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vendredi, 24 juillet 2009

Blanc Demilly

Théodore Blanc (1898 – 1985) & Antoine Demilly (1892-1964) ont laissé dans tous les intérieurs bourgeois lyonnais trace de leur passage en immortalisant durant toute leur carrière les palpitants événements qui jalonnent une existence : b2.jpgaptême, première communion, fiançailles, mariage… Leur association a pour origine leur union réciproque, chacun à une fille d’Edouard Bron (1860-1939), qui en avait deux. Le premier, dit Théo, avait épousé Marcelle, le second, dit Tony, Adrienne. Edouard Bron, pour les profanes, c’était ce photographe qui, depuis 1893, tenait boutique au 31 rue Grenette. De 1921 à 1962, les deux gendres prirent sa succession, conjuguant leurs compétences d’entrepreneurs (ils eurent jusqu’à plus de trente employés) et leurs talents d’artistes. Il semble, après les frères Lumière, que Lyon ait aimé ces couples d’hommes imposant une griffe et dirigeant avec brio une boutique familiale.

 

 

En parallèle de ces portraits alimentaires, Blanc Demilly devint très vite une signature estimée dans le domaine de la photo d’art. Spécialisés dans le genre du paysage, spécialement du paysage lyonnais, les deux beaux-frères étendirent au nu, à la nature morte et à la photo de reportage leurs compétences. L’audace de leurs contre-plongées, contre-champs, contre-lumières, motifs décentrés, passait alors pour novatrice, pour ne pas dire révolutionnaire.

 

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En matière technique, ils furent les pionniers du 24/36 et les premiers à utiliser des petits appareils, comme le Leica et le Rolleifex. En avril 1935, au de la rue président Carnot, dans le quartier Grolée, ils bousculèrent le milieu lyonnais en ouvrant une galerie d’art exclusivement consacrée à la photo. Ils eurent l’intelligence de s’ouvrir autant au milieu politique, dominé par la stature d’Herriot, qu’aux milieux intellectuel et artistique (les peintres, les éditeurs et les écrivains), notamment, ce qui leur permit de devenir les illustrateurs de nombreuses œuvres. Entre 1933 et 1935 seront publiées en 12 fascicules successifs plus d’une centaine de leurs images «Aspects de Lyon», imprimées en superbe héliogravure à tirage limité. Ils publieront également des ouvrages sur d’autres régions de France ou des pays étrangers, créeront un «Bulletin mensuel Blanc et Demilly» et deviendront les maîtres d’œuvre du prestigieux Bal annuel du Palais d’Hiver, présidé par l’incontournable Herriot, avec attribution d’un prix à leur nom. Dans le même temps, leurs œuvres côtoient celles de Kertesz, Doisneau, Brassaï, Man Ray, Sougez dans les magazines internationaux.

Blanc Demilly c’est ainsi le modèle d’une réussite, le témoignage d’une époque, et le charme encore opérant d’une vraie poésie du regard.

 

 

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dimanche, 19 juillet 2009

Les corneilles de Condate

Si vous avez déjà visité Lyon, peut-être connaissez-vous l’amphithéâtre des Trois Gaules,  à mi-hauteur de la colline de Condate. Je dis peut-être, car ce lieu demeure fort peu visité, bien moins que ne l’est en tout cas le théâtre romain de Fourvière, lequel est situé sur la colline d’en face, berceau de Lugdunum.

Il fait avouer que c’est de manière un peu exagérée que nous disons, à Lyon, l’amphithéâtre des Trois Gaules : De même qu’il ne reste plus grand-chose des Trois Gaules, seules demeurent quelques pierres de ce malheureux amphithéâtre. Un spectre d’amphithéâtre, devrait-on proférer, malheureuse carrière providentielle dont les pierres recyclées ont servi à bâtir toute la ville médiévale, ses couvents, ses auberges et ses églises ; dès lors, qui s’attend à voir surgir un amphithéâtre au coin de la rue Terme ne découvre un peu plus haut qu’un maigre enclos de terre battue, à peine plus large qu’un court de tennis qui perce la colline, où ne subsistent que quelques gradins, épars et irréguliers. Et pour barrer la perspective, l’ancienne et fort laide école des beaux-arts au-dessus ; à ses côtés, le modeste reliquat du jardin des plantes, pentu, sinueux et bucolique.

