jeudi, 16 septembre 2010
Informement et enfermation
En quelques années, on aura vu fondre comme neige au soleil la qualité de l’information en France. Quelques années durant lesquelles se sont imposés les gratuits (une info qu’on ne paye pas), les pages web (une info qu’on ne choisit pas), une info toujours de plus en plus lapidaire, à la fois omniprésente et discontinue, une info quotidienne et tissée à la va-vite, commune et démultipliée, qu’on subit (et donc qu’on finit par négliger) ou bien qu’on consomme avec boulimie un temps et dont on finit par se lasser un autre temps.
Durant ces mêmes années, l’info aura en parallèle été de plus en plus normalisée, standardisée, anticipant l’événement et, la plupart du temps, le programmant, voire le dictant sans ménagement, de chaine en chaine et d’image en image. Info sans surprise, c’est le moins qu’on puisse dire. Info ressemblant à de la communication de crise à l’usage de citoyens de plus en plus centrés sur leurs propres calendriers et indifférents à ce qui peut se passer autour d’eux.
Dans ce même temps, la langue de l’info se sera évidemment considérablement simplifiée : le vocabulaire s’est ramassé et la syntaxe réduite. Cet appauvrissement linguistique a été de pair avec la dramatisation assénée par les titres, l’insistance sur le fait-divers ou le ragot. Il semble que la personnalisation de l’événement derrière quelques figures (président, pape, champion, grand patron…) ait définitivement pris le pas sur l’analyse ; l’invective systématique et la récrimination geignarde sur le commentaire. Surtout, l’info s’est mise à exister dans le seul instant présent, dans le culte d’un instant détaché de tout passé, détaché de tout contexte et de tout autrefois : c'est-à-dire de toute causalité. Ainsi traité, l’événement nouveau à venir se juxtapose à l’événement ancien écoulé, mais jamais n’advient de lui. Séquence après séquence.
Une telle mutation provoque curieusement au sein de la population, et c’est très sensible un peu partout, à la fois du renoncement et de la colère, une amnésie profonde face au passé même proche et un désenchantement maladif devant l’avenir, de multiples doléances et une passivité chronique, une revendication de l’ego qui se confond souvent avec une terrible frustration de l’être. On finit par se demander par quel événement, finalement, cette population pourrait bien être surprise. Des catastrophes en tous genres, des faits-divers abracadabrants, des scandales politiques et financiers, des exploits et des contre-exploits sportifs, de la crise, enfin, elle en aura bouffé, bouffé, bouffé tant et tant que le monstre repu rote d’indifférence devant tout ce qui n’est pas atrocement spectaculaire. Ainsi avons-nous pris l’habitude de voir les banquettes de nos autobus et de nos métros, les quais de nos gares et les trottoirs de nos rues désormais jonchés de ces prospectus informatifs, où les gros titres indiffèrent tout le monde, et comment pourrait-il en être autrement ? Etrange consensus au sein d’une majorité - comme on dit depuis toujours – silencieuse, dont la curiosité et l’intelligence ne sont plus, par l’info, sollicitées. Il s’agit, pour chacun, de se faire une opinion, une opinion qui - faute d’être personnelle- se bornerait presque à n’être qu’un devoir civique, comme le sont trier ses déchets ou se rendre au bureau de vote. On dirait que la société de l’info sait déjà tout d’elle-même et des limites dans lesquelles elle tient chacun informé /enfermé. Dès lors, la société de l’info n’est plus qu’une société de l’attente. Une attente aussi hystérique que poussive de l’événement apte – faute de changer quoi que ce soit – à surprendre ; attente à laquelle on a paradoxalement renoncé à s’intéresser, événement dont on a depuis longtemps cessé de croire qu’il puisse advenir pour de bon.
Tous, nous nous demandons régulièrement par quelle magie cet ensemble morne et pourtant terriblement efficace tient debout, combien de temps encore il va duper son monde. Et pendant que nous nous demandons cela, nous passons ; nous passons moroses et indignés, tandis que d’autres arrivent, naïfs et enthousiastes. C’est avec ces mouvements d’opinions que se fabriquent non plus l’Histoire des peuples, mais de simples ondoiements au sein du système, qu’on appelle alternances. Devant un tel état de fait, il me semble que se tenir à l'écart, en retrait, de côté, en dehors ou en marge, comme on voudra, c'est un effort qu'on se doit - à soi comme à autrui. Une mesure, véritablement, de salut public...
