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vendredi, 28 novembre 2008

Vue

Ce qu’à Lyon, on appelle une vue n’est accessible que de quelques endroits : des sommets de Fourvière ou de ceux de la colline des canuts. Ces derniers sommets s’édifièrent dans un conglomérat de rues tel que cette vue qu’on déflore, au fur et à mesure qu’on s’élève dans les étages d'un immeuble, ne se peut imaginer lorsqu'on est sur le trottoir, en tous cas si vaste , si claire, si somptueuse. On la découvre soudain, à partir du quatrième ou cinquième étage de l’immeuble. D’un côté, les Alpes, naturelles, blanches et éloignées ; de l’autre, la roche sombre, abrupte de Fourvière, pierre scize plongeant dans la Saône. En quelques points privilégiés des hauts immeubles des pentes, on peut saisir les deux dans la même pièce. On vit alors, encore, dans la ville, certes. Au confluent même de ses pensées les plus profondes : Dans le creuset véritable de son nom. Les aubes et les crépuscules, qui, du lux latin, devinrent dans l'imaginaire le Lug celte, viennent frapper aux carreaux de vos fenêtres. Les premières sont alpines et attendent encore le doux Turner qui les fixerait sur une toile ; les seconds, de derrière Fourvière, semblent soulever la basilique, quand la fureur rouge de leurs rayons la fige contre le cul dodu des nuages. Puis, soudain, toutes pierres fécondées, l’aveuglant jet du couchant s’éclipse, comme auréolé par des lointaines fondations : de la ville dont, un instant, chaque soir, il dispute le privilège à Marie, Lug, irrité et vivant, se retire. De son emprise, immense et affairée, se dégage la cité classée au patrimoine historique, obstinément amnésique. Dans les reflets que l’illumination technologique de ses nuits accorde aux cours d’eau qui la traversent, elle est sotte et glacée comme une image, cette ville, au soir tombé.

         Celui qui bénéficie d’un tel point de vue peut, pareillement, saisir l’extrême qualité de l’orage, après que le site, chaque tuile, chaque pavé, chaque clocheton, en a subi l’attente, souvent lourde et caniculaire. Ça claque, on ne sait d’où, ça vrombit brusquement : L’eau ne vient pas. La noirceur du ciel, même en plein jour, atteint des degrés sinistres. Puis le gris danse et roucoule. En un éclair, c’est le mariage des éléments, subit et colossal. L’acte fondateur et vivant redevient contemporain : Tout, qui ruisselle. Et le souffle alpin, tournoyant à présent alentours, balayant, après la foudre, la pierre italienne et renaissante de fraîches bourrasques, la nettoie minutieusement de la présence des hommes.

14:15 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : lyon, littérature, société, poésie, poèmes, écriture | | |

vendredi, 14 novembre 2008

Les deux collines

C'est Jules Michelet (1798/1874) qui inventa les deux célèbres périphrases qui, depuis, devinrent presque des formules : "la colline qui prie" pour Fourvière, "la colline qui travaille" pour la Croix-Rousse. A l'occasion de l'anniversaire de l'éboulement de Fourvière (1930 - cf billet précedent) je place en ligne ce texte de lui, un peu oublié, et qui intéresse la mémoire de Lyon  :

« J’avais senti cela confusément, dès mon premier voyage à Lyon en 1830, mais je voyais encore sans voir. Je sentais, mais d’un cœur aveugle.

Je vis bien dès ce jour l’opposition des deux montagnes, de la montagne mystique et de celle du travail : mais je ne sentis pas leur guerre. La conciliation des deux fleuves, la rencontre de tant de provinces, l’autel romain des soixante nations des Gaules, ces souvenirs d’union me voilaient la lutte réelle.

