dimanche, 03 avril 2011
Abidjan
La lagune d’Abidjan, lointaine, il est vrai, à présent,
De la fenêtre de l’hôtel Ivoire ,
Les eaux dormantes vertes, tièdes, troubles,
De ce palace au luxe flétri, dans l’air moisi de Cocody.
Ce Plateau moite m’a toujours fait penser à la France pompidolienne
Qui alignait des gratte-ciel pour faire l’américaine :
Ici, on joue d’un air matois à la Défense
Mais Treichville n’est jamais si lointaine.
Dans son damier roulent les jours de marché
Quand les fruits s’y répandent les bus bondés
Non loin des entrepôts, sitôt le soir tombé,
Le cinéma et le reste s’y offrent en plein air.
Ici la paix n’est jamais loin de la violence,
Ni la clameur de la couleur et de la peur,
Ni le temps ralenti du lendemain surgi,
L’engourdissement, prélude à l’éclat de vie.
21:46 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : adidjan, littérature, côte d'ivoire |
samedi, 02 avril 2011
La pizzeria électorale
Me souviens qu’il y avait jadis à Lyon deux cafés se faisant vis-à-vis sur le cours Lafayette : l’un, bien nommé Au tout va bien ; l’autre, Au tout va mieux. N’ai jamais su comment leur douce cohabitation de part et d’autre de la même rue se déroulait au jour le jour : procès interminables au verdict incessamment différé ? Les deux proprios buvaient-ils le coup ensemble discrètement la nuit tombé ? Comme des vaches ? A moins, ce qui n’est pas non plus impossible, qu’ils fussent le même ?
Depuis que l’électeur moyen n’a plus guère de choix, mais sur sa gauche comme sur sa droite quelques options, la vie politicienne s’est mise à ressembler au cours Lafayette. Une pizzeria sarkoziste d’un côté, une pizzeria socialiste de l’autre. Les deux sont en train de garnir leurs cartes. A la porte les consommateurs trépignent ou s’en foutent, c’est selon leur degré d’implication dans le merdier.
La pizzeria socialiste, qui tente de redorer son chiffre d’affaires, propose depuis peu une carte assez fournie. Un président venu d’ailleurs, entendez (pour ne pas faire de fâcheux contresens) du FMI, des hôtels cinq étoiles et des réunions où on cause sérieux de l’état du monde capitaliste : bref, celui qui s’y connaît, a la main longue, tape sur l’épaule de tous les chefs d’Etat, une sorte de pro avec qui roupiller tranquille cinq bonnes années, même si d’autres en Grèce la trouvent mauvaise. Comme ça et là des remarques sur cette stratégie de com grosse comme une maison ont fusé, c'est vrai qu'il faisait loin du terroir vu d'ici le DSK, la maison vient de sortir une pizza contraire : made in Corrèze, cette dernière, du bien de cheu nous, même si ça vous a un parfum de Hollande. Adoubé par la femme d’un ancien président en plein cœur de ses terres, la pizza François, qui porte le nom d’un plus ancien président encore, est un peu maigrichonne depuis qu’elle a fait un régime d’enfer, et se serre arrosée de Douce France. Bref : le citoyen mondialiste comme celui attaché à ses racines trouvera aussi chez le pizzaïolo Le Gall chaussure à son pied. D’autant que cuisinée par Jean-Marc Germain, la pizza Aubry, sérieuse et militante, reste aussi sur la carte. On ne sait à quel prix. Quelques semaines de cuisson, et vous la trouverez bien croustillante. Plus les plus jeunes, la carte PS propose aussi la pizza Montebourg, la pizza Valls, des plats plus simples, moins cher et à emporter. Et pour ceux qui aiment le réchauffé, reste un classique de la boutique, la pizza Royal.
Si avec ça l’électeur moyen trouve pas assiette à sa portée.
