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mercredi, 01 décembre 2010

Ce que la neige ramène aux hommes

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Louis Antoine BEYSSON (1856-1912)

Locomotive dans la neige

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18:14 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : peinture, neige, littérature, louis antoine beysson | | |

Au commencement était la neige

Si Jean Giono est le romancier de la neige, Yves Bonnefoy en est bien le poète.  Le titre du recueil qu’il publie en 1991 (Début et fin de la neige) l’annonce comme une évidence : avec son commencement, sa durée, sa disparition, la neige possède bien, comme les mots, une histoire dont l'incarnation éclipse toute autre que la sienne. En quinze poèmes, Bonnefoy s'aventure à la déchiffrer 


Première neige tôt ce matin. L'ocre, le vert

Se réfugient sous les arbres

Seconde vers midi. Ne demeure

De la couleur

Que les aiguilles de pin 


C’est bien cela, tout d'abord, la première sensation de la neige : cet effacement progressif qui prend la forme d'une restriction du visible, immobilisant, dit le poète, le fléau de la lumière. Mais en même temps sa blancheur, qui  rend le miroir vide donne à nos gestes, nos pas, nos paroles, une nouvelle lisibilité. L’enfant, dit Bonnefoy « a toute la maison pour lui », puisque les temps de neige permettent une exploration de l’instant différenciée de celle des jours ordinaires :

 

A ce flocon

Qui sur ma main se pose, j’ai désir

D’assurer l’éternel 

En faisant de ma vie, de ma chaleur,

De mon passé, de ces jours d'à présent,

Un instant simplement : cet instant-ci, sans bornes

 

Illusion fugace, bien sûr. Mais illusion ô combien légitime ! Car elle assure la venue, concomitante à la sienne, de l’expérience poétique. Voilà pourquoi, en lieu et place de la construction d’un conventionnel bonhomme de neige, qui signerait une action humaine, l’enfant préfère s’enchanter de l’image qu’il saisit du manteau d’une « Vierge de Miséricorde » de neige :

 

« Contre ton corps

Dorment, nus,

Les êtres et les choses et tes doigts

Voilent de leur clarté ces paupières closes. »

 

Le monde est comme re-dit par cette neige. Le moindre accroc au silence de celui qui marche briserait la sérénité de cette comparaison. « J’avance », dit plusieurs fois le poète ; et « on dirait ». Voilà que cet enneigement du monde semble, à celui qui en écoute la chute,  un art poétique. Moment de dévoilement  :

 

« On dirait beaucoup d’e muets dans une phrase.

On sent qu’on ne leur doit

Que des ombres de métaphores. »

 

La neige sur laquelle nous avons avec le poète cheminé est ainsi devenue l'incarnation même du langage poétique. Sa matière visible. Nous voici à l’avant-dernier poème, à l’arrivée de la lumière. Soudainement christique, la neige, dont la présence pareille au verbe eut un commencement, va gouter dans sa chair l’expérience de la fin. Nous en serons le spectateur. Ou, plus poétiquement, l'auditeur : 

 

« Et c’est comme entrerait au jardin celle qui

Avait bien dû rêver ce qui pourrait être,

Ce regard, ce dieu simple, sans souvenir

Du tombeau, sans pensée que le bonheur,

Sans avenir

Que sa dissipation dans le bleu du monde.

 

Non ne me touche pas, lui dirait-il,

 

Mais même dire non serait de la lumière. »

 

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09:25 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : yves bonnefoy, poésie, neige, littérature | | |

mardi, 30 novembre 2010

Commentaires sur Guy Debord

Comme si entrer dans ce mois de décembre où triomphent les fêtes ne lui avait vraiment rien dit qui vaille, Guy Debord se donna (comme on dit) la mort le 30 novembre 1994. Avant de mettre fin à ses jours, il écrivit à Brigitte Cornand, qui signait Guy Debord, son art, son temps, un film d'une heure retraçant les étapes de sa carrière, un bref courrier dans lequel il disait : « On gagne beaucoup à ne pas chercher, ni accepter, de se soigner ».