Je retournai à Lyon deux fois, trois fois, et m’initiai aux mystères du travail, à ce laborieux effort de tant d’arts combinés, qui des mains maigres d’un peuple sans air et sans soleil, fait fleurir pour toute la Terre l’incomparable iris de fleurs qu’on appelle la soierie de Lyon. mais c’est la dernière fois seulement, en octobre 1853, que, distrait par le détail, mûri par tant d’épreuves et plus éclairé par le cœur, j’eus la révélation complète.

Les uns croient au Lyon des miracles, au secours de la charité ; ils viennent solliciter le prêtre, distributeur des aumônes du riche ; s’ils peuvent, ils s’assoient au banquet du couvent et s’ils peuvent, ils y resteront. Leur pèlerinage est à Fourvière.

Mais toi, bon travailleur, tu n’iras pas solliciter la grâce et le bon plaisir, la faveur capricieuse ; tu crois à la justice, au travail, à la liberté. Et tu vas chercher la montagne du travail, la sérieuse Croix-Rousse. Tu ne veux de banquet que le pain gagné de tes mains. »

 

 Michelet, Les deux collines, 1879, Calmann-Lévy

14:50 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, lyon, michelet, histoire | | |

jeudi, 09 octobre 2008

I live in a Very Important City

 I live in a very important city. C'est moi qui suis fier. Pas peu fier ! Thank you to Gérard who made it possible, avec ses feuilles de route. Thank you Vincent Rocken , le journaliste du Progrès, sans qui on ne serait pas informé de l'importance qu'on a dans le monde. Thank you also to Jean Michel. Non, non, Jean Michel, ne t'en vas pas : tu as, tu as, toujours de beaux yeux... Thank you Juni, thank you Cris, Govou and Benzema.  Thank you, thank you, thank you  !!!! Il parait qu'une grève de footballeurs s'annonce. Les gars, déconnez pas. Cette putain de Coupe européenne, il nous la faut cette année, sur le bureau de l'Hôtel de Ville, nom de Dieu. Et les Marseillais, les Stéphanois, les Girondins, et tout et tout, faut les niquer. C'est nous, les champions. J'ai placé tout mon portefeuilles d'actions sur vous, si l'OL aussi suit le chemin des banques américaines, qu'allons-nous devenir ? On ne peut plus compter sur la parole de Nicolas Chauvin, bordel ? C'est un peu grâce à vous qu'on était passé, en 2007, au dix-septième rang européen, faut voir à le conserver, son rang !

Pauvre Nicolas ! Dix-sept blessures, trois doigts amputés ! Au joli temps de l'Empire, le chauvinisme était sans doute un sentiment encore assez simple : il n'y avait qu'une forme de chauvinisme, un chauvinisme un peu brut et paysan, franc du collier, made in mon clocher, le contraire du modèle citadin, bien plus tordu, lui, bien plus alambiqué. Ce chauvinisme rural avait peut-être encore un certain sens, remarquez bien. De la signification. En tous cas, il n'était pas un marché et personne n'aurait eu l'idée de le coter en bourse. Moi, tout ce qui a du sens, j'essaie de comprendre, je suis preneur. Le sens, c'est de l'histoire. Et l'histoire, c'est des hommes. Des siècles d'hommes. Le chauvinisme d'à présent, c'est plus compliqué. Un chauvinisme fabriqué en séries, un chauvinisme manufacturé à coup de hit-parades et de statistiques... Chacun a le sien : son club, sa marque, son genre, son label, sa cité. Du chauvinisme libéral. Toujours aussi identitaire, et donc toujours aussi bête. I live in a very important city. Du mauvais chauvinisme. Il fait mine de ne pas détruire le sentiment d'appartenir à un monde universel commun, rien qu'en surface. En profondeur, il brise les communautés, dissout les solidarités, place les particules en compétition, transforme chacun d'entre nous en une petite entreprise. 

Quand, dans l'esprit des hommes, la Cité n'est plus qu'un label, comment s'étonner de la mort du politique ? Quand, dans le cœur des hommes, le sentiment de l'Universel vacille, qu'est-ce qui est le mieux, le pire : le trou, le bled, ou bien la marque, le style ?  Sonia Rykiel, Calvin Klein ou Ploumschtroumpf les Bains, Montcalm les Jonquilles ?

