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mardi, 01 juillet 2008

Histoires de Gones

Le mot gone n’est plus guère revendiqué à présent que par quelques supporters de l’OL (bad gones). A propos des joueurs de l’équipe d’Aulas, un commentateur sportif peut se laisser aller à parler de « gones » ; Juninho ou Grosso, des gones ?  Voilà pourtant qui ferait se retourner dans leur tombe plus d’un Puitspelu ou autre Mami Duplateau. Au-delà de ces emplois, récurrents de nos jours, le mot gone a deux significations attestées : lyonnais d’une part ; garçon, voire enfant, de l’autre. Ces deux significations pouvant bien sûr se conjuguer : enfant ou garçon de Lyon, par opposition au titi parisien, Gavroche, Poulbot et autre gamin de Paris. Le mot est donc une marque identitaire forte.

La comparaison de plusieurs récits d’enfances lyonnaises, permet d’introduire le motif :

« A mon grand regret, écrit Marcel Grancher  (Marcel Grancher -1898/1976- publie Lyon de mon cœur en 1932 aux éditions Lugdunum), on ne me permettait pas  souvent de me mêler aux ébats de mes petits camarades de quartier. De ses ascendances bourgeoises, ma mère conservait de fâcheux principes, dont l’un des plus regrettables était qu’un enfant bien élevé ne devait pas jouer dans la rue. Je m’en trouvais réduit à regarder à travers la vitre les autres gones, enviant férocement leur bonheur ». En 1932 déjà, le mot est imprimé en italiques, afin de le signaler au lectorat comme appartenant à un lexique local.

Dans ses Chemins de solitude, autobiographie écrite avant la guerre et publiée en 1946 aux éditions Cartier, Gabriel Chevallier (1895-1969) évite soigneusement de prononcer le mot gone : Il parle plutôt de « lurons débraillés et violents », de « garnements guenilleux », de « bandits ou d’Indiens du Far-West », de « tireurs de sonnettes », ou, plus généralement, de « gamins » ou « d’enfants ». « Je ne devais pas, rappelle-t-il, me mêler aux « enfants des rues ». Evoquant de loin leurs jeux, il évoque des « bousculades vraiment viriles » et place entre guillemets le terme : « enfants des rues », comme pour surdéterminer l'évidence de la non-appartenance d'un fils de bourgeois à ce clan populaire.

C’est évidemment le contraire chez Henri Béraud  : fier d’appartenir à la tribu des gones qu’il oppose à celle des gosses : «Si bien que les gosses de riches s’en allèrent jouer ailleurs, et que Bellecour appartînt, le jeudi, en toute propriété, aux enfants de la rue. Les enfants de la rue, les gones, à vrai dire, je ne fréquentais qu’eux. (…) Nous autres, les gones, étions de la rue comme les petits croquants sont de la route. » (La Gerbe d’or, ch. 5).

On peut dire, en effet,  gosses de riches, mais pas gones de riches.

Avant de signifier le lyonnais (par opposition au parisien) le gone, c’est donc l’enfant du peuple et celui des rues. Dans son roman Dame de Lyon (Rieder, Paris, 1932)  Joseph Jolinon prête à un homme de lettres cette savante explication  à propos des deux lignées qui forment la « famille » lyonnaise :

- une première « tire d’Auvergne en Suisse allemande en passant par Saint Irénée, Bellecour, les Cordeliers, Tolozan, Brotteaux, Tête d’Or, palais de la foire » et révèle « un échantillon d’homme né la tête penchée du côté du tiroir-caisse, le cou en faux col, l’œil en diaphragme, l’oreille en écouteur, les épaules en dessus d’armoire, la bouche comme une serrure, le doigt levé comme une règle »

- D’une autre lignée toute populaire, «  tirant de Dauphiné en Beaujolais, de la Guillotière à Vaise par la Platière ou la Grand’Cote, naissent les gones, à la suite de Guignol et de Panurge, Lyonnais pour qui les petits oiseaux existent. »

C’est ainsi que l’entend également Marcel E Grancher en 1940 dans Lyon de mon cœur, déjà cité : « Si tu m’as fait grâce de me suivre, tu connais maintenant Lyon aussi bien que je le connais moi-même. Non pas le Lyon, conventionnel et inexact, des marchands avaricieux, au teint couleur de cire : le Lyon du peuple, le Lyon des gones, le Lyon qui chante, qui rit, qui pleure, qui vibre. Les premiers nommés sont sept ou huit cents – encore, chaque année, en empaille-t-on quelques-unes. Nous, nous sommes huit cent mille. »  

C’est déjà ainsi que, dans Le roman d’un vieux groléen, publié en 1909, l’entendait également Georges Champeaux qui fait dire à une fille d’ouvrier enrichie du faubourg de Vaise, cette remarque à propos de ses enfants qu’elle place dans une institution privée : « Je ne veux pas les voir fréquenter les gones de la rue ». Un roman feuilleton paru dans Le Salut Public, en 1850, emploie le terme dans ce même sens : « Georges avait dû renoncer aux batailles avec les enfants des autres paroisses, et à la vie active qui lui avait valu le surnom de Gone par excellence » (Bigot, Le Gone de Saint-Georges, 1850, ré édition Lugd, Lyon, 1995)

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photo : Willy Ronis

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14:51 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : culture, langue française, lyon, gone, bad gones, littérature | | |

dimanche, 22 juin 2008

L'Ours

Octobre 1913 : Henri Béraud crée un pamphlet mensuel, dont il sera, durant onze numéros, l’unique rédacteur, et qu’il nomme  L’Ours.