D’un point de vue historique, cet endroit est cependant beaucoup plus riche que le théâtre de la colline d’en face.

Pour une raison politique, tout d’abord : c’est en ce lieu que l’empereur Claude fit lire son fameux discours au sénat, plaidant devant tout ce que l’Empire contenait de dignitaires soupçonneux la cause de la Gaule Chevelue. Vous dire combien cette phrase, la première fois que je l'ai entendue, m’est apparue littéralement auréolée de mystères et de poésie, comme une sorte de haïkaï ou de formule surréaliste, à l’heure de l’assassinat de Kennedy, de la guerre froide et de la conquête de l’espace: « il faut sauver la Gaule Chevelue… »

Pour une raison religieuse, ensuite. Car d’après la lettre d’Eusèbe de Césarée, c’est bien sur cette terre que les martyrs de Lugdunum (dont les plus célèbres demeurent l’évêque Pothin et la jeune esclave Blandine) furent persécutés en 177. Jean Paul II s’était donc recueilli parmi ces vestiges lors de son passage entre Rhône et Saône, en 1986. En visite à Lyon pour quelques jours, Batholomée 1er pouvait-il faire moins que s'y rendre à son tour ?

A dix-huit heures trente, ce samedi dix-huit juillet, la mairesse du 1er arrondissement était bien solitaire devant les hautes grilles vertes qui ferment ordinairement l’entrée du site archéologique (ce terme est désormais plus juste, plus adéquat, vous l’aurez compris) pour accueillir le patriarche de Constantinople, qu'accompagnait le Cardinal Barbarin. Trois ou quatre policiers, quelques badauds. Les habituels pigeons, l’œil rond, fixement orangé, à l’affut d'une pauvre nourriture sur le sable ou le goudron secs.

Arrivent enfin les gens d’église (ils étaient tout au plus une bonne vingtaine, accompagnant qui leur patriarche et qui leur cardinal). Le Primat des Gaules présente au Patriarche de Constantinople Madame la Mairesse du Premier Arrondissement. Félicitations, lui dit celui-ci, d'un ton amusé. Ce qui me fait sourire. Entouré de tous ces hommes vêtus de longues robes noires, elle apparait soudain dans le soleil couchant bien primesautière et, telle Perette sur sa tête ayant un pot au lait, « légère et court vêtue » dans l’enceinte austère et séculaire, avec son tee-shirt et sa robe à carreaux cessant juste à mi-cuisses. Marche par marche, je grimpe l’escalier raide qui permet de surplomber le site. Les deux gardes du corps du Patriarche, en costume-cravate (ce qui, sur cette scène, les rend fort peu discrets) jettent quelques coups d’œil en ma direction. Je croise, au milieu des escaliers, une espèce de neo-baba en jean trop large et coiffure affricaine, l'oeil trop bierreux pour en croire ses yeux : Le Patriarche entame un chant que le Cardinal et toute l’assistance reprend; le neo-baba se cramponne à sa canette tandis que la mairesse d'arrondissement, sage et diplomate, attend que cessent les chants religieux. Sous sa coiffe noire, Bartholomée 1er est un somptueux septuagénaire à la barbe lisse et authentiquement blanche, dont la belle allure - malgré la petite taille - n’inspire pas le moindre schisme, je vous assure. Un personnage comme échappé d'une icone orientale, là, parmi nous. Et puis arrive l’heure des discours. Je tourne à droite, parvenu au sommet de l’escalier.