En face, on commence à s’inquiéter devant la richesse de l’offre. Mince alors, une boutique qu’on croyait quasi en dépôt de bilan ! La pizzeria sarkoziste, du nom de son repreneur, propriétaire, cuisinier en chef, plongeur et serveur en toutes circonstances depuis quatre ans, bruit de rumeurs : des querelles de cuisine font que la tambouille est moins convaincante depuis peu. Des clients râlent et se plaignent. Ils menacent d’aller en face. Voire de se barrer aux extrêmes, au bistrot de Marine ou au pub Mélenchon. Bref, comme si la Lybie et le Japon, l’Irlande et le Portugal ne suffisaient pas, c’est la crise aussi au conseil d’administration. Du coup, tous les stratèges en com de la maison renouvellent la carte et multiplient les options à leur tour.
La pizza du chef, la Sarkozy, demeure en l’état : pimentée de petites phrases fumigènes à la mode Louvrier, un débat par ci, un débat par là, causer serait agir, en attendant, on gère, on gère, on gère. Sauf que l’actionnaire principal a beau s’activer aux quatre coins de la planète, ça rouspète sec chez certains clients. La pizza Borloo serait bientôt sur la carte. Moins de piment, plus de sucre. De la douceur, de l’enrobé. Du sucré-salé servi flambé avec son pinard. La pizza Villepin pointe aussi le bout de sa mèche. Il paraît qu’il y aurait de l’anguille dedans.
La pizza Copé mitonnée par Millot fait dans le ni-ni, au contraire de la pizza Fillon, qui donne dans le front de la vertu. Les deux inconciliables. Histoire, comme dans la boutique d’en face, de ratisser large. Chacune à leur façon, de la pizza de notables aguerris, de toute façon, rétive aux dents cariées des prolos. Sacré problème, comment sortir les prolos de leur bistrot et de leur pub ?
L’année qui vient risque d’être cruelle ; mon conseil à chacun : bien regarder de chaque côté de la route avant de traverser, dans un sens comme dans un autre, si le besoin s’en fait sentir. Un front national ou un front de gauche est si vite arrivé ! C’est du camion balourd, à chaque extrême, et ça ne fait pas dans la dentelle. De la semi-remorque bien montée. Au moins, ça roule dans la merde et le cambouis, disent les chauffeurs. Au moins c’est du réel. Les patrons de pizzas, Au tout va mal, et Au tout va moins mal n’ont pas fini de réviser leurs menus et leurs tarifs. Ils se rappelleront que tout exercice électoral, comme d'ailleurs tout exercice polémique, n'est qu'un jeu de saveur bien orchestré entre de purs lieux communs.
13:16 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : politique |
jeudi, 31 mars 2011
Le faux débat
Est-ce le débat sur la laïcité qui est un faux débat, ou le débat sur l'opportunité d'organiser le débat ? A Tokyo, on vit à quelques kilomètres d'une centrale à ciel ouvert; les peuples du Proche Orient sont au bord de la guerre civile et nous, nous débattons pour savoir s'il est juste ou non de débattre. Est-ce que cela ne séparerait pas les Français? Comme si les Français étaient unis : la peur du débat en dit assez long sur la question ! Bref.
Ce sont ceux qui font profession de débattre qui tout à coup ont peur du débat : Les journaleux, les politiqueux et les éditorialeux de tous crins. C'est vrai qu'il vaut mieux débattre du retour de Ribéry en équipe de France, qui est un vrai enjeu, plutôt que de la laïcité, qui n'en serait pas un. Circulez, y'a rien à voir et rien à dire. Quelle fumisterie !
Les médias adorent brûler ce qu'ils ont adoré : l'heure est donc à brûler le président. Comme je n'ai jamais adoré Sarkozy, je n'ai pas de mal à ne pas le brûler aujourd'hui. Et de même, comme je n'adore pas ceux qui dans les coulisses, côté cour, se frottent les mains en se demandant dans quel ordre ils vont entrer sur scène et sur quel siège ils vont se mettre à table, je n'aurai pas non plus grand mal à ne pas les brûler à leur tour dans six ans. En attendant, leurs costumes froissés pendent au-dessus de la baignoire et leurs masques de pitres grimacent dans les lucarnes. Pitoyable.