« Le point de vue où je veux me placer est celui des nigauds », assure-t-il dans un article du numéro un. Les nigauds, c’est-à-dire, dans son esprit, les Lyonnais : « Et nous sommes là, près de cinq cent mille Lyonnais, cinq cent mille nigauds, regardant bâtir des murs, jeter un pont, et fondre notre argent à nous demander le pourquoi de tout ce remue-ménage. Car enfin, on ne nous a pas posé la question, à nous, les intéressés. » A la croisée de Guignol et du chansonnier montmartrois, le discours de Béraud assume donc la parole satirique au nom du sans-grade et du sans avis, lui permettant  (peut-être) de rire de ses faiblesses et de ses renoncements.

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10:15 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, béraud, lyon, l'ours, politique, edouard herriot | | |

vendredi, 06 juin 2008

Marrons de Lyon

Le 9 janvier 1912 paraît chez Grasset une première série de nouvelles, écrites par Henri Béraud, en collaboration avec Charles Fenestrier, et titrée les Marrons de Lyon  L’expression provient en droite ligne une chronique que les deux journalistes tiennent dans Le Septième Jour, une feuille hebdomadaire satirique dont Fenestrier, aussi nommé Hop-Frog, est le directeur. Il s’agit d’épingler des personnalités locales, de relever des faits divers significatifs de la semaine, de débusquer les contradictions, les ridicules, la vanité de la vie mondaine à l'orée du nouveau siècle.

En jouant sur la polysémie du mot marrons (les châtaigniers sont nombreux dans la ville), les auteurs donnent le ton dès leur invocation préliminaire et propitiatoire : « O lyonnais, grands hommes immobiles et majestueux, que nos modernes Cineas prennent pour une assemblée de rois, nous savons votre horreur de la publicité…Deux insensés forcent votre immense incognito »  Il s’agit d’exposer « aux étonnements de nos contemporains » les « visages tout nus » des lyonnais, « cohorte de sots et de tartufes. ». De cogner dur et pour de bon. Et puisque Edouard, Herriot, le jeune maire de Lyon, confondant la reconstruction de sa capitale assoupie avec le fondement d’une nouvelle Athènes se prend pour Périclès, les deux compère usent d’une arme antique qui, entre Rhône et Saône, demeure un gage de sa bonne santé républicaine en temps de paix : l’épée de la polémique. 

Vingt-et-une nouvelles promènent leur lecteur d’une réunion électorale dans l’arrière salle d’un café au siège de l’Automobile Club du Rhône, du foyer du Grand Théâtre à la salle minuscule du père Coquillat, (1) de la Faculté Claude Bernard qui borde le Rhône à la salle des Pas perdus du Palais de Justice que longe la Saône. Toute proportion gardée, ces vingt et une nouvelles seront, pour leurs deux auteurs ce que fut pour Joyce les Gens de Dublin : un galop d'essai réussi. Dès l'avertissement de leur "Gens de Lyon", les folliculaires déclarent adopter le point de vue de Steyert, de Tisseur ou de Vingtrinier, c’est à dire celui des littérateurs érudits de la génération précédente, les "pères" qui ont, dans chacun de leur livres, contribué à tisser la légende de "l'âme lyonnaise". Au nom de « l’amour de Lyon », les deux acolytes vont donc se livrer à une entreprise de démystification en bonne et due forme : Les Marrons de Lyon proposent, en pastichant la méthode du Lyon de nos pères, d'en prendre le contre pied idéologique. Ils dressent un tableau caustique du Lyon des fils, singulièrement dépourvus d’âme comme d’esprit, de charité comme de lyrisme, de sentiment comme de culture. Aimer Lyon, ce n’est donc pas travestir en particularisme local la banalité de ses préjugés et de ses vues, c’est au contraire mettre à nu le conformisme prude et marchand qui, scandaleusement, y sert de sagesse : 

« La moindre originalité est crime aux yeux des lyonnais. Ils conspuent les femmes élégantes et laissent crever de faim les artistes pour les mêmes raisons. Quand un bourgeois d’ici veut accabler quelqu’un de son mépris, il dit : c’est un original. Non, mais regardez-moi ce cortège, Monsieur : ils se ressemblent tellement qu’ils ont l’air de porter pour uniforme la livrée de l’Ennui. »( L’étrange rencontre)