 Aujourd’hui comme hier, fort nombreux sont ceux qui tournent vers Debord un œil suspicieux, le considérant comme un donneur de leçons prenant facilement la pose hors-champ, un réactionnaire romantique, un mandarin déguisé en révolutionnaire, un contestataire impuissant, un penseur paranoïaque...  que n’a-t-on dit de lui ? Normal. Sa « notoriété anti-spectaculaire » fut d’autant plus provocante qu'elle était, comme il le déclara lui-même dans les Commentaires sur la société du spectacle (1985), extrêmement rare : « Je suis moi-même, disait-il, avec le timbre et le ton lancinant qui caractérisent le bonhomme, l’un des derniers vivants à en posséder une ; à n’en avoir jamais eu d’autre. »

Un véritable snobisme Debord aura donc survécu à Debord, le figeant dans sa légende et lui octroyant jusqu'à plus soif des adeptes dont il aurait profondément ricané. Les marchands de livres en ont fait une marque, un label, qu’ils exposent dans différents rayons : Ici, c’est économie ; là, sociologie ; là, encore, communication

 

 

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10:47 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : guy debord, situationnisme, littérature, spectacle | | |

lundi, 29 novembre 2010

Joinville et la frêle mémoire de Saint-Louis

Je me demande quel effet cela fait d’être sacré roi à douze ans, comme le fut Louis IX, en cathédrale de Reims, le 29 novembre 1226. Sans doute ne pouvons-nous qu’imaginer la chose, et encore à grand peine. Pour ne pas dire pas du tout.

Que pouvait-il bien se passer dans la tête d’un gamin de 12 ans, dans la France féodale de l’époque, en train de devenir un roi chrétien ?  

Jacques le Goff date la naissance du purgatoire du règne de son grand-père, Philippe Auguste (1). Il explique que le XIIIème siècle fut celui de l’organisation, du calcul et de la cartographie, le temps où « les marchands et les fonctionnaires établirent les premiers budgets », où apparurent les premiers registres et se développa, en parallèle des comptes, une géographie de l’au-delà :

« La cartographie terrestre, réduite alors à des sortes d’idéogrammes topographiques, s’essaie au réalisme de la représentation topographique. La cartographie de l’au-delà complète cet effort d’exploration de l’espace, tout chargé de symbolisme qu’il soit encore ».

 

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 Joseph Lamberton, Louis IX, départ pour la 7ème croisade

Eglise Saint-Louis à Saint-Etienne

 

 

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dimanche, 28 novembre 2010

Drucker, peut-être ?

Les débats sur la mort, l’autre vie ou la survie de la littérature m’emmerdent, c’est vrai. Car rien n’en sortira de vivifiant, jamais. Rien de charnel, de consistant.

Ce que je dis, c’est qu’un véritable grand texte demeure, pour de vrai, intraduisible. Un grand texte contraint ses lecteurs à le lire dans sa langue.

Fut un temps, on apprenait l’italien pour Dante. L’anglais pour Shakespeare. Le français pour Chateaubriand. Le russe pour Dostoïevski.  

Proust et Céline furent sans doute les derniers écrivains français  pour qui vaille le coup d’apprendre le français. L’effort. La peine.

A l’esprit de qui cela viendrait-il  d’apprendre le français pour lire Nothomb, Beigbeder ou Houellebecq ?

On les traduit, c’est plus commode.

Et c’est là que le bât blesse…

La littérature traduisible a tué la Littérature. Traduire Mathias Enard, n'importe quel lycéen devrait encore en être capable. Sans doute est-ce la raison pour laquelle il a décroché leur Goncourt.

Celle idéologie douce, cette idéologie de lycéens, qui veut que nous soyons un monde pareil, une seule humanité, une société mondialisée, a brave new wold, n’a plus besoin d’écrivains.

Tout juste d’images et de sportifs. De sportifs aux dents propres.

Cette idéologie douce, si consensuelle, qu’il n’y a RIEN à en dire, et rien à en écrire

 Drucker, peut-être ?

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samedi, 27 novembre 2010

La bourse ou la vie

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Degas - Portraits à la Bourse.

 

Que des spéculateurs puissent aussi facilement s’attaquer à des Etats, que des gouvernements puissent aussi facilement se dédouaner de leurs responsabilités, n’est-ce pas la preuve d’une faillite globale de la civilisation même ?

Le vocabulaire guerrier, mis au service de la défense des intérêts particuliers, s’est emparé de l’économie, il a gagné le discours politique, institutionnel, sociétal, démocratique : chaque parti cherche son « patron », chaque syndicat son « leader », chaque équipe son « coach », et chacun son banquier.  

Ce qui fait couler le navire est un processus suicidaire dans le crédit duquel, un jour,  tout le monde a placé au moins un penny : tout le monde le sait, chacun en témoigne à sa façon, dans un banquet de dupes où quiconque voit son voisin manger une part plus petite ou plus grande que lui du même gâteau crie à l’inégalité de son seul point de vue.