01:30 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : actualité, information |
mardi, 14 septembre 2010
Itératif
Je faisais (itératif) ce rêve (je ne le fais plus) il y a fort longtemps. Une gare. Des rails. Au bout des rails, l’évidence et le silence aussi d’une même bibliothèque. Quelque chose comme un sommet, en termes d’esprit. Des reliures ouvragées laissant présager quelque chose (voyez ce que je veux dire : tant de reliures ne laissent dorénavant au solitaire plus rien présager du tout. Or présager, c’est déjà lire)
Désirer.
Une gare, des rails, des lignes, une direction, un sens, tout cela se laisse facilement expliciter.
Et moi, en crieur de journaux, hagard, déconfit, désemparé (sans charre) devant une réalité qui totalement me dépassait (itératif). Me déconcertait (itératif). A présent, désœuvré. Car il n’y a plus de crieurs de journaux dans les rues, hélas . A Lyon, j’en ai connu un, très vieux, un visage chafouin, plissé, un visage de sage sous une casquette à visière, qui quittait les rotatives de la rue Bellecordière avec une pile sous le bras et, s’il vous plait, en uniforme, enfourchait une bicyclette, tournée des bars et des halls de théâtre…
Aujourd’hui, même les chauffeurs de bus n’ont plus d’uniformes…
Et tout le monde roule en bicyclette…
Moi, dans ce rêve (car c’est ça qui compte, moi) entendant soudain, comme Jeanne d’Arc, une sorte de voix roulant ou plutôt parvenant jusqu’à mes tympans qui disait sans dire :
« Qu’écriras-tu, frémissant de tendresse devant ces grilles qu’on fermera, et ces gens qu’on emportera, devant leur peur, leur guerre… »
Et qu'est-ce donc, quoi donc me fit penser à ça, ce songe enfoui, aujourd'hui ?
C'est ce professeur d'italien (italien, ce n'est peut-être pas un hasard ?) d'à peine la quarantaine, le visage émacié, assez maigre (comme on dit en ces temps de surcharge pondérale partout régnante) qui me regarde tout à l'heure derrière ses lunettes rondes et me déclare, m'affirme, d'un ton assez définitif : on assistera à sa fin, pour moi, c'est désormais une affaire d'années, (il parle de l'occident) allez, dix- quinze ans, au train où vont les choses. Sous lui ce fauteuil en tissu empli d'acariens, cette moquette usée, tachée, moche, professorale, qui m'a toujours fait penser à une escale dans l'aéroport de Bucarest, une escale sans fin, en pleine nuit, qui se prolonge, ce bout de tissu sans valeur et qui pourtant demeure, une habitude, quoi...
10:23 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : littérature, société, culture, actualité |
dimanche, 12 septembre 2010
Des mosquées et des hommes
Après le non-événement du non-autodafé par le pasteur Terry Jones de 200 exemplaires du Coran, le non événement du non-attentat terroriste qui était censé s’abattre sur la France (deux non-événements qui ont tous deux occupé la scène médiatique hier jusqu'à ce que Claude Chabrol ne meure), plusieurs questions se posent.
Quel donc l’intérêt :
1) de susciter un climat de peur diffus dans la société et de défiance à l’égard du fait religieux chez les individus.
2) d’entretenir dans l’esprit des gens l’idée qu’une sorte d’islamophobie s’est emparée de l’occident alors que jamais, en réalité, l’occident n’a été aussi islamophile.
3) de considérer que l’intégrisme religieux est le même partout, au sein du christianisme comme au sein de l’islam.
