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dimanche, 13 mars 2011

La communication roublarde et ringarde de Strauss-Kahn

 

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A l’opposé du petit sec nerveux et agité qui a fondé toute sa communication de conquête de l’Elysée en 2007 sur la volonté personnelle, l’ambition individuelle et l’image de l’homme providentiel façonné par l’intérieur et l’histoire du pays, Strauss-Kahn, le professeur d’économie patient et réfléchi, joue sur le registre plus maternant de ses rondeurs corporelles et de ses circonvolutions langagières : la France aurait été bousculée par la dureté machiste de Sarkozy, elle aurait donc besoin qu’on la rassure avec d'autres arguments, qu'il croit détenir.

Le gros chat du FMI pointe donc le bout de son nez et de ses griffes malgré tout bien acérées. Car malgré les 30  000 euros net mensuels de la fonction, il semble intéressé par les 19 331 de celle de locataire de l’Elysée. Un premier téléfilm de propagande diffusé aujourd’hui en clair sur Canal + en guise de carte de visite et premier tract de campagne :

 


Qu’on se rassure tout d’abord dans les chaumières, l’ancien maire de Sarcelles n’a pas pris la grosse tête en devenant patron du FMI, et demeure capable de faire cuire trois bouts de viande sur une grille, en compagnie d’Anne qui assure la salade, comme monsieur Tout le Monde. Brève analyse :

Le vocabulaire relâché 

Nicolas Sarkozy avait propagé le parler peuple et le style copain/copain, timidement inauguré par Mitterrand à l’époque du président chébran. Son élection a démontré à la classe politique ambitieuse qu’une stratégie consistant à éviter la langue de bois et le parler technocrate pour singer un discours plus direct peut en effet payer. Strauss-Kahn, un ancien d’HEC, de l’IEP et de l’ISUP imite donc le candidat de 2007 en parlant de « gosses qu’ont la fièvre », de « thermomètre dans les fesses ». Il s’adonne a des raccourcis de construction (« un homme de gauche, c’est pas nier la réalité »), « Les gars, y sont pas heureux » à propos des ministres des finances venant quémander du « pognon », ou, plus obscène encore à propos du peuple grec qui le conspue : « Ces gens-là sont dans la merde et y sont gravement » Son commentaire : « Ça truande au maximum avec les impôts ! En Grèce, c’est un sport national ! ». A propos de Bill Clinton, enfin,  à qui il demande ce qu’il pense de sa candidature : « Il se marre ».

Fesses,  merde, truander, se marrer : on le voit, entre la culture Strauss-Kahn et la culture Sarkozy, il n’y a qu’un pas. Voilà qui promet !?  Sarkozy était passé entre les mains de Clavier. Entre les mains de qui est passé le fringant sexagénaire ? Entre les mains seules de Sinclair ?

L’obsession de Sarkozy chez Strauss-Kahn se retrouve même dans les petites phrases que lâche le président du FMI : « J’y pense tous les matins en me rasant », dit-il,  à propos du fait qu’il n’aurait « aucun mal à s’arrêter de travailler », manière de se positionner en contre (mais en second aussi) : face à l’ambitieux de l’Elysée, l’allure détachée, voire désintéressée, de celui qui passerait par là par hasard. On y croit.

La fausse intimité :   DSK, les simples initiales, comme si l’on parlait d’un intime. C’est le principe du diminutif (Ségo, Sarko), couplé dans ce cas précis avec une sorte homonymie flatteuse avec JFK. Cela fonctionnait du temps du ministère. On ressert donc le vieux truc. Mais à présent, DSK, « représentant de commerce au FMI », tel qu’il se définit, donne des combines pour défroisser un costume en faisant couler un bain d’eau chaude (bonjour la consommation !), il fait griller sa viande lui-même tandis qu’Anne s’occupe de la salade dans le vaste appartement de Washington, ou raconte à un parterre de journalistes son « histoire du docteur ». On a beau vouloir le pendre haut et court à Athènes, il reste un homme populaire, si, si. Pas de procès d’intention ni de second degré…

Le second degré :    « Yes we kahn». Ce pastiche de slogan de campagne a été inventé par une petite garde rapprochée : « Moi j’y suis pour rien, dit-il, il a servi une fois, il peut pas deux. » (De Sarkozy en Strauss-Kahn, le ne disparaît) Le second dégré permet d’introduire le motif du : « moi je n’y peux rien ». Il ne cessera jamais d’y revenir : pas d’intérêt personnel dans une candidature, pas d’ambition personnelle, mais l’appel des camarades, le dévouement à la cause, et tutti quanti. Cette ficelle un peu grosse sert de contrepoids à l'image donnée par l’hyper présidence sarkoziste.  Strauss-kahn, ce serait une présidence conviviale, presque collégiale. Le contraire de Sarkozy, donc. Et surtout, là, plus de second degré

