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mercredi, 19 août 2015

Tantum ergo...

La plupart des hommes – moi le premier – ne comprennent plus pourquoi ils sont pécheurs. La première raison tient au vocable imposé depuis un siècle par les sciences humaines et leur prétendue objectivité : Dans la société des Droits de l’Homme, ce dernier ne peut évidemment plus être pécheur : au pire se révèle-t-il faillible, corrompu, névrosé, inconséquent ou imparfait. La seconde raison est aussi liée à la modernité et à sa conception du politique : on prend les dix commandements comme une simple constitution juive, un manifeste antique égrenant une loi archaïque, une liste de recommandations morales assénées par le Vatican, somme toute, non plus, comme l’envisageaient les saints, pour l’occasion d’un engagement amoureux total avec le sacré, la grâce d’un salut enchanté. Ce que le terme alliance signifie, pourtant. Mais nous ne savons plus lire. La troisième enfin tient à l’idée proprement diabolique que nous nous faisons de l’innocence humaine, et tout spécialement de la prétendue pureté de l’enfant. Pécheurs, de si merveilleux êtres humains ? Allons donc, ça se saurait  !

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photo Aurélie Michel

Dans une société où demeurent tant d’intérêts à feindre et à voler, tant de plaisirs à mentir ou à convoiter sans cesse, et où surtout la simple idée d’un Seigneur qui, de surcroit fût adorable, est par ailleurs devenue presque sacrilège ; quand  la République elle-même [son marché de dupes, son parlement d’opportunistes, ses lois permissives et sa morale pour cancres] s’ingénie à transformer des citoyens honorables en pécheurs en toute légalité, suivre les Dix Commandements ne peut plus se faire que par amour, un amour déterminé, riche et véritable, pour quelqu’un de plus grand ou de plus enfoui.  Ainsi autour de nous, tout invite au péché, hormis le véritable amour. Deo Gratias !

Pas davantage que le péché, nous ne comprenons le sacrifice. Que les péchés ne puissent être remis sans effusion de sang, que le sang d’un Dieu ait dû être versé pour le salut du monde, notre raison gavée d’opinions préconçues et de foi en l’humanisme est incapable de l’envisager. Nous avons pourtant sous les yeux un monde qui sans doute jamais ne fut si inique, si violent et si perverti. Tout y parait inversé. Mais de là admettre que, tous les hommes étant pécheurs (faillibles, névrosés, corrompus, imparfaits, ignares, prenez le terme qui vous convient…), ils soient censés être immolés à la justice de Dieu. Dieu ? Le sentiment de notre dignité (ha ha !) nous retient. Et puis Nietzsche, enfin, Marx, Freud et tutti quanti…

Concevoir de surcroît que le sang des pécheurs (notre sang) soit indigne de cette justice divine (indigne, moi ? –Jamais !) ; que depuis Abel, on ait pris l’habitude de lui substituer le sang d’animaux innocents du crime humain ; que parce qu’il était cependant douteux, voire impossible, que le sang des boucs et des taureaux ôtat véritablement les péchés, il fallut une victime à la fois sainte, innocente et humaine pour y parvenir, voilà donc qui dépasse notre entendement et notre logique, alors que nous sommes prêts à admettre des calembredaines comme celles que racontent l’astrologie ou le libéralisme, et que nous fermons les yeux sur des scandales bien plus insupportables à la raison que celui dont je parle – à supposer qu’il fût scandaleux.

 

Pour finir, nous n’admettons plus ni le rite, ni l’autorité. Non pas que nous soyons gens libres, ça se saurait. Nous courbons l’échine comme jamais devant quelques milliers d’imbéciles, nous survivons, étranglés dans des modes et par des dogmes tous plus profanes et limités les uns que les autres, au rythme d’un calendrier marchand normé, qui accablerait le pire des esclaves. Nous suivons lascivement toutes les modes et tous les rites imposés par le spectacle. Mais qu’importe ! Que construisons-nous ? Nous sommes libres pourtant, pensons-nous. Affranchis du péché, libérés du sacrifice, dégagés des contraintes des rites et de l’autorité… Là où la paix réside, si proche... Et cependant, nous ne savons plus, ou ne voulons plus, ou nous ne pouvons plus...  mais jusqu'où ? jusqu'à quand ? Et pour quel bénéfice ?