 

 

08:24 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : europe, lyon, actualité, société, politique, chauvinisme | | |

lundi, 06 octobre 2008

Passe des Cordeliers.

Des places de villes aux contours flous, il en existe un certain nombre un peu partout; cela s'appelle place, mais à bien y regarder, c'est au mieux un quelconque carrefour, lieu fade où le promeneur solitaire, comme le piéton contemplatif, ne trouve plus sa place. Il faudrait retirer une lettre aux plaques bleues de ces ronds-points, et les nommer passe, symbole de notre temps pour gens multipressés, qui ne font que passer.

Dans le premier arrondissement de Lyon se trouve ainsi la passe des Cordeliers. Elle fut ouverte en 1557, sur le cimetière des religieux qui, moyennant une redevance annuelle de cent livres que la Ville s'engageait à leur payer, lui ont alors cédé le terrain. Le Consulat a fait abattre les murs du vieux cimetière, vider les tombes, aplanir le sol bossu et, du nom des Cordeliers installés là depuis 1220, baptisé le funèbre enclos ouvert au trafic urbain. Un Turc installa là le premier café lyonnais, en 1660 (on écrivait alors caffé.) Cet antre prit naturellement le nom de Caffé Turc.

Au centre du cimetière se dressait jadis une très ancienne croix gothique. On la laissa presqu'un siècle au centre de la place. En 1748, comme elle tombait de vétusté, le Consulat la remplaça par la colonne du Méridien. Vingt mètres de haut : longtemps, affairistes & amoureux, qui la repéraient de loin, s'y donnèrent rendez-vous; si bien que les Cordeliers faillirent céder leur nom à ce qui, dans les conversations, devenait peu à peu « la place du Méridien ». Au-dessus de la colonne trônait une statue, celle d'URANIE, la muse aujourd'hui manquante sur le fronton de l'Opéra où n'en trônent que huit. Une Maison de Concert bâtie sur la place eut son heure de gloire puisque le jeune Mozart en personne s'y fit applaudir le 13 août 1766.

 

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La Colonne d'Uranie et la Maison du Concert firent les frais du ré-aménagement du Quartier par le préfet Vaisse, le Hausmann local de Napoléon III de triste mémoire puisqu'on dit qu'il ouvrit la Rue Impériale (future rue de la République) pour réprimer au canon plus facilement d'éventuelles émeutes de canuts. La place qu'on voit sur la gravure perdit peu à peu son caractère historique. On édifia à la gloire du Tout Puissant-Commerce le Palais de Dardel, flanqué du bas-relief assez mastoc représentant le Rhône et la Saône qu'on peut toujours y voir. Tony Desjardins planta juste à côté à côté ses fameuses Halles en 1860, dans le goût métallique de son époque. Ces Halles furent ratiboisées un siècle plus tard,  et installées à la Part-Dieu, dans un bâtiment sans originalité auquel on donna le nom de Paul Bocuse : sur la place des Cordeliers s'est dressé à leur place un magnifique parking qui fait la joie des touristes du monde entier attirés à Lyon par son classement UNESCO. On le voit, pour les bâtiments aussi, cette drôle de place ne devait être surtout que le lieu d'un passage éphémère. Les Grands Magasins Sineux, devenus Grands Magasins des Cordeliers, puis succursale des Galeries Lafayettes parisiennes-  et désormais de Planet Saturn- furent construits sur les plans de l'architecte Prosper Perrin. Un modeste bazar polonais qui avait ouvert au début du dix-neuvième siècle vola bien vite en éclat pour céder la place à une autre enseigne "A la Ville de Lyon", qui devint bien vite le fort populaire "Grand Bazar," depuis peu reconverti en un banal aquarium du label  Monoprix. Certains jours de juillet, quand il fait très chaud sur la vieille capitale des Gaules, le toit de ce machin-là s'avance sur le chaland de façon incroyablement menaçante.

