jeudi, 05 mai 2011
Capital santé
Que la santé soit un capital, le prolétaire vivant parmi les autres à la force de ses seuls bras l’a toujours su ; ainsi, bien conscient de la portée économique d’un physique en pleine forme, s’est-on s’est toujours souhaité de concert la bonne année de pair avec la bonne santé. Un proverbe malicieux que je relève dans un recueil de sagesse populaire le dit clairement : « Soigne ta peau, te la porteras longtemps »
Mais le rapport à la peau, c'est-à-dire à la santé, demeurait encore un rapport à soi, c'est-à-dire à l’être. On était en bonne santé. Ce qui a changé avec le capital santé, prolongement des chèques restaurant ou vacances, c’est que la santé est dorénavant un avoir qui s’entretient au même titre qu’un parc immobilier, un portefeuille d’actions ou un bon héritage. Comme l'expression, mon corps en bonne santé devient un lieu commun de l'époque, le capital-santé faisant partie du package indispensable à toute existence heureuse en social-démocratie globalisée.
Capital-santé : La notion s’est propagée durant ces foutues années 80, aussi incongrue à notre patrimoine culturelle qu’étrangère à notre patrimoine linguistique. Dans la forme, la suppression de la préposition entre le terme santé et le terme capital est une construction issue du marketing. Elle fleurait bon son consumérisme ambiant et son modernisme dynamique, tout comme les prix-fêtes, les cadeaux-fidélité, la ligne-visage, la laque-double action, la poudre spéciale-textiles délicats, l’assurance tous risques… Mais l’expression n’est pas seulement dissonante à l’oreille, elle est aussi lourde de trivialité en assimilant la bonne forme à une valeur capitalisable, autrement dit à un bien, une marchandise. Derrière la capital-santé se cache l’ombre massive de l’OMS et de ses recommandations : dans cette perspective, il ne suffit plus d’être bien dans sa peau pour soi-même, la santé devient une sorte de devoir (un de plus) à l’égard de la société de consommation : manger équilibré, limiter le sucre, surveiller le cholestérol, dépister le cancer à temps, ne pas fumer, ne pas boire et rester svelte… Bref, traiter son corps comme une partie de l’espace public, et non plus comme le lieu même de l’intime.
Au regard de la norme ainsi constituée avec sa cohorte de Diafoirus (pharmaciens, diététiciens, conseillers et spécialistes de tous crins), le « comportement sanitaire » de chacun d’entre nous devient conforme ou non à ce qu’on peut attendre d’un bon citoyen, au même titre qu’un comportement économique ou social.
Parlera-t-on un jour de délinquant sanitaire ?
Les plus imprévoyants, déjà, les plus irresponsables (les pauvres et les incultes) qui perdent ou dissipent leur capital pour finir poivrots, tabagiques ou obèses sont de plus en plus mis à l’index. A l’autre bout de la table, on montre en exemple ceux qui savent rester sain en faisant fructifier leur capital, de liftings en transfusions sanguines complètes, de liposuccions en greffes d’organes : En matière de santé comme en tout, on ne fait crédit qu’aux riches.
10:46 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : politique, capital-santé, société |
mercredi, 04 mai 2011
Disait-elle
Ma vieille prof de théâtre était toujours vêtue d’un pantalon fuseau et d’un pull over à col roulé. « On peut, disait-elle, réduire le jeu d’un comédien comme tout ce que raconte la totalité du Répertoire à deux mouvements fondamentaux : dire oui, dire non. Pour cela, vous disposez du regard, du geste, de la parole. Et c'est tout. »
Sur ces deux grandes tendances – le refus ou l’acquiescement-, elle nous expliquait que se greffait la gamme entière des nuances et des émotions qu’il nous faudrait jouer sur scène, et l’existence de milliers de personnages : honte, pitié, colère, désir, raisonnement… Tout cela ne revenant in fine qu’à approuver ou réfuter ostensiblement quelque chose, du regard, du geste ou de la parole, avec une intensité plus ou moins affirmée.