 

samedi, 12 juillet 2014

C'était là

Le Quatorze Juillet approche. Cette année encore, se déroulera la grande parade du pingouin à lunettes sur les Champs. Sûr que les commentateurs gloseront sur le changement de monture du spécimen actuel, qui sera exposé dans sa voiture officielle d’apparat. Ils n’auront sans doute pas grand-chose à dire de plus de lui, tant la dégénérescence de l’espèce présidentielle s’accélère hélas, de mandat en mandat, au fur et à mesure que fond la banquise. Y-a-t-il un lien avec l’organisation moléculaire de leurs neurones ? On ne sait. On espère qu’il y aura dans la foule des spectateurs-électeurs quelques véhéments quolibets. Pas certain non plus, tant le panache de l’esprit fondeur se raréfie dans ces troupeaux là, aussi. En cette année 2014, la mode est plutôt au selfie, instantané aussi peu glorieux qu'illusoire, et le goût pour la critique s’est métamorphosé en émoi narcissique, la libre parole en citoyenneté de masse, sous l’effet conjugué d’une police de la pensée bien orchestrée par les medias, d’une certaine fatuité collective, et peut-être aussi d’une véritable lassitude. Le pays vieillit, au point d’oublier ce qu’il célèbre ce jour-là, à l’occasion d’un jour férié qui s’alanguit aussi mollement qu’une simple journée de RTT.

Nos rites républicains sont délavées comme une chemise trop souvent passée par la lessiveuse de la langue de bois et du révisionnisme de la propagande, voilà pourquoi ceux qui cherchent à les sacraliser ont l’air si ridicules, si insincères, si vains, si distordus et si faux. Plus rien ne les relie authentiquement à l’événement qu’ils prétendent célébrer, que du virtuel et de la rhétorique. Et c’est d’autant plus frappant dans le testicule gauche du mensonge républicain, qui pendouille lamentablement au pouvoir tout en prétendant l’incarner : La gauche, enterrée depuis longtemps sur le mode du grotesque par un tonton flingueur au romantisme pervers, n’a plus à offrir que sa caricature spectrale au public gavé de slogans de ses électeurs, aussi sale à regarder qu’une vieille prostituée qui aurait trop longtemps collaboré à de basses manœuvres.

Dans l’épilogue de son Quatorze Juillet, Henri Béraud se gaussait de « ceux qui vont attendre l’autobus en lisant leur journal au lieu du refuge où se trouvait le pont-levis de l’Avancée, abattu à coup de haches par le charron Louis Tournay sous les balles des Suisses », de « ceux qui boivent leur apéritif à la terrasse du café Henri IV sur un fossé à cet endroit où le billet de capitulation fut pris dans le vide d’un sabre par Maillard fils, clerc de la Bastille… » Et l'écrivain concluait, sur le ton narquois du poilu qui raille l’Arrière : « Parisien rieur, avocat, marchand, scribe, commis, rentier, ouvrier, si seulement tu te rappelles les images de ta petite Histoire de France cartonnée, et si ce soir tu lèves les yeux vers les ombres mouvantes et enflammées du ciel, tu pourras entrevoir de hauts murs, de noirs créneaux. C’était là »

Dépossédé de son Histoire, soumis aux aléas la zone et aux diktats fluctuants des marchands, oublieux de sa religion, de sa langue, de son territoire et de sa monnaie, le pays tangue comme un navire à la dérive. Et l'on se demande : Comment son prétendu capitaine, assisté de son escouade d'ambitieux moussaillons, qui n'a d'autre tactique que celle du compromis et d'autre culture que celle de l'ENA, trouverait-il encore sous ses étroites épaules le souffle pour le dire, ce C'était là

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Lallemand, Bastille (détail)

mardi, 01 juillet 2014

Ouf !

