jeudi, 03 juin 2010
Critique de la technologie
J’aime tout particulièrement lire des textes argumentés sur la critique de la technique (Adorno, Anders, Arendt, mais aussi Bloy, Bernanos, Ellul…). Et pour tout dire, je fais plus qu’aimer ces lectures, elles sont nécessaires à la distance nécessaire à ma survie. Car je suis né dans un environnement technique et je vis à présent dans un environnement technologique. Or, il m’est de plus en plus difficile d’adopter un point de vue et un recul suffisants pour, tout en l’utilisant, garder cet œil juste, et cette mémoire correcte, face à l’illusion de toute puissance qu’offre cette putain de technologie. Si je jette un œil sur mon existence, force m’est de constater que cet environnement m’a été imposé, et que certes, je ne l’aurais pas choisi. J’ai subi la technique. J’en profite aussi, bien entendu. Je profite de ses effets seconds. Comme nous tous. Mais je subis aussi ses effets premiers. Hélas.
Et si je pense que les ouvrages critiques sur la société technique sont si utiles, c’est parce que pour moi, la technique n’est pas une cause de la civilisation. Elle n'en est (comme l’écriture, dans le très beau texte de Levi-Strauss) qu’une conséquence. (1)
Mis de côté leurs intérêts seconds, que je ne nie pas, la technique et la technologie sont de redoutables instruments d’aliénation, et deux formes de mystifications assez redoutables pour le salut des intelligences.
(1) Nous avons commencé - et ce n'est qu'un début - à payer fort cher cette confusion dont, hélas, nous ne sommes guère responsables, étant nés après que la plupart des décisions visant à imposer le modèle technique et technologique comme modèles prioritaires de société (je n'ose parler de civilisation) ont été prises.
06:32 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : technologie, société, critique, adorno, anders, bloy |
mercredi, 02 juin 2010
La table de Claude (3)
Jeudi, jour de catéchèse. Dans un vieil appartement de la rue Alsace Lorraine encore décoré à la façon des années trente – avec ces abat-jour à cordons, ces massives tentures, ces bibelots partout disséminés dans le clair-obscur et ces boiseries teintées, j’écarquille les yeux afin de comprendre ce que me raconte une vieille, dont j’ai oublié le nom. Abraham sacrifiant; Moïse ouvrant la mer; Jonas pardonné : de tous les personnages dont la fabuleuse existence me décontenance, c’est encore Sébastien que je préfère. Sébastien, quand il faut rejoindre la maison, face à la vieille laiterie savoyarde, n’est-ce pas sa rébarbative pente, faite de beaux pavés carrés et gris, que nous grimpons ? C’est un peu comme s’il était encore de ce monde, de notre colline. Son nom signifie « celui qui poursuit la béatitude », rien que ça. Voilà qui m’enchante. Quand je serai grand, plutôt que d’être clown ou pompier, ou bêtement chauffeur de bus, comme tous mes petits camarades ont l’air de désirer l’être, pourquoi ne poursuivrais-je pas, moi aussi, la béatitude ? Quelle belle occupation sur Terre ! Sébastien, transpercé de flèches au point, nous racontait cette vieille dame assise dans une profonde bergère, « de ressembler à un hérisson » ! Sébastien, qui fut laissé pour mort par les archers de Dioclétien, et qu’on vit pourtant arpenter les remparts du palais impérial comme s’il en était encore le favori, et narguer les empereurs à cause de tout le mal qu’ils avaient fait aux chrétiens !
Quand je longe la rue des Fantasques, en revenant de mon école aux plafonds immenses, j’espère toujours surprendre sa silhouette à mon tour, son spectre sinistre et joyeux, son cœur épineux, chantant la gloire des martyrs et celle du Christ Roi. Quelque chose du passé glorieux de l’Empire affleure dans le mutisme de cette ville, entretenu par les saisons ; mais le gris de la pierraille et le crépi sombre des immeubles qui m’en imposent n’en laissent rien paraître. En fin d’après-midi, du côté de la plaine où clignotent des lumières, sous les arches qui surmontent le pont de la Boucle, décline aux confins de la ville un rêve désuet de dentelle et d’acier, comme s’il avait fallu alors persuader les hommes que les industriels étaient de bien meilleurs protecteurs que les martyrs. Le soir, avant de réciter ma prière, j’hume dans mes habits que je retire ce parfum si spécifique, mélange de lavande, de naphtaline, et d’eau de Cologne, dont tapis et coussins sont là-bas tout imprégnés. Le Rhône file entre ses quais. Derrière Fourvière veillent les roches du Forez. Dans le reflet d’elle-même qu’elle accorde avec parcimonie à ceux qui l’habitent, elle est grise et fermée comme son passé, cette ville, au soir tombé.
06:08 Publié dans La table de Claude | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, tables claudiennes, montée saint-sébastien |
mardi, 01 juin 2010
Stats de mai
Un mois de plus. Un an de plus, également. Merci à tous les lecteurs, commentateurs, passagers de ce blogue.