Pour le reste, nous disait-elle, il n’est de secret que l’articulation. Avant de monter sur scène, elle nous faisait répéter : Gros grand grain gris creux d’orge, quand te dégros grand grain gris creux d’orgeriseras-tu ? Je me dégros grand grain gris creux d’orgeriserai quand tous les gros grand grain gris creux d’orge se dégros grand grain gris creux d’orgeriseront. Idem avec le petit pot de beurre et d’autres pis-aller.
Après ça, elle nous fichait un texte entre les mains, un monologue d’Othello, un sermon de Bossuet, une chanson de Gaston Couté, ou tout autant une liste de commissions, et il fallait se débrouiller pour lui dire oui ou non avec ce texte-là, du regard, du geste, de la parole. Sans s’occuper du reste.
Elle se tenait en fond de salle, cigarette au bec. Elle ne fumait que des Gitanes. Dans la pénombre, cela formait une lueur, un grésillement, une écoute, un peu de fumée bleue. Quelques recommandations. De compliments, jamais.
Quand elle était contente de quelqu’un, elle le lui faisait savoir en lui proposant un petit rôle. On venait en car de toute la région pour voir les spectacles qu’elle montait dans son théâtre non subventionné. Des pièces de boulevard, écrites par elle ou par son mari. Un canevas bien rôdé, des répliques à l’efficacité éprouvées durant ses cours. Du 100% maison, disait-elle.
09:17 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : théâtre, littérature, lyon |
lundi, 02 mai 2011
Qui dit mieux ?
Ben Laden n’est pas encore refroidi qu’on se demande déjà sur les chaînes d’info quelles seront les représailles d’Al-Qaida. Enfin, pas encore refroidi… Il parait que pour empêcher des islamistes fanatiques de faire de sa tombe un lieu de pèlerinage, les Américains ont balancé son corps en haute mer. Décidément, l’homme occidental vit toujours dans la peur, la méfiance ou la prospection.
Bien sûr, moi, confiant comme jamais dans les autorités qui nous gouvernent, en voyant Obama droit comme un cierge annoncer au monde entier la mort de l’Ennemi public n°1, je n’ai pu m’empêcher d’en douter. D’autant plus que ces cons ont laissé circuler sur Internet une photo truquée datant de 2010. Eh oui, y’a pas que les gosses du numérique qui jouent avec Photoshop :
Ces jours-ci, faut avouer, l’actualité à la Hergé nous gâte et le téléspectateur bédéssiné moyen qui suit le feuilleton devient, de bulle en bulle, de plus en plus exigeant : Un mariage princier, une béatification papale, et aujourd’hui le dézingage du terroriste qui tenait la dragée haute à l’Amérique depuis 10 ans. On en oublie déjà celui du fils Kadhafi d’hier. A peine commencé, le XXIème siècle serait-il fini ?
Quant à la centrale de Fukushima, tout le monde se fout désormais de savoir où est en l’état des travaux. Ne parlons pas des résultats de la Ligue 1 et des deux olympiques de plus en plus minables courant derrière les lillois. De quoi va-t-on parler demain ? L’animateur (trice) aux yeux pétillants sur le plateau, ainsi que ses futurs invités, exultent.
La Grande Bretagne, le Vatican, les USA ont fait leur show : A ce rythme-là il va falloir que François Hollande et ses copains (pines), qui battent la campagne à répétition pour faire parler d'eux, inventent vite autre chose que de simples primaires pour intéresser le chaland à leur non-politique…
17:49 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : ben laden, actualité, politique, obama |
vendredi, 29 avril 2011
The show must go on
Un mariage royal en cours à Londres , une future béatification en préparation à Rome, les télés du monde sont en rut, ici, c'est la saison des impôts... Parce que the show must go on…
13:09 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : kate, william, jean paul ii, actualité, mariage, béatification, londres, rome |
jeudi, 28 avril 2011
Du fait sublime au fait divers
J’étais toujours surpris par la façon dont ma grand-mère s’exclamait en lisant le journal, lorsqu’elle y rencontrait un fait-divers particulièrement dramatique : « Quelle horreur ! », lançait-elle, avant de reposer les feuilles sur ses genoux et de laisser son regard humide et bleu se perdre dans le vide, en s’abimant dans une muette méditation sur la méchanceté de certains hommes.