Ils peuvent dormir tranquilles ! La stupide Aurélie Filipetti, ministre de la culture, qui déclarait ce matin au micro de Bourdin « qu’on a tous un peu d’Algérie en nous ». Ha ha : On a envie de lui répondre, sans jeu de mots, par intermittence alors, madame ! Le filou Noël Le Graët, qui s’est déclaré –en tant que président de la FFF- ravi à l’idée que la France et l’Algérie puissent disputer un quart de finale. Il croit (c’est son business) que le football peut arranger les choses «Ce serait deux pays frères qui se rencontrent. Il y a beaucoup de supporters algériens en France… Depuis que je suis à la Fédération, j'ai une volonté : rencontrer l'Algérie. J'en ai parlé avec le Président de la fédération algérienne, un ami. Ce match, je veux le faire avant la fin de mon mandat», a-t-il ajouté. Soit. Le je veux le faire, au passage, est étonnant.

Et puis tous les autres.

Tous les préfets de la République, eux aussi, soulagés : Il n’y aura pas de France Algérie. Le ministre de l’intérieur, paraît-il, n’en dormait plus. A Lyon, les instructions données aux policiers pour cette nuit ont été sans équivoque : silence radio, et pas d’informations à la presse sur ce qui peut advenir après Allemagne-Algérie. Pont de la Guillotière fermé, le quartier entièrement bouclé, des cars blancs partout. Hélicoptères survolant la ville jusqu’à deux heures du matin. Ouf, donc, doit se dire Jean François Carenco, préfet de Lyon. Après ce qu'ils appellent une troisième mi-temps, - et cette dernière aura été maîtrisée , il n’y aura donc pas de France-Algérie.

Du coup, pour tous les commentateurs politico-sportifs, la défaite de l’Algérie est très belle. Les Tartuffe ont la langue de bois sacrément acérée : La défaite algérienne est même honorable ! Elle est même héroïque ! Carrément ! Qu’aurait-on dit si l’équipe algérienne avait gagné ?.« Ils sont allés au bout de leur huitième de finales » Certes! Et puis : « c’est ça le plus important » Oui, qu'ils se soient arrêtés au bout... On entend tous les implicites de la bien-pensance

Ouf, donc. Tout le politiquement correct le craignait, ce France Algérie. Alors youpie, hein, ce sera un France Allemagne. Moi je souhaite la victoire de l’Allemagne. Du 4/2, sans contestation.  Pas patriote pour un sou sur ce coup-là, quand je vois l’élégante photo de ce type, bouche ouverte et bras au ciel, sous ses ors et devant sa télé, bref…. La classe ! Alors vive l'Allemagne, les gars, et vivement que tout ce carnaval politico-sportif s’achève.

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dimanche, 27 octobre 2013

Я ЕСТЬ -JE SUIS -

Je suis installe sur le plateau des Célestins l’histoire d’une ville, Komsomolsk-sur-Amour, dont la légende raconte qu’elle a été construite par une jeunesse communiste enthousiaste alors qu’elle est l’œuvre d’abord des déportés au goulag  puis celle des prisonniers de la seconde guerre mondiale. Ce secret des origines, à force d’être tu, est tombé dans un oubli soigneusement entretenu par les officiels, mais tout aussi soigneusement conservé par la mémoire familiale de ses habitants. De cet oubli, Tatiana Frolova extirpe la parole de ses personnages qui développent les uns après les autres le fil de leur histoire, remontant au pire jusqu’aux grands-parents, au mieux jusqu’aux arrière grands-parents : après ou plus loin, on ne sait rien, on ne sait plus. C’est encore l’oubli.

