lundi, 09 avril 2012
De Myrelingues, de l'incroyance, du torchecul...
On fête aujourd’hui l’anniversaire de la mort de François Rabelais, si l’on en croit un épitaphier du milieu du XVIIIe siècle de l’église Saint-Paul à Paris : «François Rabelais, décédé âgé de 70 ans rue des Jardins le 9 avril 1553 a été enterré dans le cimetière de Saint-Paul». Je me souviens comme d’hier de la récitation qu’un professeur de seconde nous fit, dès notre première rencontre le jour de la rentrée, de la méthode torcheculative, par laquelle Grandgousier connut « l’esprit merveilleux » de son fils Gargantua, et songea d’en faire un jour un « docteur en gai science ». Le pari était audacieux. Me revient en mémoire un certain scepticisme devant ses éclats de rire que je jugeai forcés, ne trouvant pas, moi-même, ce chapitre 13 du Gargantua et son énumération fastidieuse de torchecul si hilarant que ça. D’autant qu’il n’accompagna le texte d’aucune explication, nous laissant seuls avec la faconde d’Alcofribas.
Lui savait -nous pas encore- quel tonnage de commentaires érudits, parfois passionnants, souvent divagants, Rabelais avait engendré. Plus tard, je mis mon nez dans les pages de Lucien Febvre, plus tard dans celles de Spitzer, et plus tard encore dans celles de Bakhtine. Le problème de l’incroyance du XVIe siècle, dans sa belle collection « L’évolution de l’humanité » (téléchargeable ICI) me passionna à l’époque, parce que ce texte mettait en lumière, et j’avais grandement besoin de comprendre cela, « la religiosité profonde de la plupart des créateurs du monde moderne ». La thèse de Febvre (1878-1956) reste une grande et belle œuvre à lire aujourd’hui. Leo Spitzer (1887-1960), je ne l’évoque pas non plus sans quelque émotion parce que bruissaient encore dans sa génération ce souci de s’approprier le passé européen via le style que les siècles successifs avaient imprimé à sa littérature, cette conscience, désormais perdue, que cette littérature est le plus légitime de notre héritage. Bakhtine, enfin (1895-1976), qui dégagea la dimension purement carnavalesque, liée au bas corporel, de l’œuvre.
Il m’arrive parfois de songer, quand je me rends de la place des Jacobins à la rue Grenette en passant par la rue Mercière, que ce fut longtemps le trajet de Rabelais se rendant de l’Hôtel Dieu à l’atelier de François Juste. « Me voici revenu en l’Athènes des Gaules : l’inclyte et famosissime urbe de Lugdune la Myrelingues, Lyon aux dix mille langages, ubi est sedes studiorume meorum… », s’écrie le Rabelais de Claude le Marguet dans son roman Myrelingues la Brumeuse. Il s’agit d’une fantaisie du journaliste qui écrivit dans les années vingt ce roman historique à la gloire du Lyon de 1536. Cela reste un beau coup de chapeau, non seulement à Rabelais lui-même, mais aussi à cette artère où battaient les presses à bras dans tous ces ateliers transformés en restaurants pour touristes, quand ils n’ont pas été détruits lors des rénovations de Louis Pradel. Le souffle et le rire de Rabelais sont certes à présent légers sur la ville, et il faut beaucoup d’imagination pour retrouver l’un ou l’autre dans la mémoire de ses pierres. C’est cependant faisable, en quelque coin plus éminemment poétique qu’un autre, à condition de zyeuter quelque enseigne sculptée ou gravée dans la pierre et d’y rajouter la récitation de quelque verset rabelaisien :
« Ci entrez, vous, qui le saint Evangile
Annoncez en sens agile malgré ce qu'on gronde;
Vous aurez céans refuge et bastille;
Contre l'hostile erreur qui tant distille
Son faux style pour en empoisonner le monde:
Entrez, que l'on fonde ici la foi profonde,
Puis que l'on confonde de vive voix et par rôle
Les ennemis de la sainte Parole. »
00:15 Publié dans Bouffez du Lyon, Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : myrelingues, torchecul, lucien febvre, françois rabelais, littérature, rue mercière, françois juste, lyon |
Commentaires
Passionnant. Il faut que je relise Rabelais, que j'avais tant aimé à sa découverte ; mon professeur ne nous l'avait pas servi en ouverture comme le tien, il me semble (mais je n'ai aucune mémoire). En revanche, c'est l'un des premiers écrivains à avoir libéré ma réflexion du carcan et de la sacralisation qui pesaient à l'époque sur la littérature et la philosophie, et ça, je m'en souviens très bien. Rabelais, clef essentielle à ne pas perdre.
Écrit par : Sophie K. | lundi, 09 avril 2012
Un artiste lyonnais qui participa à la création de la maison de la culture de Grenoble , est resté très ferme sur ses idéaux, refusa tout compromis. Il se consacre,exclusivement,à l’œuvre de Rabelais et à la faire connaître.
Écrit par : patrick verroust | lundi, 09 avril 2012
Je crois avoir en effet entendu parler de lui
Écrit par : solko | mardi, 10 avril 2012
Où il est question de Grandgousier : "En son eage virile espousa Gargamelle, fille du roi des Parpaillos, belle gouge et de bonne troigne, et faisoient eux deux souvent ensemble la beste à deux doz, joyeusement se frotans leur lard, tant qu'elle engroissa d'un beau filz et le porta jusques à l'unzième mois".
Écrit par : fred | vendredi, 13 avril 2012
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