L’affaire Troppmann (l'horrible massacre de Pantin), le 21 novembre 1869, avaient lancé la roue de la fortune de Moïse Millaud : une mère, déjà, et ses cinq enfants. Tant d’autres, depuis, de Violette Nozière en Dominici, de Landru en Grégory, que la presse, toujours, présentait comme une tragique exception, avec des surenchères de vocabulaire, d’images, de révélations, sans compter les adaptations littéraires ou cinématographiques à la clé.
les victimes de Troppmann
Dans la société du spectacle, le fait divers a perdu ce caractère exceptionnel. Le meurtre, qui n’y apparait qu’à titre d’image – une image comme une autre –, n’est plus vraiment érigé dans sa dimension monstrueuse ni commenté comme une exception cathartique. Il se donne à voir plutôt comme un événement in fine comparable à un autre. L’image l’a inscrit dans l’ordre du réel et du quotidien : En bref, dit le speaker... Et on passe à autre chose.
Dans ce panier ménager d’affaires en tous genres, le fait divers est devenu une sorte d’événement constitutif des rouages du vaste monde, un fait de société, au même titre que le tabagisme ou le chômage, qu’on doit par temps de crise pouvoir expliquer par quelque dérèglement du système ou de l’individu ; il n’a plus de signification propre et individuelle : tuer sa famille, tirer sur des inconnus, se suicider en public, autant d’actes jadis transgressifs devenus peu à peu les ingrédients du show sur lequel la norme de l’information offre à méditer. Méditer ? Voire !
Pourquoi nos regards humides et bleus s’attarderaient-ils trop longtemps sur l’écran ? S’exclamer, comme le faisait jadis ma grand-mère, « quelle horreur !» n’est depuis longtemps plus de mise devant ces meurtres « objectivés » par ceux qui nous informent de leur existence sans jamais plus ni les raconter, ni les juger, ni les mythifier.
En 1985, le « forcément sublime » de Marguerite Duras fut une formule crépusculaire.
Nous avons quitté la saison de l’horreur ou du sublime pour passer à l’ère de l’insignifiance et de la platitude. Trop de divers a tué le sublime. Là où s’exprimaient indignation et réprobation devant l’étrangeté des crimes, ne sourd qu’une angoisse diluée et intrinsèque devant leur inquiétante familiarité : le criminel aussi a cessé d'être un sujet. N’en déplaise à Dostoïevski. Comme tout un chacun, il n'est plus qu’un écart par rapport à une norme. Les rotatives du fantasme ont cessé de tourner : C’est à ce prix que la société de l'information subsiste.
00:28 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : troppmann, dupont de ligonnès, fait-divers, littérature, marguerite duras, information |
mercredi, 27 avril 2011
De l'enquête, du témoignage, de la fiction véritable
J’évoquais dans un billet récent le fait que les faits divers, si sanglants, si sordides, si spectaculaires fussent-ils, ne donnaient plus lieu à de grandes passions populaires et éveillaient de moins en moins la fibre des romanciers, noyés, submergés que nous étions sous de plus amples catastrophes (séismes, éruptions de volcans, tsunamis…) de mois en mois et d’années en années. Pas de quoi réveiller un Simenon, affirmais-je péremptoirement à propos d’une affaire récente. Le drame nantais qui défraye non plus la chronique, mais les pages Google, me donne aujourd’hui tort.