Le sentiment de peur ou celui de malaise profite, on le sait, aux politiques de tous bords, dont le crédit électoral repose en grande partie sur l’illusion qu’ils communiquent d’être alors à même de les dissiper. C’est vrai de Sarkozy et de sa clique, qui par ailleurs, face au danger que les roms feraient peser sur la sécurité des honnêtes gens, proposent la solution de leurs mesures en trompe l’œil. C’est vrai aussi de la gauche et de son « été de la honte », qui en réponse, face aux menaces de fascisme qu’Hortefeux incarnerait pour la République, ne découvre à nouveau que l’incantation de ses formules toutes faites et de ses vœux pieux, faute de proposer une réelle solution, en matière de sécurité comme ailleurs.
En ce qui concerne le deuxième point, je demeure surpris de la mansuétude des droits-de-l’hommistes de tous poils à l’égard d’une religion dont on vient de voir, au Pakistan comme en Algérie, à quel point elle est en effet une religion de la tolérance et du respect des autres !!! Des villages chrétiens sciemment inondés par un gouvernement pakistanais et des infidèles au ramadan rappelés à l’ordre et en cour de justice par un état algérien au garde à vous devant Allah, voilà en effet qui ne mérite pas d’être discuté. Discuté, débattu, diffusé, le délire de Terry Jones, lui, mérite de l’être : fanatisme, intégrisme, aucun terme n’est assez fort pour définir l’horreur de son acte : annoncer qu’on va brûler un livre sacré.
A en croire les politiques et leurs relais médiatiques de tous crins, il devient en effet urgent (pour la liberté des peuples comme pour la culture des individus) de fonder partout et très vite des mosquées, à Ground Zéro, en Suisse comme ailleurs, tant – dans un tel contexte - la religion des musulmans ouvrirait la voie de la lumière à l’humanité enténébrée…
On peut encore en sourire…
Pour longtemps encore ?
13:44 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : ground zero, coran, politique, terry jones, actualité, ramadan |
samedi, 11 septembre 2010
Pas d'étincelles pour le Coran
Au Pakistan, pays à majorité islamiste, un gouvernement laisse de grands propriétaires musulmans détourner des rivières en période d’inondation pour noyer sciemment des villages chrétiens et se débarrasser de leur population à bon compte. Le fait est relaté dans la presse sans déclencher outre mesure un tollé d’indignation parmi les bien-pensants occidentaux. Imaginez un peu un la chose dans l’autre sens…
Aux Etats-Unis, un pasteur intégriste promet de brûler le Coran pour l’anniversaire du 11 septembre. Avant même de passer à l’acte, il fait la une des journaux du monde entier. Même le président Obama s’émeut… Diable... Nous ne sommes plus au temps des autodafés, certes. Il est bon de rappeler toutefois que le Coran n’est qu’un livre, un assemblage de pages comme les tous les autres. Qui n’a de sacré que la subjectivité qu’on y projette ou non. Et qu’entre brûler un livre et noyer sciemment des populations rurales sans défense, il y a bien deux poids deux mesures. Deux poids deux mesures, qu’une certaine tolérance devenue imbécilité paraît ne plus mesurer quand elle crée un tel tintamarre pour si peu, et une telle omerta pour beaucoup. C’est triste.
Aux dernières nouvelles, il semble que Terry Jones, le pasteur en question, ait renoncé à faire avec le Coran de vraies étincelles : avec la presse lobotomisée du monde entier, ça aura suffisamment crépiter depuis trois jours. Much ado about nothing...
11:34 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : terry jones, coran, actualité, politique, religion, 11septembre, obama |
vendredi, 10 septembre 2010
Emanuel Philibertus me regarde ...
Je n’avais pas, depuis longtemps, remis en salle des ventes le moindre orteil. Très étonné du peu de renouvellement de ses figures : elles y sont à peu près les mêmes que lorsque le marteau du commissaire priseur tapait après une somme en francs. Mais un peu plus grises. Plus vieillies. On dirait que la survie aléatoire affirmée ici par des objets, sensation qui m’a toujours beaucoup séduit, est en train de contaminer aussi la fragilité des êtres. Tous vieillissent. Décidément, cet univers-ci a du charme.
