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vendredi, 25 mars 2011

Claude Arnaud à la villa Gillet

Bel instant d’empathie hier à la villa Gillet, entre un auteur et ses lecteurs. Conduite par Cécile Guilbert, la rencontre avec Claude Arnaud, prévue pour faire « découvrir l’œuvre »,  a exclusivement porté sur le dernier roman, Qu’as-tu fait de tes frères ? Il y a été question du genre tout d’abord : mémoires, autobiographie, roman de formation ? L’auteur se revendique de cette dernière forme, développant un point de vue intéressant à la fois sur le roman qui ne peut de toute façon qu’emprunter au réel, au vécu, et à la formation de l’identité (la sienne, en l’occurrence) «dans une époque où tout se déforme» (l’après 68). Un roman de formation, donc, dans une période où l’on ne pouvait, pour se «former» (et se déformer) faire l’économie des événements historiques en cours, parce que le moi et le nous étaient étroitement mêlés.

Claude Arnaud a longuement évoqué la « plasticité du moi » en cette période durant laquelle l’idéologie dominait, et la Révolution s’imposait aux jeunes gens comme une «fiction suffisante» : On niait alors tellement les contraintes du Réel qu’un roman construit ne pouvait qu’apparaître bien fade. Les périodes révolutionnaires seraient ainsi difficiles pour les écrivains.  Aucun grand roman, affirme-t-il, n’est d’ailleurs sorti de mai 68. Et ce d’autant plus que le champ littéraire était effroyablement prisonnier de la théorie.

L’écrivain soulève plus largement la question de l’écriture en temps révolutionnaire : quel grand roman a contenu la Révolution américaine, française, russe ? La guerre (Tolstoï) n’est-elle pas plus simple à mettre en pages que la révolution ? Je pense en l’écoutant évidemment à Balzac, ainsi qu’à ses frères, les nombreux (et moins talentueux) romanciers de la Restauration.

Détour par la porte de Saint-Cloud de son enfance, ce quartier alors peuplé «de fantômes», quoi qu’en pense Modiano, dit-il.  Et puis la «surestimation du livre» par ses deux frères ainés, lire, lire et, pour remplir «le vide de ce quartier » fonder «une fratrie du livre ». Il évoque la difficile «reconfiguration du moi» auquel son père né en 1910, figure d’autorité façonné par l’ancienne société, a dû se livrer face aux assauts de ses quatre fils et après la mort de sa femme.

Beaucoup de quinquas, de sexas (comme on dit) dans la salle. Leur jeunesse à eux, aussi. « Peu de livres sur le cœur de cette époque sont sortis », dit quelqu’un. C’est vrai.  Je réalise que ce qui m’a plu dans ce livre, c’est aussi la manière très libre dont il évoque ces quelques années qui furent la jeunesse de tant de gens et, croyant lever tous les tabous, en façonnèrent un autre : l’impossibilité, entre autres, d’en remettre en cause sans passion les grandes lignes. C’est au fond ce que fait la mémoire de Claude Arnaud : restituer non pas un pour 68 ni un contre, mais un point de vue plus trouble, plus fusionnel, qui dirait les deux comme le recto et le verso disent la même page. C’est ainsi que la littérature finit toujours un jour par triompher des idéologies. Et c’est mieux ainsi. 

10:27 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : claude arnaud, villa gillet, littérature, qu'as-tu fait de tes frères | | |

lundi, 21 mars 2011

Qu'as-tu fait de tes frères ?

 

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Des personnages qui sont « profondément de ce moment »[1], c'est-à-dire de ces années 70, années « qu’une malédiction littéraire a longtemps poursuivies »[2] et « une masse de clichés » recouvertes : on pourrait prendre le récit de Claude Arnaud pour un roman générationnel ; Qu’as-tu fait de tes frères ? me semble davantage être, tout compte fait, l'autopsie d’un moment, le constat des effets différents qu’il provoqua chez des individus de sexes et de générations différents. Il tient de ce fait davantage du genre des mémoires que de celui de l’autobiographie.

« Les Evénements » (un bref chapitre), scinde en deux les parcours romanesques du personnage principal, de ses deux frères ainés, de sa mère, de son père, et de tous ceux dont le  lecteur va croiser la route. Avant la déflagration se situait l’idéal des années 50, l’époque de la Reconstruction. Après se décline cette période de quelques années dont ce livre a fait son sujet, cette époque excessive, que « nos vieux pays n’ont plus les moyens ni même l’envie de vivre»[3]. D'où la malédiction schizophrénique qui constitue la trame de fond : ces années qui furent celles de la jeunesse de l'auteur, qui n'ont pas réussi à balayer la nécessité d'un vieil ordre auquel on est resté viscéralement attaché, ces années dont on brûle encore et dont on affirme pourtant avec passion ne pas porter la mélancolie. 

La réussite principale de ce livre repose sur la tonalité sobre, minutieuse, savante, grâce à laquelle l'écrivain ressuscite la chronologie des mutations intérieures de chaque personnage ; Arnaud parle toujours au présent de l’indicatif. Cela confère une lisibilité apparemment facile à son phrasé, qui entraîne le lecteur d’une étape à l’autre, dans ce qui se veut une odyssée historique à échelle collective et individuelle.

Ce présent de narration suit tantôt  le regard naïf de l’enfant découvrant le Paris d’alors : « Je sors d’un univers figé dans son insignifiance pour entrer dans un monde vivant, contemporain excitant »[4] ; « Je découvre enfin Paris et Paris, par un hasard troublant, est en révolution »[5] tantôt il introduit le regard ironique du narrateur d’aujourd’hui : « Je m’entends exiger la démission des ministres de l’Education et de l’Intérieur dont je ne connaissais pas le nom la veille ».[6] « Suis-je prêt à payer mes convictions de ma liberté ou de ma vie ? J’ai dix-sept ans, je prends pour la première fois le temps d’y réfléchir » [7]

La rencontre de cet enfant avec « la capitale » et avec « l’Histoire » ne constitue pourtant pas non plus un roman d’apprentissage, au sens que le XIXème siècle donna à ce terme. La déconstruction, précisément, est passée par là : Claude Arnaud évoque ce « sentiment d’être inachevé », [8]  lorsqu’il s’agit, précisément, de s’engager dans une «relation ». Ou pour « n’avoir pas fait khâgne ». Mais, dit-il tout autant, « j’acquiers l’impression étrange de devenir un peu tout »[9]  et « il y a foule en moi »[10] , « je suis tout le monde et personne à la fois »[11]. « J’ai vingt ans je suis dépassé,  Les composantes de ma personnalité flottent, faute de noyau dur capable de les fédérer »[12] C’est en ce sens qu’on peut parler de roman générationnel : « Je suis l’otage d’un monde tout près de s’éteindre, vidé de l’intérieur, résigné à sa propre fin »[13]



[1]  A propos d’Arlette Donati, p220

[2]  p 360

[3]  p 362

[4]  p 89

[5]  p 97

[6]  p 90

[7]  p 181

[8]  p 235

[9]  p 158

[10] p 258

[11] p 276

[12] p 251

[13] P 236

 

 

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