J’aurais d’ailleurs dû me rappeler que l’un des billets de ce blog les plus régulièrement lu depuis mai 2009- au point qu’il figure de mois en mois et jusqu’à ce jour dans le tiercé gagnant des pages visitées -, est précisément un « nouvelle » écrite à partir d’un fait divers atroce commis à Lyon Vaise et titré La tête dans le miroir.
A première vue, ce qui attira une majorité de gens vers l’assassinat d’Agnès Dupont de Ligonnès et de ses quatre enfants, fut tout d’abord cette photo qu’on vit partout ; les visages souriants, sympathiques, on ne peut plus normaux a priori, d’un père et une mère de famille entourés de leurs quatre enfants : cette affaire nous plonge dans ce qui, en surface, parait donc tout sauf dramatique. Ce genre de portraits qu’on découvre sur les commodes et les tables de nuit, que Maigret considère un instant tout en tirant sur sa pipe, puis repose dans un soupir en se disant qu’il aura du pain sur les planche. Des gens ordinaires. De quoi activer les turbines du fantasme.
Il y a peut-être aussi ce nom, qui, au patronyme le plus banal (Dupont) associe un parfum non seulement aristocratique, mais aussi terriblement vieille France et franchement romanesque (De Ligonnès). Si l’on en croit le témoignage d’une grande tante du père en fuite : «Nous sommes une vieille famille aristocratique pratiquante, tout d'abord installée en Ardèche puis en Lozère. Sophie de Lamartine, la sœur du poète, a notamment épousé un Ligonnès et un Ligonnès est devenu évêque de Rodez. Le vrai patronyme de notre famille qui est en fait Du Pont de Mars de Ligonnès a été changé à la suite d'une erreur dans l'état civil que personne n'a cherché à rectifier. Avec la disparition des trois garçons d'Agnès, ce nom va s'éteindre. »
Le public est donc partagé entre deux impressions à la fois, comme l’a souligné une enseignante dans le cortège de la marche blanche ; celle « que ça peut arriver à tout le monde », mais le sentiment que si ça arrive à ces gens précisément, il doit y avoir une raison cachée.
Alors on la cherche.
On la recherche d’autant plus que tout l’arsenal des affaires les plus romanesques se retrouvent rassemblé en celle-ci : les leçons de tir, la rumeur d’un agent secret, les découvertes macabres sous la terrasse, les sacs de chaux, une double vie avec une maîtresse à Asnières, les comptes opaques, les dettes multiples, les héritages dilapidés, et surtout la cavale du meurtrier présumé vers le Sud, cavale classique et d’autant plus frappante qu’elle entraîne les enquêteurs d’une suite prestige à 220 euros dans une auberge du Pontet dans le Vaucluse à une chambre de formule1 à Roquebrune sur Argens, et finalement un parking et une voiture abandonnée, et puis plus rien, rien malgré tous les efforts d’Interpol…
Le romanesque serait-il de retour ?
Entrent alors en scène les « internautes ». Qui sont-ils ?
Des gens comme vous et moi qui soudain s’improvisent détectives, essaiment la toile, ouvrent des pages Facebook, exhument des commentaires sur des forums. Des investigateurs anonymes à la façon XXIème siècle, qui n’écriront jamais aucun roman, et pour qui Xavier Dupont de Ligonnès ne deviendra jamais un personnage, mais restera, si monstrueuse soit-elle, une personne.
Et c’est alors qu’on apprend que ce Xavier Dupont de Ligonnès, sous divers pseudos (Chevy, Ligo) fréquentait il y a peu encore un site catholique, sur lequel il déclarait avoir perdu la foi. On survole alors quelques commentaires : Etrange impression, quand on découvre, sous la plume de cet « homme le plus recherché de France » (disent les journaux), des dissertations sur la nature des anges, l’âme des animaux, la conscience du temps, la date véritable de la création du monde, et la transformation inexplicable de Lucifer en Satan. Voilà qu’on glisse tout à coup d’un climat à la Simenon, provincial et français, vers une ambiance à la Dostoïevski, à la tonalité plus sombre, plus inquiétante, presque métaphysique comme dans les pages du « Grand Inquisiteur » des Frères Karamazov. Le fait-divers et ses journalistes semblent loin.
