vendredi, 28 novembre 2008
Vue
Ce qu’à Lyon, on appelle une vue n’est accessible que de quelques endroits : des sommets de Fourvière ou de ceux de la colline des canuts. Ces derniers sommets s’édifièrent dans un conglomérat de rues tel que cette vue qu’on déflore, au fur et à mesure qu’on s’élève dans les étages d'un immeuble, ne se peut imaginer lorsqu'on est sur le trottoir, en tous cas si vaste , si claire, si somptueuse. On la découvre soudain, à partir du quatrième ou cinquième étage de l’immeuble. D’un côté, les Alpes, naturelles, blanches et éloignées ; de l’autre, la roche sombre, abrupte de Fourvière, pierre scize plongeant dans la Saône. En quelques points privilégiés des hauts immeubles des pentes, on peut saisir les deux dans la même pièce. On vit alors, encore, dans la ville, certes. Au confluent même de ses pensées les plus profondes : Dans le creuset véritable de son nom. Les aubes et les crépuscules, qui, du lux latin, devinrent dans l'imaginaire le Lug celte, viennent frapper aux carreaux de vos fenêtres. Les premières sont alpines et attendent encore le doux Turner qui les fixerait sur une toile ; les seconds, de derrière Fourvière, semblent soulever la basilique, quand la fureur rouge de leurs rayons la fige contre le cul dodu des nuages. Puis, soudain, toutes pierres fécondées, l’aveuglant jet du couchant s’éclipse, comme auréolé par des lointaines fondations : de la ville dont, un instant, chaque soir, il dispute le privilège à Marie, Lug, irrité et vivant, se retire. De son emprise, immense et affairée, se dégage la cité classée au patrimoine historique, obstinément amnésique. Dans les reflets que l’illumination technologique de ses nuits accorde aux cours d’eau qui la traversent, elle est sotte et glacée comme une image, cette ville, au soir tombé.
Celui qui bénéficie d’un tel point de vue peut, pareillement, saisir l’extrême qualité de l’orage, après que le site, chaque tuile, chaque pavé, chaque clocheton, en a subi l’attente, souvent lourde et caniculaire. Ça claque, on ne sait d’où, ça vrombit brusquement : L’eau ne vient pas. La noirceur du ciel, même en plein jour, atteint des degrés sinistres. Puis le gris danse et roucoule. En un éclair, c’est le mariage des éléments, subit et colossal. L’acte fondateur et vivant redevient contemporain : Tout, qui ruisselle. Et le souffle alpin, tournoyant à présent alentours, balayant, après la foudre, la pierre italienne et renaissante de fraîches bourrasques, la nettoie minutieusement de la présence des hommes.
14:15 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : lyon, littérature, société, poésie, poèmes, écriture |
Commentaires
C'est pourquoi la ville de Lyon a donné naissance à de nombreux peintres paysagistes.
Écrit par : Fl. Boncoeur | vendredi, 28 novembre 2008
Si vous voyiez la vision de la vue que je vois de ma fenêtre... Géniale !
Écrit par : Porky | vendredi, 28 novembre 2008
@ Porky : La vision de la vue, de votre fenêtre ? Elliptique, cher Porky, ellipique.
Écrit par : solko | vendredi, 28 novembre 2008
Il est magnifique votre texte qui vient du haut (la vue, du haut des immeubles) (l'orage, du ciel). Il nous transporte, il nous élève. Il est aérien et minéral.Et torride. enfin je trouve.
Écrit par : Sophie L.L | vendredi, 28 novembre 2008
@ Sophie.
Merci.
Écrit par : solko | vendredi, 28 novembre 2008
Difficile de s'accorder avec tant de lyrisme.
Cybèle est aussi passée sur ces hauteurs où ses prêtres ont fait beaucoup de dégâts.
Écrit par : Rosa | samedi, 29 novembre 2008
La "vue" est, hélas, de plus en plus chère (onéreuse) dans la bonne ville de Lyon.
Écrit par : Marcel Rivière | samedi, 29 novembre 2008
@ Marcel Rivière : Oui, quelqu'un me faisait remarquer qu'on paye non seulement le mètre carré qu'on habite, mais aussi celui qu'on voit.
Écrit par : solko | mardi, 02 décembre 2008
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