Une eau forte du XVIIème siècle d’Emanuel Philibertus Sabaudiae, cadre et gravure en bon état, ne trouvait preneur à 30 euros. Ni à quinze. J’en ai proposé dix, et je suis parti avec elle sur mon vélo. Ne pouvant accrocher au guidon des fauteuils, j’ai dû en laisser filer deux, des Thomet très originaux qu’un broc a emporté pour trente euros la paire. Pendant ce temps, des catalogues proposent des meubles en poudre de chêne pour des amoureux de l’authentique qui laissent à l’arnaqueur plusieurs centaines d’euros. Je savais qu’on faisait des omelettes avec de la poudre d’œufs dans les cantines, j’ignorais qu’on fabriquait des armoires et des bureaux en poudre de chêne dans les boutiques déco pour classes moyennes. Etrange, étrange à l’infini, que nous en soyons arrivés là. A une telle déliquescence du goût, du jugement. A une telle adulation du simple paraître…
- Vraie saloperie, le monde où tu vis, semble à présent me murmurer, du dégradé de gris d’où il me contemple, Emanuel Philibertus, barbe taillée en pointe sur sa fraise. Le poil frisé, l’œil cerné… Tout en lui, prétexte à précise gravure.
- Je n’irais pas jusque là, lui réponds-je. Monde en toc, assurément. Où jamais la prétention du moindre pedzouille n’a été aussi grande, assurément …
Il reste silencieux. Il restera ainsi, dans son cadre finement verni. L’accrochant à un coin du bureau toujours désordonné, je me demande quel goût peut avoir pour lui une telle postérité.
19:05 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, gravure, emanuel philibertus sabaudiae, salle des ventes |
jeudi, 09 septembre 2010
Rue Mercière ...
Je me suis demandé, en la parcourant tout à l’heure, à quoi pouvait ressembler cette rue Mercière au temps serein de sa splendeur. D’un siècle à l’autre, la métamorphose de tant de prestigieux libraires-imprimeurs en restaurateurs suggère, même s’il est assez facile, un commentaire assez accablant pour notre époque. Sébastien Gryphe, Jean de Tournes, François Juste logèrent donc ici, en compagnie de tant d’autres publieurs d’almanachs et de traités, relieurs de livres et tailleurs d’images en tous genres, et voici que je touche un peu du songe leurs enseignes coloriées, là-même où ne s’étale plus que l’ardoise commune de maints plats du jour à quelques euros.
Au musée de l’imprimerie, non loin de là, dans une rue au nom médiéval jusqu’à la caricature (rue de la Poulaillerie, où vécut Pierre Valdo, vestige du vieux marché de la volaille - n’est-ce pas François Villon qui fit dire au frère Archier de Bagnolet : « Meurtre ne fis onc qu’en poulaille… »), la production des anciens maîtres-imprimeurs attend le chaland sous des vitrines impeccablement nettoyées. Là, les colonnes des incunables aux lettrines enluminées, qu’on vient lécher du regard avec ce soupçon de convoitise, gage du beau. J’ai rêvé quelques minutes devant cette page de Der Stadt Nuremberg, qui date de 1595, page posée aux côtés de son bois gravé. Je savais que cette hôtel de la Couronne avait été jadis, la maison du Consulat avant l’édification de l’Hôtel-de-ville des Terreaux. Mais j’ignorais qu’il appartînt auparavant au Crédit Lyonnais. J’ignorais aussi qu’il avait été un bordel.
Sur le chemin du retour m'est venue à l'esprit l'absence prolongée de Marcel Rivière, et je me suis demandé à quel moment de ce besogneux automne à poindre elle finirait par prendre fin.
08:29 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : rue mercière, musée de l'imprimerie, lyon, culture, rues de lyon |
mardi, 07 septembre 2010
Un divertissement suffisant ?
La fête du huit décembre a revêtu depuis quelques années à Lyon, une telle importance touristique et médiatique qu’on se souvient peu qu’en réalité, c’est le huit septembre, jour de la Nativité de la Vierge, qui constitue réellement entre Rhône et Saône une solennité.