Mais ce que l’on comprend très vite, c’est que le grand mystificateur qui a orchestré jadis cette rupture est le même que celui qui aujourd’hui alimente encore cet oubli : l’Etat. Pour faire face (ou front), à ce dernier, il n’est que l’être de chaque individu qui vient se dire tour à tour dans une nudité de parole quasi artisanale (documentaire), d’où ce titre, « Je suis ».

 « L’histoire de la ville de Komsomolsk-sur-Amour, patrie du Teatr KnAM, est symptomatique de la façon dont la mémoire collective se cultive à partir d’une histoire passée sous silence, dont on ne donne qu’une image positive.» explique Tatiana Frolova. «Staline était un criminel mais sa tombe demeure dans la nécropole de la Place Rouge et, chaque année, les victimes du culte de la personnalité viennent honorer sa mémoire, accompagnés de très jeunes gens »

De Staline à Poutine, le fil conducteur est ainsi l’entretien politicien du mythe au cœur même de ce qui, par ailleurs, le dénonce : c’est la force inouïe de la propagande de parvenir à faire oublier ce paradoxe. Et c’est le pouvoir de l’image (la représentation) de rendre possible la propagande. C’est là que le propos du spectacle croise une réflexion qu’on pourrait dire universelle sur (bien au-delà du cas russe) ce  media qui rend partout possible toute dictature, dès lors qu’il est mis au service de l’oubli : l’image elle-même.

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La première image sur laquelle travaille Frolova est ce fameux quatrième mur placé, depuis Diderot, au cœur même de la représentation théâtrale. Elle l’investit durant toute la durée du spectacle en y projetant paroles, photos, dessins d’enfants, prières, manifestes, témoignages, ombres chinoises, et parfois même le reflet du public en train de  le (se) regarder. Mais en même temps qu’elle l’utilise à la manière d’un écran de cinéma, elle en maintient aussi l’artifice puisqu’à travers lui on continue de voir les acteurs, tantôt occupés à jouer une scène, tantôt à manipuler ou dessiner sur une table de verre ce qui est projeté sur l’écran, dans un dispositif parfaitement brechtien de distanciation : le spectacle dénonce ainsi l’image en train de se faire. Après avoir ainsi occupé et maintenu simultanément le quatrième mur, Frolova le perce de façon fort efficace pour prendre à parti parfois le public, en questionnant frontalement : « qui répondra de tous ces crimes ? », ou, mieux encore, en affirmant que personne parmi ceux qui regardent le spectacle n’aurait eu la force de supporter la pression terrifiante du KGB.

De chaque côté de ce quatrième mur, Tatiana Frolova expose les images quasiment fixes de deux visages, à l’intérieur de deux écrans, qui soulignent la prééminence de la technologie moderne, principale vecteur d’images. Côté cour, celui d’un vieillard (Bernard Noël), côté jardin, celui d’un enfant. Façon de nous rappeler, la prééminence de l’outil de propagande dans la vie personnelle, voire intime, de chacun d’entre nous, de sa naissance à sa mort. Comme Kantor parlait « d’objet pauvre », on aurait envie devant ce que Forlova appelle un « théâtre documentaire » de parler alors d’image pauvre. Car ainsi  exposées ces images finissent par acquérir un statut particulier dans la représentation : arrachées à la réalité non plus de la vie, mais du spectacle, elles témoignent, à leur façon, du mal qu'elles font.

Tout comme l’objet dans l’esthétique de Kantor, elles disent le rapport au monde, à la fois pauvre et dérisoire, de chaque personnage ; elle dénoncent aussi le véritable oppresseur, ce processus que Debord nomma la séparation, et qui est ici au cœur même de la mise en scène. Une étrange harmonie s’installe peu à peu entre les trois acteurs et les images d’eux-mêmes, comme si leur parole et leur effort de mémoire ne pouvaient s’extirper pleinement de l’oubli produit par leur représentation simultanée.