Nous ne débattrons donc plus, dans ce pays, d'aucun sujet fâcheux qui ne soit sous contrôle des faiseurs d'opinions. Le débat sur l'Europe, qui a enflammé les Français lors du dernier référendum, ne sera jamais rouvert, puisque qu'une majorité d'entre eux verraient leur sauveur en temps de crise dans le patron du FMI. Et celui sur la laïcité non plus : le mélange des genres étant le meilleur garant de la paix civile, quoi de plus frenchie que de manger de la dinde hallal à Noël, tout en faisant discrètement un signe de croix sous son voile, un petit Indignez-vous dans la poche revolver, et la dernière de Johny ou de Lady Gaga dans le baladeur, hein, je vous le demande ?
07:44 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : politique, laïcité, france, débat |
mercredi, 30 mars 2011
Dans ce pays
Je n’aime pas l’euro.
S’il fallait dater la « mélancolie » que je ressens par rapport à une sorte de heimat perdu, c’est de ce maudit passage à l’euro que je le daterais. Bien que joyeux, jovial, je crois avoir toujours eu une nature mélancolique. Le passé m’a toujours parlé, sous la forme d’épiphanies plus ou moins fortes. Une tombe moussue dans une forêt des Cévennes, quelques lierres accrochés sur le pisé d’un mur du Beaujolais, un bouquet d’orties sur un chemin de terre, le fracas d’un torrent alpin : je voyais très nettement se lever des fantômes aux gestes brusques, des spectres aux sourires francs…
Les vivants m’ont toujours paru inachevés. Similaires et inachevés. J’aime Nerval, Béraud et Giono, pour leur poésie du pays. Ce qui est enfoui m’importe. Le reste m’indiffère. Les vivants que je croise dans l’autobus me sont plus étrangers, secs et nerveux avec leur air du moment, que les personnages de Sylvie ou ceux de Ciel de Suie.
Avec le passage à l’euro s’est jouée en moi la perte d’un signifié séculaire. Comme si on m'avait volé je ne sais quoi. Cette décision, œuvre de techniciens monétaires et de spéculateurs cyniques fut une grande erreur poétique. Avec la disparition du franc, oui, nous perdîmes un signifié séculaire. Euro : avec quoi ce terme hideux rime-t-il ? De rage, à l’époque, j’avais écrit sur un carnet : avec égos ; avec égaux. C’est le triomphe de la consommation, le triomphe d’une démocratie aussi planétaire qu’insipide, vraiment. Nous ne méritons depuis que des gens comme Sarkozy ou Strauss-Kahn, des hommes de l’euros, insipides et interchangeables.
Le pays a perdu quelque chose de son autonomie fondamentale. .
Je me souviens avoir voté Chevènement en désirant ardemment la chute du fâcheux Jospin, Jospin l’europhile. Ce fameux 21 avril, j’étais très heureux de ne pas retrouver ses lunettes et ses cheveux bouclés au second tour des présidentielles. Exit, lui et toute sa cohorte d’opportunistes. Non que Chirac et sa clique valussent mieux. Deux cohabitations avaient fait de ces hommes et de ces femmes des gens qui n’aimaient plus le pays et travaillaient pour sa dilution. D’ailleurs, quand ils en parlaient, ils disaient : « dans ce pays ». Ils continuent. Rien que pour ça, je ne voterai plus jamais pour eux.
Dans ce pays, il faudrait vraiment pouvoir passer à autre chose.
00:07 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : littérature, politique, france, euro |
lundi, 28 mars 2011
La politique du rire.
Les cantonales, c’est les dernières élections à papa, vraiment, celles de la France profonde, des cafés de la poste, des pissotières et des notables. On y fait durant quelques heures comme si rien n’existait au monde, à part l’hexagone et le département. Hier soir, c’est donc la « gauche » qui a emporté le pompon de ces élections d’opérette, à cause du Jura qui « a basculé » de son côté. Historique, disent-ils. Et tout le monde de gloser sur 2012. « Ce soir, tout commence », affirme l'Aubry… Un espoir qui nous viendrait de Hollande Corrèze ?
Sauf que le canton, c’est pas le monde.
La sortie du nucléaire, la répartition des richesses, la réforme des retraites, l’euro de monsieur Trichet, les immigrés de Lampedusa et d'ailleurs, les minarets et les burqas, la baignoire remplie d’eau chaude du patron du FMI n’ont pas fini de diviser ces braves gens et de rappeler que les mêmes clivages sont tout prêts de séparer la gauche comme la droite ; d’autant plus que le centre voudra lui aussi jouer sa partition, tous les Morin, les Borloo, les Villepin, les Bayrou risquent de s’entredéchirer pour s’asseoir sur le même siège. Ne pas oublier non plus que juste après la présidentielle, suivront les législatives : Marine Le Pen n’a pas fini de récolter des voix.