Aimer Lyon, ce n’est pas magnifier avec complaisance l’académisme de sa culture marchande et industrielle, c’est tout au contraire dévoiler publiquement la prétention ridicule et la sottise sans fonds de son élite :  « Il y avait aussi M. Georges Martin, désolé qu’on ne jouât point Sigurd, et M. Verpillat, qui pleurait dans le giron de M. Aurand-Wirth l’agonie des orphéons. Sur un fond d’or, M. Leroudier portait le masque d’un Van Dyck comptable et M. Degors le facies d’un Brutus hépatique. M. Clapot poussait son ventre débonnaire. Un ennui mortel engourdissait ces personnalités diverses, qui n’avaient plus rien à dire, ni à faire, s’étant dûment congratulées. Soudain la sonnette retentit. La salle ouvrit à deux battants ses portes, où la foule s’engouffra. Le deuxième acte commença, et tout ce petit coin d’univers se tut, se retint de remuer, de respirer, de souffler, afin de juger avec plus d’impartiale quiétude le ténor, le baryton, la chanteuse. Et tout va son train dans la bonne ville de Lyon. » ( L’Africaine, troisième nouvelle)

Aimer Lyon, enfin, ce n’est pas taire les conflits qui la traversent, vanter niaisement la bonhomie de ses coutumes, c’est dénoncer tant qu’on peut la dureté des mœurs des soyeux, louer la jovialité de son peuple et ressusciter une tradition satirique qui soit digne, au moins, du premier Guignol de Laurent Mourguet. A la façon de l’héméraphile, maniaque qui collectionne anecdotes, croquis et faits divers contemporains, les narrateurs saisissent en flagrant délit d’insignifiance ou d’insipidité tous leurs illustres compatriotes, dont ils citent par ailleurs les véritables patronymes avec une minutie clinique. Leurs pères étaient, affirme la légende, dignes de mémoire ; sont-ils, eux, digne d’intérêt ? Ridiculiser les mœurs locales  en retournant contre eux la méthode qui les a érigés en mythes, tel est le principe et la signification de ce premier essai. Vifs et comiques, les tableaux s’enchaînent : « Autour de nous ne se trouvent que visages convulsés, bouches béantes, têtes, bras et jambes épileptiques. Les honnêtes dames poussent de grands cris de bonheur et leurs amis crient avec elles. Le parterre et les loges sont soulevés d’une même frénésie ; on s’interpelle, on se provoque, on excite les matcheurs, on brandit des chaises et des cannes, et les messieurs graves, eux-mêmes, congestionnés et farouches, hurlent plus fort que les autres. Dans les galeries roulent les trépignements d’enthousiasme : la Terreur de la Guille et le Vampire des Charpennes « reconnaissent leur sang dans ce noble courroux ». Et c’est un merveilleux unisson de passions déchaînées ». (Sports, onzième nouvelle)

La rhétorique au service du reportage : car ces croquis en sont déjà, à leur façon. Les terrasses, les salles de café, les rues, les visages et les habits, tous ces lieux anodins, inlassablement saisis dans leur instantané, leur monotonie, finissent par former un contraste comique avec la rhétorique convoquée pour les dépeindre. L’historiographe se trouve mise à mal par la platitude du sujet traité et toute la légende du Lyon mystique s’évapore peu à peu dans causticité du propos : « Les spirites parlent souvent de photographier la pensée. Voici, mon cher monsieur, du spiritisme à la portée de toutes les bourses et de tous les cerveaux. Ce que je tâche à réunir, sans médium ni table tournante, c’est en somme, si vous me passez cette expression sternutative, une collection de photographies psychiques : l’âme de nos contemporains, dans une tache d’encre, sous le soleil : »  (Un héméraphile , quatorzième nouvelle)

A ces scènes vues et glacées sur le vif, qui restituent toute l’ambivalence de l’urbanité régnant à cette époque, se mêlent des scènes loufoques et imaginaires, comme la fondation de la Société des Meilleurs Peintres de Lyon, soirée de réconciliation entre peintres, critiques et politiques, qui s’achève en pugilat et laisse sur le tapis les cadavres de ses trois organisateurs. La démystification vise à mettre à nu autant l’académisme de l’éloquence que la démagogie du discours politique, comme en témoigne le long et grotesque discours d’une réception fictive de Raoul Cinoh (2) à l’Académie de Lyon prononcé, par M. Exupère Caillemer (3) « Nous avons longtemps hésité à prononcer en votre faveur le dignus est intrare qui fait à cette heure, du petit nyonsais que vous étiez en 1880, un lyonnais digne de mémoire et qui marque votre place parmi cette galerie de bustes où resplendissent les nobles visages des Raspail, des Ballanche, des Meissonier et des Brunard. Les temps sont changés. Les raisons mêmes qui nous contraignaient naguère à vous ignorer nous font un devoir de vous appeler parmi nous. Le flot démocratique gagne tous les mondes, et singulièrement celui des bourgeois, dont nous sommes à Lyon les représentants incontestés. Nous n’aimons pas la plèbe, mais nous la tolérons, et nous n’en saurions donner une preuve plus éclatante que d’admettre celui dont le talent réalise le mieux les désirs, le goût et les aspirations du faubourg. Le peuple lyonnais tout entier, Guignol et sa tavelle[9], Gnafron et sa chopine, les jouteurs, les mutualistes, le Denier des Vieillards, le Village en Bois, les Rigolards danseurs, les Branquignols, les Guillemochains et les Panouflards même, pour ne rien dire de plus ; toute la population sordide de la Guille et celle, goguenarde, du Plateau, les canuts, les mitrons, les clarinettistes, les voituriers, les bandagistes, les ronds-de-cuir et les marchands de fromages entrent à l’Académie à vos côtés, et c’est faire montre, je pense, d’un esprit moderne que recevoir tant de monde en un seul jour… »  (Soirée Académique, dix-neuvième nouvelle)

