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mercredi, 02 juin 2010

La table de Claude (3)

 Jeudi, jour de catéchèse. Dans un vieil appartement de la rue Alsace Lorraine encore décoré à la façon des années trente – avec ces abat-jour à cordons, ces massives tentures, ces bibelots partout disséminés dans le clair-obscur et ces boiseries teintées, j’écarquille les yeux afin de comprendre ce que me raconte une vieille, dont j’ai oublié le nom. Abraham sacrifiant; Moïse ouvrant la mer; Jonas pardonné : de tous les personnages dont la fabuleuse existence me décontenance, c’est encore Sébastien que je préfère. Sébastien, quand il faut rejoindre la maison, face à la vieille laiterie savoyarde, n’est-ce pas sa rébarbative pente, faite de beaux pavés carrés et gris, que nous grimpons ? C’est un peu comme s’il était encore de ce monde, de notre colline. Son nom signifie « celui qui poursuit la béatitude », rien que ça. Voilà qui m’enchante. Quand je serai grand, plutôt que d’être clown ou pompier, ou bêtement chauffeur de bus, comme tous mes petits camarades ont l’air de désirer l’être,  pourquoi ne poursuivrais-je pas, moi aussi, la béatitude ? Quelle belle occupation sur Terre ! Sébastien, transpercé de flèches au point, nous racontait cette vieille dame assise dans une profonde bergère, « de ressembler à un hérisson » ! Sébastien, qui fut laissé pour mort par les archers de Dioclétien, et qu’on vit pourtant arpenter les remparts du palais impérial comme s’il en était encore le favori, et narguer les empereurs à cause de tout le mal qu’ils avaient fait aux chrétiens !

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Quand je longe la rue des Fantasques, en revenant de mon école aux plafonds immenses, j’espère toujours surprendre sa silhouette à mon tour, son spectre sinistre et joyeux, son cœur épineux, chantant la gloire des martyrs et celle du Christ Roi. Quelque chose du passé glorieux de l’Empire affleure dans le mutisme de cette ville, entretenu par les saisons ; mais le gris de la pierraille et le crépi sombre des immeubles qui m’en imposent n’en laissent rien paraître. En fin d’après-midi, du côté de la plaine où clignotent des lumières, sous les arches qui surmontent le pont de la Boucle, décline aux confins de la ville un rêve désuet de dentelle et d’acier, comme s’il  avait fallu alors persuader les hommes que les industriels étaient de bien meilleurs protecteurs que les martyrs. Le soir, avant de réciter ma prière, j’hume dans mes habits que je retire ce parfum si spécifique, mélange de lavande, de naphtaline, et d’eau de Cologne,  dont tapis et coussins sont là-bas tout imprégnés.  Le Rhône file entre ses quais. Derrière Fourvière veillent les roches du Forez. Dans le reflet d’elle-même qu’elle accorde avec parcimonie à ceux qui l’habitent, elle est grise et fermée comme son passé, cette ville, au soir tombé.

 

06:08 Publié dans La table de Claude | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, tables claudiennes, montée saint-sébastien | | |

Commentaires

Je viens de relire les trois chapitres (épisodes) de "La Table de Claude" et c'est émouvant de vivre ainsi avec le jeune narrateur, dans le Lyon du milieu du siècle dernier.
Arpenter la rue des Fantasques, peiner dans la montée Saint-Sébastien, regarder le Pont de la Boucle et ses arches aériennes. Rêver avec lui dans son rendez-vous au carreau...
Merci Solko, de ce texte, et de cette envie qu'il nous donne de rester fantasque...

J'ai depuis longtemps en fond d'écran (au boulot et sur mon perso) l'amphithéâtre des Trois-Gaules et je continue de le voir...

Écrit par : Michèle | vendredi, 04 juin 2010

Me reviennent les images de mes rares (et toujours trop courts) séjours à Lyon, notamment en cet appartement au numéro 1 de la rue du Plat, dont l'occupant (cousin éloigné et photographe de métier, il faudra que je retrouve l'adresse de son magasin) aimait à dire que Napoléon 1er y avait sejourné. J'ignore si l'anecdote est vraie. Mais grands dieux oui, j'ai aimé cette ville ! Et comme j'apprécie de la retrouver ici !

Écrit par : Le Photon | samedi, 05 juin 2010

@ Michèle :
Le plus vieux parlement de France - ou du moins ce qui en reste - dans votre ordinateur : n'est-ce pas proprement fantasque ?

@ Photon :
Je suis allé consulter les dictionnaires de Marcel Rivière et je n'ai rien trouvé concernant un séjour de Napoléon dans cet immeuble. Anecdote vraie ou pas, je n'en sais donc rien. Vraisemblable, en tout cas, car l'Empereur a séjourné très souvent à Lyon.

Écrit par : solko | samedi, 05 juin 2010

@ Solko : Ajoutons que la rue du Plat est toute proche du pont Bonaparte. Merci en tout cas d'avoir entrepris cette recherche !

Écrit par : Le Photon | samedi, 05 juin 2010

@ Photon : Sur le pont qui porte à présent son nom (reconstruit), en tout cas, Napoléon passa pour traverser la Saône, c'est certain, en provenance de Grenoble et après avoir pris le pont de la Guillotière : il y en a qui disent que là commencèrent les fameux Cent Jours.

Écrit par : solko | samedi, 05 juin 2010

@ Solko : oui, je crois que c'est juste après la rencontre à Grenoble avec les troupes de Ney, qui se rallia alors à lui.

Écrit par : Le Photon | samedi, 05 juin 2010

@ Solko : tout à fait par hasard, cette discussion trouve un écho chez Feuilly...

Écrit par : Le Photon | samedi, 05 juin 2010

je tombe avec retard et émerveillement sur ces billets autobiographiques, Solko!

merci de donner au quartier que j'habite une réelle épaisseur, on entend tellement de bêtises à son sujet !

Écrit par : thomas p | samedi, 07 août 2010

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