Au fond, ce qui est médiocre, ce n’est ni la gauche ni la droite ni le centre, mais bien les hommes et les femmes de cette génération politique en âge de « régner », enfants du mitterrandisme et du chiraquisme, des cohabitations, de la communication, de la Bourse, du nucléaire, des attentats made in Eurodif. Dans un monde où l’on paiera l’électricité et l’essence de plus en plus cher, il faudra face à eux continuer à apprendre pour survivre à trouver d’autres énergies, à commencer par celle du rire.
00:03 | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : politique, ps, ump, cantonales, élections |
vendredi, 25 mars 2011
Claude Arnaud à la villa Gillet
Bel instant d’empathie hier à la villa Gillet, entre un auteur et ses lecteurs. Conduite par Cécile Guilbert, la rencontre avec Claude Arnaud, prévue pour faire « découvrir l’œuvre », a exclusivement porté sur le dernier roman, Qu’as-tu fait de tes frères ? Il y a été question du genre tout d’abord : mémoires, autobiographie, roman de formation ? L’auteur se revendique de cette dernière forme, développant un point de vue intéressant à la fois sur le roman qui ne peut de toute façon qu’emprunter au réel, au vécu, et à la formation de l’identité (la sienne, en l’occurrence) «dans une époque où tout se déforme» (l’après 68). Un roman de formation, donc, dans une période où l’on ne pouvait, pour se «former» (et se déformer) faire l’économie des événements historiques en cours, parce que le moi et le nous étaient étroitement mêlés.
Claude Arnaud a longuement évoqué la « plasticité du moi » en cette période durant laquelle l’idéologie dominait, et la Révolution s’imposait aux jeunes gens comme une «fiction suffisante» : On niait alors tellement les contraintes du Réel qu’un roman construit ne pouvait qu’apparaître bien fade. Les périodes révolutionnaires seraient ainsi difficiles pour les écrivains. Aucun grand roman, affirme-t-il, n’est d’ailleurs sorti de mai 68. Et ce d’autant plus que le champ littéraire était effroyablement prisonnier de la théorie.
L’écrivain soulève plus largement la question de l’écriture en temps révolutionnaire : quel grand roman a contenu la Révolution américaine, française, russe ? La guerre (Tolstoï) n’est-elle pas plus simple à mettre en pages que la révolution ? Je pense en l’écoutant évidemment à Balzac, ainsi qu’à ses frères, les nombreux (et moins talentueux) romanciers de la Restauration.
Détour par la porte de Saint-Cloud de son enfance, ce quartier alors peuplé «de fantômes», quoi qu’en pense Modiano, dit-il. Et puis la «surestimation du livre» par ses deux frères ainés, lire, lire et, pour remplir «le vide de ce quartier » fonder «une fratrie du livre ». Il évoque la difficile «reconfiguration du moi» auquel son père né en 1910, figure d’autorité façonné par l’ancienne société, a dû se livrer face aux assauts de ses quatre fils et après la mort de sa femme.
Beaucoup de quinquas, de sexas (comme on dit) dans la salle. Leur jeunesse à eux, aussi. « Peu de livres sur le cœur de cette époque sont sortis », dit quelqu’un. C’est vrai. Je réalise que ce qui m’a plu dans ce livre, c’est aussi la manière très libre dont il évoque ces quelques années qui furent la jeunesse de tant de gens et, croyant lever tous les tabous, en façonnèrent un autre : l’impossibilité, entre autres, d’en remettre en cause sans passion les grandes lignes. C’est au fond ce que fait la mémoire de Claude Arnaud : restituer non pas un pour 68 ni un contre, mais un point de vue plus trouble, plus fusionnel, qui dirait les deux comme le recto et le verso disent la même page. C’est ainsi que la littérature finit toujours un jour par triompher des idéologies. Et c’est mieux ainsi.
