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dimanche, 28 octobre 2012

Le café aux trois typos

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Lyon, rue Ferrandière, n° 32 : Nous n’irons plus boire le jus matinal au café des PTT qui reste clos, et personne ne franchit plus sa façade aux trois typos. Tel est le piteux résultat de l’incroyable projet historique de réaménagement du quartier Grolée dans le deuxième arrondissement de Lyon, dont le maire Gérard Collomb a été l’initiateur mégalo.

Rappel des faits :

Le 24 décembre 2004, le maire de Lyon bradait 10 immeubles haussmanniens au fond de pension américain Cargill pour 87 millions d’euros. Un an plus tard, ce dernier revendait les seuls pas de porte à la SA les Docks Lyonnais pour 98,873 millions d’euros. L’idée était alors de transformer cette partie de la presqu’île en un carré d’or luxueux, à l’image de la rue Montaigne à Paris, afin d’anticiper sans doute la transformation tout aussi absurde, non loin de là, de l’Hôtel-Dieu en hôtel de luxe..

Après avoir réhabilité 19 000 m2 des 50 rez-de-chaussée de ces immeubles, les Docks Lyonnais lancèrent le délirant projet Up in Lyon. Seul le magasin Zilli vit le jour, fit trois petits tours et, la crise aidant, s’en alla. Le projet finit par capoter, quand seul le groupe Sephora (du luxe pour pauvres) ouvrit une enseigne non loin de la place de la République. Depuis, le quartier Grolée, vidé des commerces qui le faisaient vivre, et dont le café des PTT rue Ferrandière était un noyau, demeure à l’abandon. Combien de temps encore subsistera sa typo,  où se croisent les fantômes de plusieurs décennies d'habitués ?

 A quelques mois des municipales, le réaménagement du quartier Grolée figure l’un des plus beaux fiascos des deux mandats de Gérard Collomb.

 

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Linéales sur l'enseigne verte, didones dorées dans le style des années 30 sur la façade, réales sur l'auvent touge : le café des PTT et ses trois typos, victime de la mégalomanie du maire de Lyon

16:21 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : café des ptt, quartier grolée, lyon, gérard collomb, politique | | |

vendredi, 12 octobre 2012

Soulages aux Beaux-arts, l'outre noir et la crise

« Ce que j’explore depuis plusieurs années est, pour une grande part, fondé sur la qualité particulière, l’éclat spécifique de la lumière réfléchie sur la toile, venant au devant d’elle, transmutée par l’état de la surface et le noir qui la renvoie ». Parole du maître offertes au visiteur profane et fatigué de sa journée, paroles exposées en sobres linéales noires sur la paroi du temple : A 92 ans, Pierre Soulages cultive de fait un sens de la communication tout aussi pimpant que ses minauderies de richissime vieillard : « Je n’aime pas les expositions », susurre-t-il alors que le musée des Beaux-arts de Lyon en consacre une très médiatisée aux vingt-six dernières toiles qu’il produisit au XXIe siècle. Une décennie très outre noire, durant laquelle il déclina le concept de manière presque continue,  tel une petite musique sur le sillon d’un vinyle.

On pourrait ainsi longuement disserté sur la résolution conceptuelle de la luminosité des couleurs posées sur toile ou issues de l’écran, après qu’un siècle de remise en cause de la figuration a laissé la contre-culture exsangue devant l’art officiel et son pompeux galimatias. On pourrait rêver à ce lieu imaginaire où se dissiperait l’illusion tenace du noir et du blanc, dans une fusion aussi improbable qu’oxymorique de la synthèse additive et de la synthèse soustractive, du pixel et du pigment, à l’endroit même où l’art expire. Seulement voilà, nous sommes en temps de crise.

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Aussi, tandis que le gouvernement socialiste songe aux intérêts médiatiques qu’il aurait à inclure dans le calcul de l’ISF toute œuvre d’art de plus de 50 000 euros, d’autres débats, plus pragmatiques qu’esthétiques se font plaisamment entendre à propos de cette très cultureuse niche fiscale Les vernissages de rentrée ne sont-ils pas des lieux de soucieuse urbanité autant que de pure contemplation ?

