samedi, 22 décembre 2007
GRIMPER
Aux amateurs éclairés des pentes lyonnaises et de leurs reliefs dodus et cabossés, ce petit jeu qui ne mange pas de pain : Après avoir lu attentivement chacune de ces quatre descriptions, il s'agit de rendre à chacune des œuvres citées à la fin celle qui lui appartient. Rien à gagner, sinon votre propre considération. Les commentaires sont ouverts. Réponses prochainement.
1. « De petits jardins calés par des planches s’ornent de chaque cotés de stèles, de poteries romaines, de pierres tombales, de statues démantelées. Dans un coin, l’entrée grillée d’un souterrain, sorte de caverne à ours d’où fuse une source. A droite, rivés au-dessus de l’abîme, des cerisiers, des platanes, des frênes, de petits acacias peuplent cette solitude d’une amère fantaisie. A mi chemin, cette allée de fantômes se partage en fourche. Tandis qu’une pente plus douce joue des coudes, zigzague à travers la silve, des plates-formes en terre battue invitent les bons poumons à gravir en ligne droite le sommet. L’infractuosité des murs abrite les plus vénérables débris de la civilisation : des mosaïques, les restes d’une salle de bain romaine, un pan de l’aqueduc construit par Claude, alimenté jadis par les eaux du mont Pilat, un fragment du Forum de Trajan en marbre cannelé, construit en 98, écroulé en 840, « le premier jour d’automne », et dont les débris servirent à la construction de la première église de la colline sainte, cette chapelle de Notre Dame du Bon Conseil qui garda le nom de « Forum Vetus » (…) Ce lieu sacré, un souffle mystérieux le parcourt sans cesse d’effluves spirituels auxquels semble se joindre, au crépuscule, dans la poussière dorée du couvent, la pourpre romaine mélangée aux longues robes blanches des vierges chrétiennes. »
2 . « Un peu plus haut, sur les pentes de la colline, on me voyait passer tout joyeux, pourchassant à coups de pied quelque vieille ferblanterie. Je me croyais toujours un peu en avance. Je faisais l’homme, en tâchant d’imiter la démarche et l’air de mon père. Des apprentis, qui allaient en course par là me donnaient des cigarettes. Par les allées de traboule, on arrivait au cœur du vénérable faubourg, tout plein de bruyante misère et d’odeurs écœurantes. Cela sentait une odeur sans pareille, l’odeur du pays des canuts, la pierre moussue, le vin qui coule, les détritus de fruits, l’urine, le pétrole, le beurre chaud – un seul courant de senteurs mêlés, rue par rue, depuis les Terreaux jusque là-haut, où le plateau rond entouré de ciel comme d’une toile de panorama s’élève si abrupt au-dessus des bas quartiers que toutes les rues semblent finir dans les nuages. Je m’arrêtais aux carrefours. Je flânais délicieusement. Les battants des métiers à tisser claquaient du haut des maisons, jetant sans relâche leur bruit haut et maussade. Les fenêtres, toutes pareilles, sans contrevents ni rideaux, semblaient tailler au canif dans le carton grisâtre des façades. Jacquard, en redingote verdie par les pluies, penchait sa tête de quaker. Dans chaque chantier, des fainéants jouaient aux boules, en vidant des pots de beaujolais et en mangeant des fromages. Et j’arrivais en chantant, soit par l’un de ces passages en escaliers qui, à la Croix-Rousse , servent de contreforts à tout le coteau, soit par l’une de ces rues nouées en cordes aux pieds des maisons comme pour les retenir sur les pentes… En bas, dans la plaine, sous les arcs légers des ponts, le Rhône et la Saône frissonnaient, pareils à de la soie. Vingt églises couleur de suie penchaient comme des visages leurs cadrans jaunes. Elles semblaient mener le lourd convoi d’une armée de pierres, et je voyais, sous leurs clochers, dévaler à perte de vue les fondrières géométriques des toits, d’où montaient une aubépine, une fumée, un air d’accordéon. Des hirondelles tombaient comme des flèches sur la ville bleue. Lyon, mon pays… ».