Ce questionnement sur l’image trouve par ailleurs sa forme au fur et à mesure qu’on avance dans le spectacle et que se crée sur scène un univers poétique spécifique : les bandes de gaze servant à effacer les traces de feutres rouges, assimilées à des pansements ensanglantés, par exemple. Ou bien les semelles-couche-culottes usitées, et les chapkas enturbannées, dans une leçon pleine d’humour pour survivre emmitouflé dans  le grand froid.

Puis il devient pleinement critique, lorsque le spectacle suggère l’idée très significative qu’il y aurait un lien entre la maladie d’Alzheimer et la transformation du temps individuel autrefois vécu en histoire collective désormais établie en images. « Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation », disait Debord. Tatiana Forlova rajoute qu’Alzheimer, pourrait être le fruit de cette séparation. Et c’est alors que son spectacle trouve son véritable centre de gravité et sa pleine originalité,: « La première personne qui est venue voir Alzheimer lui a dit : je me suis perdue moi-même. », nous rappelle-t-elle. C’est pourquoi, dans la logique démente du système qui nous gouverne, soigner l’Alzheimer, ce ne peut être que le propager plus encore, jusqu’à une sorte de macabre solution finale, parodie de retour à la civilisation : dressage des vieux malades comme celui des enfants avec imposition d’une autorité, privation de la liberté, fixation d’habitudes, bref, perpétuation de la même dictature … A cet instant, le théâtre de Forlova marmonne, dans le sens noble du terme que le texte lui-même confère à ce mot, le théâtre de Kantor.

Une citation (lue par l’enfant) du livre de Bernard Noël, Le livre de l’oubli, clôt le spectacle : « Depuis l’invention des medias et leur emploi généralisé, il ne s’agit plus d’orienter l’espace mental, mais de l’occuper et de le vider de tout autre contenu que celui des spectacles qu’on y projette. Rien ne fut jamais aussi efficace pour soumettre les têtes que ce décervelage qui remplace pensée et imagination par le flux des images. L’oubli n’y peut rien, et il est temps de se demander s’il n’est plus lui-même devenu l’instrument de cette privation de sens »

Ce n’est pas le moindre mérite de cet insolite théâtre-documentaire de Tatiana Forlova (ni sa moindre prouesse) que de donner à cette privation de sens une signification à la fois philosophique et esthétique, tout en serrant au plus près l'expérience vécue et racontée des personnages que nous sommes.

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Tatiana Frolovaphoto Kirill Khanenkov 

 

Я ЕСТЬ  -JE SUIS - Cie : Teatr KnaM  - Coproduction -Festival Sens Interdits - les Célestins, Théâtre de Lyon , Théâtre de Poche - Genève , Scène nationale André Malraux, Vandoeuvre-lès-Nancy Mise en scène de Tatiana Frolova, avec Elena Bessonova, Dmitry Bocharov, Vladimir Dmitriev, spectacle en russe surtitré  Au théâtre des Célestins de Lyon, du 26 octobre au 30 octobre et du 5 au 9 novembre 2013

 

 

dimanche, 20 octobre 2013

Léonarda di capria

De quoi s’inquiète-t-on pour Léonarda  ? L’Etat socialiste vient de lui faire un cadeau en or. Je suis sûr que deux ou trois éditeurs songent déjà au  bouquin à la fois plein de sirop et d’indignation qu’elle devrait être capable, avec peut-être un léger coup de main je vous l’accorde, de tirer de ses aventures médiatico-politiciennes.

Parce que c’est plus une enfant, Léonarda. Vous l’avez entendu comme moi lancer « Point barre » à ce couillon de Hollande ? Grâce au pingouin et à sa bande d’incapables, elle a touché le gros lot, Léonarda. Plus besoin de se taper un bac-pro ou un BTS laborieux dans les classes surchargées de la défunte République, tout ça pour finir derrière la caisse d’un Leader Price ou en emploi-jeune dans un collège pourri de Peillon : le plateau de Ruquier l’attend déjà avec le récit de ses exploits, ainsi qu"un public de manifestants boutonneux, dont elle deviendra sans grande difficulté la Madonna kosovare si elle est bien coachée. Toute cette jeunesse militante sera tout prêt à acheter ses livres et ses albums à venir. Et ses nombreux frères et sœurs  comme jadis ceux de Mireille Mathieu n'auront pas de souci à se faire pour leur survie  C’est ce qui s’appelle de l’intégration à l'Europe libérale et citoyenne, non ?