Cette mesure, le vieux renard de l’outre noir se déclare donc « farouchement contre ». Ce serait même « une catastrophe » affirme-t-il, évoquant l’exil fiscal des œuvres, pendant culturel et vaguement gauchisant à l’exil fiscal des capitaux sonnants et trébuchants des vilains Arnault de droite… « Il faut que les œuvres d’art ne soient pas comprises dans l’ISF », poursuit le maître, évoquant même le risque que naisse, (comme s’il n’existait depuis longtemps déjà,) « une sorte d’art officiel qui serait la pire des choses ». L’œil humide, on se prendrait presque à regretter ces bons temps mitterrandiens, quand les milliardaires de gauche et de moins gauche vendaient leurs yachts pour acheter des Picasso.

A cet endroit perce cependant un souci : Le marché de l’art contemporain et les tableaux de Soulages conserveraient-ils le même attrait, si Bercy se mettait à y jeter une calculette ? Outre noire se révèle décidément la fangeuse duplicité de l’époque ! Entre sombre lumière et claire obscurité jaillit alors la nudité sordide du jeu démocratique, dans le sillage d’un marché qui n’aura décidément jamais cessé de le contredire, le jeu démocratique. Et l’on se demande même,  tant commune est l'imposture, si l’on pourra longtemps garder la possibilité, futile et salutaire, d’en sourire ouvertement…

08:38 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : soulages, musée des beaux-arts, lyon, isf, oeuvres d'art, france, culture | | |

mardi, 09 octobre 2012

Une exposition sur Eugène Brouillard

D'Eugène Brouillard, on connait principalement les paysages, grands arbres en bordure de lacs ou de rivières, cieux crépusculaires se mirant sur les champs et les étangs. Autodidacte quelque peu marginal, cet ancien dessinandier dans la Fabrique de soie a pourtant développé un style varié, jouant de sa palette de couleurs dans des visions urbaines, des vues ensoleillées et des portraits originaux qui demeurent à découvrir.

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L’association des amis d’Eugène Brouillard, que préside Denis Vaginay, nous invite donc à approfondir la connaissance de son oeuvre grâce à une exposition qui aura lieu à Lyon, du vendredi 12 au mercredi 17 octobre, 70 rue Vendôme, Lyon 6ème.

Y seront présentées une cinquantaine d’œuvres, dont plusieurs portraits, un genre qui n’avait pas été abordé lors de la première rétrospective. Ce billet est l'occasion de rappeler également le livre que Denis Vaginay et Didier Ranc ont consacré à ce peintre, et qu'a préfacé Paul Dini, Dialogues avec la modernité

Ci-dessus, Les moissons, une déclinaison en bleu, vert, jaune qui date de 1922. Ci-dessous, deux portraits : le premier, pâle sur fond noir de la mère du peintre, le second, plus surprenant encore et titré Le Féodal, daté de 1907.

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Exposition du vendredi 12 au mercredi 17 octobre 2012

70 rue Vendôme, Lyon 6ème

de 10 à 12 heures et de 14 à 17 heures

20:34 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : eugène brouillard, lyon, peinture | | |

dimanche, 23 septembre 2012

Antonin Ponchon

antonin ponchon,musée paul dini,peinture,lyon,ziniarsAntonin Ponchon (1885-1965) est né à Terrenoire (Loire), ce qui ne pouvait faire de lui qu’un peintre. Influencé par Cézanne, il rejoignit le groupe des Ziniars, auprès d’Adrien Bas et de Combet Descombes. On rencontre peu de personnages dans son œuvre (dans le tableau du bas, quelques humains suffisent-ils à justifier le titre de la toile, Bellecour animée ?), mais bon nombre de natures mortes ou de paysages, notamment de fruits et de poissons, de quais et de ponts : Les tableaux de cet ami d’Utrillo, qu’on voit à ses côtés (à droite en béret) en 1930 sur le cliché de Blanc et Demilly, manifestent ce goût de la géométrie ordonnée de la couleur vive. Résident du salon d’Automne, il fut animateur de la galerie des Archers auprès du fameux marchand de vin et critique d’art Marcel Mermillon, et fut exposé dans de nombreuses galeries lyonnaises. On peut à présent rencontrer certaines de ses œuvres au musée Paul Dini, à Villefranche.