Rappel distancié des faits, pour les néophytes : frappée cruellement par une épouvantable épidémie de peste en 1628, puis en 1631, puis en 1638, enfin en 1643, la population de la ville est littéralement traumatisée et le Consulat tout autant débordé. Aussi ce dernier décide-t-il de s'en remettre courageusement à la Divinité. Le roi Louis XIII venant tout juste (en 1638) de placer la France sous la protection de Marie, le prévôt des marchands et les échevins lyonnais se réunissent en urgence à l’Hôtel de Ville et, le 12 mars 1643, imitent le monarque en plaçant solennellement la garde, la protection et la guérison de la ville sous les auspices de la Vierge. Ils formulent alors le vœu que - dans le cas où la ville se remettrait de cette dure épreuve-, eux et leurs successeurs iraient à chaque fête de la Nativité de la Vierge (huit septembre) à pied gravement jusque à la chapelle de Fourvière « pour y ouïr la sainte messe, y faire leurs prières et dévotions à Notre Dame de Fourvière et lui offrir en forme d’hommages et reconnaissance la quantité de sept livres de cire blanche en cierges et flambeaux propres au divin service de la dite chapelle, et un écu d’or au soleil ». Ce vœu, dit « des échevins » (voir le détail ICI) se perpétua de 1643 à 1789. En 1848, en la chapelle rendue au culte, le cardinal de Bonald prononça la première consécration solennelle de Lyon à Marie. Cette consécration fut reconduite sans interruption depuis ce jour par tous les primats des Gaules. Quant au vœu lui-même, il a été remis à l’ordre du jour par le maire Francisque Collomb (1976-1989) qui reprenait à son compte une proposition antérieure du cardinal Gerlier.
Et donc demain 8 septembre 2010, Gérard Collomb, son homonyme socialiste, l’ensemble des élus et des corps constitués, seront donc accueillis vers 16h45, sur l’esplanade de la basilique, par le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon et primat des Gaules, et par Jean Marie Jouham, recteur de la basilique de Fourvière. Le cortège se mettra en marche et pénétrera par l’allée centrale. La cérémonie débutera vers 17 heures pétantes ; après l’homélie du cardinal Barbarin, la remise de l’écu d’or par le maire au prélat aura lieu dans le chœur. Gérard Collomb prononcera alors le dialogue traditionnel, tandis que la chorale entamera un solennel « amen ». Le cierge sera ensuite remis par un tailleur de pierre, qui sera allumé et déposé sur un chandelier. Après la communion, le cardinal Barbarin lira à genoux la prière de consécration traditionnelle de la ville à Marie, avant d’aller vers 18h30/35 la bénir du haut du balcon avec le Saint Sacrement. A ce moment, trois coups de canon seront tirés dans les jardins du Rosaire.
On pourrait croire à la lecture de tout ceci le diocèse de Lyon particulièrement traditionnel et tourné vers le passé : ce serait faire peu de cas du lancement de l’application smartphone qui accompagnera la cérémonie et qui permettra la visite en réalité augmentée de la Basilique de Fourvière et de la cathédrale Saint-Jean. Cette application, « voulue par la Fondation Fourvière, gérante du site de la colline et de la basilique de Fourvière et par le Diocèse de Lyon, est gratuite et destinée aux 2 millions de touristes qui, chaque année, franchissent les portes de la basilique mariale ou de la cathédrale de Lyon » (voir ICI le site « visiter-la-basilique-de-fourviere-et-la-cathedrale-saint-jean-de-lyon-avec-son-telephone » L’application est astucieusement appelée « Zevisit » ; elle est disponible sur smartphone (iPhone, androïd phone et windows phone). Elle permet - y apprend-t-on- un circuit audio-guidé en sept étapes intérieures ou extérieures, pour chacun des monuments où il découvre, selon le principe de la « réalité augmentée » l’histoire, l’architecture, l’art et la spiritualité de ces édifices, grâce aux voix de plusieurs guides, mais aussi de l’archevêque de Lyon, le cardinal Philippe Barbarin, du recteur de la primatiale, le père Michel Cacaud, du recteur de la basilique, Mgr Jean-Marie Jouham, ou encore de l’architecte en chef des monuments historiques, Didier Repellin. Vinzou...