Le sens du réel : Une telle mansuétude risque d’inquiéter à droite où l’on apprécie la poigne.  Qu’elle se rassure, Dominique Strauss-Kahn sait aussi être ferme, traverser un peuple en colère (les Grecs) qui demandent aux banquiers  de « rendre l’argent volé »,  et conserver dans les veines tout son sang-froid. Sifflé par le peuple grec, il explique donc , dans une formule à la Sarko, qu’il s’agit de  dépasser le possible mais ne pas promettre l’impossible. La présidente du PC grecque aura beau lâcher « Il n’est pas socialiste, il se revendique socialiste », des Patrick Duhamel chargés de lui démontrer qu’elle a tort, les plateaux télé sauront en  produire par centaines à l’heure voulue

L’homme utile : Car Strauss-Kahn, en ces temps non romantiques, c’est l’homme de la situation, l’homme utile : voilà ce qu’on veut faire gober au spectateur du dimanche. Le film  de Nicolas Escoulan débute par le générique de 7/7 et une comparaison habile entre la situation de Jacques Delors à l’époque et la sienne à présent . Strauss-Kahn exprime sa déception devant le retrait de Jacques Delors qui, suppose-t-il « aurait été élu » , ce qui aurait changé l’Histoire de France». Manière de tenir sur soi un discours en parlant de l’autre. On ne voit pas trop, hélas, dans sa posture de simple officiant du capitalisme, quelle histoire Strauss-Kahn voudrait changer…

Le transfert du désir : Dans la première séquence, on découvre Anne et Dominique (sans chauffeur) en train de chercher une place pour se garer lors du tournoi de football annuel du FMI. Son équipe a donc pondu ce logotype « Yes we Kahn », à quoi il répond qu’il a été fabriqué « à l’insu de son plein gré ». Une blague, quoi. Une improvistion du destin :  Le leitmotiv de la campagne de communication est lancé : au contraire de Sarkozy (« Ensemble tout est possible) ou même d’Obama (Yes we can), Strauss-Kahn n’est pas l’homme volontaire qui décide, mais celui, utile, qu’on désire.

A cet égard, une petite phrase du commentateur comme « Dominique est prisonnier des marchés et du monde de la finance» apparait comme un must pour inciter l’électeur de gauche un peu stupide à l’en libérer, tel le chevalier libérant sa belle de la forteresse. On croit rêver… Pas plus que celle de Sarkozy en 2007, la communication de Strauss-Kahn ne s’assigne donc un autre but que de « créer du désir »…

Le poste de directeur du FMI : On devine bien que cette filiation à l’égard de Sarkozy le gène aux entournures. Il explique que c’est Juncker qui est à l’origine de sa nomination. « Le président français a été utile ans ce processus ». Mais, insiste-t-il longuement « il n’en est pas à l’origine »… Cela dit, affirme son entourage, ce poste « a vraiment changé Dominique ». « Je suis allé à l’école, dit l’intéressé. J’ai appris ».  Détenteur désormais de secrets et de compétences ignorées des Ségolène, François, Gérard ou Martine enfermés dans l’hexagone, Strauss-Kahn se positionne en pro du PS dans un monde désormais globalisé. Une sorte de super-président protentiel. Même Christine Lagarde, en off, semble d’accord : « Il a un job compliqué », dit-elle, en se reconnaissant avec lui une parenté qui fait sourire : « on est les enfants de la crise »…  Se positionnerait-elle également, à l’instar du sieur Borloo, raconte-t-on… ?

Pour ramener quelques secondes le spectateur au réel, un témoignage de la présidente de Lettonie : « Quand vient son équipe en Lettonie, je ne dirais pas qu’ils sont reçus avec des fleurs… »

L’homme providentiel :

Nous voilà donc maintenant au cœur de ce bon vieux storry-telling gaullien, celui de l’homme providentiel :  Mais comment faire, quand on n’a pas d’Histoire, pour se positionner en homme providentiel ? Ecoutons Jean-Christophe Cambadélis en train d’ expliquer que «  la gravité de la situation a changé Dominique ».  

 Strauss-Kahn, comparant sa position à celle de Clinton, qu’il connaît bien, qu’il tutoie, explique qu’il « a choisi une position, s’abstraire de la vie politique » en devenant directeur du FMI.  Dans cette posture d’énonciation très gaullienne, il a pu tisser un réseau de relations dans toute la  planète ». On le voit ainsi, « comme un chef d’Etat », dit le commentateur, faire une « visite de terrain » en Afrique.  Anne Sinclair d’en rajouter : « Quand on vit à l’étranger, on a une vision du monde qui fait qu’on voit que la France n’est pas toute seule et fait partie du monde ». Quelle découverte ! 