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Bellecour animée : quand c'est pas plus animé que ça, c'est très vivable, très bien (NDLR)

10:26 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : antonin ponchon, musée paul dini, peinture, lyon, ziniars | | |

lundi, 11 juin 2012

Subway - station Bloy Bellecour

Mon premier voyage en métro. Travail gigantesque, j’y consens, et même non dénué d’une certaine beauté souterraine ; mais bruit infernal, danger certain, mort probable – et quelle mort ! – toutes les fois qu’on descend dans ces catacombes. Impression de la fin des sources, de la fin des bois frissonnants, des aubes et des crépuscules dans les prairies du Paradis. Impression de la fin de l’âme humaine.

Léon Bloy,15 février 1904 - Journal

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Station Bellecour (Lyon) en construction (1976)


00:00 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, station bellecour, lyon, léon bloy | | |

mardi, 22 mai 2012

Etiennette Buisson

On ne sut trop pourquoi le fils d’Etiennette épousa une Etiennette. Le vingtième siècle étant passé par là, d’aucuns pourraient aujourd’hui alléguer un motif de divan. A consulter les registres d’état-civil de Saint-Symphorien et du département du Rhône en général, on découvre pourtant que ce prénom y fut beaucoup porté sous l’Empire, la Restauration et la Monarchie de Juillet. La proximité de Saint-Etienne y était-elle pour quelque chose ? En ces temps fort lointains, on était encore soit Marie, soit Claudine, soit Etiennette, par là. C’est ainsi.

Un soir, elle lui avait glissé quelques mots de son père. On l’avait retrouvé pendu à Saint-Pierre la Palud en juin 1825. Que faisait-il en cette grange, le boulanger de Bessenay ? Sa mort avait causé grand bruit et frappé bien des esprits dans le pays, celui de sa mère, en particulier. Jean Antoine avait alors quatorze ans. Son père à lui, son propre père allait mourir quelques semaines plus tard au bord d’un champ, laissant les paysages qu’il avait connus jusqu’alors comme frappés de stupeur. C’est ce soir-là, non loin de la rue des Chevaucheurs, qu’il avait en la serrant dans ses bras porté sur Etiennette Buisson un autre regard. Il s’était souvenu de cette fillette croisée à l’enterrement, qui le contemplait à présent, les yeux humides de désir. Comme elle avait poussé ! Obéissant à de secrètes voix, c’est donc lui qu’elle l’avait choisi ?

Sa mère s’était faite domestique à Sain-Bel et l’avait placée rue des Farges, au 117, chez un ami de son oncle qui taillait des habits rue de Trion, voyait-il ? Si, si, il voyait très bien l’échoppe au tournant. Elle, alors, se souvenait-elle de La Chivas, de sa mère Etiennette, de l’odeur des granges qui suintait encore de ses paumes, quoiqu’il eût beau tisser ? Car ils avaient beau loger en ville, tout ça qu'ils étaient au fond restait dans l’air du soir à portée d’horizon, leurs paroles non loin des heures de naguère, dès qu’ils s’accoudaient à un muret. C’est comme ça que Jean Antoine s’était épris d’Etiennette. Fallait entendre comme elle embobelinait son patron pour remonter au petit trot toute la rue des Farges puis toute celle de Trion jusqu’aux Grandes Terres, jusqu’à lui, quand il avait fini son jour et que, les naseaux humant les senteurs de l’Ouest dont ils venaient, ils rêvaient l’un contre l’autre aux promesses de la ville. Maitre ouvrier tisseur en fil d’or et d’argent, comme on nommait jadis la corporation. Le chouïa que ça gagnait à présent, y’avait de quoi chevrer disait-il, mais retourner à la ferme, non jamais ! Non, jamais, renchérissait-elle.