Seule demeure, en place et au coeur de tout ce qui passe (et ne sait faire que cela), seule demeure et comme en apnée, tant l'espace s'est amenuisé et pollué autour d'elle, la vieille église dédiée à Bonaventure, l'italien séraphique au si joli nom, venu mourir à Lyon le 15 juillet 1274, lors du Concile Oecuménique convoqué par Grégoire X. Si vous passez par la passe des Cordeliers, entrez-y. Vous y trouverez d'abord du silence, de la fraîcheur et des bancs. Ce n'est pas négligeable par les temps qui courent. Puis vous ferez face à l'un des plus beaux orgues de la ville. Des rangées de lustres qui s'alignent là tombe un clair-obscur comme méditatif. Tous les anciens corps de métiers avaient jadis regroupé autour de l'autel de Saint-Bonaventure leurs chapelles latérales, dont les vitraux restaurés -la plupart s'étaient effondrés  lors du bombardement du pont Lafayette - étincèlent. Asseyez-vous. Laissez, à la lueur d'un cierge, à la note de l'orgue, le sanctuaire  s'animer dans la pénombre : le cœur du Moyen-âge, dans la bourrasque de la modernité, livre son premier et simple éclat. Sur la passe, enfin, le badaud trouve sa place.

 

19:37 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : cordeliers, lyon, ville, grand bazar, société | | |

dimanche, 05 octobre 2008

Du déménagement, de l'art de la marionnette et de la tradition

On fêtait hier, salle Rameau à Lyon, les deux cents ans de Guignol. Pour l'occasion, la presque totalité des théâtres de Guignol lyonnais s'étaient donné fier et joyeux rendez-vous (La Compagnie des Zonzons, le Théâtre la Maison de Guignol, la Compagnie Art Toupan, la Compagnie Carton Pâte, le Guignol du Parc de la Tête d'or, la Compagnie Daniel Streble, Les Gones à Mourguet, les Compagnons de Guignol), bref, cela en faisait du monde, en chair comme en os & en bois comme en tissu, nom d'un rat, un sacré paquet de beau monde réuni par la centenaire Société des Amis de Lyon et de Guignol et son président Gérard TRUCHET. On doit à ce dernier l'adaptation d'une des plus célèbres pièces de Mourguet,  Le Déménagement, dixième du recueil ONOFRIO. Adaptation que je salue avec respect, car le texte recopié par Onofrio l'étant en langage lyonnais, il fallait le couper tout en gardant les repères les plus connus du public, actualiser sans trahir, avec humour, insolence et tact. C'était difficile : TRUCHET L'A FAIT ! Il a même su utiliser le canevas recomposé par ses soins du Déménagement pour glisser quelques extraits d'autres pièces, Le Pot de Confitures, notamment, dans un bel effet de mise en abime. A un moment donné, je me croyais vraiment, comme dans une gravure de Giranne, au caf'conc' du passage de l'Argue plongé au temps du Second Empire, quand le bourgeois allait écouter les fantaisies des descendants de Laurent. J'étais pourtant au fond de la salle Rameau, un samedi de 2007, l'an II du temps Sarko.

Extraits, saisis au vol :  A propos de Gérard Collomb : "Faut passer par son cabinet pour voir le Maire de Lyon, mais pour l'instant, c'est occupé". Un peu plus tard "Faut boire du vin de Brindas quand on ne peut pas aller du ventre". On cause, c'est vrai, beaucoup de bardanes (1). On en balance même sur le public, en trimballant joyeusement des matelas d'un logis à l'aulauren10.jpgtre. Cela, c'est pour la tradition. On vanne aussi l'euro, François Fillon, la mairesse du cinquième... La modernité de ce néo-Déménagement, alors qu'on évoque un peu partout les problèmes d'un chacun pour se loger, saute par ailleurs aux yeux.