Une réalité trivialement bourgeoise, tristement démagogique et partout régnante, en lieu et place de l'aristocratique, historique et fort digne de la fameuse "Ame de Lyon"… Comment le public de l’époque pouvait-il réagir ? Car si la déconstruction d’un motif littéraire devenu aussi académique que stérile était indispensable à celui qui pressentait déjà son destin d’écrivain national, la bourgeoisie locale de l’époque pouvait-elle lui pardonner qu’elle s’opérât publiquement, et de surcroît, à ses frais ? Le différend entre Béraud et une partie de ceux qui le jugèrent durement plus tard commençait. Il se prolonge encore aujourd'hui, puisque une municipalité qui prétend être sacrée en 2013 "capitale européenne de la culture" s'apprête à faire l'impasse sur le cinquantenaire de la mort au bagne, en ocotbre 1958, de l'un de ses plus illustres écrivains.



1. Bibaste, alias le père Coquillat. Canut et comédien. De 1831 à 1915, le Père Coquillat fut le très populaire directeur du théâtre de la Gaieté sur les pentes de la Croix Rousse, rue Diderot.

2. Raoul Cinoh (anagramme de son réel patronyme, Chion) : Journaliste républicain effectivement né à Nyons, qui écrivit avec succès plusieurs revues ( Passons le pont, Ohé le gones, Perrache-Brotteaux), lesquelles furent jouées au Casino, à l’Eldorado, aux Célestins.

3. Exupère Caillemer : Directeur de la Faculté de droit depuis 1875, correspondant de l’Institut, membre de l’Académie de Lyon

 

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lundi, 19 mai 2008

Les lyonnais au 7ème ciel

Le slogan est facile ; le jeu de mots est idiot. Pour une manchette du Progrès, une première page de l’Equipe, passe encore. Passe encore. Titre régional, titre sportif, tous deux amis des piliers de bistrots et de ce genre d’approximations : pourtant, être citoyen, désormais, cela se décline-t-il sur le même ton qu’être supporter ? C’est bien, en effet, sur les panneaux d’affichage municipal électroniques que la phrase tourne en boucle : LES LYONNAIS AU SEPTIEME CIEL ; là où d’habitude sont annoncées les permanences de mairies et autres renseignements : monsieur Collomb, jusqu’à quel point  prenez vous vos électeurs, et tous  les autres pour des cons ?

Dans le vestiaire de l’OL, samedi soir, à Auxerre, Cris et ses copains répandent comme du foutre le champagne de la victoire par bouteilles entières sur le carreau. Vision inquiétante du mâle heureux, du champion qu’on est, s’il faut en croire la parole sainte  de la chanson.  Tout à coup, le visage rond et les yeux globuleux du président Aulas, annonçant par la porte entrouverte à tous ses joueurs : « si samedi prochain, vous gagnez la coupe de France, je vous offre une décapotable à tous »… « Je vous offre une décapotable… » Et pourquoi pas une belle petite pute en prime ? Ah, les vraies valeurs du footballeur, les voilà donc, la belle nana et la belle caisse, les bonnes valeurs citoyennes des salariés en milliers d’euros...  Et tous, donc, dans ce vestiaire de milliardaires, tous ces héros qui ont propulsé chaque Lyonnaise et chaque lyonnais à parité égale – parait-il -  « au septième ciel », tous de se mettre à brailler brailli-braillant et tous en chœur : Président, président…, tout en faisant encore gicler le contenu des bouteilles de champagne tout autour d’eux, et sur le col de la veste de Jean Michel.