C’est comme ça que le 17 novembre 1841 à midi, « par devant nous maire de Lyon » comparurent Jean Antoine et Etiennette et que mademoiselle Buisson devint Madame Meyrieu. Venue d’Aveyze pour la première fois à Lyon, Etiennette mère avait versé ses gouttes de larmes devant ces deux beaux enfants. Auquel des deux pères avait-elle songé précisément ? Claude Buisson, s’était pendu de désespoir et Jean-Claude, son époux, était mort quelques semaines plus tard.  S’ils pouvaient, ces deux là, au moins les conserver au cœur, ce bonheur du moment, cette senteur du bâtir commun… Car toute paysanne qu’elle fut, elle n’ignorait pas que la Fabrique allait mal, que les hommes au pouvoir étaient mauvais, et que les nuages s’accumuleraient sur leur France. Croyait-il, le Jean-Antoine, que posséder un métier, c’était comme posséder une charrue ? Eh ! Le métier à tisser ne labourerait jamais la terre du Bon Dieu, mais la commande des marchands seule. Les fruits que finissaient toujours par donner la charrue ne les avaient jamais liés, comme ça, à la production et à la dépendance organisée par autrui. Mais la liberté dont cette jeunesse avait plein la bouche les fagotait à  trop de monde ! Voyaient-ils pas ?  Comment le lui parler, et contenir ce flux qui les emportait tous si loin du sillon natal ? Leur République ! La mort  qu’ils gagneraient en ville, la mort ! Elle le savait d’instinct, tournant ses yeux sauvages comme les grains de son chapelet, les regardant qui se murmuraient oui, robustes et fragiles tels, au soir, deux bêtes d’étables rompues des champs, trouvant leur place l’une contre l’autre dans le foin sec, comme séparés du vrai monde...

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Edwin Holgate, Le Labour, Gravure sur bois, 1928

Les noms en rouge renvoient aux textes précedents


07:29 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : etiennette buisson, littérature, lyon, canuts, france, aveyze, grandes terres | | |

lundi, 21 mai 2012

Jean-Antoine Meyrieu

Etiennette l’avait mis bas au commencement de l’automne, l’année même que naquit l’Aiglon. On sait que ce dernier vint au monde au forceps et que Marie-Louise n’eut pas d’autre enfant. Tel ne fut pas le cas d’Etiennette qui, à sa naissance, avait déjà agnelé d’une fille (Michelle), d’un garçon (Jean-Claude). Après lui s’étaient annoncés Jean-Louis, Jean-Pierre, Jean-Marie, Claudine, Jean-François, Jean-Etienne et puis un autre Jean-Marie, pour remplacer le premier, qui s’était noyé vif dans une boutasse à quatre ans. Et cela aurait pu continuer si leur père à tous, Jean-Claude, n’avait fini par s’effondrer net d’un lâcher du cœur en poussant sa charrue, non loin de la Chivas, un soir de septembre 1824, laissant la bonne Etiennette au repos. Etait survenue l’hécatombe de 1825 (Michelle qui n’avait que dix-neuf ans, Jean-Claude qui n’en avait que dix-sept, Jean-Etienne qui n’en avait que deux). Sur un coup de colère, Jean Antoine avait décidé de laisser Aveyze pour s’installer à la ville. Il s’était rendu chez un tisseur des Grandes Terres, un pelaud comme lui et tous les siens, qui avait déserté Saint-Symphorien à pieds jusqu’à Lyon vingt-cinq ans avant lui, pensant faire fortune à la nouvelle que le Premier Consul était venu jusqu’en Bellecour pour y poser la première pierre de la reconstruction des façades abattues naguère sur l’ordre de la Convention. C’est avec des chemins comme ça que s’écrivit l’histoire de France.