La langue de bois accouche ainsi d’un langage de fer généralisé, qui tient lieu de morale pragmatique devant laquelle, peu ou prou, tout esprit est sommé de s’incliner. 

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10:55 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, argent, économie | | |

jeudi, 25 novembre 2010

Chronique de Zitrone et de Spinoza

 

Chronique de la colline (n° 14)

C’était hier le jour de la nèfle. Du moins, si l'on en croit le calendrier révolutionnaire du joyeux Fabre d’Eglantine, qui n'eut cours que de 1792 à 1806. Toujours selon le même calendrier, nous serions aujourd’hui exactement  le 5 de frimaire : ce qui entre en correspondance avec la vague de froid qui, comme le sussurrent en souriant les charmantes présentatrices de la météo, «s'abat,»,  «pénètre » et « s’installe » sur l’ensemble du pays depuis quelques jours. Foutre ! Selon les termes mêmes de la Convention nationale de l'époque, qui toujours se montra fort soucieuse de l'étymologie, ce mois-là tirait son nom du froid tantôt sec tantôt humide qui se fait sentir de novembre en décembre.

Wikipédia nous apprend fort doctement que, dans le Morvan, on appelle la nèfle  « cul de chien » ou encore « cul de singe », et qu’en Algérie, il n’est pas rare d’en trouver dans les faubourgs et les banlieues des grandes villes. C’est une grande chose que la vulgarisation de l'érudition qu'autorise cette précieuse encyclopédie en ligne. Grâce à elle, tout se sait, tout l’temps, même si tout aussitôt, tout s'oublie. Mon savoir sur les nèfles demeurait jusqu’à ce jour aussi nul que le score de l'Olympique Lyonnais  hier soir face à Schalke 04. Il le sera encore à nouveau demain, sans nul doute. Mais, comme aurait dit Gabin, l'acteur  au timbre inimitable, maintenant, je sais...

Entre autres anniversaires, nous fêtâmes hier la naissance de Spinoza (1632-1677) ; on raconte que pour gagner sa vie, l’auteur de l’Ethique fut contraint de tailler des lentilles optiques à l'usage des lunettes et microscopes. Cette curieuse rencontre, cette insolite réunion entre optique et éthique serait sans doute d’un grand secours aux dirigeants comme aux dirigés des temps que nous vivons, pour apprendre à reconsidérer le monde d'un oeil plus juste. Il faudrait en toucher deux mots au lyrique Premier Ministre qui, hier même, jour de la nèfle, prononça à l'Assemblée son discours de politique générale. 

En attendant, mentent les politiques de tous crins et se bercent d'illusions ceux qui les écoutent. Remarque, me disait hier mon cousin, qu'adviendrait-il si, tout à coup, les politiques se mettaient à dire la véritéTous ces débats viciés n'auraient plus lieu d'être. Le monde se dézinguerait, dans une gigantesque implosion. 

En attendant, plus que Spinoza, c’est bel et bien Michel Drucker qui engrange des succès de librairie. Michel Drucker fut durant plusieurs décennies l'infernal gendre idéal d'un peu tout le monde, lisait-on ça et là. Maintenant, même avec la chirurgie peu esthétique, comme Jeanne Moreau et Sylvie Vartan, il finit quand même par faire son âge, et c'est un bien. Gendre fané. Car pour se forger une idée de la responsabilité humaine, j’ai bien peur que le sympathique présentateur de Vivement dimanche demeure quelque peu insuffisant. Lui, et sa sympathique horde de suceurs et suceuses de micros. 

A Drucker et à ses minauderies sucrées-salées, il faut préférer la brusquerie franche de Léon Zitrone, qui eut l’étrange heur de naître et de mourir le même jour, un 25 novembre (1914-1995). Je conçois que ce brutal passage de Spinoza à Zitrone puisse à certains paraître rude. Comme je conçois que les plus jeunes de nos lecteurs puissent ignorer Zitrone, tout autant que Spinoza. Au nom de l’indéniable vocation pédagogique de ce blog, qu’ils sachent cependant que Spinoza fut à la philosophie ce que Zitrone  fut à la télévision avec ses commentaires capables d’accompagner tout autant l’enterrement d’un grand de ce monde, un concours de vachettes ou une course hippique dominicale une espèce de refondation, en plein âge d'or. Le classicisme absolu.