Dans la nuée bleu-gris de cette fin d’après midi, la silhouette presque fantomatique de Fourvière, en face de nous. Cette visite... Fort discrète, à franchement parler. Un événement historique, dira-t-on néanmoins : la toute première fois qu’un patriarche de Constantinople, plaçant ses pas dans la trace de ceux d’un pape, vient bonnement saluer ce quartier jadis populaire, qui fut celui de mon enfance.

Dans quelques instants, tout le monde va se retirer : Gens de mairie en leur mairie, gens d’église en leur évêché, gens de la sécurité dans leurs hôtels. La concorde des trois-Gaules, certes...  Celle des deux églises, pas moins, bien sûr...  Le soir va bientôt tomber. Ne resteront, une fois de plus, que les pierres.

Lorsque se refermeront les hautes grilles vertes, quelques  marginaux avinés viendront achever de se biturer sur les bancs du jardin des plantes mitoyen. D'eux aussi, la nuit sera victorieuse. Puis ce sera un matin neuf. Des corneilles, en grand nombre,  piétineront le sable de cette enceinte millénaire et sacrée : l’oiseau noir, l’oiseau, dit-on, de Lug, celui dont à l’aube, les cris sont de colère. Leurs pattes griffues de propriétaires jalouses auront tôt fait de disperser les empreintes de tant d’humaines éminences. Les fondaisons silencieuses des alentours, tout frémissantes du silence du vent, préserveront une journée de plus, dans l’abri recroquevillé de leurs branchages, imperceptible et sauvage, le vrai mystère de Condate.

 

 

dimanche, 28 juin 2009

Jules Janin, Lyon et le lieu commun du rêve

L’écrivain stéphanois Jules Janin, né en février 1804 est surtout connu pour l’Ane mort et la femme guillotinée. En 1838, alors qu’il s’apprête à partir à Venise, il consacre à Lyon quelques lignes, au lyrisme à la fois académique et désuet. On y retrouve tous les clichés romantiques que les écrivains de la Monarchie de Juillet puis du Second Empire, illustres ou inconnus, au premier rang desquels il faut citer Lamartine, Michelet, Stendhal, Baudelaire, développèrent tour à tour à propos de la capitale rhodanienne : ceux de la cité laborieuse, ceux de la ville songeuse. Lyon, ville « antithèse », avec ses deux fleuves et ses deux collines, celle qui travaille (Croix-Rousse) et celle qui prie (Fourvière). J’ai déjà publié le texte de Jules Michelet sur « les deux collines », celui de l’Illustration, journal parisien, qui est un chef d'oeuvre du genre . Certes, le cliché peut finir par énerver, lasser. Néanmoins, ceux qui ont souvent promené leur ennui dans cette ville ont peut-être remarqué qu’il est aussi de teneur architectural : ne trouve-t-on pas  trace aussi de ce labeur de « bêtes de somme » dans l’architecture, la pierre des quais, des façades ou le fer des grilles ? Et  dans ce qui demeure des fleuves et des vergers ou des ruines gallo-romaines dans la cité actuelle, ne pioche-t-on pas encore trace du rêve enfoui d'un berger virgilien ?

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Gravure : Confluent du Rhône et de la Saône, (Coste - Part-Dieu)

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14:51 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, lyon, voyage à venise, jules janin, saône, rhône, poésie | | |

vendredi, 12 juin 2009

Réouverture du musée Gadagne à Lyon

 La cour intérieure du musée Gadagne est, à midi, emplie de monde. D’une voix tremblante, Simone Blazy énumère les titres et noms des officiels. La restauration de « ce magnifique édifice » s’est étirée sur dix ans et  a coûté 31 millions d’euros en tout. Depuis aujourd’hui, les deux musées qu’abrite l’hôtel des Gadagne  (musée des marionnettes du monde et musée historique de la ville de Lyon) sont donc ouverts au public : trente neuf salles d’exposition en tout (neuf pour la marionnette, trente pour l’histoire de la ville de Lyon,  de l’Antiquité à nos jours).

