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dimanche, 28 juin 2009

Jules Janin, Lyon et le lieu commun du rêve

L’écrivain stéphanois Jules Janin, né en février 1804 est surtout connu pour l’Ane mort et la femme guillotinée. En 1838, alors qu’il s’apprête à partir à Venise, il consacre à Lyon quelques lignes, au lyrisme à la fois académique et désuet. On y retrouve tous les clichés romantiques que les écrivains de la Monarchie de Juillet puis du Second Empire, illustres ou inconnus, au premier rang desquels il faut citer Lamartine, Michelet, Stendhal, Baudelaire, développèrent tour à tour à propos de la capitale rhodanienne : ceux de la cité laborieuse, ceux de la ville songeuse. Lyon, ville « antithèse », avec ses deux fleuves et ses deux collines, celle qui travaille (Croix-Rousse) et celle qui prie (Fourvière). J’ai déjà publié le texte de Jules Michelet sur « les deux collines », celui de l’Illustration, journal parisien, qui est un chef d'oeuvre du genre . Certes, le cliché peut finir par énerver, lasser. Néanmoins, ceux qui ont souvent promené leur ennui dans cette ville ont peut-être remarqué qu’il est aussi de teneur architectural : ne trouve-t-on pas  trace aussi de ce labeur de « bêtes de somme » dans l’architecture, la pierre des quais, des façades ou le fer des grilles ? Et  dans ce qui demeure des fleuves et des vergers ou des ruines gallo-romaines dans la cité actuelle, ne pioche-t-on pas encore trace du rêve enfoui d'un berger virgilien ?

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Gravure : Confluent du Rhône et de la Saône, (Coste - Part-Dieu)

« Lyon est déjà une ville du midi, mais une ville qui travaille. Mollement assise entre ses deux beaux fleuves, à l’ombre de ses collines chargées d’arbres, vous diriez, au premier abord, que la ville va s’abandonner tout à son aise à la molle oisiveté orientale ; qu’elle va se baigner dans ces flots limpides, et se mettre à rêver sous ces frais ombrages, en un mot, faire de la poésie, comme le berger de Virgile sous son hêtre. Que vous êtes dans une bien grande erreur ! La ville est active, animée, bruyante, avide de gain ; elle vend, elle achète, elle fabrique ; ses deux fleuves si beaux, chers aux poètes, elle ne les regarde, elle ne les estime que comme deux bêtes de somme infatigables, sans cesse obéissantes et sans cesse occupées ; elle arrache l’ombre de ses collines pour y brasser sa bière, elle encombre de fardeaux ses beaux rivages ; la ville posséderait le hêtre de Tytire, qu’elle elle jetterait au feu ce hêtre ce hêtre sacré ou qu’elle en ferait une barque. Singulier contraste ! Mais plein de variété ou d’intérêt.

Dans ce mouvement occupé, dans cette foule active et agit par le gain, que devient le poète ? que devient le rêveur ? Il est mal à l’aise, croyez-le, au milieu de tout cet argent en rut qui s’agite pour se multiplier. Le commerce, rude portefaix, coudoie ne passant la souffreteuse poésie. En vain le poète, guidé par ses souvenirs, s’en va cherchant, à la trace, dans cette vaste fourmilière, les émotions de ses vingt ans ; hélas ! il ne sait où les reprendre ; tant la ville de son enfance a changé d’aspect. La Saône, il y a vingt ans, était chargée de ces frêles, barques nonchalantes si bien faites pour la promenade du soir : un pont, jeté à cette même place consacrée aux promenades, a remplacé les barques de la Saône. Sur ces hauteurs s’élevaient, ruines formidables, les restes de la prison d’état où fut enfermé le beau M. de Cinq-Mars et M de Thou, le savant jeune homme, jeunes gens que le cardinal frappa de son gantelet de fer : ces hauteurs sont dépouillées de leurs ruines et le roc a remplacé toute cette histoire. Même la grotte pittoresque où dormit Jean-Jacques Rousseau, le puissant inconnu, à présent, la ronce l’encombre ; la grotte n’a plus de mousse, plus d’hospitalité pour personne. Et jusqu’à toi, mon vieux Rhône, qu’on disait indomptable, toi le terrible lion dont on touchait en tremblant la crinière toujours furieuse, te voilà vaincu et dompté à jamais par la vapeur ; sur ton dos marchent des nations entières, aussi tranquilles que si elles étaient assises sur ton rivage ? »

Jules Janin – Voyage à Venise  - 1839

14:51 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, lyon, voyage à venise, jules janin, saône, rhône, poésie | | |

Commentaires

Lyon ville active où, non seulement le poète mais aussi les intellectuels n'avaient pas vraiment leur place (pas d'Université ancienne comme dans les autres grandes villes françaises)-c'est quand même une réalité.
En revanche Ville humaniste (ouvrage collectif chez Autrement) c'est aussi une réalité dont on parle peu.

Écrit par : Rosa | dimanche, 28 juin 2009

Il est très beau ce texte, il est troublant. Sa modernité est troublante. 1839, et l'on s'y retrouve tels (ou si près) en 2009. Merci.
Ps :
Le rêveur ? le poète ? mais qu'ils crèvent !!! (cette réalité est n'est pas si secrète dans cette ville...)

Écrit par : frasby | dimanche, 28 juin 2009

Quelle merveille de parler de "votre" ville comme vous le faites.
Les poètes, les rêveurs sont souvent bafoués.
Je ne trouve pas ce texte désuet.
Merci à vous.

Écrit par : Ambre | lundi, 29 juin 2009

@ Rosa : On en parle : la preuve, ce livre paru chez Autrement.
@ Frasby : Jules Janin nous trouble : si un éditeur passe par là, il faut prévoir une ré-édition ...
@ Ambre : Vous avez bien raison de ne pas trouver ce lyrisme désuet. Au fond, il ne l'est pas.
Il faut en conclusion réhabiliter Jules Janin. Au boulot !

Écrit par : solko | lundi, 29 juin 2009

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