samedi, 15 janvier 2011
L'étudiant au salon
Je ne veux pas faire d’analogies déplacées, mais enfin, la halle Tony Garnier fut à Lyon, durant plusieurs décennies, un abattoir, pour ne pas dire l’abattoir municipal. Veaux, vaches, cochons y rendirent donc en masses beuglantes ce qu’ils avaient d’âme, avant d’aller remplir en tranches et morceaux les assiettes des bonnes et braves gens d’entre Saône et Rhône.
C’est entre ces murs que depuis hier et jusqu’à demain se tient le salon de l’étudiant.
Passage obligé d’un parcours qu’on nomme désormais pré-professionnalisant ; dans les travées étroites entre les multiples stands, de longs convois de marcheurs : on cause masseterre, bétéhesse et class’prepas, en familles ou en couples.
Ce n’est là, me direz-vous, qu’une parenthèse de temps sérieux, pris en sandwiches entre des spectacles du plus haut intérêt (des animations waltdisneyesques, un tour de chant nohâesque, une soirée avec Michel Sardou, voyez, que du divertissement mainstram très basic, suffit de consulter le programme, quoi) .
Mais là, en attendant, c’est du sérieux, l’avenir des petits, quoi !
On compulse avec fébrilité ou détachement les brochures emplies de sigles et de photos, on interroge, on a – et c’est un peu normal dans toutes ces traverses – du mal à trouver le chemin de l’avenir. Tel métier : combien ça gagne ? L’avenir ? A quoi ça ressemble ? Et puis, combien sommes-nous sur le coup ?
Une certaine morosité s’installe.
Trouver sa place, y accorder son goût, ni simple ni facile, dirait-on. C’est alors qu’on s’aperçoit que pour les parents les plus modestes, la novlangue technicienne des sciences de l’orientation, c’est de l’étrusque, pour ne pas dire du basque paléolithique. Voilà que cela saute aux yeux, combien tout est démontable dans cet univers en kit, et que même les plus sages, les plus sérieux, les mieux avertis d’entre nous, ne faisons qu’y passer, passablement désorientés à l’endroit où ça compte, celui du cœur.
Au cœur de l’après-midi, justement, je me suis pris à rêver à ce que Justin Godart écrivit en 1899 dans sa thèse sur l’Ouvrier en Soie : Justin Godart expliquait qu’un apprenti-tisseur passait au minimum cinq ans en apprentissage chez un maître, avant de subir l’examen dit « du chef d’œuvre », puis de devenir compagnon pour au minimum rester deux ans chez un nouveau maître, chez lequel il devait dormir chaque soir, gage de son sérieux. Au sortir de cette « formation», il n’était encore qu’un ouvrier, et pas un « Bac + 7 ».
« Pendant les années de l’apprentissage, écrit Godart, « l’homme se développe, à qui bientôt on pourra en toute sécurité (le point est d’importance) décerner ses lettres de maîtrise. » La maîtrise arrivait enfin, et avec elle « l’inscription faite sur les registres de la Communauté, aux armes de la ville » Alors seulement l’ouvrier en soye pouvait s’installer à son compte, et revendiquer le titre de ce métier.
Combien (s’ils revenaient), ces gens-là - qui tissèrent entre autres les splendides teintures de Versailles et des robes d’évêques par centaines - s’étonneraient de voir ces bacheliers à la fois si vaniteux et si désemparés, errant d’un stand à l’autre, à la recherche de quoi – finit-on par se demander, la barre au front dans ce brouhaha en fin d’après-midi.
On se dit finalement que tout comme mères, pères, grand-mères, femmes, amoureux et autres ont leur fête et leur journée, il convient que comme l’automobile, l’agriculture, le livre, le mariage ou le chien, l’étudiant aussi ait son salon.
Et que cela, seul, est ce qui compte.
19:57 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : salon de l'étudiant, lyon, orientation, politique |
Commentaires
Écrit par : Sophie K. | samedi, 15 janvier 2011
Écrit par : solko | dimanche, 16 janvier 2011
Écrit par : Sophie K. | mardi, 18 janvier 2011
Écrit par : Sophie K. | mardi, 18 janvier 2011
Écrit par : Sophie K. | mardi, 18 janvier 2011
Écrit par : Zoë Lucider | samedi, 15 janvier 2011
Écrit par : solko | dimanche, 16 janvier 2011
Écrit par : patrick verroust | dimanche, 16 janvier 2011
Il n'existe pas de condition étudiante, il n'existe pas de "classe" sociale étudiante.
Il existe une école (de la maternelle à l'université) qui est un appareil idéologique d'État, une machine de reproduction des positions sociales.
Les exceptions à cette règle sont toujours dans nos têtes parce que c'est plus confortable. Nous oublions que c'est statistiquement négligeable, pire que nul, trompeur. En raisonnant à l'échelle d'un pays, la France, (mais est-ce différent dans les autres pays occidentaux), à l'échelle d'une institution, l'école, de ses usagers, qui sont plus de douze millions, l'attention aux exceptions est une attitude puérile.
Ce système n'a jamais changé et dans une société régie par la concurrence, le profit, la marchandise, le cynisme, c'est pire que jamais.
Sinon, la solution est simple : faisons que chacun puisse intégrer Polytechnique et chaque homme, chaque femme ainsi formé(e) pourra (outre se retrouver au plus haut échelon dans l'armée comme c'était la vocation de cette école), construire des aéroports et des ponts, produire du fer, négocier du pétrole, des actifs financiers, des devises.