3. « Il n’avait pas besoin, la gravissant, de relever la tête pour savoir que, presque aussitôt, le passage à allure de coupe-gorge s’élargissait un peu. Il n’éprouvait pas non plus l’envie de tenir la rampe, pour mieux en suivre les capricieux méandres. Il jugeait inutile de regarder le ciel pour le savoir bien là, au-dessus de lui, clouté de rares étoiles, formant entre les murs un ruban de velours. D’avance, il connaissait la route, et qu’au-delà de sa maison, les escaliers se poursuivaient encore, à l’assaut de la colline mystique, puis cessaient brusquement pour faire place au sol pierreux, tout hérissé de pavés ronds. C’était d’abord le pied de la tour métallique, parodie de la Tour Eiffel , popularisée par l’image, avec le reflet écarlate, sanglant, sur les vieilles pierres, de la gigantesque enseigne lumineuse qui lui tisse une robe de feu ; puis, une fois de plus, on tournait à l’angle droit pour, dépassant la célèbre maison de l’Angélique, déboucher enfin sur l’esplanade d Fourvière, devant la basilique… »
4. « De l’autre côté de la rivière, qu’enjambait une frêle passerelle, se dressait un paysage de vertige : entassement d’immeubles efflanqués et superposés, de terrasses et de jardins suspendus dans lesquels ça et là, blanche comme un ossement, émergeait une ruine romaine. Au-dessus des vapeurs vitreuses, les murs, frappés par le soleil, s’éclairaient comme si les derniers rayonnements d’une mer invisible les eussent touchés. (…) La passerelle franchie, mon élan se brisa contre la pente raide d’une ruelle sournoise s’insinuant entre des couvents, des orphelinats, des chapelles, masures à demi ruinées et comme soudées aux flancs de la colline. Courbant l’échine, d’un pas raffermi, je continuai ma course vers la Médecine. A mesure que je m’élevais, sous moi, par delà les tours de la cathédrale et les toits pliants sous leur faix de tuiles romaines, je voyais diminuer la Place des Angoisses, rectangle uni dans le scintillement des fleuves. Au détour du chemin raboteux et tordu, je me heurtai enfin à la perspective de rêve d’un escalier somptueux de cent marches que dominait l’hôpital, bâtiment extravagant de fragilité, surplombant des bâtisses croulantes qu’il semblait menacer d’une chute prochaine, menacé lui-même de pareil écrasement par une basilique énorme, mal plantée au sommet de la colline. »
a. La Gerbe d’or ( Henri Béraud)
b. Montée des Anges (Max-André Dazergues)
c. Place des Angoisses (Jean Reverzy)
d. Sous le signe du Lion ( Tancrède de Visan)[i]
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vendredi, 21 décembre 2007
DELACROIX
Non loin de l’église Saint-Sulpice et de sa Chapelle des Anges, par lui décoré, au cœur du Saint-Germain le plus historique de Paris, sur la place Furstenberg, Eugène Delacroix vint passer le crépuscule de son existence dans une retraite ascétique.
C'est là qu'il mourut, le 13 août 1863. Ce nom de Furstenberg, quelque chose de désuet et d'aromatique s'en dégage, quelque chose de très romantique, en un mot. Le cardinal Egon de Furstenberg, parce qu'il avait, en 1691, magnifiquement restauré et agrandi le vieux palais abbatial qui datait du XVIème siècle, offrit donc son nom à cette place que Delacroix, en venant y mourir, acheva de rendre célèbre dans le monde entier. Jenny Le Guillou, une vieille domestique, sa Françoise à lui, y veilla seule, et jusqu’au bout, son grand homme...
Dans son testament, Eugène Delacroix exigea qu'une vente aux enchères dispersât les trésors amassés. Quelle semaine ce fut, à l'Hôtel-Drouot, cette semaine de 1864, qui vit l'adjudication de milliers d'études et d'ébauches !
On le donna comme fils de Talleyrand. Il aura été le plus littéraire des peintres français, ami de Stendhal, phare de Baudelaire : c'est pourquoi sur le verso du billet de Lucien Fontanarosa qui le représente devant sa maison, il tient une longue plume, comme pour prolonger la rédaction de son Journal entrepris un jour de septembre 1822 (« je serai donc vrai, je l'espère ») et suspendu un autre de juin 1863 (« le premier mérite d'un tableau est d'être une fête pour l'œil »).
Un tableau : Comme Jéricho, comme Léonard de Vinci, comme Botticelli, Delacroix, c'est - hélas est-on tenté de dire - d'abord un tableau. Un tableau évidemment pas unique, mais si notoire, véritable icone, qu'on ne voit que lui sur le recto du billet : cette aussi terrible qu'allégorique Liberté, guidant le Peuple. Deux mètres soixante sur trois mètres vingt-cinq, pour célébrer la plus fameuse des Trois Glorieuses : Louis-Philippe (Philippe, comme disait avec mépris Chateaubriand), s'empressa de l'acheter pour 3000 francs au salon de 1831. Bel achat, grâce auquel il confisquait l'idéal révolutionnaire dont les Journées de Juillet avaient ressuscité l'arôme sur la Capitale : exposée au musée royal (alors musée contemporain) l'œuvre fut bien vite mise en réserve, de peur d'encourager le peuple à la révolte. Longtemps, la Liberté aux seins nus resta à l'écart, elle fut même plusieurs fois récupérée par le peintre lui-même qui veillait de loin à son sort, avant d'intégrer définitivement, en 1849, le musée du Luxembourg.