Vous trouvez mes propos cyniques ? Mais le cynisme rugit dans cette société du spectacle qu'il gangrène. Devant sa duplicité sans bornes, toute décence parait pour jamais abolie.

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10:59 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : leonarda, politique, show-business, ruquier, spectacle | | |

lundi, 14 octobre 2013

La République comme sujet et comme représentation

Dans la société séparée du Spectacle, telle que l’a théorisée Debord, il n’y a pas ce qui est advenu et ce qui va advenir, mais une constante interaction langagière entre les deux qui permet de maintenir les spectateurs en haleine en énonçant sans cesse les mêmes slogans pour mystifier le Réel et surtout les abuser, eux. Changer et Sauver,  pour faire court, sont les deux procès événementiels sans cesse invoqués par les officines de propagande, à quoi il faudrait rajouter leurs doublets sémantiques  reformer et refondre. Mais rien n’est jamais advenu et rien n’adviendra jamais d’autre, que des informations éparses reliant entre eux des gens à l’imaginaire de plus en plus pauvre, de plus en plus séparés et d’eux-mêmes et les uns des autres au fur et à mesure que la société s’européise et se mondailise, et que les profiteurs du Spectacle établissent leurs dynasties

Dans la réalité réellement vécue, pour parler comme Debord, dans et derrière l’écran de fumée du Spectacle, des gens, qui sont nous, cependant, passent. Les enfants affamés de Bangui prennent l’écran des enfants affamés du Biafra ; les naufragés de Lampedusa celui des boat people vietnamiens, et Nicolas Bedos le siège de Guy, et Alice Munro le prix de Camus. Ce qui est vrai des acteurs volontaires ou non des images que nous voyons l’est aussi des spectateurs qui les regardent. Nous passons.

Les sexagénaires d’aujourd’hui s’installent ainsi dans les murs de ceux qui avaient soixante ans il y a dix ans, il y a vingt ans, il y a trente ans et cinquante ans. Les sexagénaires d’aujourd’hui ont pris la place des sexagénaires du temps qu’ils avaient dix ans. Pour les rassurer, on leur laisse croire que le rôle a un peu changé, que Catherine Deneuve est plus jeune à soixante dix ans que ne l’était Marlène Dietrich au même âge. L’une a pris l’affiche de l’autre et rien d’autre n’adviendra de plus, sinon que l’une est morte et l’autre va mourir. Et pendant ce temps le  jeune homme d’aujourd’hui a pris la place du jeune homme d’hier. Il prendra la place des sexagénaires qui s’en iront et s’en ira à son tour.

Depuis quand dure cette histoire sans fin ? Quand finira-t-elle ?  La perspicacité de Debord rejoint la sagesse de Chateaubriand voyant embarquer à Cherbourg son vieux roi qui partait pour l’exil :

« Maintenant, qu'était devenu Charles X ? Il cheminait vers son exil, accompagné de ses gardes du corps, surveillé par ses trois commissaires traversant la France sans exciter même la curiosité des paysans qui labouraient leurs sillons sur le bord du grand chemin. Dans deux ou trois petites villes, des mouvements hostiles se manifestèrent ; dans quelques autres, des bourgeois et des femmes donnèrent des signes de pitié. Il faut se souvenir que Bonaparte ne fit pas plus de bruit en se rendant de Fontainebleau à Toulon, que la France ne s'émut pas davantage, et que le gagneur de tant de batailles faillit d'être massacré à Orgon. Dans ce pays fatigué, les plus grands événements ne sont plus que des drames joués pour notre divertissement : ils occupent le spectateur tant que la toile est levée, et, lorsque le rideau tombe, ils ne laissent qu'un vain souvenir. »