Autre image, tout aussi ahurissante, celle d’un pauvre mec d’une trentaine d’années perdu sur les tribunes lensoises de cette dernière journée de championnat, qui tombe en pleurs, oui, vous lisez bien, en pleurs. Parce que, oui, figurez-vous, Lens, un club historique, le club des ch’tis, savez-vous pas, Lens, eh bien Lens est pour de bon relégué « dans l’enfer » de la Ligue 2. Et voilà que, soudain, un petit gamin -six ou sept ans pas plus-  ce petit gamin prend ce qui doit être son père et dont la poitrine est tout brisé de sanglots incompréhensibles et horrifiants dans ses bras pour le consoler comme il le peut : un monde à l’envers. Et voilà qu’on comprend comment la passion du foot vient aux pauvres gosses, me direz-vous…  Dernière image, pour achever d’horripiler les irréductibles, en prélude de ce qui nous attend avec l’Euro et la putain de liste de Domenech : En Chine, cette fois-ci. En Chine. On compte les morts au fur et à mesure qu’on les découvre, un à un, les morts, une à une, les dépouilles, on les aligne, on les recense, on les couvre, et puis on désinfecte. . Cela en fait de bien beaux reportages, n’est-ce pas monsieur PPDA, n’est-ce pas monsieur Pujadas… Félicitations au membres du gouvernement chinois puisque, au contraire des vilains dirigeants de Birmanie qui refusent l’accès aux occidentaux, sont pour une fois « transparents » : Ah, cette mondialisation des Droits de l’Homme  par le sport, les médias et l’économie, un septième ciel, n’est-ce pas ! Et c’est au nom de ce septième ciel que nous devons tous nous réjouir, enfants, femmes et hommes de cette Terre ravagée, surpeuplée, et pourtant joyeusement indifférente, parce que, proclame un speaker dans toutes les langues, sur ces images de désolation : la flamme olympique va passer….

20:26 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : lyon, championnat, politique, foot, aulas, collomb, domenech | | |

dimanche, 18 mai 2008

La vierge de Fabisch

Mardi 27 mai à dix-huit heures, un événement à la fois insignifiant et extraordinaire se produira à Lyon : la fameuse Vierge dorée  de Fabisch, qui trône sur le toit de la chapelle de Fourvière, sera descendue de son haut socle et placée pour sept à huit mois sur le parvis de la basilique ; une estrade est déjà en place pour l'accueillir. Hugues Joseph Fabisch (1812-1886), sculpteur aixois, professeur à l'école des Beaux-Arts de Lyon  avait été lauréat d'un concours qui rassembla en son temps trente concurrents. Représentée en Immaculée Conception, couronnée, les bras ouverts et sans l'enfant Jésus, cette Vierge de 5,60 mètres est familière à l'œil de tous les habitants de la capitale des Gaules. Son inauguration, le 8 décembre 1852, fut à l'origine de la fête des Lumières (Illuminations). Sept à huit mois, ce sera donc le temps nécessaire pour les travaux de restauration. Durant ce temps-là, on ne la verra donc plus trôner là-haut, surplombant le paysage face au levant tel un santon doré, de quelque point qu'on regarde « la colline qui prie ». En revanche chacun pourra la contempler de près, en empruntant à pied le chemin du Rosaire ou en prenant le funiculaire, ce qui, depuis cent cinquante ans qu'elle domine le site, était impossible.

 

18:02 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fourvière, fabisch, lyon | | |

vendredi, 04 avril 2008

François Auguste Ravier

« Assez grand, assez gros, jadis blond, aujourd'hui grisonnant 65 ans - enfance maladive, le culte de la mère, l'amour de la sœur. La mère et la sœur ont commencé à faire battre ce petit cœur, culte aujourd'hui bien tombé, hélas ! Illusions dont j'ai vu le fond... »

Ainsi se dépeint François Auguste Ravier, né le 4 mai 1814, dans une missive qu'il poste à son ami le photographe Thiollier (lequel sera son premier biographe) en 1880, quinze ans avant sa mort.  Auguste Ravier naquit à Lyon au 18 rue de la Poulaillerie (actuelle rue Lainerie, dans le quartier de Saint-Paul à Lyon).

Son père, un fils dm503501_d0031230-000_p.jpge notaire devenu artisan confiseur, le destine très tôt au droit. Après être passé par le petit séminaire des Minimes de Lyon et le collège Saint Thomas d'Aquin à Oullins, Ravier obtient le baccalauréat et s'installe à Paris en 1814. Figure parfaite du provincial balzacien exilé au cœur du septième Cercle de l'Enfer, il compose quelques poignants et langoureux poèmes et avoue à son confesseur, l'abbé Gonin : « Je suis bien seul, ici. Bien étranger »

Bien vite, il devient un disciple de Lacordaire, dont il écoute régulièrement les causeries et les sermons à Notre-Dame. Il admire avec ferveur Lamartine (« je suis bien sûr que vous direz avec moi : c'est beau ! c'est sublime ! c'est bien Lamartine ! ») et commence à griffonner des croquis durant ses errances au cœur des rues, des places, des ruelles et sur les ponts parisiens. En mars 1839, après une année morose durant laquelle il se brouille plus ou moins avec ses parents, il présente deux tableaux au Salon (« Cette exposition n'a pour but que de vous prouver par d'autres témoignages que le mien et ceux de mes maîtres que j'ai travaillé, que j'ai fait des progrès... ») qui les lui refuse. On a d'ailleurs perdu la trace de ces deux œuvres de jeunesse.