La Liberté, c'est une fille du peuple, comme on aimait à se les figurer durant la Restauration, une fière logeuse de la zone. Elle va, toute dépoitraillée, débraillée, pieds nus, elle s'arrache à la barricade, guidant de son drapeau et de son fusil un gamin de Paris qui n'est pas encore Gavroche ; Hugo n’est pas loin, qui l’a déjà repéré.
C'est la première fois que le drapeau tricolore, symbole de la réunion entre tous les Français, est aussi brillamment mis en valeur.
Du tableau, le billet ne retient que ce motif, la femme, l'enfant et le drapeau. Il escamote le monceau de cadavres du premier plan, les tours de Notre Dame au loin, la fumée des mitrailles, et le monsieur en haut de forme, dont on a dit qu'il pourrait être le peintre lui-même.
Toute la toile est parcourue, c'est vrai, d'un souffle et d'un élan grandiose, d'un frisson glorieux. Et pourtant, le billet de 1978 porte en son dessin quelque chose de plus nostalgique, de plus académique aussi, de plus figé. Cela vient-il de la moue pincée qu'on devine sur les lèvres de Delacroix, ou par cette plume d'oie d'un autre siècle, vers nous tendue ? Grave, cette moue de Delacroix, devant les branches automnales des arbres de la place Furstenberg, à Saint-Germain des Prés... des machines... des robots... des appareils.... des pubs et des tubes.... Vers quoi, cette Liberté debout, les seins à l'air, le bras levé, vers quoi aura-t-elle in fine, sinon vers le Commerce-Roi, guidé les peuples ? Vers quelle déflation ? Quelle déflagration ? Ce frêle carré de papier, ilot, plus que jamais, de solitude et de rêverie pour le romantisme et l'ascèse d'un peintre qui aima la Beauté.
Suivre le lien : La chapelle des Anges, peinte par Delacroix, à Saint-Sulpice...
10:55 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cent francs delacroix, place furstenberg, billets français, la liberté guidant le peuple |
lundi, 17 décembre 2007
Empire Français
En 1939, la Banque de France propose à Clément Serveau, sur le thème de l'Empire Français, la création d'une nouvelle coupure de 5000 francs : il s'agissait de représenter une allégorie de la France, autour de laquelle se grouperaient des types ethniques de ses principaux territoires étrangers.
Sur le recto du billet, que découpe l'horizon rectiligne, l'artiste a déposé un savant dosage bleu et blanc. La Mère Patrie, vêtue aux couleurs de la Méditerranée la plus limpide, vous regarde avec une souveraine et presque christique solennité, entre un paysage de la côte basque et un panorama du port de Rabat. Au verso, sur un fond de fleurs françaises et exotiques, un enfant noir, d’épaisses lèvres rouges, des cheveux crépus, un nez aplati ; de même que, sur de plus anciennes vignettes, le prolétaire portait tous les stigmates de sa classe jusque dans le portefeuilles des nantis et des riches, ainsi sur celle-ci, l'indigène noir amène tous les stigmates de sa race dans celui des habitants de la métropole. Dépaysement garanti : Les "colonies", comme on disait alors !
Côte à côte, non loin de lui, ses deux frères en provenance des autres versants de l'Empire. La mère Patrie veille sur eux-tous, puisque la République est alors un Empire, le second du monde ! On rappelait curieusement au citoyen de la Métropole occupée que l'espace colonial français s'étendait sur 12 347 000 km² terrestres, soit environ 8,6% des terres émergées. La rose, la jeune, la sobre, la sérieuse, la vaillante mère Patrie, devant un faisceau de drapeaux multicolores... Placée en équilibre au centre exact du billet (le nez juste à l'endroit où on le plie en deux), avec son col blanc croisé, son cou droit, sa sobre chevelure de jeune fille catholique devenue laïque mais toujours emplie des meilleurs sentiments à l'égard de ses prochains. La mère Patrie les embrasse tous, ses enfants de l'Union Française, autre nom donné à ce billet.