Trouver un toit : Il y a dans la farce comme dans la comédie (lesquelles ne se soucient - ainsi disent les vilains pédants de l'Université - que du Bas Corporel) quelque chose qui tient à la fois de l'éternel et de l'universel : les besoins de boire, de manger, de rire et de s'aimer. Voilà pourquoi, dans la mise en scène de Christophe JAILLET, Guignol est si jeune. JAILLET, qui est un excellent marionnettiste, à l'aise dans sa gaine comme dans ses baskets, entouré de ses acolytes, Stéphanie Lefort, Daniel Streble, FLorence Vallin, Armand Pelletier, Patrick Bianchi, Thierry Fillon,Jean Marie Perre, Claire Maxime, Gaston Richard, Yvette Thibault-Verrier et, bien sûr, Gérard Truchet, viennent saluer à la fin sur l'air des "P'tits canuts", (Girier & Chavat / Hermand Brun) invitant tout le public à reprendre en choeur un chant d'anniversaire à l'honneur du papa Mourguet (voir le buste ci-dessus). Et cela marche. Hymne aux marionnettistes, hymne à Guignol, hymne à l'art de la marionnette ("un théâtre qui fait mal aux bras", lit-on dans la programmation des "Zonzons")dont on se souvient soudain, tout penaud, que l'origine est sacrée.

A propos du Guignol de la Belle Epoque, Henri Béraud écrivait ceci : "Il faut entendre ces mots à double entente, ces refrains pimentés et ces dialogues polissons sortir de ces lèvres impassibles, jaillir de ces faces où rien ne tressaille, ou pas une fibre ne s'émeut pour nous dénoncer une pudeur ou nous indiquer une réticence; il faut voir ces gestes étroits et monotones, faits pour accompagner des sentiments moyens, ponctuer des répliques excessives, des phrases qui n'ont d'ordinaire pour excuse que la verve du corps souple et la gaité d'un bras spirituel; il faut, dis-je, entendre et voir ce Guignol pour connaître la saveur de l'humanité toute crue."

Comment dire mieux ?

Voici, pour conclure, le monologue d'ouverture de Guignol, celui de Mourguet, dans la fantaisie initiale de Laurent Mourguet. En photo, les marionnettes de ce dernier (collection Gadagne)

 

 

 

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09:47 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : guignol, gérard truchet, christophe jaillet | | |

lundi, 29 septembre 2008

Propos de bouche de fin gourmet

« L'inutile sera toujours plus aimable que l'utile; le beau plus délicat que le solide; ce qui n'est pas commandé, plus agréable que ce qui est imposé : D'où suit qu'on vole aucunes fois avec plus d'ardeur aux bagatelles qu'à la poursuite de son établissement; que l'épouse légitime, même parfaite, a pour les maris, souvent, un tort déjà, qui être d'être légitime. Réciproque d'ailleurs, et au-delà, pour les maris aux yeux de leurs femmes. Conclusion : que les dîners imposés par les convenances sociales, ou par les exigences de la famille, ne vaudront jamais le modeste symposium inspiré par le désir de manger bien en honnête compagnie, où la causerie tiendra autant de place que la mise en jeu de la mâchoire, et le bon mot que le bon morceau; vu d'ailleurs qu'il n'est rien qui plus aide à notre santé et à la concoction, qu'après avoir recréé et repu le corps, recréer et repaître l'esprit par ces discours plaisants, honnêtes et joyeux, se sentant du bon sang et bon sens qu'engendre le bon vin dont ils sont précédés... »

 

Clair TISSEUR ( Nizier du Puitspelu),  Les Oisevetés du sieur Puitspelu, Librairie Masson, Lyon, 1928

 