 

Il devient l'ami de Corot, et s'exile plusieurs fois à Rome (1840-1842; 1844-1848). De retour à Lyon, il se marie en 1853 (janvier, février ou mars, on ne sait pas) avec la fille d'un marchand de vieux fer, Antoinette Dessaigne. Le couple s'installe non loin de Lyon, à Crémieux.

Là, Ravier devient peu à peu un maître estimé, reconnu et visité. Chaque année voit naître un enfant, et s'enrichir l'œuvre du peintre. En 1864, le peintre perd son père. Trois ans plus tard, il s'installe définitivement à Morestel, dans une très belle demeure dauphinoise qui surplombe la ville, dans laquelle il séjourne jusqu'à son dernier souffle, le 26 juin  1895.m503501_d0039503-000_p.jpg

Ravier est célèbre pour avoir beaucoup arpenté la campagne dauphinoise, dans laquelle il devient peu à peu excellent chasseur. Marcheur infatigable, il épie les variations de la nuance d'heure en heure sur les étangs, il "note des crépuscules en fleurs, écrira Béraud, "ne sortant que le matin, à l'aube, ou quand, à la tombée de la nuit, le paysage dauphinois se noit dans une brume violette et que les arbres, les chemins, les enclos semblent se recueillir dans le silence reposant du soir." "Je travaille à mort, écrit Ravier pour sa part, de la lumière, ça vient ! Je commence à être content de moi". Ses recherches sur la lumière et les brumes, en effet, le rapprochent de ses grands maîtres, Delacroix et plus particulièrement Turner, qu'il avait connu et toujours admiré. "Je ne puis offrir à mes hôtes que la bonne volonté, la bonne foi d'un homme sincère mais un peu morose et misanthrope, aimant plus à rêver qu'à rire, avare de son temps pour le donner plutôt à la nature et au travail qu'à la charge et au divertissement...", écrit-il à propos de lui-même en octobre 1879. La quête d'Auguste Ravier dérive lentement vers une exigence d'incandescence (ci-dessus, "coucher de soleil sur l'étang") qui n'a plus grand chose à voir avec les travaux académiques effectués à Rome (plus haut Les pins parasols).  Ravier est un peintre en mouvement,  bien plus que le peintre d'un mouvement ou d'une école. "Pas homme du monde du tout = Ahuri et bête comme une oie dans un salon". Des travaux de Rome à ceux de Morestel, de l'académisme des jeunes années à la lumineuse quête des dernières, alors qu'il finira aveugle, ce peintre incarne un itinéraire et une passion de voir qui est le propre des vivants:

« Et je passe la vie sans jamais m'ennuyer, après la peinture, il y a les livres - les anciens avant tout. Je laisse la foule applaudir Offenbach. Je ne crois guère à l'amitié, j'ai perdu la foi, je ne crois plus à l'amour, la nature reste, c'est suffisant = c'est encore l'Infini... »

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lundi, 10 mars 2008

Maires de Lyon

772533361.jpgLyon garde ses maires lorsqu'ils sont lyonnais et ne font pas trop de remous sur le plan national : ce qu'on leur demande, c'est de la discrétion. De la bonne discrétion, alliée à de la bonne efficacité. Gérard Collomb, opposant socialiste historique à Francisque Collomb puis à Michel Noir, intronisé parmi les notables inoffensifs sous le mandat de feu Raymond Barre, a gravi une à une toutes les marches qui l'ont conduit à cet Hôtel de Ville dans lequel il siège depuis déjà un septennat. Comme Henri IV, dont la statue équestre confère à la façade de la Maison commune, place des Terreaux, l'élégance d'une patisserie bavaroise, il doit se dire qu'après tout Lyon vaut bien une loge ! 52,9 % dès le premier tour ! C'est historique, titre Le Progrès local, qui ne mâche jamais ses mots. Edouard Herriot lui-même, dont le tombeau à l'esthétique stalinienne fait l'angle droit quand on pénètre dans le paisible cimetière de Loyasse, n'y était, en cinquante années d'un règne sans partage, jamais parvenu une seule fois : Est-ce dû au propre génie de Collomb ou à la nullité crasse de Perben ? Un peu des deux, sans doute, un peu des deux. Gérard Collomb a la carne salée d'un rusé pragmatique. Guignera-t-il, pour imiter Edouard le Bel, une carrière nationale ? Lui qui, comme l'auguste Précurseur, fut tout d'abord agrégé de Lettres ? C'est peu probable. Autre temps, autres moeurs : Gérard préfère jouer la carte d'une sorte de régionalisme européen, un peu à la façon d'Aulas, l'Agrégé de Foot Local. Eliminé à nouveau de la Ligue des Champions, l'OL demeure sur "la voie royale" (autre titre du Progrès) pour un septième sacre en Ligue 1. Tudieu ! Ce dimanche 10 mars 2008 aura été, décidément, le jour du conservatisme le plus intransigeant : On reconduit le maire, on reste le boss du championnat. Perben n'a plus qu'à aller pleurer dans les bras de Juppé, l'entraîneur municipal de la mairie de Bordeaux. Désagrégé, pour sa part.