A travers ces lieux communs se devine une stratégie calquée là encore, mais de façon inversée, sur celle de Sarkozy : apparaître comme l’homme providentiel, non pas façonné de l’intérieur étriqué, mais de l’extérieur et ses réseaux. Comme quelqu’un dont les relations seraient utiles au pays, un serviteur là encore, et non un volontaire.  On est loin du socialisme, pour le coup, du projet de société, et pour tout dire de ce qu’on appelle en général la gauche. Strauss-Kahn tiendra-t-il longtemps sur de simples postures, un simple story-telling ? Nombreux à gauche doivent attendre un programme. J’ai peu qu’ils attendent encore longtemps…

Le dragueur : Une aventure extra conjugale avec une subordonnée de ses services ayant failli coûté le poste de son mari, Anne Sinclair a joué l’Hillary de service en publiant le 19 octobre 2008 sur son blog : « Chacun sait que ce sont des choses qui peuvent arriver dans la vie de tous les couples. Pour ma part, cette aventure d’un soir est désormais derrière nous. Nous avons tourné la page. » Très mitterrandien, Strauss-Kahn se drape dans un silence quelques secondes, avant d’expliquer qu’Anne Sinclair lui apporte l’équilibre, l’avenir… , bref… L’Elysée ? Fichtre ! Retirons-nous sur la pointe des pieds.

Dominique a donc écouté, entendu, attendu. Il s’est laissé désiré et, comme un bon vin dans son fût, serait devenu en quelque sorte l’anti-Sarkozy parfait, le président sucré-salé dont les Français rêvent et que le pays appelle.

Contrairement à Sarkozy qui ne répondait en son temps révolu qu’à de vilaines ambitions personnelles, Dominique est tout proche de se sacrifier à un destin commandé par la situation historique dramatique, dans la toge immaculée de l’homme qui conviendrait à la situation mondiale de crise. Contrairement à Sarkozy qui n’était providentiel qu’à l’intérieur et dans l’histoire du pays, Strauss-Kahn serait, lui, l’homme providentiel dans le monde entier, dont tous les chefs d’Etats attendent qu’Il se présente. Le lieutenant Cambadélis  parle même sans rire d’une France qui sans Dominique serait foutue

Quoiqu’en disent les barons locaux du socialisme franchouillards et leurs militants, ça reste du storry-telling à l’américaine, du même niveau que le sarkozisme. Un genre de bulle spéculative qui, si les choses demeurent en état, risque de se dégonfler plus vite encore que l’original dont il ne fait qu’être le contre-modèle. Un Sarkozy en plus rond, somme toute, englué dans une communication encore plus roublarde, encore plus ringarde, en guise de lendemain. Non merci. 

 

Commentaires

Strauss c'est strauss, çà laisse des strass!Il crève d'envie d'entrer dans la danse mais, lunettes ou pas, il dégage plus une vision de carrière qu'une vision politique. cela pourrait être rock and roll de voir valser Strauss. Il est , probablement, plus intelligent que le pékin politique moyen mais qu'au royaume des aveugles les borgnes soient rois n'est pas un vrai argument.

Écrit par : patrick verroust | lundi, 14 mars 2011

Bien vu bien dit, moi j'dis. :0)

Écrit par : Sophie K. | lundi, 14 mars 2011

en Grèce, il reste quelques bonapartistes qui rêvent à une "strauss raisina".

Une alternance, en 2012, est souhaitable, plus que souhaitable, nécessaire. Il n'y a pas grand chose à attendre d'un nouveau pouvoir, si ce n'est nous débarrasser de gré ou de force de ce qu'il est convenu d'appeler, par commodité langagière, le sarkozisme. Le Ska n'apparaît pas comme l'homme capable d'assurer cette transition.

Écrit par : patrick verroust | lundi, 14 mars 2011

"Une alternance est nécessaire" : Pourquoi faire ?
Ce qui se passe en Belgique, et dont on parle fort peu, et qui est bien plus intéressant qu'une alternance, serait peut-être une solution...

Écrit par : solko | lundi, 14 mars 2011

(...) et dont on parle peu...
Pas même les Belges. C'est dire.

Écrit par : Bertrand | mardi, 15 mars 2011

Oui la France-d'En-Haut quelque part : prestance, culture, compétences, réseau, envergure... bien emballé, mal vendu. Et nous, et nous ?
eh bê on n'est pas sorti de l'auberge, il se peut que l'on ne puisse même pas y entrer...

Question subsidiaire : les Belges vivent-ils une anarchie ?
Pendant un temps les Italiens faisaient à peine attention à qui était au pouvoir, ils continuaient de vivre comme s'ils n'avaient pas eu de gouvernement. Les Grecs ont aussi goûté à cette forme d'organisation.
Les Français en seraient-ils capables ?

Écrit par : FOurs | mardi, 15 mars 2011

En Grèce, lorsque les gens ont entendu ses propos sur ceux qui "truandent les impôts", ça a fait le tour du net. S'il revient là-bas, ils le lynchent cette fois !)

http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2011/03/14/04016-20110314ARTFIG00651-le-film-de-canal-sur-dsk-provoque-un-tolle-en-grece.php

Écrit par : Danys | mardi, 15 mars 2011

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