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Louis FROISSARD (1815-1860). La Place des Minimes à Trion

 

Sur le chemin des Grandes Terres, qui prenait au-dessus des Minimes à Trion et se répandait jusqu’au Point du Jour, s’étaient amassés des immeubles en pisé où s'entassaient les frais débarqués des campagnes venus rejoindre la Grande Fabrique renaissante. Presque deux cents gars pour un peu plus de cent-dix filles, tous placés chez des maîtres pour ouvrager. Tous savaient compter, déchiffrer et signer leur nom. Ils avaient entre cinq et sept ans pour apprendre tout le reste. Des unis, des jacquards, des velours, en tout presque cent soixante métiers battaient là, non loin de la chapelle de Fourvière où trônait la Vierge Noire qu'ils allaient prier le dimanche. Avec son maître, Jean Antoine avait traversé les guerres du tarif de 1831, celles pour la République de 1834. Tous ces combats pour la survie lui avait appris la grande vanité des causeurs, et qu’il ne pourrait compter que sur ses bras et sur sa tête à lui. Et qu'il lui faudrait passer longtemps à croiser du fil. C'est ce qu’il avait expliqué aux cadets venus d'Aveyze qui l’avaient rejoint l’un après l’autre. Tous croiseraient le fil désormais, loin du labour des aïeux. Et d’Etiennette qui, souvent, songeait à eux. 

17:25 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : trion, jean antoine meyrieu, lyon, littérature, canuts | | |

mercredi, 09 mai 2012

Combas, le MAC, la Tête d'Or...

A P.A.  Bardet et tous ses pairs

Quand on s’entretient d’art contemporain, et quel que soit le propos qu’on s’apprête à tenir, c’est d’argent qu’il faut parler tout d’abord puisque l’art, reflet de la société, est devenu une performance ; et qu’en société libérale, cette performance se doit d’être d’abord un marché : Partie de jambes en l’air entre une négresse sérieusement saloparde et un mec rose à quiquète de saucisse chauffée au bain marie, acrylique sur toile marouflée, signé sur la tranche de 65 x 57cm de Robert Combas, est estimé entre 8 000 et 12000 euros à la vente du 31 mai 2012 d'Auctions.fr  (détails ici). 

Pour une surface de 167 x 168, comptez de 30 000 à 40 000, avec cette acrylique sur toile Sans Titre signée en bas, à laquelle est joint un certificat de l’artiste daté de 1988 : « Le feeling, dit-il, c’est le rythme, c’est le batteur fou dans la jungle et les danses vaudou, c’est les Rolling Stones copiant les vieux morceaux des noirs, des bluesmen et sans le vouloir, créant une musique nouvelle. Moi c’est un peu comme ça pour la peinture, avoir le rythme (feeling) des écritures et des peintures publicitaires chinoises, arabes, méditerranéennes.  Ma peinture c’est du rock»

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sans titre

Ces choses étant posées, on peut s’attarder un instant sur la biographie de l’artiste. Fils de parents communistes, il a grandi dans la loge du concierge de la Bourse du travail de Sète, dans cette France d’avant 1981 où la culture était forcément de gauche quand le pouvoir et le pognon étaient naturellement de droite. Robert Combas se félicite d’être un autodidacte ayant poussé dans la culture populaire d’alors, faite de BD, de rock, de SF et de télé, de revendication politique et de libération des mœurs. Il suit les Beaux Arts de Montpellier et, dès 1981 dès participe à la création de la Figuration Libre.

On en arrive avec ce terme au conceptuel, sans quoi il n’est pas d’esthétique qui vaille dans la France des années 80. La Figuration libre se veut à la fois populaire, décomplexée et joyeuse, une compromis entre Dada et le psychédélisme, encore que le premier fut une révolte radicale contre l’émotion de l’art classique après la guerre de Quatorze, et le second une façon plus naïve de la transposer au sein de la contre-culture et de la constestation du consumérisme durant les Trente Glorieuses. Il y a loin, par exemple, entre les figures attrape-tout du français Combas et celles, gravement subversives, du polonais Tadeusz Kantor. Qu’importe. Ce n’est pas non plus la même génération.