Quelle époque ! auraient certainement soupiré quelques vieux lyonnais que j’ai bien connus et qui ne le diront pas puisqu’ils sont au cimetière : voir tous les vaillants francs-maçons du conseil municipal aller processionner à la queue leu leu jusque devant la crème des huiles catholiques de la cité pour leur faire allégeance (tous en grandes pompes vous dis-je) c’était déjà un sacré spectacle, faute d'un spectacle sacré. Mais ce mélange oxymorique de la plus pure tradition catholique et de la technologie muséale la plus élaborée, mêlant odeur de cierges et interactivité vocale, possède décidément un je ne sais quoi (comme auraient dit Paul Bourget, les frères Goncourt ou Joris Karl Huysmans) de fort intriguant et de franchement indécidable. Si le catholicisme est bien ce sens de la théâtralité la plus parcimonieuse, adapté à l’état du monde et à son désoeuvrement, ou à son ennui, eh bien, nous y voilà : Comme aurait dit le Giono du Roi sans Divertissement, il n’y aura pas de crimes demain dans la ville, et les braves gens pourront y dormir tranquilles. Tout juste quelque reliquat de manifestations inoffensives, puisque l’assassin aura trouvé « un divertissement suffisant ».
09:03 Publié dans Bouffez du Lyon, Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : lyon, nativité de la viérge, voeu des échevins, actualité, culture |
lundi, 06 septembre 2010
Manuel de survie à l'usage de l'auteur...
Dans son Exégèse des lieux communs, Léon Bloy raille savoureusement le mépris très bourgeois affleurant dans l’expression Etre poète à ses heures. C’est à ce texte que m’a fait penser Tu écris toujours, l’entreprise de Christian Cotteret-Emard publiée au Pont du change, qui décline en 19 chapitres sa série de « Conseils aux écrivains ». Car « tu écris toujours ?», cette terrible phrase prononcée par le copain d’école qu’il rencontre deux ou trois fois par an, tout comme « être poète à ses heures », pose implicitement la même question : celle du statut (ou plutôt du non-statut) de l’écrivain dans la société. On parlait de poète maudit à l’époque de Bloy, pourrait-on à présent étendre cette qualification à l’ensemble de la gente écrivaine ?
Ecrire ? Quoi de plus commun, quoi de moins lucratif semble donc penser le représentant de la vox populi, qui conclut l’entrevue par un hochement de tête signifiant : « Décidément, on n’a pas fait des étincelles, toi et moi ! » Il est loin, de fait, ce temps que Paul Bénichou, dans un essai devenu mythique (1) appelait pour qualifier la position de l’homme de lettres « le temps des prophètes ».
De page en page se définit donc peu à peu un profil, une expérience, une nature : marginal et distancié dans la « déplaisante société », l’écrivain doit tout d’abord subvenir à ses besoins avec ce que les autres appellent un travail, mais qu’il considérera lui comme un simple job. « Pour de multiples raisons dont nous nous fichons éperdument, les écrivains dépourvus de rente ou d’héritage cherchent souvent un emploi. Je dis bien un emploi et non un travail, car tous les écrivains ont un travail » ; la perle rare demeurant bien sûr, « un job qui vous permettra d’être payé à ne rien faire ». Cela devient, concède Cottet-Emard, de plus en plus difficile. Qu’importe. L’écrivain doit poursuivre son œuvre malgré les rebuffades des éditeurs, le provincialisme des prix littéraires ou le sarcasme des amis et, s’il réussit, les questions imbéciles des journalistes comme les caprices des mécènes.
Ce dernier point concerne évidemment l’écrivain en partie institutionnalisé ; celui qui aurait, comme Sollers avec Venise, réussi à se forger, parmi tant d’autres, une image. Car c’est au fond la seule distinction que la société du spectacle est à même de proposer à celui qui écrit : cette image entre gloire et dérision, impuissance et facticité, le tout teinté d’une persistante fascination. D’où le ton à la fois caustique et léger avec lequel le poète-sociologue Christian Cottet-Emard enquête sur lui-même et les quelques spécimens parmi les siens. A lui le fin mot de l’histoire : « Le problème n’est pas de savoir si vous êtes un bon ou un mauvais écrivain. Savez-vous faire autre chose ? Voilà la vraie question et, bien sûr, la réponse est non. »
(1) Paul Bénichou, Le sacre de l’écrivain (1973), Le temps des prophètes (1977), Quarto Gallimard, 1996
Christian Cottet-Emard : Tu écris toujours ? Manuel de survie à l’usage de l’auteur et de son entourage ; éd. Le Pont du Change, 161 rue Paul Bert 69003 Lyon.