Après madame la Conservatrice, on annonce monsieur le Maire : Gérard Collomb, beau parleur devant l’Eternel,  insiste sur la dimension culturelle de la politique menée dans la municipalité depuis vingt ans. Ce nouveau Gadagne « est au centre d’un réseau où doit s’élaborer une réflexion entre passé, présent, avenir, et qui comprend des associations et des universités ». Il est l’un des édifices principaux de ce  grand pôle muséal qui doit  intégrer des itinéraires par la ville, et dont le musée des Confluences sera l’autre monument. Le bâtiment restauré lui-même, insiste monsieur le Maire, est la première  pièce de la collection. Il évoque au passage les restaurations des Subsistances, de l’Antiquaille, et se déclare fier de pouvoir « restituer bientôt l’Hôtel-Dieu aux Lyonnais. »  Dont acte.

Lorsque madame la Ministre prend la parole, on est debout déjà depuis trois quart d’heures et les moins hardis commencent quand même à s’impatienter.  Christiane Albanel salue le caractère pionnier de la ville de Lyon en matière de politique patrimoniale, insiste sur le concept de ville durable (très à la mode ce concept : ville durable) Son dernier mot est pour rendre grâce  à « l’aventure collective que nous sommes en train de vivre ». Clap clap clap.

Les derniers remerciements passés, on est prié de traverser le musée pour rejoindre le buffet, dans le jardin aménagé sur le toit de l’hôtel. L’assistance s’éparpille, de salle en salle (les neuf salles du musée des marionnettes contiennent, au passage de vrais joyaux, des plus anciens Guignols en tilleul aux Arlequins bergamasques, des burattini à gaine au fantoccini à fils, en passant par des héros russes, africains, japonais…) et par les ascenseurs.  Il faut attendre encore quelque temps pour que la totalité des collections soient présentée, commentée. Dans quelques mois, Simone Blazy qui, depuis 1994, n’aura connu qu’un gigantesque chantier, passe la main, fière du bébé. Le (la ?) nouveau conservateur héritera d’un beau navire.

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entrée de l'hôtel de Gadagne  (avant rénovation)

17:49 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : musée de la marionnette, musée gadagne, simone blazy, gérard collomb | | |

mercredi, 25 mars 2009

La Galoche

La Galoche : Telle est le nom qu'on donna autrefois à une ligne de chemin de fer reliant la Croix-Rousse à Sathonay. On la surnommait ainsi en raison des nombreuses secousses dont elle gratifiait ses voitures durant le trajet. Elle avait été ouverte à la circulation le 30 juillet 1863, et, prolongée jusqu'à Trévoux le 1er juin 1882. C'est la Cie P.L.M (chemin de fer de Paris Lyon Méditerranée) qui en assura l'exploitation à partir de 1897. Deux liaisons, l'une pour les marchandises, l'autre pour les voyageurs étaient assurées. La Galoche fut très populaire à la Croix-Rousse. On la prenait le dimanche matin, pour aller à la pêche, et pour la promenade familiale qui, passant par Caluire, Cuire et Montessuy, se poursuivait par Sathonay, puis gravissait les collines surplombant la Saône, desservait Fontaines, Rochetaillé, Fleurieu, Neuville, Genay, Massieux, Parcieux et après un voyage de 35 kilomètres, s'achevait à Trévoux.

A l'origine, la gare se trouvait à côté du terminus du funiculaire de la rue Terme (actuel tunnel routier), afin de faciliter la correspondance des voyageurs. Du coup, c'est les locomotives qui devaient traverser le boulevard, à très faible vitesse, et précédée d'un agent. Un train de la Galoche pouvait ainsi rester un bon quart d'heure au travers du boulevard, et cela plusieurs fois par jour. « On avait le temps, explique Pétrus Sambardier, d'aller faire une partie de boules avant que la circulation soit libre. » (1)

Une telle contrainte d'exploitation fut jugée trop pesante par le P.L.M., et le 19 mai 1914, le terminus de Lyon Croix-Rousse fut déplacé au nord du boulevard, à l'angle de la place des Tapis et de la rue de la Terrasse, où se trouvaient initialement la gare marchandises et le dépôt. Ces deux dernières installations furent quant elle reportées simultanément au-delà de la rue Hénon. Les voyageurs traverseraient désormais à pieds :  Le « Café des Voyageurs », sur le boulevard, demeure le seul souvenir de ce temps-là.