Un jour de mai 1959, le dix-neuf, je crois, Alexandre Vialatte - car c'est à la table de l'illustre chroniqueur des Trente Glorieuses qu'on finira toujours par se retrouver - écrivit pour son irremplaçable journal La Montagne « la chronique de la vache étonnée ». Passant du coq à l’âne (en l’occurrence du papillon à la vache) il reconduisait vers Jean Dubuffet, « poète, peintre et fakir tout à la fois » notre esprit, tel l'attention des cancres, toujours trop volage. Jean Dubuffet, qui fut un amant incarné de la vache, au point d'en dessiner des séries. Qui peut en dire autant ?

Du haut de ma modeste colline, par le carreau de ma fenêtre embuée, je la distingue, cette belle et brumeuse chaîne des Alpes, par l'évocation de laquelle s’achevait cette grandiose chronique du maître auvergnat.  Prenons de la hauteur avant de conclure : « L’auto nous montre la terre vide. Sauf d’autos. Et avec l’avion, il n’y a plus ni vaches ni papillons ; ni d’autos : il n’y a plus que les Alpes et des masses vertes. La terre est minéralogique. Dubuffet en ne la voyant que telle, la voit exactement comme elle est. » L’homme, achevait Vialatte, existe à peine. Il n’y a pas de quoi étonner la vache.

Voilà une pensée pénétrante, sur quoi méditer durant le jour. Une pensée pas pour des nèfles, en somme. A glisser dans son agenda, entre Zitrone et Spinoza.

Et c’est ainsi qu’Alexandre est grand.

 

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Dubuffet : Vache au nez subtil

 


mercredi, 24 novembre 2010

La Berma-Barbara

 La France vieillit, et le souci commémoratif, qui n'a jamais pris un tour aussi commercial que depuis quelques années, semble accompagner ce vieillissement. Bien sûr, tout n'est pas à jeter dans cet effort à l'adresse du bon public de la société de compilations. Pourtant. Ce culte de l’émotion tous azimuts finit par avoir quelque chose d’indigeste.  « Je ne peux pas me servir des morts qui ne sont pas les miens », déclara un jour la chanteuse Barbara à Denise Glaser, dans l’émission Discorama.

Une fois de plus, c’est aujourd’hui l’anniversaire de la mort de « la grande dame brune ». Je dis une fois de plus, parce qu’il en est de cet anniversaire comme de tous les autres : nous nous éloignons des vivants que nous avons connus, aimés. Le souvenir d’eux en effet  s’estompe et puis soudain, nous nous apercevons de cette distration qui n’est pas une indifférence mais pourrait y ressembler. Le 24 novembre 1997 disparaissait la chanteuse Barbara.

Avec beaucoup de délicatesse, de prudence et de talent, elle  avait  su approcher un à un tous les éléments de son drame personnel pour l'envelopper derrière une confidence, dont elle apprit à son public que son partage devrait, peu à peu devenir un art - ou n'être pas : La confidence esthétisée, sublimée par la note et par l'articulation : A sa poursuite, j'ai couru un temps les routes de France et de Hollande, et campé non loin de son piano dans le provisoire du théâtre des Variétés ou de Bobino. Son approche de la scène était empreinte de la conscience du temps qui passe, de la mort qui vient, de l'amour qui illusionne, et de l'art, seul capable de figer l'instant de la mort comme celui de l'amour.  Recréer chaque soir, comme si le temps qui passe n'avait plus d'incidences, le même rituel, au geste près, au souffle près. Et, derrière le voile de cette maitrise technique, laisser croître en lui l'émotion du spectateur, comme monte la mayonnaise. J'avais vingt ans, et cela m'épatait : « La scène est un pouvoir, disait-elle. Mais c'est un faux-pouvoir ». C’est cette leçon, essentiellement, que j’ai retenue d’elle. C'est le sens de ce billet qui suit, vieux d'un an déjà, et que je republie :

 _________________________________________

 

Barbara, la Berma - la Berma, Barbara...  Une même façon de découvrir le double B.A-BA, un apprentissage par deux voix, deux voies guidant nos pas vers la même, splendide et étonnante mystification, prodigieux rite que celui de la scène : « Mais tout d’un coup, dans l’écartement du rideau rouge du sanctuaire, comme dans un cadre, une femme parut et, aussitôt à la peur que j’eus, bien plus anxieuse que pouvait être celle de la Berma, qu’on la gênât en ouvrant une fenêtre, qu’on altérât le son d’une de ses paroles en froissant un programme...  