Le romancier parviendra-t-il à entrer en scène ?
Trait d’époque, il faudrait que les choses aillent moins vite, et que la partition s’écrive à moins de mains. Un grand quotidien, qui a retrouvé un ami d’enfance de l’assassin en cavale titre déjà : « une jeunesse plus fêtarde que bigote ». Les témoignages affluent. Trop, disent les enquêteurs, qui n’arrivent plus à avancer.
Et puis il y a l’émotion.
Bien que tous ces éléments soient nimbés d’irréel, il y a ces lieux, ces visages, ces voisins, ces copains, ces fleurs, la douleur, ce réel. C’est une histoire vraie, comme on dit. Si compacte dans l’horreur soit-elle, elle appartient à des gens en propre et en privé. C’est le dernier rempart contre la fiction.
Sans doute retrouvera-t-on Xavier Dupont de Ligonnès un de ces jours, à moins qu’il ne se soit déjà donné la mort dans quelque coin du Sud. Ce qui est sûr, c'est que l'histoire aura déjà été vécue et interprétée par des milliers de gens, avant même que la fiction n'ait le temps de la raconter. Son pouvoir d'évocation romanesque aura ainsi été épuisé, dilapidé, consommé et vidé de son sens, avant même de s'écrire. D'aucuns pourront toujours, certes, se risquer à en faire des enquêtes, des témoignages, des films. Il faudra alors coller au réel. Le suivre. Mais s'en inspirer pour un roman...
Cette extinction est peut-être ce que cette affaire dit de plus tragique sur le peu de part que notre époque et ses realities shows spectaculaires, contrairement à d'autres, prend la précaution de laisser de soi à l'imaginaire littéraire.
10:50 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, fait-divers, dupont de ligonnes |
lundi, 25 avril 2011
El Azariyeh
Lazare s’est-il longtemps demandé ce que signifierait pour de bon sa mise au tombeau ? Métaphore extrême de chacun d’entre nous condamné à vieillir, à laisser là chaque jour un peu plus de soi, bouts d’ongles, cheveux gris, morceaux de sa peau, et ceux qui l’aiment éloignés de lui, chaque souvenir, et ceux qu’il aime, impuissants à le sauver, ferveur en allée. Ailleurs, et comme partout autour sur la planète, la Résurrection est devenue un commerce qui fait vivre en toutes langues et parler tant de monde.
Mais là, en cette terre aride, elle reste malgré la division seul signe tangible, «Béthanie sera toujours Béthanie, murmura un jour Maria Valtorta, tant que la Haine ne fouillera pas en ce foyer d'amour, croyant en disperser les flammes, et au contraire elle les répandra sur le monde pour l'allumer tout entier. » Le sépulcre de Lazare dans la contrée d’El Azariyeh : C’est le nom que les musulmans ont donné au lieu. D’autres orthographes existent bien, El Aziriyeh, el-Azariyah, dont l’étymon premier, comme la vieille église a survécu : El Azariyeh, c’est bien Lazarion, le village de Lazare. « De personne d’autre, je n’ai accepté autant, que de mes amis de Béthanie » aurait dit le Christ.
Ce lieu ne garde en moi qu’une table, dont le sable blanc a recouvert la pierre. Table devenue page, page devenue sage, message auquel je me suis confié et qu’un doigt découvre à chaque fois que se dérobe le sol. Devant cette poussière qui rendit aussi vain qu’éclatant tout autre savoir, les docteurs de la foi comme ceux de la non-foi demeurent inopérants. Le silence est d’or. Et nulle part la Résurrection ne vibre d’une présence aussi compacte, que rejoint le pèlerin astral, défait de la Douleur d'exister.