 

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Venons-en au fait qui est cette exposition que le Musée d’Art Contemporain de Lyon consacre depuis deux mois et pour encore deux autres à cet artiste. Sur trois étages et 3000 m2, quelques 600 objets (tableaux, sculptures, dessins), le visiteur a de quoi lire, entendre, zyeuter, en un mot ressentir, si je traduis le terme si convenu de feeling par lequel on nous propose d’aborder depuis une cinquantaine d’années tout ce qui n’est pas a priori rationnel. Avec Combas, on est de plain pied et qu’on le veuille ou non sur le registre de l’affirmation de soi : où qu’on se tourne, lignes, formes, couleurs finissent partout par dire le même moi. Il y a la partie exhibée, il y a celle, cachée. Aller de l’une à l’autre au gré de ses pas, c’est accomplir un voyage singulier de ce qu’on appelait jadis, avec le Michel Lancelot de Campus (suivre ICI) , « la contre-culture », à ce qui devint la « culture » (ou la « cuculture ) dans les années 80 ; du dilettantisme révolté à la consécration bien pensée, à travers un parcours qui se professionnalise au fur et à mesure qu’il rencontre et ses admirateurs, et ses détracteurs : J’ai pensé évidemment à ce que Jacques Rancière dit de ces piétas ou de ces portraits d’ancêtres qui, arrachés à  leurs églises ou leurs châteaux par les armées napoléoniennes et proposés au badaud dans des espaces museaux perdirent tout leur sens et semblaient chercher, dans « ce milieu nouveau de liberté et d’égalité qui s’appelle l’Art » à en acquérir qui fut commun à tous dans le regard des badauds. Un, qui ne pouvait plus être qu’esthétique.

C’est alors que la question de l’exposition revient à nouveau, face à la production de Combas, production si contemporaine que lui-même fait partie de l’exposition :  la virulence un peu naïve du trait et de la couleur, où se mêlent des souvenirs de Matisse, de Picasso comme de Popeye et de Mickey, aurait besoin de l’environnement urbain pour redevenir significative et vraiment festive.  L’institution lui sied cher mal : livrée à elle-même, l’œuvre d’art se résume à la mise en scène d’une contre-culture devenue mainstream dans la loi du marché. Elle suscite, de mon point de vue, une relation bien trop narcissique et bien trop paradoxale. Le bourgeois bohème, celui qui a réussi songera peut-être (outre le fait que ça peut être un bon investissement) qu’il y rencontrera à chaque regard cette partie de lui-même, qu’il nomme en effet son feeling. Aussi, sur la paroi blanche d’un loft bien éclairé, l’œuvre, se murmure-t-il à lui-même, pourrait trouver sa place. Mais le petit bourgeois, pour sa part, regagnera ses pénates en songeant que non, vraiment,  il ne mettrait jamais ça chez lui. A Rue 89, Combas affirme : « Si à 70 ans on me donne les honneurs, je monte sur la table et je pisse sur la table ». Quoi de plus générationnel que l’académisme un peu surfait d’une telle déclaration ?

 Le musée et ses prétentions à l’Universel fut longtemps le lieu de la conservation et de la tradition ; il est devenu celui de l’entre soi culturel, un peu comme le parc de la Tête-d-Or, sa roseraie et son lac artificiel non loin de là le fut pour la bourgeoisie du Second Empire. Quand on entre dans le M.A.C lyonnais, qui fait face à Ciné-Cité, on est prié de laisser son sac dans une poubelle, qui fait office de vestiaire. Après tout, pourquoi pas ? L’exposition qu’il offre au consommateur, débarrassé de ses objets intempestifs qu’il croit personnels, est certes à connaître pour ce qu’elle dit du narcissisme aussi luxueux qu’insouciant de toute une génération. Ce qu’en pense un djeune, comme on dit, je me le demande. Les commentaires sont ouverts à tous les amateurs et tous les détracteurs.

Liens : Le Musée d'art contemporain et la visite virtuelle assez réussie, c'est ici

05:46 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (32) | Tags : robert combas, mac, lyon, peinture | | |

lundi, 09 avril 2012

De Myrelingues, de l'incroyance, du torchecul...