08:51 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : lyon, élections, politique, collomb, ps, actualité | | |

samedi, 22 décembre 2007

GRIMPER

Aux amateurs éclairés des pentes lyonnaises et de leurs reliefs dodus et cabossés, ce petit jeu qui ne mange pas de pain : Après avoir lu attentivement chacune de ces quatre descriptions, il s'agit de rendre à chacune des œuvres citées à la fin celle qui lui appartient. Rien à gagner, sinon votre propre considération. Les commentaires sont ouverts. Réponses prochainement.

1. « De petits jardins calés par des planches s’ornent de chaque cotés de stèles, de poteries romaines, de pierres tombales, de statues démantelées. Dans un coin, l’entrée grillée d’un souterrain, sorte de caverne à ours d’où fuse une source. A droite, rivés au-dessus de l’abîme, des cerisiers, des platanes, des frênes, de petits acacias peuplent cette solitude d’une amère fantaisie. A mi chemin, cette allée de fantômes se partage en fourche. Tandis qu’une pente plus douce joue des coudes, zigzague à travers la silve, des plates-formes en terre battue invitent les bons poumons à gravir en ligne droite le sommet. L’infractuosité des murs abrite les plus vénérables débris de la civilisation : des mosaïques, les restes d’une salle de bain romaine, un pan de l’aqueduc construit par Claude, alimenté jadis par les eaux du mont Pilat, un fragment du Forum de Trajan en marbre cannelé, construit en 98, écroulé en 840, « le premier jour d’automne », et dont les débris servirent à la construction de la première église de la colline sainte, cette chapelle de Notre Dame du Bon Conseil qui garda le nom de « Forum Vetus » (…) Ce lieu sacré, un souffle mystérieux le parcourt sans cesse d’effluves spirituels auxquels semble se joindre, au crépuscule, dans la poussière dorée du couvent, la pourpre romaine mélangée aux longues robes blanches des vierges chrétiennes. »

. « Un peu plus haut, sur les pentes de la colline, on me voyait passer tout joyeux, pourchassant à coups de pied quelque vieille ferblanterie. Je me croyais toujours un peu en avance. Je faisais l’homme, en tâchant d’imiter la démarche et l’air de mon père. Des apprentis, qui allaient en course par là me donnaient des cigarettes. Par les allées de traboule, on arrivait au cœur du vénérable faubourg, tout plein de bruyante misère et d’odeurs écœurantes. Cela sentait une odeur sans pareille, l’odeur du pays des canuts, la pierre moussue, le vin qui coule, les détritus de fruits, l’urine, le pétrole, le beurre chaud – un seul courant de senteurs mêlés, rue par rue, depuis les Terreaux jusque là-haut, où le plateau rond entouré de ciel comme d’une toile de panorama s’élève si abrupt au-dessus des bas quartiers que toutes les rues semblent finir dans les nuages. Je m’arrêtais aux carrefours. Je flânais délicieusement. Les battants des métiers à tisser claquaient du haut des maisons, jetant sans relâche leur bruit haut et maussade. Les fenêtres, toutes pareilles, sans contrevents ni rideaux, semblaient tailler au canif dans le carton grisâtre des façades. Jacquard, en redingote verdie par les pluies, penchait sa tête de quaker. Dans chaque chantier, des fainéants jouaient aux boules, en vidant des pots de beaujolais et en mangeant des fromages. Et j’arrivais en chantant, soit par l’un de ces passages en escaliers qui, à la Croix-Rousse , servent de contreforts à tout le coteau, soit par l’une de ces rues nouées en cordes aux pieds des maisons comme pour les retenir sur les pentes…  En bas, dans la plaine, sous les arcs légers des ponts, le Rhône et la Saône frissonnaient, pareils à de la soie. Vingt églises couleur de suie penchaient comme des visages leurs cadrans jaunes. Elles semblaient mener le lourd convoi d’une armée de pierres, et je voyais, sous leurs clochers, dévaler à perte de vue les fondrières géométriques des toits, d’où montaient une aubépine, une fumée, un air d’accordéon. Des hirondelles tombaient comme des flèches sur la ville bleue. Lyon, mon pays… ».