Visiteurs uniques | Visites | Pages | Pages par jour (Moy / Max) | Visites par jour (Moy / Max) |
---|---|---|---|---|
2 532 | 8 483 | 28 257 | 911 / 1 495 | 273 / 396 |
Statistiques quotidiennes
1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 | 17 | 18 | 19 | 20 | 21 | 22 | 23 | 24 | 25 | 26 | 27 | 28 | 29 | 30 | 31 | Moy |
Date | Visites | Pourcentage | Pages | Pourcentage |
---|---|---|---|---|
01.05.2010 | 303 | 3.57% | 903 | 3.20% |
02.05.2010 | 250 | 2.95% | 787 | 2.79% |
03.05.2010 | 239 | 2.82% | 1 053 | 3.73% |
04.05.2010 | 245 | 2.89% | 843 | 2.98% |
05.05.2010 | 304 | 3.58% | 938 | 3.32% |
06.05.2010 | 309 | 3.64% | 1 158 | 4.10% |
07.05.2010 | 299 | 3.52% | 1 075 | 3.80% |
08.05.2010 | 348 | 4.10% | 1 495 | 5.29% |
09.05.2010 | 252 | 2.97% | 831 | 2.94% |
10.05.2010 | 306 | 3.61% | 1 005 | 3.56% |
11.05.2010 | 249 | 2.94% | 875 | 3.10% |
12.05.2010 | 269 | 3.17% | 837 | 2.96% |
13.05.2010 | 263 | 3.10% | 933 | 3.30% |
14.05.2010 | 322 | 3.80% | 1 074 | 3.80% |
15.05.2010 | 250 | 2.95% | 747 | 2.64% |
16.05.2010 | 270 | 3.18% | 886 | 3.14% |
17.05.2010 | 396 | 4.67% | 1 120 | 3.96% |
18.05.2010 | 267 | 3.15% | 875 | 3.10% |
19.05.2010 | 278 | 3.28% | 913 | 3.23% |
20.05.2010 | 222 | 2.62% | 786 | 2.78% |
21.05.2010 | 238 | 2.81% | 765 | 2.71% |
22.05.2010 | 252 | 2.97% | 796 | 2.82% |
23.05.2010 | 253 | 2.98% | 671 | 2.37% |
24.05.2010 | 293 | 3.45% | 1 003 | 3.55% |
25.05.2010 | 234 | 2.76% | 714 | 2.53% |
26.05.2010 | 300 | 3.54% | 860 | 3.04% |
27.05.2010 | 325 | 3.83% | 960 | 3.40% |
28.05.2010 | 254 | 2.99% | 836 | 2.96% |
29.05.2010 | 284 | 3.35% | 839 | 2.97% |
30.05.2010 | 297 | 3.50% | 783 | 2.77% |
31.05.2010 | 291 | 3.43% | 896 | 3.17% |
22:52 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : solko |
lundi, 31 mai 2010
Radio-Ukraine
1920… Premières écoutes de la radio, au fin fond de l’Ukraine.
Celui du milieu, ébloui, intériorisé comme s’il écoutait respectueusement Dieu le Père. L'effroi et la soumission tout à la fois dans ce regard debout. Celui de droite, fixant l’appareil, guettant d'un air un peu las quel diable pourrait sortir de la boite rectangulaire. Ce ne sont pourtant que des hommes qui leur font cette sale blague. De simples mortels. Ils auront le temps de s'en rendre compte, peut-être. Avant de mourir à leur tour.
L’enfant, comprenant vaguement que là-dedans commence à se jouer son avenir, l'enfant entre intérêt, malice et inquiétude. Si cette enfant vit encore, elle est au moins nonagénaire. Cet avenir dans lequel nous sommes, immergés jusqu'au trognon...
00:20 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : technique, radio, ukraine, télécommunication |
dimanche, 30 mai 2010
C'est la fête à Pétain
En ce jour de « fête des mamans » (1), il est bon de rappeler qu’en France du moins, c’est le maréchal Pétain qui inscrivit au calendrier laïc en 1941 cette habitude ingénue de célébrer les mères une fois l'an. Dès juin 40, Pétain avait compris que la France n’était pas prête à faire face à une nouvelle saignée démographique, après la rude boucherie de Quatorze Dix-Huit et toutes les séquelles endurées par une génération entière. Il choisit donc, avec la bénédiction de presque tous les cadres de l’armée, de nombreux hommes politiques et d'une bonne partie de la population, de donner au pays le temps et l’heur de se repeupler en signant l'armistice. Repeupler le pays pour retrouver un jour les moyens de la lutte et ceux de la suprématie : tel était le but avoué de cette politique nataliste dont surgit directement cette fête avec pour la légitimer des alibis antiques discutables. On sait comment tout ceci s'acheva dans une collaboration des plus funestes. La fête des mères s’est-elle dégagée de cette empreinte idéologique ? Oui, bien sûr. Mais pour aussitôt tomber dans une autre.
