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jeudi, 05 mai 2011

Capital santé

Que la santé soit un capital, le prolétaire vivant parmi les autres à la force de ses seuls bras l’a toujours su ; ainsi, bien conscient de la portée économique d’un physique en pleine forme, s’est-on s’est toujours souhaité de concert la bonne année de pair avec  la bonne santé. Un proverbe malicieux que je relève dans un recueil de sagesse populaire le dit clairement : « Soigne ta peau, te la porteras longtemps »

Mais le rapport à la peau, c'est-à-dire à la santé, demeurait encore un rapport à soi, c'est-à-dire à l’être. On était en bonne santé. Ce qui a changé avec le capital santé, prolongement des chèques restaurant ou vacances, c’est que la santé est dorénavant un avoir qui s’entretient au même titre qu’un parc immobilier, un portefeuille d’actions ou un bon héritage. Comme l'expression, mon corps en bonne santé devient un lieu commun de l'époque, le capital-santé faisant partie du package indispensable à toute existence heureuse en social-démocratie globalisée.

Capital-santé : La notion s’est propagée durant ces foutues années 80, aussi incongrue à notre patrimoine culturelle qu’étrangère à notre patrimoine linguistique. Dans la forme, la suppression de la préposition entre le terme santé et le terme capital est une construction issue du marketing. Elle  fleurait bon son consumérisme ambiant et son modernisme dynamique, tout comme  les prix-fêtes, les cadeaux-fidélité, la ligne-visage, la laque-double action, la poudre spéciale-textiles délicats, l’assurance tous risques   Mais l’expression n’est pas seulement dissonante à l’oreille, elle est aussi lourde de trivialité en assimilant la bonne forme à une valeur capitalisable, autrement dit à un bien, une marchandise. Derrière la capital-santé se cache l’ombre massive de l’OMS et de ses recommandations : dans cette perspective, il ne suffit plus d’être bien dans sa peau pour soi-même, la santé devient une sorte de devoir (un de plus) à l’égard de la société de consommation : manger équilibré, limiter le sucre, surveiller le cholestérol, dépister le cancer à temps, ne pas fumer, ne pas boire et rester svelte… Bref, traiter son corps comme une partie de l’espace public, et non plus comme le lieu même de l’intime.

Au regard de la norme ainsi constituée avec sa cohorte de Diafoirus (pharmaciens, diététiciens, conseillers et spécialistes de tous crins), le « comportement sanitaire » de chacun d’entre nous devient conforme ou non à ce qu’on peut attendre d’un bon citoyen, au même titre qu’un comportement économique ou social.  

Parlera-t-on un jour de délinquant sanitaire ?

Les plus imprévoyants, déjà, les plus irresponsables (les pauvres et les incultes) qui perdent ou dissipent leur capital pour finir poivrots, tabagiques ou obèses sont de plus en plus mis à l’index. A l’autre bout de la table, on montre en exemple ceux qui savent rester sain en faisant fructifier leur capital, de liftings en transfusions sanguines complètes, de liposuccions en greffes d’organes : En matière de santé comme en tout, on ne fait crédit qu’aux riches. 

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10:46 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : politique, capital-santé, société | | |