3. « Il n’avait pas besoin, la gravissant, de relever la tête pour savoir que, presque aussitôt, le passage à allure de coupe-gorge s’élargissait un peu. Il n’éprouvait pas non plus l’envie de tenir la rampe, pour mieux en suivre les capricieux méandres. Il jugeait inutile de regarder le ciel pour le savoir bien là, au-dessus de lui, clouté de rares étoiles, formant entre les murs un ruban de velours. D’avance, il connaissait la route, et qu’au-delà de sa maison, les escaliers se poursuivaient encore, à l’assaut de la colline mystique, puis cessaient brusquement pour faire place au sol pierreux, tout hérissé de pavés ronds. C’était d’abord le pied de la tour métallique, parodie de la Tour Eiffel , popularisée par l’image, avec le reflet écarlate, sanglant, sur les vieilles pierres, de la gigantesque enseigne lumineuse qui lui tisse une robe de feu ; puis, une fois de plus, on tournait à l’angle droit pour, dépassant la célèbre maison de l’Angélique, déboucher enfin sur l’esplanade d Fourvière, devant la basilique… »

4. « De l’autre côté de la rivière,  qu’enjambait une frêle passerelle, se dressait un paysage de vertige : entassement d’immeubles efflanqués et superposés, de terrasses et de jardins suspendus dans lesquels ça et là, blanche comme un ossement, émergeait une ruine romaine. Au-dessus des vapeurs vitreuses, les murs, frappés par le soleil, s’éclairaient comme si les derniers rayonnements d’une mer invisible les eussent touchés. (…) La passerelle franchie, mon élan se brisa contre la pente raide d’une ruelle sournoise s’insinuant entre des couvents, des orphelinats, des chapelles, masures à demi ruinées et comme soudées aux flancs de la colline. Courbant l’échine, d’un pas raffermi, je continuai ma course vers la Médecine. A mesure que je m’élevais, sous moi, par delà les tours de la cathédrale et les toits pliants sous leur faix de tuiles romaines, je voyais diminuer la Place des Angoisses, rectangle uni dans le scintillement des fleuves. Au détour du chemin raboteux et tordu, je me heurtai enfin à la perspective de rêve d’un escalier somptueux de cent marches que dominait l’hôpital, bâtiment extravagant de fragilité, surplombant des bâtisses croulantes qu’il semblait menacer d’une chute prochaine, menacé lui-même de pareil écrasement par une basilique énorme, mal plantée au sommet de la colline. »

 

a. La Gerbe d’or ( Henri Béraud)

b. Montée des Anges (Max-André Dazergues)

c. Place des Angoisses (Jean Reverzy)

d. Sous le signe du Lion ( Tancrède de Visan)[i]



 

08:25 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : lyon, littérature, solko, reverzy, béraud | | |

samedi, 08 décembre 2007

Fête des Lumières

 

8/12/2007 : « -Ce que j'aime à voir dans une ville, ce sont les habitants », écrivait Stendhal. Il ne serait pas déçu, s'il venait à Lyon ce week-end ! Ce week-end, sortez par les rues. Quelle que soit la beauté du spectacle, ne regardez pas les Lumières.  Regardez ceux qui regardent les lumières. Regardez-les bien. Comme Stendhal, intéressez-vous à l'homme lui-même. Pas à ce qu'il produit. 

Observez-le : Il marche, en foule compacte, dans l'obscurité des rues. Ses yeux glissent d'une façade illuminée à une autre enluminée. Ses yeux... jamais repus, Ses yeux, comme lui, ne font plus que marcher. Là est toute leur fête. Leur seule fête. Inquiétant silence : Il ne font que regarder. Et tandis que ses yeux regardent, que dit l'homme ? Que pense l'homme ? Rien. Ou pas grand chose. Il pense qu'il est sidéré. Il l'est, de fait.   Etrangeté, partout. Etrangeté, puisque passivité. Où donc est passée la fête, se dit-on ! Ceux qui la "font" ne sont pas là, en effet. Plus là. Sur place, ls n'ont laissé que du matériel technologique. Faisceaux géométriques qui s'élancent en boucles programmées, à l'assaut des façades et des regards, s'emparent un bref instant de tout l'espace, laissant à l'homme l'obscurité de sa morne déambulation, aussi passive qu'absurde. Sa déambulation derrière ses deux yeux.

Depuis les quelques années qu'elle existe, la Fête des Lumières me fait ainsi penser à un scénario de Beckett. On joue bientôt le Dépeupleur au théâtre des Célestins. Ce peuple qui déambule dans un cylindre, et dont la seule ambition est d'atteindre le sommet provisoire d'une échelle, n'est-ce pas bien ça, ce que font ces passants obscurs  qu'émerveille - peut-on le croire franchement ? - le spectacle infiniment monotone de lumières technologiques qui tourbillonnent en boucle devant leurs nez tendus vers le ciel vide. Ainsi cette fête récente a-t-elle spectaculairement dépeuplé les rues de Lyon, se substituant non sans un implacable terrorisme à la fête commerciale, politique ou religieuse dont Tancrède de Visan, Joannin et Grancher, écrivains lyonnais, avaient dressé jadis le tableau dans leurs romans respectifs.

 

08:30 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : fête des lumières, illuminations, 8décembre | | |