21:22 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : puitspelu, lyon, gastronomie, littérature, clair tisseur, gourmandise | | |

dimanche, 21 septembre 2008

Les disparus du pont Mouton

A la sortie du tunnel de la Croix-Rousse à Lyon, du côté de l'ancien faubourg de Vaise, un pont barre de son tablier d'acier de plus de soixante mètres l'ouverture du paysage vers le nord, là-même où la Saône, alanguie et courbée, un peu lasse de son épuisante traversée du Forez, agite son éventail avant d'effectuer une entrée seigneuriale dans la cité. Et comme non loin se trouve un arrêt de bus ("Pont Mouton") beaucoup continuent à donner à ce pont, lorsqu'on parle de lui (remarquez bien que c'est un sujet de conversation incontournable) ce nom-ci de Mouton.

Or le promeneur attentif apprend d'un vilain panneau que le susdit pont se nomme en réalité du patronyme du petit Père la Victoire, surnommé aussi le Tigre, vous savez, - oh, c'est de l 'histoire antique - le papa Clémenceau. Depuis 1952, ce pont a remplacé le plus ancien, qui joignait la place du Port à l'actuel quai Joseph-Gillet, ex quai de Serin. Ce pont Mouton datait, lui de 1865 et avait été dynamité par les Allemands en 1944. Il n'en reste pas la moindre trace, pas même dit André Pelletier dans son Histoire des ponts et Quais de Lyon  (Elah 2002) "une plaque commémorative". Le Tigre aurait-il bouffé le Mouton jusqu'à l'os ?

C'est oublier la force de l'usage. Tout le monde, y compris les TCL (transports en commun lyonnais) continue à dire le Pont Mouton. Une hôtellerie, dite"logis du mouton", en laquelle logèrent plusieurs rois de France à l'occasion des entrées solennelles qu'ils firent dans leur cité de Lyon par la porte de Vaise avait jadis donné le nom à une rue qui la refila par ricochets au pont. Rien à voir avec les moutons, comme on pourrait le croire, au vu des quelques squelettes en acier d'ovins broutant que la municipalité a placés sur le peu de pelouse de l'endroit. C'est généralement devant le Logis que les membres du corps consulaires attendaient le roi pour le saluer avant son entrée spectaculaire. Située au carrefour des routes de Bourgogne et du Bourbonnais, elle était célèbre et fréquentée.

Ceux qui aiment le Pont Mouton  (ça existe, des gens comme ça ?) peuvent lire un joli roman de Georges Champeaux intitulé "Le Roman du vieux Groléen". L'action se déroule dans le faubourg de Vaise des années 1900 - contemporaines de l'écriture - et narre une romance amoureuse dans le milieu ouvrier de l'époque. On y ressent bien les attentes, les émois, les pudeurs et les espoirs du petit peuple de ce temps là. Je dirais - n'en déplaise à Valéry Giscard d'Estaing qui nous fit le coup, jadis,  du "Maupassant meilleur écrivain de France" - que c'est du Maupassant en plus léger, plus frais, sans les poses. On ne le trouvera, hélas, que chez de bons bouquinistes ou libraires spécialisés bien achalandés.  (Honoré aux Terreaux, Diogène à Saint-Jean), ou sur le web. J'emprunte à ce roman qui date de la Belle Epoque de l'avant-Clémenceau, la description du magnifique panorama, crayonné non loin du Pont Mouton :