Le 24 mai 1950, elle fut pérennisée par la Quatrième République. En 1952 suivit la fête des Pères. Puis celle des Grands-mères. Puis celle des Amoureux. Et toutes les journées de ceci, de cela... Le commerce qui sait faire feu de tout bois s'est engouffré là-dedans peu à peu, puis a remplacé la religion et l’Etat dans la structuration du calendrier des consommateurs-géniteurs-électeurs-téléspectateurs que nous sommes devenus. Est-ce un acquis ? Je me souviens m’être toujours, comme beaucoup de gens, interrogé sur la valeur de ces fausses traditions, venues en supplanter d’autres depuis guère plus d'un demi-siècle. Et j’avoue m’interroger encore. Avons-nous besoin de tout cela ?
(1) Avez-vous remarqué comme ce mot qui appartient aux enfants leur a été peu à peu dérobé par toutes sortes de gens, et dans toutes sortes d'intentions ?
12:49 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : fête des mères, société, actualité, pétain |
samedi, 29 mai 2010
L'ipad selon Paul Lazarsfeld
"Le contenu de la culture populaire, le kitsch, est en train de détruire l'idéologie des travailleurs et de remplacer leur conscience de classe, leur moralité politique par des banalités sans intérêt. II a fallu des décennies aux travailleurs pour prendre conscience de leur identité de classe. Par leur pouvoir de séduction et de contrainte, les mass media les en écartent. Pis encore, l'idéologie diffusée par les produits de la culture de masse implique une acceptation bourgeoise de l'état de choses existant ; cette idéologie est presque inconsciemment absorbée par les travailleurs lorsqu'ils lisent la presse à gros tirage, lorsqu'ils vont voir des films médiocres, lorsqu'ils restent rivés à leur écran de télévision.
Les adversaires de ces arguments font observer que les ouvriers ont toujours été exposés à la culture de classe dominante, mais qu'ils ont toujours su, jusqu'à présent, préserver leur propre culture, leur conscience, leur identité de classe envers et contre tout. En outre, si leur foi militante est assez fragile pour être à la merci de la télévision, c'est qu'elle est prête à s'effondrer au premier choc.
La crainte que la diffusion de la culture de masse ne provoque un recul de la culture des classes laborieuses n'est certainement pas sans fondement. Ce processus a fait l'objet d'une bonne analyse dans le livre de R. Hoggart, The Uses of Literacy [1], et sans aucun doute, il agit aussi nettement en France que dans les milieux populaires décrits par Hoggart. Ce n'est heureusement pas mon rôle de juger du bien fondé de l'argument et de l'ampleur du péril."
Paul Lazarsfeld, Exposé Introductif, Communication n°5, 1965
[1] 1. Hoggart (R.), The Uses of Literacy, Changing Patterns in English Mass Culture Fairlawn, New-Jersey, Essential Books, 1957.
18:43 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : paul lazarsfeld, ipad, apple, société, politique |
vendredi, 28 mai 2010
Suicides
Il parait que le taux de suicide est plus élevé chez les professeurs que chez les policiers. Mais on en parle moins, parce qu’ils ne se tuent pas avec leur arme de service...
20:17 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : éducation nationale, suicide, société, politique |
jeudi, 27 mai 2010
Le pouvoir est ailleurs
Soir de grève. Tout le monde est content : les syndicats, pas déshonorés, disent-ils. Ils ont pu compter leurs troupes. Le gouvernement. Pas ébranlé dans sa légitimité, dit-il. Il continuera à piloter les réformes nécessaires. Cette cogestion tranquille des affaires du pays dure depuis si longtemps, de prétendue alternance en alternance prétendue, que je me demande comment des gens peuvent avoir la naïveté de penser que les représentants divers de l’ordre technicien qui structure le monde vont frémir ou sourciller en les voyant défiler ainsi.
J’en suis même à me dire que dans le plan de mesures d’économie concocté par les syndicats à l’usage du gouvernement figurent ces journées de « lutte », ponctuelles et parfaitement inutiles en terme de revendication, mais qui à chaque fois permettent de prélever dans la masse salariale une part consentie par chacun au nom d’un droit de grève qui, finalement, comme le droit de vote, dans le système technicien, se retourne contre celui qui croit en disposer pour l’enfermer un peu plus dans une logique de spectacle, c'est-à-dire d’impuissance et de mort.
20:57 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : politique, société, grève, retraite, sarkozy, ps, ump, syndicats |
mercredi, 26 mai 2010
Mai pourri
La fenêtre est ouverte. Super, cette pluie, vraiment ! D’habitude, toujours les mêmes stations de poivrots gueulards, pseudo anars, pseudos libertaires, pour confondre sous nos fenêtres espace publique et espace privé, gens devenus depuis lurette adeptes de l’alcoolisme municipalement organisé. Ah la politique culturelle des municipalités fauchées françaises, d'un parti comme de l'autre, vraiment. Super, cette pluie !
Au lieu de les entendre brailler, là, c’est calme. On respire la fraîcheur, la jeune verdure des platanes, le silence des flèches d’eau - Car la pluie qui tombe passe, désormais, pour du silence dans nos villes vacarmeuses.. Les flaques et les rigoles luisent sur le sable. Il pleut. Quel beau mois de mai pourri, vraiment.
22:04 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : pluie, actualité, printemps |