Le repérage à l'identique de la figure centrale, sur l'une et l'autre face du billet est particulièrement réussi et valut à la Banque de France d'élogieuses appréciations des imprimeurs et instituts d'émission étrangers. On commença l'impression de ce billet de Clément Serveau (1886-1972) à Paris, en mars 1942, en pleine Occupation. Il ne fut mis en circulation que le 5 juin 1945. Mais trois ans plus tard, le 29 janvier 1948, il fut brusquement retiré de la circulation sur décision de M. Schuman, président du Conseil, afin de mettre définitivement fin au marché noir. Chaque foyer dut rendre les billets en sa possession, toute transaction de ce billet devenant brusquement passible de 6 mois à 5 ans d'emprisonnement ou de 100 à 100.000 d'amende. Sur la photo ci-contre, on voit la foule parisienne se pressant devant le siège parisien de la Banque de France afin de se mettre en règles sans tarder. Les plus pessimistes durent, ce jour-là, se souvenir de l'échange de tous les billets français de juin 45.
Un tableau, publié par Le Monde quelques semaines plus tard indique que les agriculteurs furent, bien avant les rentiers et les industriels, les principaux déposants. L'opération fut couteuse pour l'Etat (estimée à 1 milliard et demi). Sans doute fut-elle une sorte de prélude symbolique à la décolonisation en cours, à laquelle la Quatrième République naissante n'allait pas résister : Est-ce un hasard ? A Delhi, le même jour, on tirait trois coups de revolver sur Gandhi, alors qu'il se rendait à la prière. L'histoire était en marche et le temps des empires en train de passer.
08:05 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, numismatique, argent, société, billets français, colonialisme |
dimanche, 16 décembre 2007
Des porcelets à l'épreuve des hommes
Premiers porcelets transgéniques obtenus par clonage : un article pour fond de tiroir
Dans un communiqué de presse daté du 11 avril 2001, la société britannique PPL Therapeutics (à l'origine de la brebis clonée Dolly) annonce le clonage des premiers porcelets transgéniques. Objectif de cette première mondiale : ouvrir la voie à la création d'organes destinés à être greffés sur l'homme. Une création à la chaîne qui supprimerait les mois d'attente de cœurs, foies, reins... couramment observés aujourd'hui.
Si des cochons ont déjà été clonés l'année dernière, la nouveauté réside ici dans le fait que les cinq porcelets reproduits sont tous porteurs d'un marqueur génétique étranger qui a été introduit artificiellement dans leur ADN. PPL Therapeutics espère ainsi créer des animaux doté d'un patrimoine génétique "humanisé" dont les organes ne provoqueraient plus chez l'homme les réactions de rejets interdisant aujourd'hui leur utilisation
Si on n'en est pas encore là, PPL Therapeutics estime que cette première « démontre la faisabilité d'un tel projet aux potentialités considérables" (...) Les cochons sont l'espèce préférée pour les xénotransplantations »*.
Espèces préférées, peut-être, mais ceci n'est pas sans soulever de nouvelles inquiétudes : et si ces greffons humanisés étaient porteurs de virus, inoffensifs chez les porcins mais pas chez l'homme?**. Décidément, les Anglais sont toujours à la pointe...
En tous cas, et selon PPL Therapeutics, les essais cliniques de greffe d'organes de porc transgénique sur l'homme pourraient démarrer d'ici 4 à 5 ans. Un marché juteux qui pourrait se chiffrer à quelque 5 milliards de dollars, uniquement pour les organes entiers. Ceci expliquant certainement cela...
Xénogreffes de porcs, une panacée ? Signalons que d'autres méthodes sont aussi aujourd'hui envisagées. L'espoir de maîtriser la culture de cellules souches humaines en laboratoire offre par exemple une solution de choix, pouvant mener à terme à la production d'organes exempts de tout problème...
* Greffe d'organes d'une espèce à une autre. Soulignons que des valves de cœur de porc sont déjà utilisées chez l'homme depuis près de 30 ans et que près de 24 tissus conjonctifs (peau, os) d'origine porcine ou bovine sont couramment employés en médecine humaine.
** Une équipe américaine a récemment démontré qu'il était possible d'infecter des cellules humaines cultivées en laboratoire avec des rétrovirus naturellement présents chez les porcs.
13:30 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : science, technique, société, cochons, didier |
samedi, 08 décembre 2007
Fête des Lumières
8/12/2007 : « -Ce que j'aime à voir dans une ville, ce sont les habitants », écrivait Stendhal. Il ne serait pas déçu, s'il venait à Lyon ce week-end ! Ce week-end, sortez par les rues. Quelle que soit la beauté du spectacle, ne regardez pas les Lumières. Regardez ceux qui regardent les lumières. Regardez-les bien. Comme Stendhal, intéressez-vous à l'homme lui-même. Pas à ce qu'il produit.