« Accoudé au parapet du quai, il ne se lassait pas de suivre du regard les travaux du bas-port et le mouvement de la batellerie. Et peu à peu s’établissait en lui la conviction qu’il avait sous les yeux un des plus beaux paysages de la Terre. Tout en bas, le serpentement de la rive droite de la Saône , une route de campagne qui devient le quai d’un faubourg, comme succèdent aux pimpantes villas emmitouflées de Saint-Rambert le château d’eau, les grues et les cheminées de l’Industrie. Puis c’est le tassement autour de la Gare d’Eau des vastes entrepôts aux larges toits en pente douce, d’où surgissent, puissants et harmonieux, les trois blocs équarris des minoteries. Et, emplissant le paysage de sa présence, déployant à ses pieds le geste souple de son corps voluptueux, la Saône nonchalante qui paresse et se prélasse, cependant que, rangés le long des bas-ports, les noirs remorqueurs plats, les sapines béantes, les « plattes » pavoisées du linge mis à l’étendage, les péniches pansues ceinturées d’une bande claire, avec la futaie grêle de leurs mâts aux pointes blanches de minarets, parent ses profondeurs de leurs reflets. Longtemps le père Chatard avait méconnu la beauté d’un tel spectacle. Mais voici que du fer et de la pierre comme des feuillages et de l’eau, affluait une sympathie pénétrante. Et c’était l’âme même de ce paysage composite qui commençait à l’imprégner – une âme qui mêlait au sortilège originel de la nature la majesté poignante de l’effort humain »

Pauvre Champeaux, qui se souvient de lui ? Comme les moutons qui hantent le neuvième arrondissement et bêlent de douleur au crépuscule, il fait dorénavant partie des disparus illustres de l'endroit.

 

08:14 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : pont mouton, vaise, lyon, littérature, clémenceau, georges champeaux | | |

jeudi, 24 juillet 2008

Frais de poudre aux yeux

Voici le détail de la note de frais de la réception officielle de Napoléon III à Lyon, en 1860  (publiée par Le Petit Lyonnais en 1877) :

 

Décoration, tapisseries, pavoisage

66.000 fr
Illuminations, éclairage 40.000
Feu d’artifice 15.000
Frais de banquet 15.000
Logement des équipages 35.000
Sablage des rues 50.000
Eau de Cologne, parfumerie 21.000
Distribution au bureau de bienfaisance 30.000

Commentaire de Louis Maynard, qui rapporte le document dans son Dictionnaire de Lyonnaiseries ( tome 3, article Napoléon III) :  50.000 francs de sable, pour l’époque, ça n’était dejà pas mal ! Mais que dire de 21.000 francs d’eau de Cologne   J’en demeure rêveur… Malgré les discours de façade, à la suite des débordements de Rachida Dati en la matière, que dirait-il devant le détail de la réception de plusieurs dizaines de chefs d’Etat, à Paris, le 14 juillet 2008 ? Et quel Petit Lyonnais bien informé saura nous dire, au final, à combien s'élèveront, sous ce quinquennat, les frais de poudre aux yeux ?

 

22:05 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : histoire, politique, napoléon3, lyon, sarkozy, ump, gouvernement | | |

dimanche, 20 juillet 2008

Lyon Villeurbanne, même combat ?

Sur son propre blog, Romain Blachier soulève la question du rattachement de Villeurbanne et de Lyon. C'est vrai que tout natif ou habitant de l'une ou l'autre commune s'est forcément un jour dans sa vie, en longeant l'une ou l'autre des rues grâce auxquelles on passe, sans s'en rendre compte, de l'une à l'autre cité, posé la question. Villeurbanne, cité autonome, ou enclavée ? Dans le tome III de son histoire de Lyon, l'historien Kleinclausz rappelle deux trois faits : tout d'abord, le décret de rattachement au Rhône des communes de Bron, Vaulx, Vénissieux et Villeurbanne date de 1852. Il est donc contemporain de l’annexion à Lyon des faubourgs de la Croix-Rousse, Vaise et la Guillotière, même si ce ne sont pas les mêmes intérêts politiques qui sont à l'origine. Car dans le dernier cas, Napoléon III souhaitait neutraliser la ville de Lyon, à laquelle d'ailleurs il ôtait sa liberté municipale. La question de son extension sur la rive gauche du Rhône est d'une autre nature.