Voilà. Ce que je dis là, c'est de la même nature qu'un salon étudiant : c'est, oui Solko, du basque paléolithique :)
Écrit par : Michèle | dimanche, 16 janvier 2011
Pour le reste, elle est surtout, comme d'ailleurs m'en avait averti Jacques Seebacher avant que j'aie l'idée saugrenue d'aller y gagner ma croûte, "une machine à éviter la guerre civile". Ce qui est tout autre chose.
Écrit par : solko | dimanche, 16 janvier 2011
La cohérence de vos commentaires, dans un billet court m'impressionne.Vos analyses peuvent être contestables mais elles sont bien faites.Je crois que le système éducatif est d'autant plus perverti que la société est/est mise , en crise que l'ascenseur social est en panne et qu'il est plus facile de descendre de l'échelle sociale que d'y monter.
Décidément, Les Godarts et moi ne sommes pas fait pour nous entendre. Je n'ai pas souvenance que le compagnonnage était si génial pour l'organisation sociale.Le compagnon restait sur quant à soi, exclusif. Il fut cassé par la révolution bourgeoise et la haute et légitime idée que les soyeux se faisaient d'eux mêmes s'écroula lors des révoltes des canuts. Cela permit aux paysans du voironnais de découvrir de nouvelles sources de revenus et d'ouverture au monde , chacun travaillait chez soi , la soie arrondissait les fins de mois et permettait de courir le guilledou. Les usines dortoirs amenaient des contingents de jeunes savoyardes , ce qui était bon pour le renouvellement du sang. Je plaisante, comme à l'accoutumée, mais cette histoire m'intéresse fortement, j'aimerais pouvoir en écrire la mémoire sous forme de contes à théâtraliser. Je l' ai fait,pour une petite partie, dans le cadre d'une initiative d'éducation populaire qui sera peut être reconduite.
Les directeurs des ressources humaines, les modernes directeurs de conscience doivent être excédés d'avoir tous ces étudiants affamés et caverneux, accrochés à leurs basques. Comme sous le paléolithique, ils sont tentés par les nouvelles vagues, trop mignonnes à la Godard.
C'est une bonne idée de généraliser l'entrée à Polytechnique. Nous aurons des armées de généraux, ceux d'active, ceux de réserve...un général alité pourrait assurer la reproduction de l'espèce.
Il y a un bon indicateur pour déterminer si une société tend vers l'égalité. Elle en approche quand chaque femme de ménage peut avoir une femme de ménage.
Ne soyons pas trop pessimistes, nous avons une école de "légalité des chances" . Les gagnants et les perdants sont désignés à l'avance, bien du stress est , ainsi, évité. Nous restons tous égaux en droit même si certains sont plus égaux que d'autres.
Écrit par : patrick verroust | dimanche, 16 janvier 2011
Le certain monsieur Le Pelletier, "franc"-maçon de son état, qui cassa les anciens compagnonnages promut un autre système, bien plus bourgeois qu'artisan en effet, qui vit l'économie souterraine se développer ( se capitaliser ?) en loges - non pas de concierges, vous le savez bien (à la limité de cierges cons ...) Un système tout aussi voire plus insidieux et inégalitaire que celui de l'ancien régime car ceux qui en profitaient au moins faisaient quelque chose de leurs mains et n'étaient pas de simples revendeurs -distributeurs). C'est pourquoi entre autres les canuts de 1831 et 1834 - déjà bien déchus de leur état antérieur- se révoltèrent contre les marchands. Certains canuts d'ailleurs rejoignirent ensuite les loges et devinrent des notables à leur tour...
Écrit par : solko | dimanche, 16 janvier 2011
Merci de cet espace d'expression où l'érudition, la réflexion s'expriment avec une agréable désinvolture.
Écrit par : patrick verroust | dimanche, 16 janvier 2011
L'école passe son temps à évaluer ce qui s'apprend (et pour la majorité, ne s'apprend pas) ailleurs et en cela elle remplit parfaitement sa fonction qui est de fournir la masse de travail non qualifié, nécessaire au processus de production. Du point de vue de l'efficacité, de la rentabilité, l'école marche très bien parce qu'elle marche très mal pour la majorité des usagers. Elle rend ainsi un service hautement politique et soigneusement dissimulé.
Écrit par : Michèle | lundi, 17 janvier 2011
je suis d'accord avec vos observations qui, quoique plus érudites que les miennes , ne sont pas contradictoires avec elles. Je soulignais "l'effet mondialisation" . Les révoltes des canuts fit l'essor économique de régions voisines. Je vous invite à consulter les journaux de l'époque et à les comparer à ceux publier mors des événements en Guadeloupe. Les similitudes, à deux siècles de distance, des positions des uns des autres, selon leur rôle social, est troublante. L'histoire est bègue.
La comparaison que vous fîtes entre les étudiants d'aujourd'hui et les compagnons d'hier m'a troublé . Les salons de l'étudiant me semblent des caches misère . Il y a toute une économie qui vit, directement, du chômage et la misère, sans compter le sous emploi, la peur ... les petits boulots... les galères intégrées à la gestion des ressources humaines.
A l'heure d'internet où le monde entier est informé de ce qui se passe dans le plus petit foyer, je trouve que le petit chinois manque de cœur en prenant l'emploi du pékin moyen européen!
Derrière la boutade, il y a une vraie question. Il est légitime que les pays émergents émergent, les émergés doivent ils être submergés et coulés?
Écrit par : patrick verroust | lundi, 17 janvier 2011
@ Patrick : Ceci tuera cela...
Écrit par : solko | mardi, 18 janvier 2011
Écrit par : Sophie K. | mardi, 18 janvier 2011
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