Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

dimanche, 19 juillet 2009

Les corneilles de Condate

Si vous avez déjà visité Lyon, peut-être connaissez-vous l’amphithéâtre des Trois Gaules,  à mi-hauteur de la colline de Condate. Je dis peut-être, car ce lieu demeure fort peu visité, bien moins que ne l’est en tout cas le théâtre romain de Fourvière, lequel est situé sur la colline d’en face, berceau de Lugdunum.

Il fait avouer que c’est de manière un peu exagérée que nous disons, à Lyon, l’amphithéâtre des Trois Gaules : De même qu’il ne reste plus grand-chose des Trois Gaules, seules demeurent quelques pierres de ce malheureux amphithéâtre. Un spectre d’amphithéâtre, devrait-on proférer, malheureuse carrière providentielle dont les pierres recyclées ont servi à bâtir toute la ville médiévale, ses couvents, ses auberges et ses églises ; dès lors, qui s’attend à voir surgir un amphithéâtre au coin de la rue Terme ne découvre un peu plus haut qu’un maigre enclos de terre battue, à peine plus large qu’un court de tennis qui perce la colline, où ne subsistent que quelques gradins, épars et irréguliers. Et pour barrer la perspective, l’ancienne et fort laide école des beaux-arts au-dessus ; à ses côtés, le modeste reliquat du jardin des plantes, pentu, sinueux et bucolique.

D’un point de vue historique, cet endroit est cependant beaucoup plus riche que le théâtre de la colline d’en face.

Pour une raison politique, tout d’abord : c’est en ce lieu que l’empereur Claude fit lire son fameux discours au sénat, plaidant devant tout ce que l’Empire contenait de dignitaires soupçonneux la cause de la Gaule Chevelue. Vous dire combien cette phrase, la première fois que je l'ai entendue, m’est apparue littéralement auréolée de mystères et de poésie, comme une sorte de haïkaï ou de formule surréaliste, à l’heure de l’assassinat de Kennedy, de la guerre froide et de la conquête de l’espace: « il faut sauver la Gaule Chevelue… »

Pour une raison religieuse, ensuite. Car d’après la lettre d’Eusèbe de Césarée, c’est bien sur cette terre que les martyrs de Lugdunum (dont les plus célèbres demeurent l’évêque Pothin et la jeune esclave Blandine) furent persécutés en 177. Jean Paul II s’était donc recueilli parmi ces vestiges lors de son passage entre Rhône et Saône, en 1986. En visite à Lyon pour quelques jours, Batholomée 1er pouvait-il faire moins que s'y rendre à son tour ?

A dix-huit heures trente, ce samedi dix-huit juillet, la mairesse du 1er arrondissement était bien solitaire devant les hautes grilles vertes qui ferment ordinairement l’entrée du site archéologique (ce terme est désormais plus juste, plus adéquat, vous l’aurez compris) pour accueillir le patriarche de Constantinople, qu'accompagnait le Cardinal Barbarin. Trois ou quatre policiers, quelques badauds. Les habituels pigeons, l’œil rond, fixement orangé, à l’affut d'une pauvre nourriture sur le sable ou le goudron secs.

Arrivent enfin les gens d’église (ils étaient tout au plus une bonne vingtaine, accompagnant qui leur patriarche et qui leur cardinal). Le Primat des Gaules présente au Patriarche de Constantinople Madame la Mairesse du Premier Arrondissement. Félicitations, lui dit celui-ci, d'un ton amusé. Ce qui me fait sourire. Entouré de tous ces hommes vêtus de longues robes noires, elle apparait soudain dans le soleil couchant bien primesautière et, telle Perette sur sa tête ayant un pot au lait, « légère et court vêtue » dans l’enceinte austère et séculaire, avec son tee-shirt et sa robe à carreaux cessant juste à mi-cuisses. Marche par marche, je grimpe l’escalier raide qui permet de surplomber le site. Les deux gardes du corps du Patriarche, en costume-cravate (ce qui, sur cette scène, les rend fort peu discrets) jettent quelques coups d’œil en ma direction. Je croise, au milieu des escaliers, une espèce de neo-baba en jean trop large et coiffure affricaine, l'oeil trop bierreux pour en croire ses yeux : Le Patriarche entame un chant que le Cardinal et toute l’assistance reprend; le neo-baba se cramponne à sa canette tandis que la mairesse d'arrondissement, sage et diplomate, attend que cessent les chants religieux. Sous sa coiffe noire, Bartholomée 1er est un somptueux septuagénaire à la barbe lisse et authentiquement blanche, dont la belle allure - malgré la petite taille - n’inspire pas le moindre schisme, je vous assure. Un personnage comme échappé d'une icone orientale, là, parmi nous. Et puis arrive l’heure des discours. Je tourne à droite, parvenu au sommet de l’escalier.

Dans la nuée bleu-gris de cette fin d’après midi, la silhouette presque fantomatique de Fourvière, en face de nous. Cette visite... Fort discrète, à franchement parler. Un événement historique, dira-t-on néanmoins : la toute première fois qu’un patriarche de Constantinople, plaçant ses pas dans la trace de ceux d’un pape, vient bonnement saluer ce quartier jadis populaire, qui fut celui de mon enfance.