On fête aujourd’hui l’anniversaire de la mort de François Rabelais, si l’on en croit un épitaphier du milieu du XVIIIe siècle de l’église Saint-Paul à Paris : «François Rabelais, décédé âgé de 70 ans rue des Jardins le 9 avril 1553 a été enterré dans le cimetière de Saint-Paul». Je me souviens comme d’hier de la récitation qu’un professeur de seconde nous fit, dès notre première rencontre le jour de la rentrée, de la méthode torcheculative, par laquelle Grandgousier connut « l’esprit merveilleux » de son fils Gargantua, et songea d’en faire un jour un « docteur en gai science ». Le pari était audacieux. Me revient en mémoire un certain scepticisme devant ses éclats de rire que je jugeai forcés, ne trouvant pas, moi-même, ce chapitre 13 du Gargantua et son énumération fastidieuse de torchecul si hilarant que ça. D’autant qu’il n’accompagna le texte d’aucune explication, nous laissant seuls avec la faconde d’Alcofribas.

Lui savait -nous pas encore-  quel tonnage de commentaires érudits, parfois  passionnants, souvent  divagants, Rabelais avait engendré. Plus tard, je mis mon nez dans les pages de Lucien Febvre, plus tard dans celles de Spitzer, et plus tard encore dans celles de Bakhtine. Le problème de l’incroyance du XVIe siècle, dans sa belle collection « L’évolution de l’humanité » (téléchargeable ICI) me passionna à l’époque, parce que ce texte mettait en lumière, et j’avais grandement besoin de comprendre cela, « la religiosité profonde de la plupart des créateurs du monde moderne ». La thèse de Febvre (1878-1956) reste une grande et belle œuvre à lire aujourd’hui. Leo Spitzer (1887-1960), je ne l’évoque pas non plus sans quelque émotion parce que bruissaient encore dans sa génération ce souci de s’approprier le passé européen via le style que les siècles successifs avaient imprimé à sa littérature, cette conscience, désormais perdue, que cette littérature est le plus légitime de notre héritage. Bakhtine, enfin (1895-1976), qui dégagea la dimension purement carnavalesque, liée au bas corporel, de l’œuvre.

Il m’arrive parfois de songer, quand je me rends de la place des Jacobins à la rue Grenette en passant par la rue Mercière, que ce fut longtemps le trajet de Rabelais se rendant de l’Hôtel Dieu à l’atelier de François Juste. « Me voici  revenu en l’Athènes des Gaules : l’inclyte et famosissime urbe de Lugdune la Myrelingues, Lyon aux dix mille langages, ubi est sedes studiorume meorum… », s’écrie le Rabelais de Claude le Marguet dans son roman Myrelingues la Brumeuse.  Il s’agit d’une fantaisie du journaliste qui écrivit dans les années vingt ce roman historique à la gloire du Lyon de 1536. Cela reste un beau coup de chapeau, non seulement à Rabelais lui-même, mais aussi à cette artère où battaient les presses à bras dans tous ces ateliers transformés en restaurants pour touristes, quand ils n’ont pas été détruits lors des rénovations de Louis Pradel. Le souffle et le rire de Rabelais sont certes à présent légers sur la ville, et il faut beaucoup d’imagination pour retrouver l’un ou l’autre dans la mémoire de ses pierres. C’est cependant faisable, en quelque coin plus éminemment poétique qu’un autre, à condition de zyeuter quelque enseigne sculptée ou gravée dans la pierre et d’y rajouter la récitation de quelque verset rabelaisien :

« Ci entrez, vous, qui le saint Evangile 
Annoncez en sens agile malgré ce qu'on gronde; 
Vous aurez céans refuge et bastille; 
Contre l'hostile erreur qui tant distille 
Son faux style pour en empoisonner le monde: 
Entrez, que l'on fonde ici la foi profonde, 
Puis que l'on confonde de vive voix et par rôle
Les ennemis de la sainte Parole. » 

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