Le mouvement d’absorption des communes environnantes aurait pu se poursuivre, comme ce fut le cas, par exemple à Marseille. Les cités satellites se rattachent alors, un peu partout, en raison notamment des reseaux de tramways contemporains.  En 1874, le préfet Ducros mit à l’étude 2 projets en ce sens, dont un prévoyant l’annexion, à l’Est,  de toute la commune de Villeurbanne, d’une partie de Vénissieux. Le but était très mercantile, puisqu'il s'agissait de surveiller les droits d'octroi. Mais les édiles lyonnais hésitèrent. Affaire de gros sous :  A Villleurbanne, en effet, trop de travaux étaient à réaliser : percement de nombreuses rues, pavage et éclairage de toute la voierie, égouts à installer. Le président de la Commission, un nommé Ducruet, cite l’exemple de la Guillotière qui, depuis vingt ans, «a plus couté que rapporté». Un tel argument atténue les ardeurs. Et clôt les débats.

Le maire Augagneur remet l'affaire sur le tapis en 1903. Constatant que le centre de Lyon commence à se dépeupler au profit de la périphérie, il craint les fuites hors de la « ville-mère » des établissements industriels et commerciaux, sources bien évidentes de contributions. Déjà à l'époque, le contribuable lyonnais se plaignait d'être plus chargé que celui des communes de banlieue. Le principal argument du maire Augagneur est que la ligne de démarcation entre Lyon et Villeurbanne n’est déjà plus très sensible ; au parc de la Tête d’or, une simple rangée de hêtres… La commission fut, cette fois-ci, favorable. Les élus lyonnais, discernant plus clairement ce que supposait l'extension de leur ville étaient même près à moins se plaindre de l'accroissement des charges qui risquait d'en découler. Mais les villeurbannais, animés par un fort sentiment d’appartenance de classe, et au nom d’une tradition ouvrière déjà vivace, protestèrent vigoureusement contre le « Lugduni Dictator ». Vainement, les partisans de l'annexion firent valoir qu'il ne s'agissait plus que consacrer un fait acquis, en vue d'une collaboration plus féconde... Le 17 janvier 1906, Augagneur ayant quitté la mairie de Lyon, le projet de loi sur le point d'être présenté aux députés fut retiré. Il est vrai qu'Herriot, comme on disait alors "laissa faire".

A partir de ce jour, on considéra que la spécificité lyonnaise (au contraire de la marseillaise) était de suivre la logique de l'agglomération plus que celle de l'annexion. Le complexe urbain a ainsi traversé le XXème siècle et les lyonnais ont dû se résoudre à ce que Marseille devînt la deuxième ville de France (vieux débat) en avalant toutes ses banlieues, tandis que Lyon formait la deuxième agglomération urbaine en conservant les siennes. Même si l'antagonisme Lyon / Villeurbanne ne fut jamais aussi fort que celui entre Lyon et Saint-Etienne, il est certain qu'il se joua sur une opposition entre culture ouvrière & culture bourgeoise. Le clivage politique entre les deux villes fut ainsi très marqué : j'imagine mal Hernu, par exemple, en fervent défenseur de l'annexion...  Les temps ont changé. A prèsent, il faudrait demander à Christian Schiaretti s'il a, comme jadis le vosgien Maurice Pottecher, le sentiment d'être à la tête d'un théâtre vraiment populaire ou plutôt d'une scène dont le public est très boboïsé... Je ne suis pas au fait des tambouilles municipales, mais je sais que la venue du TNP à Villeurbanne a expliqué un certain temps le fait que la municipalité lyonnaise se soit détournée du théâtre au profit de l'opéra et de la danse. Je crois que les deux municipalités ont, de mandats en mandats, tissé des compromis assez subtils, souvent tacites, qu'une "fusion" aurait le mérite de faire voler en éclat. D'un autre côté, quand on regarde l'Histoire, on voit que les "intérêts" traditionnels liés à ladite fusion, ont disparu, puisque le développement du tissu urbain s'est déroulé comme si...  Mais bon. Je ne crois pas que l'habitant-lambda garde en tête ce genre de préoccupations, encore que tout soit possible. Qu'en pensez-vous  ?

10:28 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : lyon, villeurbanne, politique, société | | |