11:18 Publié dans Des poèmes, Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : el azariyeh, béthanie, pâques, résurrection, lazare, christianisme, religion |
dimanche, 24 avril 2011
Salauds de pauvres
Marine Le Pen, ça se confirme, fait un tabac chez les ouvriers : 36%, affirme un sondage du Journal du Dimanche. C’est finalement un signe de santé de la part de cet électorat qui majoritairement, qu’il vînt de la droite ou de la gauche extrêmes, avait rejeté la Constitution giscardienne et que les barons de l’UMP comme ceux du PS giflent et toisent de haut depuis des décennies. Décomplexés, les pauvres ! Salauds de pauvres !
Et c’est drôle de voir les états majors de tous bords affuter leurs arguments : Marine Le Pen n’a pas de programme, ne tiendra pas ses promesses, Marine Le Pen décevra… Comme si eux, non plus n’étaient pas, n’’avaient jamais été des professionnels de la déception. Comme si eux non plus ne s’apprêtaient pas à décevoir.
D’ailleurs, les riches ont tort et le savent : Ils savent que Marine le Pen ne décevra pas, elle, et les pauvres le savent aussi, puisqu’elle ne sera jamais élue. Elle ne sera jamais élue contre leur monde, celui des medias, de l’économie, de la finance et des affaires. Elle ne décevra donc pas. La boucle est bouclée et le roi est nu, le roi est plus que nu, sur sa fesse droite comme sur sa fesse gauche.
C’est pourquoi toutes leurs sirènes d’alarmes, leurs gyrophares policiers et leurs mines de circonstance devant ces sondages en réalité calamiteux pour eux sont si vains, sonnent si faux, mettent une fois de plus à nue leur seule ambition au service d’eux-mêmes, dans ces primaires aussi ridicules là où elles sont déclarées (à gauche) que là où elles ne le sont pas (au centre et à droite).
Tout le monde sait que si elle passe le 1er tour, Marine Le Pen ne servira, comme son père avant elle, qu’à faire élire avec un score sans doute moins pharaonique que le désastreux Chirac (82,21 % au premier tour !), mais cependant toujours aussi peu représentatif, un de ces candidats du sérail.
Alors, le vote utile ?
Même cette rhétorique éculée ne prend plus. Comme si finalement, les pauvres disaient aux riches qu’ils se foutent bien que ce soit l’un ou l’autre d’entre eux qui les gouverne, puisque comme le fit au forceps la constitution européenne, ce sera de toute façon l'un ou l'autre d'entre eux qui passera.
La politique n’est plus même un spectacle qu'on se contente de regarder de l'autre côté d'un écran. Le parterre veut s’amuser. Et demande à rire un peu.
19:41 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : marine le pen, politique, france, 2012, élections |
jeudi, 21 avril 2011
Laïcité : où conduit l'égalitarisme ?
Où conduit l’égalitarisme ? En matière d’enseignement, à ne à plus considérer la valeur personnelle de chaque individu, mais la nécessité politique de décerner à chaque membre du troupeau dès sa majorité un vague diplôme.
L’égalitarisme confond l’égalité des droits et celle des devoirs avec celle des valeurs, en dressant une analogie de principe entre elles. Bien sûr qu’un élève a les mêmes droits et les mêmes devoirs qu’un autre. Mais comment nier le fait que son effort, son travail, son niveau diffèrent de ceux d’un autre : c’est d’ailleurs ce que le système et son besoin de notes demande aux professeurs d’évaluer, tout en leur expliquant depuis bientôt trente ans qu’il ne faut pas faire de discriminations entre bons et mauvais au nom de l’éthique républicaine et de je ne sais quelle morale éducative.