Observez-le : Il marche, en foule compacte, dans l'obscurité des rues. Ses yeux glissent d'une façade illuminée à une autre enluminée. Ses yeux... jamais repus, Ses yeux, comme lui, ne font plus que marcher. Là est toute leur fête. Leur seule fête. Inquiétant silence : Il ne font que regarder. Et tandis que ses yeux regardent, que dit l'homme ? Que pense l'homme ? Rien. Ou pas grand chose. Il pense qu'il est sidéré. Il l'est, de fait. Etrangeté, partout. Etrangeté, puisque passivité. Où donc est passée la fête, se dit-on ! Ceux qui la "font" ne sont pas là, en effet. Plus là. Sur place, ls n'ont laissé que du matériel technologique. Faisceaux géométriques qui s'élancent en boucles programmées, à l'assaut des façades et des regards, s'emparent un bref instant de tout l'espace, laissant à l'homme l'obscurité de sa morne déambulation, aussi passive qu'absurde. Sa déambulation derrière ses deux yeux.
Depuis les quelques années qu'elle existe, la Fête des Lumières me fait ainsi penser à un scénario de Beckett. On joue bientôt le Dépeupleur au théâtre des Célestins. Ce peuple qui déambule dans un cylindre, et dont la seule ambition est d'atteindre le sommet provisoire d'une échelle, n'est-ce pas bien ça, ce que font ces passants obscurs qu'émerveille - peut-on le croire franchement ? - le spectacle infiniment monotone de lumières technologiques qui tourbillonnent en boucle devant leurs nez tendus vers le ciel vide. Ainsi cette fête récente a-t-elle spectaculairement dépeuplé les rues de Lyon, se substituant non sans un implacable terrorisme à la fête commerciale, politique ou religieuse dont Tancrède de Visan, Joannin et Grancher, écrivains lyonnais, avaient dressé jadis le tableau dans leurs romans respectifs.
08:30 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : fête des lumières, illuminations, 8décembre |
mardi, 04 décembre 2007
Ségolène et son histoire d'amour....
Non... Après s'être prise pour la Madone en personne, l'ex-candidate du Parti socialiste, qui ne sait parler que d'elle-même et de son avenir, ose à présent se prendre pour Barbara ! Jusqu'où ira-t-elle dans la sale récup' ? Je ne peux même pas dire que cela m'étonne, tant l'ego surdimensionné de cette femme ridicule laisse songeur. Quelle époque vulgaire! L'ère des coucous et des vautours, l'ère des faux-monnayeurs et des imposteurs de tout poil... Qu'en penserait Barbara, la longue et belle dame brune, la véritable Barbara, Monique Serf de son état, et auteur originale de Ma plus belle histoire d'amour ? que j'ai tant écoutée, qui m'a tant fait rêver, de ville en ville et de scène en scène, celle à qui je dois tant ? Celle qui, lorsqu'elle vous regardait dans les yeux, et malgré sa tristesse, déjà, d'être empêtrée dans le show-business, et dans une sale époque, et dans une humanité qu'elle invitait à aimer tout en sachant qu'elle ne valait pas grand chose, celle qui savait pourtant vous communiquer force, tendresse et dignité... Oserais-je dire Foi ? Ce n'est pas le cas, hélas, de la pilleuse et de la piteuse qui reprend aujourd'hui un titre qui ne lui appartient pas en espérant usurper une légitimité médiatique pour la prochaine présidentielle. Cette femme, qui ment comme elle respire, prétend dans Le Monde daté d'aujourd'hui ne pas s'être rendu compte qu'elle donnait à son livre le titre d'une chanson de Barbara. Son service de marketting ira-t-il jusqu'à prétendre aussi que c'est un hasard, s'il sort aujourd'hui, jour de la sainte Barbara ? Jusqu'à quel point prendra-t-elle les gens pour des idiots ?
Le fait de piquer ce titre est d'ailleurs un aveu : A quel nègre doit-on le reste du bouquin ? A l'heure où les nains, pour se faire une dimension, pillent ainsi, sans vergogne, les grands, la question de Kant se pose à nouveau, et devrait, par nous tous, être posée à cette gauche dérisoire, falsificatrice et immonde : Que pouvons-nous espérer ?