10:27 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : claude arnaud, villa gillet, littérature, qu'as-tu fait de tes frères |
jeudi, 24 mars 2011
Vous qui savez, à la Renaissance
« Voi che sapete che chosa e amor… » : L’air de Chérubin des Noces de Figaro est un peu la diagonale du fou du dernier spectacle de Jean Lacornerie, juste avant son départ du théâtre de la Renaissance à Oullins pour celui de la Croix-Rousse. Pour cet « adieu » enjoué, il s’est entouré de noms prestigieux : Thierry Escaich pour l’orchestration, Jean Paul Fouchécourt pour la direction musicale. Une équipe de solistes tous passés par les plus grandes mains et les meilleures formations techniques ou vocales.
On prend, certes, plaisir à écouter les 17 morceaux choisis du « programme musical », sorte de best-off qui effectue un tour d’horizon efficace et varié en piochant parmi les pages des opéras les plus célèbres de Mozart : Noces de Figaro, Don Giovanni, La Finta giardiniera, Cosi fan tutte, comme quelques lieder moins fréquentés.
C’était, dit-il, « une idée un peu folle », que de coudre ensemble ces « airs de femme ». Pour tenter d'y parvenir, Geneviève Brisac a utilisé l’aiguille d’une histoire peu crédible. Empruntant au dialogue d'Amour et de Folie (clin d'oeil à Louise Labé ?), elle a placé le personnage de Chérubin et son initiation à l’amour au centre d'une intrigue qui tient plus du sketch divertissant que d'une quelconque dramaturgie. Difficile alors d’oublier que ces solistes, lorsqu'ils jouent, ne sont pas des acteurs, tant la fiction qu’ils endossent apporte peu à la compréhension de Mozart. Dans sa part française comme dans sa part anglaise (on se demande d’ailleurs pourquoi cet emploi soudain de l’anglais... ) le texte demeure un bel amas de lieux communs sur l'amour.
Mais il est vrai que dans cette forme qui se revendique populaire, on est là pour essentiellement se divertir : la façon dont Jean Lacornerie soigne le visuel en se jouant de cet univers soigneusement décalé emprunte au meilleur du Maritie et Gilbert Carpentier de nos enfances des ingrédients éprouvés : un triple paravent blanc évoluant sur un plateau tournant, des jeux d’ombre et de lumière se profilant dessus pour signaler les égarements des sens et de la raison ; des costumes colorés (vert, rose, bleu, gris, blanc et noir) pour camper des silhouettes tranchées ; un rythme qui ne se dément jamais ; les six instrumentalistes projetés hors de la fosse, enfin, et placés sur la partie supérieure du fond de scène comme sur un écran, non loin d’un lustre éclairé.
C’est du beau travail, propre, léché, ludique et performant. Mais terriblement réducteur ; une fantaisie de solistes brillants dont, en écoutant de retour à la maison un opéra de Wolfgang dans sa continuité, on risque de se demander - au-delà du brio de la simple performance ou de l'exercice de style - à quelle nécessité elle cherche à obéir, in fine.
Crédit Photo : Bertrand Stofleth
Vous qui savez… ou Ce qu’est l’amour, Lieder et extraits d’opéras de Wolfgang Amadeus Mozart
Scénario de Geneviève Brisac – orchestration de Thierry Escaich -
direction musicale Jean Paul Fouchécourt - mise en scène de Jean Lacornerie -
du jeudi 24 mars au mercredi 6 avril, théâtre La Renaissance – Oullins
04-72-39-74-91
05:53 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : vous qui savez, jean lacornerie, mozart, théâtre, geneviève brisac |
mercredi, 23 mars 2011
Le printemps contaminé
« Ça grimpe de plus en plus », grésille niaisement une souris météorologique à la jupe rose et au col orangé sur une chaîne infos. Elle a l’air bien satisfaite. C’est le printemps ! « Que caches-tu sous ta jupe, Margot ma voisine ?», aurait rajouté jadis la romance populaire. Mais cette image numérique n'est pas ma voisine, l'illusion grimpe de plus en plus. Voici qu'à présent un rat à lunettes sentencieuses nous explique que l’horloge interne de l’être humain a besoin de trois semaines pour se réhabituer à la douce chaleur qui vient. Boudiou. La lumière, la rétine, le cervelet, bref… Exposez-vous progressivement pour vous préparer à l’été. Exposer ? Où ça ?