Lorsque Claude Allègre, alors ministre de l’Education Nationale, déclara que le français était une langue comme les autres, il avait bien sûr raison en tant que linguiste. Pourtant, chargée d’affects comme elle l’est pour les Français, leur langue maternelle n’est pas une langue comme les autres et la pensée abstraite qui veut faire d’elle l’équivalent d’une autre se trompe, de la même manière que lorsqu’elle postule une égalité de valeur entre l’effort et le travail de divers élèves. Toutes les littératures, tous les mouvements culturels se valent-ils ? Oui dans l’absolu. Non dans les faits. De la même façon que l’italien, l’arabe, le russe ou l’hindi ne sont pas des langues comme les autres pour des Italiens, des Arabes, des Russes ou des Hindis, le français non plus n’en est évidemment pas une. De la même manière, notre mère n’est pas, quoi qu’on en dise, une femme comme les autres. Personne ne pense sans affects. Le croire est un leurre.
Appliqué à la laïcité, voilà ce que donne ce dogme de l’égalitarisme: en France, le christianisme devrait être une religion comme les autres ! Quelle tartufferie ! Raisonnement de sociologue rompu à la bien-pensance de l’égalitarisme démagogique, raisonnement se croyant objectif alors qu’il n’est qu’analogique. Pur sophisme. Car à moins de gommer quinze siècles de culture et d’histoire, force est de constater qu’en France, le christianisme ne peut être « une religion comme les autres », le christianisme n’ayant pas produit sur cette terre les mêmes effets ni les mêmes mœurs, les mêmes langages ni les mêmes significations que d’autres religions. La réciproque est vraie en d’autres terres. Le nier est une folie.
La laïcité postule fort justement que tous les hommes ont une liberté de conscience, celle de croire ou de ne pas croire, et qu’en terme de droit ils sont égaux, et que le fait politique et le fait religieux sont indépendants l’un de l’autre. Il ne vient à l’esprit de personne de contester cela. Mais là encore, égalité de droits ne présuppose pas égalité de valeurs, ni égalité d’histoire. Or, à moins d’un révisionnisme gigantesque – en cours, certes, mais pas encore achevé -, on ne parviendra pas à faire avaler aux gens que l’influence chrétienne est anodine dans ce pays, que l’histoire et la culture ne l’ont pas chargé d’une valeur identitaire spécifique, et qu’elle doit céder le pas à d’autres.
Que cherchent au fond les tenants de l’égalitarisme en laïcité ? Et de quoi ont-ils peur ?
Je crois pouvoir dire que ce qu’ils redoutent est rien moins que la guerre civile. « « C’est pour protéger la paix civile », combien de fois ne l’ai-je pas entendu, que l’égalitarisme a peu à peu supplanté ce qu’on appelle désormais l’élitisme à l’école, et qui n’était ni plus ni moins que la reconnaissance des différentes valeurs. Or à quoi a-t-on abouti ? A niveler par le bas, et à installer cet à-peu-près et cette violence larvée qui règnent dans les classes, surtout comme on le dit d’un pudique euphémisme, dans les « classes difficiles ». A générer surtout de l’inculture. Une effroyable amnésie collective dont les adultes sont les premiers responsables et qu’ils font payer le plus souvent, parents compris, à leurs mômes.
Cela se comprend très bien : lorsqu’on ôte aux gens la valeur, c’est-à-dire la signification des choses, on les rend, c’est bien normal, violents. Introduire l’égalitarisme en laïcité, c’est nier les valeurs diverses qu’ont – ou n’ont pas – les religions diverses aux yeux des croyants comme des non-croyants. Parler du passé chrétien de la France, comme du passé musulman d’une autre nation, n’est en rien scandaleux. Au contraire ! C’est ramener de la diachronie, rappeler certaines évidences lorsqu’au tamis de la pensée analogique et du consumérisme, on souhaite abolir les différences, niveler les croyances et mettre les comportements singuliers au pas du même dogme : celui de l’amnésie.
09:03 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : politique, religion, laïcité, égalitarisme |