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 Lorsque Debord conçut Le prolétariat comme sujet et comme représentation, il ne fit jamais que reprendre ce que Chateaubriand avait fait de la monarchie elle-même, comme sujet et comme représentation, dans ces pages remarquables de ses Mémoires  :

«  Parfois Charles X et sa famille s'arrêtaient dans de méchantes stations de rouliers pour prendre un repas sur le bout d'une table sale où des charretiers avaient dîné avant lui. Henri V et sa soeur s'amusaient dans la cour avec les poulets et les pigeons de l'auberge. Je l'avais dit : la monarchie s'en allait, et l'on se mettait à la fenêtre pour la voir passer.

Le ciel en ce moment se plut à insulter le parti vainqueur et le parti vaincu. Tandis que l'on soutenait que la France entière avait été indignée des ordonnances, il arriva au roi Philippe des adresses de la province, envoyées au roi Charles X pour féliciter celui-ci sur les mesures salutaires quil avait prises et qui sauvaient la monarchie .

Dans cette insouciance du pays pour Charles X, il y a autre chose que de la lassitude : il y faut reconnaître le progrès de l'idée démocratique et de l'assimilation des rangs. A une époque antérieure, la chute d'un roi de France eût été un événement énorme ; le temps a descendu le monarque de la hauteur où il était placé, il l'a rapproché de nous, il a diminué l'espace qui le séparait des classes populaires. Si l'on était peu surpris de rencontrer le fils de saint Louis sur le grand chemin comme tout le monde, ce n'était point par un esprit de haine ou de système, c'était tout simplement par ce sentiment du niveau social, qui a pénétré les esprits et qui agit sur les masses sans qu'elles s'en doutent. »

La morale de l'histoire est qu'un régime est mort dès lors qu'il existe à la fois comme sujet et comme représentation. Bien triste. Heureusement, tant qu'un homme peut exister comme sujet différent de sa représentation, il est encore vivant. Nous savons donc ce qui nous reste à faire, quoi qu'il advienne.

mardi, 30 novembre 2010

Commentaires sur Guy Debord

Comme si entrer dans ce mois de décembre où triomphent les fêtes ne lui avait vraiment rien dit qui vaille, Guy Debord se donna (comme on dit) la mort le 30 novembre 1994. Avant de mettre fin à ses jours, il écrivit à Brigitte Cornand, qui signait Guy Debord, son art, son temps, un film d'une heure retraçant les étapes de sa carrière, un bref courrier dans lequel il disait : « On gagne beaucoup à ne pas chercher, ni accepter, de se soigner ».

 Aujourd’hui comme hier, fort nombreux sont ceux qui tournent vers Debord un œil suspicieux, le considérant comme un donneur de leçons prenant facilement la pose hors-champ, un réactionnaire romantique, un mandarin déguisé en révolutionnaire, un contestataire impuissant, un penseur paranoïaque...  que n’a-t-on dit de lui ? Normal. Sa « notoriété anti-spectaculaire » fut d’autant plus provocante qu'elle était, comme il le déclara lui-même dans les Commentaires sur la société du spectacle (1985), extrêmement rare : « Je suis moi-même, disait-il, avec le timbre et le ton lancinant qui caractérisent le bonhomme, l’un des derniers vivants à en posséder une ; à n’en avoir jamais eu d’autre. »

Un véritable snobisme Debord aura donc survécu à Debord, le figeant dans sa légende et lui octroyant jusqu'à plus soif des adeptes dont il aurait profondément ricané. Les marchands de livres en ont fait une marque, un label, qu’ils exposent dans différents rayons : Ici, c’est économie ; là, sociologie ; là, encore, communication

 

 

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10:47 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : guy debord, situationnisme, littérature, spectacle | | |