Sortir une chaise-longue et prendre un bain de soleil dans son jardin (quand on a encore les moyens d’en avoir un), sur sa terrasse (quand on a encore les moyens d’en avoir une), – eh oui, les souris et les rats miévreux de la télé ont toujours cette tendance à oublier que le seule question qui tourneboule l’esprit des gens sensés reste quand même, printemps, été, automne comme hiver, la question économique – S'exposer, c'est être libre, car la peau, c'est l'organe de la liberté, voilà l’idéologie qu’on propose aux citoyens des florissantes démocraties. Mais ce besoin de tout scientifiser, techniciser, chez des êtres qui se prétendent par ailleurs si joliment éclairés, glissons... La niaiserie a fait tant d’émules que c’est, murmuraient nos grand-pères avant d'aller se pieuter, peine perdue.
Pendant ce temps-là, Dominique de Villepin, qui se croit toujours Premier Ministre, explique que confier la gouvernance de l’opération Aube tralala à l’OTAN serait une erreur. M’énerve, ce mec. Pas pour ce qu’il dit spécialement (si peu d’intérêt…). Mais cette prétention d’ex à la mèche grise. Boulimique et intoxiqué, le grand dadais passé aux rayons, l'ex parfaitement ravalé, ce Villepin. S’y verrait bien à nouveau, sans doute. Addicted. Comme tant d’autres, me direz-vous, à tant de trucs dont on a tué la valeur, le politique, par exemple. Bon moyen de passer le lundi, et tous les autres jours de la semaine, au soleil... Nous autres, pendant ce temps.
Tant d’autres, hélas ! Ex du même acabit…Martine Aubry, bourgeoise hautaine et cassante, expliquant à l'écran sans la moindre conscience de son propre et profond ridicule que « Claude Guéant est jeune en politique… ». L'idiote ! Me souviendrait toujours de sa tête, simiesque et impériale, cette moue médiatique, lorsqu'elle a filé un pièce de 2 euros aux bohémiens de la rue Victor Fort ! Le socialisme … Péguy avait bien raison. Mais comment comprendre vraiment Péguy, dans la fournaise et les volutes putrides de tout ce show ?
Glissons à nouveau.
Revenons plutôt à la lumière qui frappe tout à coup la rétine, et donc le cervelet, et bla bla bla… Ce qui vient du Japon risque-t-il de contrarier l’exposition au Sun des chairs occidentales ? Grosse angoisse des Bronzés, pour leur capital santé et celle de leurs rejetons… Du côté du lait, des épinards, des salades, de la tyroïde, ah, ah, ah ! La précieuse tyroïde... Est-ce avec ce bidule que les cons pensent ? Tout ça me rappelle Argan et son poumon vous-je... La tyroïde, vous dis-je, quand ce n'est pas l'Alzeimer galopant : Voilà, à l’heure actuelle, où nous en sommes… Et ce putain de printemps qui vient. Au secours !
François Hollande, s’il obtient sa majorité dans les cantons corréziens, se verrait bien à l’Elysée. Comme Paris (disait Henri IV) vaut bien une messe, l'Elysée, après tout, vaudrait bien un régime... Tout prêt à embrayer le pas au footing de Nicolas. Une photo présidentielle devant des carottes rapées et du jus de pamplemousse bio, ça changerait des livres et des drapeaux sentencieux, surtout quand on ne sait plus bien lire La Princesse de Clèves ni parler le français de Bossuet, n'est-il pas ?Il faudrait quand même qu'on m'explique en quoi l'ancien rond François est mieux que le toujours sec Nicolas.
Hollande, Villepin, Bayrou, Aubry, et tous les autres, qui devant le risque Le Pen en sont encore à s’inquièter à voix haute et à vertu effarouchée des risques de contamination de l’électorat : le dernier carré des clowns électoraux. Leur fameux front républicain. Eux ? La République ! Se rendent-ils bien compte, naïfs ou péremptoires, de ce qu’ils affirment ? Ont-ils lu les chiffres de l'abstention ? Se rendent-ils bien compte de ce qu'ils disent, de ce qu'ils sont ?