18:17 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, écriture, pont du change, cottet-emard |
dimanche, 05 septembre 2010
Roger Kowalski
« ayez pour moi les yeux du bel octobre, parlez à moi qui suis par l’ombre dessiné ;
qu’un seul regard disperse mes oiseaux, je vous retrouve ; qu’ils reviennent, l’aube seule à mon départ s’enflamme » (1)
Né à Lyon le 31 août 1934, Roger Kowalski y mourut le 6 septembre 1975, des suites d’un accident cardiaque. Avec l’Occupation et la Résistance qui s’organisait, Lyon était devenue à partir des années 1942 cette « grande et sombre ville du complot » dont parle Camus dans sa préface aux Poésies Posthumes de son ami René Leynaud (1910-1944) fusillé par les Allemands. La poésie y connut alors une vitalité et un rayonnement qu’elle n’avait pas retrouvés depuis la Renaissance, autour notamment de la revue Confluences. Cet élan ne s’éteignit pas tout à fait avec la fin de la guerre et la place retrouvée de Paris en tant que capitale intellectuelle du pays. Des revues éphémères naquirent, tel que Delta, qui ne connut qu’un numéro en 1948, ou les Cahiers syntaxe qu’animèrent Robert Droguet et Armand Henneuse. Ce dernier publia non seulement Alain Borne, Ponge, Seghers, mais aussi des poèmes de jeunes lyonnais, tels Raymond Busquet, Bernard Dumontet, Annie Salager… Autour d’Henneuse, un groupe se forma qui publia même un recueil collectif, Départs, dans les années 50. C’est au sein de ce groupe d’amis que les premiers poèmes de Roger Kowalski et Raoul Bécousse, parmi d’autres, trouvèrent un écho favorable. Alain Bosquet, alors chargé de cours de littérature américaine à la Faculté des Lettres de Lyon, publiera la première anthologie lyonnaise de la génération 1960 dans sa luxueuse revue L’VII (n° 6, juillet 1961). On ne saurait parler à leur propos d’une véritable et nouvelle école : Dumontet les présente ainsi : « Ce sont des amis. Ils se sont rencontrés peu à peu et reconnus ; ils ont une certaine idée de la qualité nécessaire, mais ils n’ont d’autre plaisir que de se savoir différents, et de voir chacun faire fructifier son propre domaine ».
Lecteur des romantiques allemands, de Rilke et de Trakl, mais aussi de Julien Gracq et de Saint-John Perse, Kowalski avait fait des études classiques chez les Jésuites et suivi des cours au conservatoire d’art dramatique avant d’effectuer son service militaire en Algérie, avant de devenir régisseur d’immeubles. Un prix Roger Kowalski a été créé par la ville de Lyon en 1984. Il fonda la galerie K en 1974, dans laquelle il exposait graveurs et peintres et à laquelle il se consacra totalement jusque sa mort. Grâce à son épouse Colette, la galerie K survécut quinze ans après la mort du poète.
Colette Kowalski (1936-2006), exerça une importante activité de traductrice de l'allemand. Avec François Montmaneix, poète et ami, elle publia au Cherche-Midi, avec le concours du Centre National du Livre, les Poésies complètes de Roger Kowalski :
Le Silenciaire : extraits, Chambelland 1961
La Pierre milliaire, Les Cahiers de la Licorne, 1961
Augurales, L.E.O., 1964
Le Ban, Chambelland, 1964 (Prix Artaud)
Les Hautes Erres, Seghers, 1966
Sommeils, Grasset, 1968
A l’oiseau à la miséricorde, Chambelland, posthume 1976
(1) A l’oiseau, à la miséricorde, 1976
Voici l’article que Pierre Perrin publia à l’occasion de l'édition des O.C. au Cherche Midi (NRF n° 557 – Avril 2001)
19:24 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, roger kowalski, poésie, lyon, culture |