Le 16 mai 1953, en effet, la Galoche devait transporter ses derniers voyageurs. Et quelques années plus tard, la gare fut démolie. Voici un extrait du Progrès, daté du 27 août 1957 :

« Curieuse désolation apocalyptique à la gare de la Croix-Rousse. Les toitures ne conservent qu'une vague charpente, le verre pilé crisse sous les pas, les murs se dégradent, les pieds se prennent dans des planches fendues cachant des clous traîtres... Plus de rails, un seul camion chargé de gravas. La gare de la Croix-Rousse est livrée à la casse. Tandis que tout s'écroule le long de la rue de Villeneuve, la SNCF fait élever pour cinquante ménages de ses employés un premier H.L.M. D'autres s'érigeront, comme lui le long de cette rue également pour le personnel de la SNCF. Face à la place des Tapis et le long de la rue de Cuire, va se construire un immeuble de quatorze étages pour soixante-dix foyers, avec au rez-de-chaussée des bureaux pour les PTT. Partant de la place des Tapis, un grand boulevard (2) longeant puis coupant les vieilles voies, prendra les Croix-Roussiens en partance pour le week-end et les lancera en direction de Trévoux. Les espaces libres de toute construction seront voués "au vert". Parcs et squares fleuris viendront concurrencer les ombrages du boulevard de la Croix-Rousse. Adieu, tortillard croix-roussien. »

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(1) Pétrus sambardier, "La vie à Lyon"
(2) Le boulevard des canuts.

lundi, 23 mars 2009

Les arêtes des Fantasques

Ce rassemblement d'ouvriers rappelle la construction du premier tunnel de la Croix-Rousse, à Lyon., en juin 1941. Les travaux avaient été adjugés le 27 février 1939, et le gros œuvre du percement fut réalisé entre 1940 et 1948. Cette photo-ci date de 1941. Durant la guerre, les Lyonnais avaient utilisé le chantier du tunnel comme un abri contre les bombardements. Le forage des puits de ventilation s'effectua  par la suite, de 1949 à 1950. L'aménagement des galeries, des stations de ventilation et la pose du revêtement intérieur en céramique de 1950 à 1951. La mise en place des installations de force motrice et éclairage, de signalisation et de sécurité de 1951 à 1952. Le tunnel a pu être inauguré en 1952 par le président du Conseil Antoine Pinay et le maire de Lyon Edouard Herriot, qui avait été à l'origine de sa  fabrication. Cette décision avait donné lieu à une virulente polémique, à l'époque : de fait, la localisation en ce point-là du quai Saint-Clair du nouveau tunnel routier coupait littéralement en deux la rue Royale et le quartier de la soie, balayait la place Louis Chazette et défigurait à jamais le magnifique cours d'Herbouville. Qui donc à présent prend le temps d'admirer, sur la droite quand on quitte le tunnel pour prendre le pont sur le Rhône, le magnifique immeuble aux pilastres cannelés, aux superbes chapiteaux, à la corniche richement travaillée par-dessus les oeils de bœuf ? Qui se souvient que plusieurs autres immeubles de Soufflot ont été sacrifiés alors qu'il eût été possible de faire déboucher ce même tunnel plus en amont, vers la montée de la Boucle, et d'éviter ainsi de corseter la ville au Nord, comme elle l'avait été, un siècle auparavant, au Sud, par le préfet Vaisse qui avait isolé deux kilomètres de presqu'ile du reste du centre-ville en construisant Perrache ?

