mardi, 13 avril 2010
Légereté d'un Savignac
On voudrait être léger comme le fut Savignac. Mais l’air n’est pas léger. Les informations nous assaillent, bribes de sons, de mots, d’images saisis ça et là. Il y a dans ce déluge, ce charivari, quelque chose qui voudrait, on le sent, nous uniformiser. C’est lourd, dramatiquement lourd, la société de l’information. Celui qui cherche la légèreté à partir de cette lourdeur est condamné au cynisme. Il s’ébroue, donc. Mais sa tête est traversée par tant d’ondes, tant de sons. Tant de messages adressés à d’autres que lui.
Il voudrait s’enfuir par le haut. Le très-haut. Mais l’air est pesant, là-haut, vraiment. Paraît qu’on y balance des produits toxiques pour l’avoir, à l’usure, notre simple innocence. Et par le bas ? Par le bas, on ne rencontre que ses pieds, aurait dit La Palisse. Reste l’arrière, toujours. L'arrière, ah ! La facétie de ce passé qui fuit. Je me souviens de cette affiche de Savignac (1907-2002) placardée le long du périphérique. Pour Aspro. Le type un peu mauve et carrément chauve, à la tête comme un œuf de Pâques traversée d’une oreille à l’autre par un tunnel routier parcouru d'une file de voitures avançant cul à cul. On se demande ce qui est le plus dur : le boucan ou l'odeur de ses bagnoles, tous deux logés au crâne du contemporain assailli. Regard dérisoire d’une société qui se mordait déjà la queue, si j’ose dire.
Ou cette autre, du bœuf Maggi, coupé en deux. Avec ce qui lui restait de tête, la paupière close, la narine frémissante, la mèche sage entre deux cornes, il humait tel un gourmet le parfum de son propre derrière en train de cuire dans du bouillon. Belle vieille marmite en cuivre de nos campagnes. Un peu nous autres, pas vrai ? Etrange (autant que comique) apologie de l’amputation. De la dévoration de soi, comme l'écrivit je ne sais plus quel essayiste à succès, au passage du nouveau millénaire. La société de la consommation de soi, avec humour, Raymond Savignac l'avait donc annoncée un peu avant de prendre congé. S'en était-on alors rendu compte ? Pour lui, pourtant, « l'affichiste doit dessiner gros : gros comme Guignol, qui a du style et n'est jamais vulgaire », disait-il. Bel hommage au plus gone des Lyonnais.
Et belle définition de la légèreté.
10:20 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : société, publicité, savignac, aspro, maggi, affiches |