07:25 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ps, ségolène royal, politique, barbara, royal, socialisme |
mardi, 27 novembre 2007
Le novembre des canuts - Dernier épisode
Ce n'était pas encore Grenelle, ce n'était que l'Ancienne Préfecture à Lyon, rue Confort. Et nous étions le 23 novembre 1831. Le préfet Bouvier Dumolart, homme matois et expérimenté, conscient que désormais, il incarne à lui seul l'autorité gouvernementale et ne peut demeurer inactif, réfléchit.
« Les ouvriers compagnons, écrira-t-il dans ses mémoires, avaient seuls pris les armes; mais les chefs d'ateliers n'avaient point participé à l'insurrection. C'est en eux que je cherchais ma force. Et c'est en eux seuls que je pouvais la trouver, dans l'état de démoralisation et de réprobation où se trouvait la garde nationale aux yeux de la partie agissante de la population. Je me hâtai de les convoquer. Et je fis en même temps publier la proclamation suivante : OUVRIERS ! Vos présidents de sections vont se rendre auprès de moi pour rechercher, de concert avec vos magistrats, les moyens de soulager vos malheureux états de souffrances; ce sont de bons citoyens. Placez en eux toute confiance, écoutez-les quand ils vous diront que votre premier besoin, comme le nôtre, est le maintien de l'ordre et le rétablissement de la tranquillité publique. »
Aux seize chefs de sections, Bouvier Dumolart donne lecture du placard séditieux imprimé par l'Etat Major provisoire installé à l'Hôtel de Ville. L'indignation des chefs de section est immédiate. Elle est d'autant plus vive que les rédacteurs de l'affiche menacent en fait directement le pouvoir de ces chefs de section, en décrétant de nouvelles élections de syndics. Aux yeux de ces hommes modérés, qui étaient à l'origine, il faut le rappeler, du mouvement du 25 octobre, et parmi lesquels ont trouve Charnier, Falconnet, Bouvery, les membres de l'Etat major qui siégeaient à l'Hôtel de Ville ne pouvaient avoir de légitimité, puisque Lacombe et ses sbires s'étaient auto-promus et auto-désignés à l'issue d'une nuit folle et d'une sorte de coup d'état municipal digne d'un vaudeville : le pouvoir, dans cette perspective, appartenant au sens propre à celui qui le ramasse le premier. Après s'être indignés oralement, les seize chefs d'ateliers s'offrent donc à rédiger une protestation écrite, qu'ils signeraient et qui serait, à son tour affichée dans la ville. (On imagine, à la lecture de cette série de placards successifs et contradictoires, la perplexité de la population) C'est ainsi que, dans la même matinée, cette proclamation du préfet finalement est affichée :
« Ouvriers, respect à la loi, respect à la propriété. Ne souffrez pas que des malveillans se glissent dans vos rangs pour faire calomnier vos intentions. Vous m'avez appelé votre père, et je veux l'être de bons enfans. Lyon, en l'hôtel de la préfecture, le 23 novembre 1831. Le Préfet, Du Molart. ".
C'est ainsi que la proclamation d'un second état-major représentatif du mouvement est aussi publiée, ce qui confirme le fait que les ouvriers ont désormais deux "têtes" : « LYONNAIS ! Nous soussignés, chefs de sections, protestons tous hautement contre le placard tendant à méconnaître l'autorité légitime, qui vient d'être publié et affiché avec les signatures de Lacombe, syndic ; Charpentier Frédéric et Lachapelle. Nous invitons tous les bons ouvriers à se réunir à nous, ainsi que les citoyens de toutes les classes de la société, qui sont amis de la paix et de l'union qui doit exister entre tous les vrais Français. Lyon, le 23 novembre 1831. Boferding, Bouvery, Falconnet, Blanchet, Berthelier, Biollay, Carrier, Bonard, Labory, Bret, B. Jacob, Charnier, Niel, Buffard, Sigaud, Farget. Approuvé par le préfet, Du Molart. »
07:38 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : lyon, fête des lumières, illuminations, fernand rude, société, révoltes, canuts |
lundi, 26 novembre 2007
L'Encouillé
C'était un intérieur de dingue (de vrai). Un intérieur pour romancier. Vous savez, celui d'un type qui ne sort quasiment plus, ni de chez-soi ni de chez-lui. Plus jamais sinon pour se ravitailler en boites de conserves et en journaux. Journaux qu'il empile dans les pièces de son réduit, selon un ordre protocolaire, de lui seul compris. Boites dont il ingère le contenu à n'importe quelle heure du jour comme de la nuit. Journaux, boîtes qu'il paie avec sa pension pour invalide. Un intérieur que personne n'a jamais contemplé, masqué derrière des couvertures tirées sur les carreaux. Trois fenêtres sur cour, quatrième étage.