 

La Berma, il me fallut l’immense privilège de tout l’ennui de ces vacances de Pâques, puis de celui des Grandes, comme on disait alors, ennui qui se prolongeait jusqu’à la mi-septembre, pour la rencontrer, cet être de papier – comme le murmurent les proustiens qui ont lu leur Genette. Mais pour moi, la Berma, c’était un être vivant, un être de chair; c'était déjà Barbara... Or ce billet, qu'il soit d'abord l'hommage que je rends ici à Monique Serf, laquelle nous a quittés un 24 novembre, il y a désormais douze ans - douze comme le nombre de syllabes dans un alexandrin... L'alexandrin, un mètre que Barbara utilisa rarement,  lui préférant l'octosyllabe :

« J'ai eu tort, je suis revenue
dans cette ville loin perdue
ou j'avais passé mon enfance.
J'ai eu tort, j'ai voulu revoir
le coteau où glissaient le soir
bleus et gris ombres de silence… »

 

 Une chanson, cependant, Drouot, a été écrite en alexandrins, oui, que voilà :

 

« Dans les paniers d'osier de la salle des ventes
Une gloire déchue des folles années trente
Avait mis aux enchères, parmi quelques brocantes
Un vieux bijou donné par quel amour d'antan

 

 

« Je l’écoutais comme j’aurais lu Phèdre, ou comme si Phèdre, elle-même, avait dit en ce moment les choses que j’entendais, sans que le talent de la Berma semblât leur avoir rien ajouté. J’aurais voulu – pour pouvoir l’approfondir, pour tâcher d’y découvrir ce qu’elle avait de beau – arrêter, immobiliser longtemps devant moi chaque intonation de l’artiste, chaque expression de sa physionomie ; du moins, je tâchais, à force d’agilité morale, en ayant avant un vers mon attention tout installée et mise au point, de ne pas distraire en préparatifs une parcelle de la durée de chaque mot, de chaque geste, et, grâce à l’intensité de mon attention, d’arriver à descendre en eux aussi profondément que j’aurais fait si j’avais eu de longues heures à moi… »

 

Barbara, c’est au Palais d’Hiver, une salle de concert lyonnaise à présent détruite, que mon cœur et ma fascination, encore neufs de tout profond consentement, se sont ouverts à elle. Et comment, me présentant à la loge de l’artiste pour lui demander (à la fois très humblement et très orgueilleusement),  un avis autorisé sur les poèmes que j'écrivais alors  (« Personne ne saura dire comme / Rien ne pourra plus sauver l’homme »…), comment aurais-je pu, de toute façon, oublier ces lignes d’ouverture du second tome de la Recherche au titre si évocateur, dans lequel je pistais déjà le monde et ses contours, à la recherche d'un art d'écrire que je rêvais de faire mien ?  Quelle ferveur, quelle gratuité coulaient encore dans mes veines ?

 

Barbara a été la seule personne au monde qui - à chaque fois que je la retrouvais, inlassablement, m’a demandé : « Roland, vous écrivez en ce moment ? » Car elle avait compris quel arôme, quel vertige, quelle poigne, l'écriture ... Cette question autant proposée que posée, et ces lointains théâtres (de l’autre siècle déjà) sonnent à mon oreille ce matin…

Car aujourd’hui encore, ce texte du narrateur - comme disent les proustiens - me paraît avoir été écrit non pour la Berma, non même pour une image d’elle, mais pour ce mystère qui réunit la scène et la salle comme pour une cérémonie, cérémonie d’un sexe et de l’autre, d’un âge et de l’autre, d’un humain à un autre ; mystère qui est, certes, un pouvoir; mais un pouvoir, comme le disait si justement Barbara dans son interview qui vous attend plus bas, qui demeure un faux-pouvoir. A la vouloir trop sincère, trop semblable à nos tragiques désirs d'authenticité, nous aurons fini peut-être par la perdre, cette frêle dramaturgie qu’est l’art de la scène. La Berma, donc, Barbara…   école d’une même dramaturgie : les rappels de Pantin en 1981, les visites aux prisonniers, la jeunesse orpheline, les hommes qui l'ont accouchée, à peine... Suit une video de 10 minutes de survie.

 

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10:11 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : littérature, barbara, chanson française, marcel proust, actualité, culture | | |

mardi, 23 novembre 2010

Louis Carrand

 

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Louis Carrand, Chemin du vieux Collonges

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Louis Carrand, Travaux des champs

 

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Louis Carrand, Bordure d'étang

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18:43 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : lyon, peinture, louis carrand, collonges, école lyonnaise, béraud | | |