Dans quelques instants, tout le monde va se retirer : Gens de mairie en leur mairie, gens d’église en leur évêché, gens de la sécurité dans leurs hôtels. La concorde des trois-Gaules, certes...  Celle des deux églises, pas moins, bien sûr...  Le soir va bientôt tomber. Ne resteront, une fois de plus, que les pierres.

Lorsque se refermeront les hautes grilles vertes, quelques  marginaux avinés viendront achever de se biturer sur les bancs du jardin des plantes mitoyen. D'eux aussi, la nuit sera victorieuse. Puis ce sera un matin neuf. Des corneilles, en grand nombre,  piétineront le sable de cette enceinte millénaire et sacrée : l’oiseau noir, l’oiseau, dit-on, de Lug, celui dont à l’aube, les cris sont de colère. Leurs pattes griffues de propriétaires jalouses auront tôt fait de disperser les empreintes de tant d’humaines éminences. Les fondaisons silencieuses des alentours, tout frémissantes du silence du vent, préserveront une journée de plus, dans l’abri recroquevillé de leurs branchages, imperceptible et sauvage, le vrai mystère de Condate.

 

 

Commentaires

Merci pour cette évocation castelbriandesque ! et d'avoir utilisé le mot "mairesse". "La maire" : c'est hideux et ridicule. Lyon pour moi est la plus belle ville de France.

Écrit par : collignon | dimanche, 19 juillet 2009

Joliment tourné cette visite sur les Pentes, dans un quartier en apparence peu enclin à prier, un poil contestataire, en cours de boboisation... Reste le couvent d'à côté...

Écrit par : Y. | dimanche, 19 juillet 2009

Il me plaît d'imaginer Henri Béraud revenir et lire "Les corneilles de Condate". Découvrir la relève assurée.

Merci pour ces billets (d'aujourd'hui, de samedi et du 4 novembre), qui disent l'histoire et sont aussi, pour la mécréante que je suis, d'un apport précieux. Car j'aime avoir ainsi la chair des choses données sur le vif. Jamais je n'irais lire sur l'archevêque de Lyon ou sur le chef de l'église orthodoxe. Et là, j'écoute avec plaisir...

Écrit par : Michèle | dimanche, 19 juillet 2009

J'apprécie aussi ce mot de "mairesse" et surtout, de cette mairesse, la dignité de l'accueil, dans le respect de la laïcité dont sa fonction est garante.

Je recopie, pour le plaisir, les passages qui en témoignent :

"La mairesse du 1er arrondissement était bien solitaire devant les hautes grilles vertes qui ferment ordinairement l'entrée du site archéologique (...) pour accueillir le patriarche de Constantinople, qu'accompagnait le cardinal Barbarin. Trois ou quatre policiers, quelques badauds, les habituels pigeons, l'oeil rond (...).
Le Primat des Gaules présente au Patriarche de Constantinople Madame la Mairesse du Premier Arrondissement. Félicitations, lui dit celui-ci, d'un ton amusé. Ce qui me fait sourire. Entourée de tous ces hommes vêtus de longues robes noires, elle apparaît soudain dans le soleil couchant bien primesautière (...).
Le Patriarche entame un chant que le Cardinal reprend et toute l'assistance ; (...) tandis que la mairesse d'arrondissement, sage et diplomate, attend que cessent les chants religieux."

Écrit par : Michèle | dimanche, 19 juillet 2009

Très beau portrait, en effet, que celui de cette mairesse du 1er. Je ne la connait que de vue. Mais je l'imagine bien, en robe courte entre ces hommes à longues robes noires de corneilles, écoutant des chants byzanthins au milieu de l'amphithéâtre.
A propos de cette école des Beaux Arts dont vous dites très justement la laideur, on ne sait d'ailleurs ce que Nathalie Perrin Gibert compte faire. Tout détruire ? Ré-aménager ? Et Collomb ? Que dit-il ?

Écrit par : S.Jobert | dimanche, 19 juillet 2009

@ Collignon : Vous êtes lyonnais pour dire cela, non ?

Écrit par : solko | lundi, 20 juillet 2009

@ Y : Quand nous nous promenons sur les pentes, nous marchons sur une pate feuilletée historique, en effet. Des gaulois aux gallo-romains, des religieux aux laïcs, et maintenant aux bobos plus ou moins libertaires ( sans oublier le palais impérial qui a tout simplement disparu)

Écrit par : solko | lundi, 20 juillet 2009

@ Michèle :
Vous cherchez à me faire rougir de plaisir en me parlant ainsi de la relève de Béraud !

Écrit par : solko | lundi, 20 juillet 2009

@ S.Jobert
Je ne sais pas du tout ce que la mairie (centrale ainsi que d'arrondissement) veut faire de cette horrible école désaffectée. Savez-vous qu'elle avait été construite sous Herriot, je crois, pour casser la perspective sur l'église du Bon pasteur ? Jusqu'où allait se loger les batailles clochemerlesques, à l'époque !

Écrit par : solko | lundi, 20 juillet 2009

Non, je suis bordelais, et n'ai vu Lyon que deux fois. Mais il existe dans cette ville une telle variété de quartiers, de hauteurs, un si magnifique musée archéologique, une telle personnalité... Paris me semble totalement privé d'âme, sans dimension humaine, un vaste réservoir de hurlements incessants de bagnoles, de bagnoles, de bagnoles... Bordeaux, il a bien fallu que je m'y fasse ou fisse...

Écrit par : collignon | lundi, 20 juillet 2009

Les commentaires sont fermés.