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vendredi, 12 octobre 2012

Soulages aux Beaux-arts, l'outre noir et la crise

« Ce que j’explore depuis plusieurs années est, pour une grande part, fondé sur la qualité particulière, l’éclat spécifique de la lumière réfléchie sur la toile, venant au devant d’elle, transmutée par l’état de la surface et le noir qui la renvoie ». Parole du maître offertes au visiteur profane et fatigué de sa journée, paroles exposées en sobres linéales noires sur la paroi du temple : A 92 ans, Pierre Soulages cultive de fait un sens de la communication tout aussi pimpant que ses minauderies de richissime vieillard : « Je n’aime pas les expositions », susurre-t-il alors que le musée des Beaux-arts de Lyon en consacre une très médiatisée aux vingt-six dernières toiles qu’il produisit au XXIe siècle. Une décennie très outre noire, durant laquelle il déclina le concept de manière presque continue,  tel une petite musique sur le sillon d’un vinyle.

On pourrait ainsi longuement disserté sur la résolution conceptuelle de la luminosité des couleurs posées sur toile ou issues de l’écran, après qu’un siècle de remise en cause de la figuration a laissé la contre-culture exsangue devant l’art officiel et son pompeux galimatias. On pourrait rêver à ce lieu imaginaire où se dissiperait l’illusion tenace du noir et du blanc, dans une fusion aussi improbable qu’oxymorique de la synthèse additive et de la synthèse soustractive, du pixel et du pigment, à l’endroit même où l’art expire. Seulement voilà, nous sommes en temps de crise.

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Aussi, tandis que le gouvernement socialiste songe aux intérêts médiatiques qu’il aurait à inclure dans le calcul de l’ISF toute œuvre d’art de plus de 50 000 euros, d’autres débats, plus pragmatiques qu’esthétiques se font plaisamment entendre à propos de cette très cultureuse niche fiscale Les vernissages de rentrée ne sont-ils pas des lieux de soucieuse urbanité autant que de pure contemplation ?

Cette mesure, le vieux renard de l’outre noir se déclare donc « farouchement contre ». Ce serait même « une catastrophe » affirme-t-il, évoquant l’exil fiscal des œuvres, pendant culturel et vaguement gauchisant à l’exil fiscal des capitaux sonnants et trébuchants des vilains Arnault de droite… « Il faut que les œuvres d’art ne soient pas comprises dans l’ISF », poursuit le maître, évoquant même le risque que naisse, (comme s’il n’existait depuis longtemps déjà,) « une sorte d’art officiel qui serait la pire des choses ». L’œil humide, on se prendrait presque à regretter ces bons temps mitterrandiens, quand les milliardaires de gauche et de moins gauche vendaient leurs yachts pour acheter des Picasso.

A cet endroit perce cependant un souci : Le marché de l’art contemporain et les tableaux de Soulages conserveraient-ils le même attrait, si Bercy se mettait à y jeter une calculette ? Outre noire se révèle décidément la fangeuse duplicité de l’époque ! Entre sombre lumière et claire obscurité jaillit alors la nudité sordide du jeu démocratique, dans le sillage d’un marché qui n’aura décidément jamais cessé de le contredire, le jeu démocratique. Et l’on se demande même,  tant commune est l'imposture, si l’on pourra longtemps garder la possibilité, futile et salutaire, d’en sourire ouvertement…

08:38 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : soulages, musée des beaux-arts, lyon, isf, oeuvres d'art, france, culture | | |

lundi, 26 septembre 2011

La monomane de l'envie

La brève existence de Géricault, dont quelques amateurs enchantés fêtent aujourd’hui l’anniversaire de naissance, est si éloignée de nos références et de nos soucis quotidiens qu’on a l’impression en parcourant des yeux les étapes de sa vie d’un personnage aux contours aussi intransigeants qu’irréels, comme l’Empire et ses prodigieuses batailles en produisirent dans quelques grands romans avant que le pays ne perdît à jamais tout sens et tout goût de sa grandeur. Songer qu’il est mort à 32 ans après avoir laissé je n’ose dire des tableaux mais bien plutôt des images, comme Le chasseur de la Garde ou encore Le Radeau de la méduse-  des images au sens propre monumentales au même titre que l’Arc de Triomphe ou la Madeleine,  mort à 32 ans après avoir été mousquetaire de Louis XVIII  (il y a là quelque chose de déjà comiquement anachronique) - des conséquences d’une chute de cheval doublée d’une ruine financière, comme si la Terre brusquement n’avait plus voulu de lui, songer à Géricault, à ces trois syllabes aux accents inévitablement bibliques telle cette  route sinueuse qui, de Jérusalem à Jéricho dévale les monts de Judée et sur laquelle le Christ rencontra le bon samaritain, ces trois voyelles si claironnantes et si fermées, si passionnées, si colorées aussi.

Le musée de Lyon possède l’un des cinq portraits de folles peints par le jeune Théodore pour  le médecin chef de la Salpêtrière, le docteur Georget, qui était aussi son ami.  Même si ce sont probablement  des œuvres de commande, se découvre quelque chose de très moderne dans l’intérêt de Géricault pour ces folles anonymes, qui contraste avec ses tableaux historiques à la Vigny. Une sorte de face à face troublant avec les coulisses de la gloire. La monomane de l’envie, (dite aussi La Hyène de la Salpêtrière) m’a toujours fait penser au personnage de la cousine Bette, l’ouvrière en passementerie « énergique à la manière des montagnards », l’héroïne d’un des romans de Balzac les plus à mon goût. Balzac et Géricault ne reposent pas très loin l'un de l'autre, au Père-Lachaise. C’est ce rapport étroit entre folie et pauvreté, cette peinture du manque comme de la peur de manquer et finalement son dépassement dans la folie de l'envie qui, je crois, fascine en cette peau terne, ces sourcils froncés, cet œil vif, ces lèvres effilées, tout comme dans le portrait de Lisbeth Fischer, l'héroine balzacienne : 

« Cet esprit rétif, capricieux, indépendant, l’inexplicable sauvagerie de cette fille, à qui le baron avait par quatre fois trouvé des partis (un employé de son administration, un major, un entrepreneur des vivres, un capitaine en retraite), et qui s’était refusée à un passementier, devenu riche depuis, lui méritait le surnom de Chèvre que le baron lui donnait en riant. Mais ce surnom ne répondait qu’aux bizarreries de la surface, à ces variations que nous nous offrons tous les uns aux autres en état de société. Cette fille, qui, bien observée, eût présenté le côté féroce de la classe paysanne, était toujours l’enfant qui voulait arracher le nez de sa cousine, et qui peut-être, si elle n’était devenue raisonnable, l’aurait tuée en un paroxysme de jalousie ». 

(Balzac, La cousine Bettte, ch. 4)

 

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La Monomane de l’envie, Musée des Beaux-Arts, Lyon

 

Géricault comme Balzac sont deux mythes français tels que le pays n'en produira jamais plus, car nous avons définitivement changé d'échelle, de monde et de culture. Mourir comme Balzac, aujourd'hui, mourir à 51 ans, c'est mourir jeune. Que dire  de mourir à 32 ans, comme Théodore Géricault ? Pourtant, aucun de ceux qui meurent aujourd'hui à 32 ou 51 ans d'un accident ou d'une maladie n'ont produit Le Radeau de la Méduse ou la Comédie Humaine. Cela ne se peut plus, l'époque s'y refuse, n'en fournit plus la nécessité ni les moyens et l'on ressent comme un vertige à se sentir à la fois si proches et si éloignés de ces artistes, dont seulement pourtant quelques générations nous séparent.