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jeudi, 25 novembre 2010

Chronique de Zitrone et de Spinoza

 

Chronique de la colline (n° 14)

C’était hier le jour de la nèfle. Du moins, si l'on en croit le calendrier révolutionnaire du joyeux Fabre d’Eglantine, qui n'eut cours que de 1792 à 1806. Toujours selon le même calendrier, nous serions aujourd’hui exactement  le 5 de frimaire : ce qui entre en correspondance avec la vague de froid qui, comme le sussurrent en souriant les charmantes présentatrices de la météo, «s'abat,»,  «pénètre » et « s’installe » sur l’ensemble du pays depuis quelques jours. Foutre ! Selon les termes mêmes de la Convention nationale de l'époque, qui toujours se montra fort soucieuse de l'étymologie, ce mois-là tirait son nom du froid tantôt sec tantôt humide qui se fait sentir de novembre en décembre.

Wikipédia nous apprend fort doctement que, dans le Morvan, on appelle la nèfle  « cul de chien » ou encore « cul de singe », et qu’en Algérie, il n’est pas rare d’en trouver dans les faubourgs et les banlieues des grandes villes. C’est une grande chose que la vulgarisation de l'érudition qu'autorise cette précieuse encyclopédie en ligne. Grâce à elle, tout se sait, tout l’temps, même si tout aussitôt, tout s'oublie. Mon savoir sur les nèfles demeurait jusqu’à ce jour aussi nul que le score de l'Olympique Lyonnais  hier soir face à Schalke 04. Il le sera encore à nouveau demain, sans nul doute. Mais, comme aurait dit Gabin, l'acteur  au timbre inimitable, maintenant, je sais...

Entre autres anniversaires, nous fêtâmes hier la naissance de Spinoza (1632-1677) ; on raconte que pour gagner sa vie, l’auteur de l’Ethique fut contraint de tailler des lentilles optiques à l'usage des lunettes et microscopes. Cette curieuse rencontre, cette insolite réunion entre optique et éthique serait sans doute d’un grand secours aux dirigeants comme aux dirigés des temps que nous vivons, pour apprendre à reconsidérer le monde d'un oeil plus juste. Il faudrait en toucher deux mots au lyrique Premier Ministre qui, hier même, jour de la nèfle, prononça à l'Assemblée son discours de politique générale. 

En attendant, mentent les politiques de tous crins et se bercent d'illusions ceux qui les écoutent. Remarque, me disait hier mon cousin, qu'adviendrait-il si, tout à coup, les politiques se mettaient à dire la véritéTous ces débats viciés n'auraient plus lieu d'être. Le monde se dézinguerait, dans une gigantesque implosion. 

En attendant, plus que Spinoza, c’est bel et bien Michel Drucker qui engrange des succès de librairie. Michel Drucker fut durant plusieurs décennies l'infernal gendre idéal d'un peu tout le monde, lisait-on ça et là. Maintenant, même avec la chirurgie peu esthétique, comme Jeanne Moreau et Sylvie Vartan, il finit quand même par faire son âge, et c'est un bien. Gendre fané. Car pour se forger une idée de la responsabilité humaine, j’ai bien peur que le sympathique présentateur de Vivement dimanche demeure quelque peu insuffisant. Lui, et sa sympathique horde de suceurs et suceuses de micros. 

A Drucker et à ses minauderies sucrées-salées, il faut préférer la brusquerie franche de Léon Zitrone, qui eut l’étrange heur de naître et de mourir le même jour, un 25 novembre (1914-1995). Je conçois que ce brutal passage de Spinoza à Zitrone puisse à certains paraître rude. Comme je conçois que les plus jeunes de nos lecteurs puissent ignorer Zitrone, tout autant que Spinoza. Au nom de l’indéniable vocation pédagogique de ce blog, qu’ils sachent cependant que Spinoza fut à la philosophie ce que Zitrone  fut à la télévision avec ses commentaires capables d’accompagner tout autant l’enterrement d’un grand de ce monde, un concours de vachettes ou une course hippique dominicale une espèce de refondation, en plein âge d'or. Le classicisme absolu.

Un jour de mai 1959, le dix-neuf, je crois, Alexandre Vialatte - car c'est à la table de l'illustre chroniqueur des Trente Glorieuses qu'on finira toujours par se retrouver - écrivit pour son irremplaçable journal La Montagne « la chronique de la vache étonnée ». Passant du coq à l’âne (en l’occurrence du papillon à la vache) il reconduisait vers Jean Dubuffet, « poète, peintre et fakir tout à la fois » notre esprit, tel l'attention des cancres, toujours trop volage. Jean Dubuffet, qui fut un amant incarné de la vache, au point d'en dessiner des séries. Qui peut en dire autant ?

Du haut de ma modeste colline, par le carreau de ma fenêtre embuée, je la distingue, cette belle et brumeuse chaîne des Alpes, par l'évocation de laquelle s’achevait cette grandiose chronique du maître auvergnat.  Prenons de la hauteur avant de conclure : « L’auto nous montre la terre vide. Sauf d’autos. Et avec l’avion, il n’y a plus ni vaches ni papillons ; ni d’autos : il n’y a plus que les Alpes et des masses vertes. La terre est minéralogique. Dubuffet en ne la voyant que telle, la voit exactement comme elle est. » L’homme, achevait Vialatte, existe à peine. Il n’y a pas de quoi étonner la vache.

Voilà une pensée pénétrante, sur quoi méditer durant le jour. Une pensée pas pour des nèfles, en somme. A glisser dans son agenda, entre Zitrone et Spinoza.

Et c’est ainsi qu’Alexandre est grand.

 

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Dubuffet : Vache au nez subtil