Une voix s'échappe à heure fixe, quand - on suppose - l'occupant des lieux a oublié d'avaler ses comprimés.
Enculé, dit la voix. Gueule la voix, plutôt. Fort longuement. Non pas "enculé", mais, sauvagement poussé par l'abdomen et surgissant du larynx "Kooôôûûllllllé !" (le é, guttural, tend à disparaître). Son cri de guerre. De désespoir. Ou de routine. Il répète ça, le fou du quatrième qu'on ne voit jamais. Il répète ça et jure sur ce putain de pays, sur la France. C'est sa vie de jurer comme ça. Cest devenu un élément de la vie de tout le voisinage.
Qui s'occupe au fond de ce pauvre type ? A-t-il une famille ? Des amis ? N'en savons rien. Personne n'en sait rien. "Kooôôûûllllllé..." Quand vient l'automne, la douleur est plus discrète. Tout à l'air de rentrer dans l'ordre. Sur des affiches municipales, on lit que c'est la fête des feuilles". Késako, çette connerie ? Encore un coup de la mairie d'arrondissement ? On se le dit. On se dit ça, entre voisins ordinaires.
Dimanche 26 novembre, onze heures du matin, tohu-bohu général. Une fumée noire épaisse qui s'échappe des trois fenêtres de chez l'En-"Kooôôûûllllllé"... Lui, en caleçon, debout sur le rebord d'une de ses fenêtres. On dirait qu'il va sauter. Odeur de cramé dans tout le quartier. Arrivée des pompiers. Rue bloquée. Lances dans la cour, échelle et tout le bastringue, tous les badauds, sur la place, qui contemplent les camions rouges garés aux pieds de platanes que quittent définitivement et non sans négligence les dernières feuilles mortes. On le tire finalement de là, vêtu d'une guimbardine de pompier et coiffé d'un casque. Pimpon Pimpon... Jusqu'ici, rien d'anormal. C'est alors que tout bascule.
Tout, et au sens propre, quand par les fenêtres du réduit sinistré, une fois délogé son excentrique solitaire, toutes ses affaires se mettent à voltiger comme feuilles mortes. Littéralement : magazines et journaux vont tapisser bientôt la cour intérieure de la copropriété. Cela, ça peut encore se comprendre : On se dit ( on = les gens ordinaires, aux fenêtres, qui suivent les opérations) que ça pourrait faire repartir les flammes. Des cartons entiers, qui basculent dans le vide. A l'intérieur, on s'aperçoit bientôt qu'il n'y a pas que des journaux.
Des sapes, des ustensiles de cuisine, des objets divers et variés qui s'explosent la gueule contre le pavé... Risque que tout ça s'enflamme ?
On se demande...
Soudain voltige, du quatrième un frigidaire, et puis c'est un sommier pourri, et puis des fauteuils, des chaises, un banc, une cuisinière... Rien de bien cramé parmi tout ce mobilier. Une table, impeccable, même. Impeccable. J'en ai vu dernièrement des comme elle qu'un broc vendait pas moins de 600 euros... La table aussi, ses pieds et ses rallonges en noyer, s'explose contre le pavé. Puis des cartons, encore, des cartons emplis de papiers, des livres, des classeurs, des cahiers... Une guitare. Des corbeilles. Toute une vie, quoi, qui n'est pas encore crâmée, elle, et dont on sait pas grand chose à vrai dire, dont on ne sait rien, toute une existence que des pompiers zélés font basculer de l'autre côté du décor, là où il n'y a plus de vie sociale, comme s'il était mort pour de bon, définitivement délogé !
Délogé, l'EnKooôôûûllllllé !
J'imagine que lorsque brûle l'intérieur d'un ménage bon-chic bon-genre, on ne balance pas tout, comme ça, les diam's un peu noircis de madame, les porcelaines juste enfumées, et la bibliothèque, la chaîne stéréo et tutti quanti par les fenêtres ! Mais qu'on "sauve les meubles" au moins, en passant, s'il le faut, par l'escalier. Tout, vous dis-je, même les effets personnels (papiers, vêtements...) Bon pour la décharge : Paraît qu'une entreprise privée débarrassera tout ça au plus vite. Pas de souci, m'ont déclaré les pompiers, à la fin de cette journée, avec un air à la fois grave et désinvolte de jouer Fin de Partie.