Nucléaire, Kadhafi, irradiés, bombardés, OTAN, forces de frappe, crise, bourses, tsunami, sont les fleurs des champs que pétrissent leurs bouches. Niveau 7, 8, 9... A quand le 10 ?
A demain, si vous le voulez bien...
12:04 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : japon, politique, littérature, le pen, kadhafi, nucléaire, françois hollande, ps, ump |
lundi, 21 mars 2011
Qu'as-tu fait de tes frères ?
Des personnages qui sont « profondément de ce moment »[1], c'est-à-dire de ces années 70, années « qu’une malédiction littéraire a longtemps poursuivies »[2] et « une masse de clichés » recouvertes : on pourrait prendre le récit de Claude Arnaud pour un roman générationnel ; Qu’as-tu fait de tes frères ? me semble davantage être, tout compte fait, l'autopsie d’un moment, le constat des effets différents qu’il provoqua chez des individus de sexes et de générations différents. Il tient de ce fait davantage du genre des mémoires que de celui de l’autobiographie.
« Les Evénements » (un bref chapitre), scinde en deux les parcours romanesques du personnage principal, de ses deux frères ainés, de sa mère, de son père, et de tous ceux dont le lecteur va croiser la route. Avant la déflagration se situait l’idéal des années 50, l’époque de la Reconstruction. Après se décline cette période de quelques années dont ce livre a fait son sujet, cette époque excessive, que « nos vieux pays n’ont plus les moyens ni même l’envie de vivre»[3]. D'où la malédiction schizophrénique qui constitue la trame de fond : ces années qui furent celles de la jeunesse de l'auteur, qui n'ont pas réussi à balayer la nécessité d'un vieil ordre auquel on est resté viscéralement attaché, ces années dont on brûle encore et dont on affirme pourtant avec passion ne pas porter la mélancolie.
La réussite principale de ce livre repose sur la tonalité sobre, minutieuse, savante, grâce à laquelle l'écrivain ressuscite la chronologie des mutations intérieures de chaque personnage ; Arnaud parle toujours au présent de l’indicatif. Cela confère une lisibilité apparemment facile à son phrasé, qui entraîne le lecteur d’une étape à l’autre, dans ce qui se veut une odyssée historique à échelle collective et individuelle.
Ce présent de narration suit tantôt le regard naïf de l’enfant découvrant le Paris d’alors : « Je sors d’un univers figé dans son insignifiance pour entrer dans un monde vivant, contemporain excitant »[4] ; « Je découvre enfin Paris et Paris, par un hasard troublant, est en révolution »[5]; tantôt il introduit le regard ironique du narrateur d’aujourd’hui : « Je m’entends exiger la démission des ministres de l’Education et de l’Intérieur dont je ne connaissais pas le nom la veille ».[6] « Suis-je prêt à payer mes convictions de ma liberté ou de ma vie ? J’ai dix-sept ans, je prends pour la première fois le temps d’y réfléchir » [7]
La rencontre de cet enfant avec « la capitale » et avec « l’Histoire » ne constitue pourtant pas non plus un roman d’apprentissage, au sens que le XIXème siècle donna à ce terme. La déconstruction, précisément, est passée par là : Claude Arnaud évoque ce « sentiment d’être inachevé », [8] lorsqu’il s’agit, précisément, de s’engager dans une «relation ». Ou pour « n’avoir pas fait khâgne ». Mais, dit-il tout autant, « j’acquiers l’impression étrange de devenir un peu tout »[9] et « il y a foule en moi »[10] , « je suis tout le monde et personne à la fois »[11]. « J’ai vingt ans je suis dépassé, Les composantes de ma personnalité flottent, faute de noyau dur capable de les fédérer »[12] C’est en ce sens qu’on peut parler de roman générationnel : « Je suis l’otage d’un monde tout près de s’éteindre, vidé de l’intérieur, résigné à sa propre fin »[13]
[1] A propos d’Arlette Donati, p220
[2] p 360
[3] p 362
[4] p 89
[5] p 97
[6] p 90
[7] p 181
[8] p 235
[9] p 158
[10] p 258
[11] p 276
[12] p 251
[13] P 236
06:04 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : claude arnaud, qu'as-tu fait de tes frères, littérature, villa gillet |