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Le tunnel de la Croix-Rousse redevient d'actualité depuis le vote par le Grand Lyon, début février 2009, du percement d'un deuxième tube, juste à côté du premier, lequel sera réservé aux transports en commun, aux piétons et aux vélos. Les travaux vont débuter à la fin de cette année, et le percement proprement dit se fera à partir d’avril 2010 (pour une ouverture en 2014). On en profitera pour désamianter l'actuel  tunnel routier, changer le système de ventilation et remettre aux normes-incendie son revêtement. Il faut prévoir six mois de fermeture et 220 millions d'euros.

Ce qu'on tait fort pudiquement, c'est qu'à cette occasion, un ensemble architectural de galeries souterraines datant du XVIIème et du XVIIIème siècles va voler ni plus ni moins en éclat, bien que son intérêt historique soit avéré et malgré le classement de la ville au fameux « patrimoine mondial de l'Unesco ». Comme quoi tout ceci n'est qu'un fumeux label touristique ! Trente-quatre galeries mesurant chacune une trentaine de mètres de long, réparties de part et d'autre d'un important cheminement central aménagé en escalier et s'enfonçant dans les profondeurs du sous-sol lyonnais en direction du Rhône : parce que ce curieux tracé est situé juste sous la rue des Fantasques, on avait appelé ces galeries « les arêtes des Fantasques ». Pas d'arêtes dans le gosier du tunnel de l'encore toute puissante automobile : ces vestiges patrimoniaux sont condamnés.

dimanche, 08 mars 2009

Barricades d'antan

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Titre : Une barricade des émeutes lyonnaises de 1834 -

( Jean-Claude Bonnefond - 1834) - Lyon, musée Gadagne-

Une sorte de radeau de la Méduse local. Les révoltes d'avril 1834, après celles de novembre 1831, ont ensanglanté durement et durablement la ville. Si les canuts en sortirent défaits, l'Europe entière entendit une nouvelle fois, par leurs bouches et leurs fusils, parler de justice sociale, de mutuellisme, de revendications ouvrières. La représentation de Bonnefond est assez romantique, et est contredite par Henri Béraud, dans son roman Les Lurons de Sabolas (1932), deuxième de la trilogie "La Conquête du Pain", qui a pour décor le Lyon insurrectionnel de ces années-là.

« On se canardait lentement, mâchoires serrées, en visant bien. Nul défi, point de chants, aucun drapeau, rien de cette ardeur théâtrale qui fait de l’insurrection parisienne une espèce de vaste et terrible bal. Lorsqu’une balle portait, l’homme culbutait sans grands mots, sans grands gestes, comme on tombe d’un échafaudage. C’était une vraie guerre d’ouvriers. »     (Henri Béraud - Les Lurons de Sabolas)

 

09:58 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : révoltes des canuts, henri béraud, jean claude bonnefond | | |

jeudi, 12 février 2009

Vers 1638

La plus ancienne vue connue de la ville de Lyon se trouve insérée dans le Chronicarum Liber, plus connu sous le nom de Chronique de Nuremberg (1493). A partir du seizième siècle, les vues de la ville se sont multipliées, grâce aux talents de plusieurs dessinateurs et graveurs et en raison du développement important de la ville à cette époque. Très vite, un panorama s'impose. L'estampe de  Jacques Androuet dit du Cerceau (vers 1510 - 1584), architecte du roi et graveur en taille douce, conservée à la Bibliothèque Nationale et titrée La Cité de Lyon, passe pour le prototype de toutes les représentations au naturel publiées durant les cent années suivantes. En 1550 Jerome Cock, peintre, graveur et marchand d'estampes à Anvers (1510-1570) et Balthazar Bos publient une vue générale de la ville qui s'inspire du même point de vue et fit aussi autorité, malgré des imperfections dans la reproduction au burin de certains monuments. Le Grand Plan Scénographique réalisé de 1545 à 1553 en 25 feuillets et conservé aux Archives municipales représente la ville saisie à vol d'oiseau, traçant dans le détail la perspective des bâtiments publics d'alors, les costumes des habitants, la spécificité des fêtes et des coutumes. La vue de Sébastien Munster (1544-1628), illustrant sa Cosmographie et celle de Mathieu Mérian  (1593-1650) - voir ci-dessous-  se ressemblent beaucoup.

