain Flaubert dans l’arrachement douloureux et besogneux de son écriture devenue, à force de pratique, force consciente d’elle-même. Et c’est vrai que la haine de l’exigence (je ne parle même plus de l’exigence littéraire) dans une société qui a fait de l’égalitarisme condescendant et démagogique son credo de base et sa seule façon d’éviter la guerre civile, est une des choses le plus communément admise. Jamais la haine de l’exigence ne fut chose aussi partagée que dans la société du tout se vaut mise en place depuis quelques quarante ou cinquante ans.

Ainsi, éditeurs, professeurs de français, animateurs d’ateliers d’écritures, ministres de l’éducation nationale, animateurs de centre social, libraires, académiciens, publicistes, auteurs de bande dessinées, footballeurs, cadres supérieurs, techniciens en informatique ou en sciences de l’éducation, pharmaciens, présidents de la République, critiques littéraires, psychiatres, linguistes, sociologues, journalistes, épiciers, chanteurs de variétés et parents d’élèves - et surtout écrivains ou écrivaines-  sont-ils tous, à des degrés divers et pour des raisons diverses, ennemis de l’excellence, et particulièrement de l’excellence littéraire. Parce qu'ils sont amis, et amis souvent fort intimes, de l'imposture littéraire.

Il n’y a que le solitaire, qui se recrute occasionnellement chez l’une ou l’autre des espèces citées plus haut, il ne reste que le solitaire ou la solitaire pour être capable de ne pas rejoindre la cohorte de ceux qu’anime cette haine, parce qu'au sens propre, la littérature l'a aidé d'abord à survivre, et puis peut-être à vivre. Un solitaire aimant des Lettres, vous en trouverez également chez un éditeur, bien sûr, un professeur de français, un animateur d’atelier d’écriture, un ministre d’éducation nationale … Eventuellement (mais de moins en moins) chez un auteur ou une auteure de renom.(1) N’importe lequel d’entre nous peut le devenir, ce solitaire-là avant de retourner à ses occupations mondaines. Occupations mondaines qui feront de lui à nouveau, et peut-être surtout s’il travaille dans le secteur littéraire, le pire ennemi de la littérature. C'est qu'il faut bien, comme le disait le bon Zola, gagner sa vie.

 

Se lit donc dans la phrase de Flaubert, outre cette lucidité terrible, une conscience à la fois grandiose et désabusée du cœur humain.

Et c'est pourquoi me semble-t-il, cette phrase demeure quelles que soient nos indignations respectives et nos « efforts » pour « lutter contre » la réalité qu’elle pointe du doigt tragiquement vraie. Je vais proférer un lieu commun : L’homme a besoin de reconnaissance. Or, pour aimer la littérature, il a besoin d’être reconnaissant à son égard. Combien d’entre nous le sommes-nous réellement ?