Le pire, c'est quand on voit soudain voler par les trois fenêtres de l'Encouillé des liasses et puis d'autres liasses de bulletins non validés de Loto, Keno, Euromillions, Loto foot, comme de foutues feuilles mortes virevoltant devant les carreaux du troisième, puis du deuxième, avant de se poser sur le tas de décombres de l'intérieur en miettes du sinistré épandu dans la cour. Les gens ordinaires se regardent. Des bulletins rouges et blancs à grilles, il en avait entassé, amassé, nom de Dieu ! Toutes ces saloperies par lesquelles l'Etat fait payer l'impôt aux non-imposables...
Il paraît que vendredi dernier, quelqu'un a gagné plus de 27 millions d'euros dans les Bouches-du-Rhône. Notre voisin du quatrième, lui, jouait-il ? où est-il, à présent ? Ses bulletins non validés par milliers tapissent à présent les débris de sa pauvre vie privée (ou de sa vie privée de pauvre...) jetée en pâture aux regards de tous. Attestant qu'il avait un espoir quand même, l'encouillé, une espérance vague de vivre autre chose, et ailleurs, derrière ses couvertures accrochées à ses trois fenêtres, que sous les yeux de tous ...
15:35 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, l'encouillé, pompiers, nouvelles et textes brefs, fait-divers |
vendredi, 16 novembre 2007
A ma Lisette, Chanson de 1831
Deux chansons de canuts :
Air du bon Pasteur, de Béranger, paroles d'Antoine VIAL ( 1796-1832)
Lisette, ma douce amie,
Pare ton corset de fleurs ;
Dieu, protégeant l'industrie,
Vient de finir nos malheurs.
Tu ne seras plus pauvrette ;
Allons ! reprends ta gaîté ;
Chante avec moi, bonne Lisette,
Chante vive la liberté !
Autrefois, sous nos vieux maîtres.
Le magistrat orgueilleux,
Fier de ses nobles ancêtres,
Aurait repoussé nos vœux :
Aujourd'hui, sans étiquette,
L'artisan est écouté.
Chante avec moi, bonne Lisette,
Chante vive la liberté !
Riante apparaît l'aurore,
Plus de chagrins, de soucis ;
Je me réjouis encore
Du bonheur de mes amis.
Du travail, une couchette,
Puis vient la prospérité.
Chante avec moi, bonne Lisette,
Chante vive la liberté !
N'écoutant point le caprice
D'un financier courtisan,
Désormais on rend justice
En faveur de l'artisan.
Peut-être un riche regrette
Mainte vieille autorité :
Chantons toujours, bonne Lisette,
Chantons vive la liberté !
Vois-tu mes amis, mes frères,
Fiers de porter ce drapeau,
Autour de couleurs si chères
Ne former qu'un seul faisceau !
En vain viendrait la tempête,
Le Français est redouté,
S'il peut chanter, bonne Lisette,
Chanter vive la liberté !
Chanson de 1831 (sur un air de Béranger, paroles d'Antoine Vial)
A ma Lisette, ô toi que j'aime !
Quel sort, hélas, te poursuit !
Tu crus au bonheur suprême,
Ce bonheur s'évanouit.
Des grands la voix indiscrète
A prédit un prix nouveau;
Tisse toujours, bonne Lisette,
C'est l'étoffe de mon drapeau.
Ce bleu, sans aucun nuage,
Semble l'azur de tes yeux;
Ce rose est la douce image
De tes attraits merveilleux;
Ce blanc, qu'un noble regrette,
Entre deux est assez beau;
Tisse toujours, bonne Lisette,
C'est l'étoffe de mon drapeau.
On trompe ton espérance ?
Sois riche de mes amours!
Gagne peu, mais sers la France,
Et je t'aimerai toujours.
Le guerrier, sous son aigrette,
Mettra ce léger réseau :
Tisse toujours, bonne Lisette,
C'est l'étoffe de mon drapeau.
Que de goût et que d'adresse
Lise, dans ce que tu fais.
Ce tissu que ta main presse,
Me rappelle nos hauts faits.
De ton père, c'est la fête :
J'en veux parer le tombeau
Tisse toujours, bonne Lisette,
C'est l'étoffe de mon drapeau.
Allons ! chante, mon amie,
Chante un meilleur avenir;
Ne crains point ce noir génie
Qui semble nous désunir,
La liberté, sur sa tête,
A secoué notre flambeau;
Tisse toujours, bonne Lisette,
C'est l'étoffe de mon drapeau.
08:45 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : chant, chanson, canuts, lyon, poème, poesie, béranger |