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Sur cette dernière, dessinée vers 1638 par de Boissieu dans le goût de celles du XVIème, puis gravée par Mathieu Mérian (1593-1650), on voit clairement au second plan (rive droite de la Saône) le mont Fourvière, l'église Saint-Paul, le château Pierre Scize (qui sera démolli après la Révolution). Le pont de pierre (unique pont de Saône à cette époque) est également fort bien profilé, avec en son centre la chapelle de la Vierge. Sur la rive gauche, on entrevoit au loin le confluent, l'église d'Ainay, celle des Jacobins, puis au premier plan Saint Nizier, la côte Saint-Sébastien et les remparts qui la séparent de la campagne, d'où le dessin est fait.

En complément au commentaire de S. Jobert, un gravure de milieu du dix-neuvième siècle, prise à partir du même panorama croix-roussien. On remarque que la basilique n''est pas encore construite sur la colline de Fourvière. Mais il y a, comme au dix-septième siècle, des petits personnages à l'allure champêtre placés aux premier plan.

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21:06 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : simon maupin, mathieu mérian, de boissieu, culture | | |

lundi, 02 février 2009

Notre grand 7

 

La ligne 7 fut inaugurée une premier avril 1881. Elle cheminait de Perrache aux Brotteaux par le pont Morand, avec un terminus à Charpennes qui, dès 1911, fut prolongé jusqu'à Cusset. Certes cette zone était alors presque déserte : quelques villas, des guinguettes, des jardins. Il n'empêche que la ligne 7 gagna alors à être la plus longue et la plus attrayante de la ville, reliant joliment le centre de Lyon à celui de Villeurbanne. Elle devint aussi la plus dense du réseau, qui portait à l'époque le nom de Cie OTL (omnibus & tramways lyonnais). Durant la seconde guerre mondiale, cette ligne fut la seule à desservir les Brotteaux et battit alors des records de fréquentation, avec ses rames de deux ou trois voitures, parfois surchargées jusqu'à 300 voyageurs. Ligne des gares (Perrache & Brotteaux), ligne des grands magasins (Galeries Lafayette, Printemps), ligne des théâtres (Célestins, Opéra, TNP), elle acquit un tel panache que ses conducteurs en parlaient avec orgueil et distinction.  Le trajet par la rue de la République puis par le cours Vitton et par le cours Emile Zola devint si populaire que ce fut celui qu'on choisit pour la première ligne de métro. Un dessin de la ligne 7 orne la maquette du livre de Tancrède de Visan, qui parut en mai 1934. Il s'agit d'un recueil de nouvelles, sans rapport apparent avec la ligne en question.

Dans  sa préface, l'écrivain explique ce choix :

« J'ai réuni ces bagatelles sous le titre symbolique : Perrache-Brotteaux. C'est la qualification de notre tram le plus populaire, le mieux achalandé - notre grand 7 -, celui qui, prenant le départ proche notre antique presqu'île marécageuse, aboutit - avec le temps - au quartier neuf de notre cité, en longeant la place Bellecour et notre artère principale dénommée, comme partout, rue de la République. »

On reconnait là la fausse ingénuité et l'ironie de l'écrivain monarchiste, chauvin au énième degré et mondain jusqu'au bout des ongles.

Ci-dessous, un dessin qui ne vous rajeunira pas, ni vous, ni moi.

Mais ne correspond-il pas bien à ce mois de février 2009 qui débute, grave, mélancolique, enneigé ?


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06:21 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : tcl, ligne 7, lyon, perrache brotteaux, culture, société, littérature | | |