lundi, 14 décembre 2009
Cellule 2009
Fendons-nous de quelques banalités bien tranchées, puisqu’une nouvelle semaine nous montre impudiquement le bout de son lundi : j’ai du mal à croire, pour rien vous cacher, que nous allons bientôt pénétrer, comme un couteau de boucher à l’intérieur d’une viande saignante, dans le vif hasardeux d’une toute nouvelle décennie. On me le dit pourtant un peu partout, d'almanachs en calendriers, sans compter les Pères Noëls comme des sacs qui déjà trainent leurs guêtres au milieu de sapins abattus sur les places et dans les grandes surfaces : tel serait bien le cas. Et que ce serait même foutrement irrémédiable... Bon sang, j'aurais donc pas vu défiler les neuf fois douze mois des premières années du troisième millénaire ? Où étais-je donc ?
Guère plus que le cortège de tous ceux des dernières décennies du deuxième, d’ailleurs. Ils sont passés, les gueux, goutte à goutte, d’un geste imperceptible. C'est rien du tout un mois, pas plus qu'un moi.
Du coup, j’aurais envie d’écrire 09 partout, ce matin, sur les murs à la peinture blanche, sur les abribus au feutre noir, sur tous les visages que je croise, et sur les dernières feuilles des platanes qui cèdent à l'hiver, finalement, sur chaque flocon de neige et sur le vent.
Et je me console en me disant que si je vois si peu les ans passer, c’est à cause du calendrier uniforme de la société du spectacle qui a tout fait tout pour qu’ils se ressemblent tous les ans, nos ans, c'est sûr. Rien ne ressemble plus à la mort de Mickael Jackson que celle d'Edith Piaf ou que celle de Johny Halliday, vous allez voir. Rien ne ressemble plus à une fête des Lumières qu'une fête de la musique, et qu'une guerre en Irak qu'une guerre en Afghanistan.
Fut un temps, je m’étonnais toujours, quand une année tirait à sa fin, de demeurer là, moi aussi. Encore là !, me disais-je en me rasant, un beau matin de décembre. Avec cette tête changeante qui avait l'air de ne pas bouger d'un iota. Et je sortais pour humer l’air des rues. J'aurais avalé le monde.
Maintenant, même plus.
J’ai pris l’habitude de vivre.
Et cela ne m’étonne plus d’avoir des mains, des pieds, un regard. De tous ces organes depuis si longtemps explorés, de tous ces petits rites sans surprises, de toute cette peau, ces ongles, ces cheveux, est-il vraiment sage d'attendre pourtant quelque étonnement ?
Qu'avons-nous le droit d'espérer, franchement, de l’an prochain ?
C’est l’instinct seul, qui s’oppose. L’instinct finit toujours par récupérer la pensée sans fondement du calendrier du spectacle, par lui trouver non pas un sens, mais au moins une direction, et le soumettre à sa volonté de perdurer. Alors le locataire de sa propre viande se rassure, se conforte, vous savez.
Quelques jours jours encore dans la cellule 2009 du temps qu'il fait, puis l'an neuf, au gué, au gué. Champagne pour tout le monde. Il suffira de passer le pont.
Sisley - Le pont d'Argenteuil - Orsay.
07:32 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : an 2009, littérature |
dimanche, 13 décembre 2009
Les hiéroglyphes de la pensée
Lit-on encore beaucoup au Père Lachaise ? Du temps que j’étais parisien, j’allais très souvent m’y promener. Des dix années que j’ai passées là-bas, ce sont ces promenades et les lectures qu’elles suscitaient qui me manquent le plus, dorénavant.
Il est rare, en effet, de trouver une aussi vive adéquation entre les pages d’un livre et celles d’un site : je me souviens tout particulièrement de celle entre plusieurs romans de La Comédie Humaine - au premier lieu desquels Séraphita & Louis Lambert, et le relief cabossé, la statuaire tourmentée des hôtes célèbres ou anonymes du Père Lachaise, l’obstination têtue du vivre encore qu’on y ressent devant certains épitaphes, certains gisants, certains bustes, lorsqu’on est assis sur certains bancs. (1)
Louis Lambert passe pour être une autobiographie romancée d’Honoré de Balzac. On a retrouvé, parmi les camarades de ce dernier au lycée Vendôme un certain Louis Lambert Tinant, fils d’un inspecteur de marine à Dunkerque. Mais cela ne prouve rien. Rien du tout. D’ailleurs à quoi bon prouver ? Louis Lambert, c’est avant tout l’histoire d'une Idée, celle de l’individu, telle que le romantisme encore teinté d’aristocratie de la Restauration de Charles X s’est plu à l’inventer pour faire mine de donner une âme à la haute-finance : c’est aussi une rêverie sur la naissance du langage et sa concomitance avec la naissance du sentiment de soi : « Quel âge a donc la parole humaine ? » se demande Louis en contemplant le bref instant de sa vie. Sur les traces du Lyonnais Ballanche, et du rouergat de Bonald, il lui assigne alors une naissance divine, que son catholicisme déjà malade pressent de nature orientale. Et comment passe-t-on d’un ressenti qui nous trouble jusqu’au plus profond de l’être, à un texte achevé ?
« Qui nous expliquera philosophiquement la transition de la sensation à la pensée, de la pensée au verbe, du verbe à son expression hiéroglyphique, des hiéroglyphes à l’alphabet, de l’alphabet à l’éloquence écrite, dont la beauté réside dans une suite d’images classées par les rhéteurs, et qui sont comme les hiéroglyphes de la pensée… »
Un jour que je lisais je ne sais plus quel roman de Balzac infiniment plus prosaïque que Louis Lambert, assis contre la grille sur le rebord de sa tombe, un octogénaire au regard vif et beau me demanda d’un ton très humble si j’étais balzacien, ce qui je crois, signifie thésard ou doctorant –. Dieu m’en garde, pensai-je à l’époque. Non, je n’étais qu’amateur de Balzac et encore, amateur assez perplexe et perdu dans le foisonnement de cette malheureuse Comédie que chacun, de Bardèche à Wurmser, avait, depuis plusieurs décennies, proprement tirée dans tous les sens !
Le vieux monsieur se présenta, lui, comme un amoureux de Nerval (2). Car depuis la fin des années soixante-dix – date à laquelle, m’avoua-t-il, la lecture de Gérard lui avait sauvé la vie –, il fleurissait sans avarice aucune le rectangle de sa tombe. Nous engageâmes la conversation, - une conversation très douce et fort érudite, qui rompait rudement avec l’odieuse sécheresse de ces années mille neuf cent quatre-vingts durant lesquelles le socialisme matois et décomposé de quelques rusés dirigeants français avait commencé à dresser la table dans le pays au libéralisme sauvage et mondialisé qui triompha depuis -. Il me proposa, puisque j’aimais l’auteur de Louis Lambert, de me faire découvrir la tombe d’Esther, celles de Lousteau, de Goriot, de Nucingen… L’idée, partout, bien sûr, l’Idée partout survivant aux tristes faits, sa gentillesse fut prompte à les dénicher parmi les reliefs amassés, les dernières demeures de ces mélancoliques personnages, même celle de la pauvre Coralie morte en 1822 ! Car chaque vestige, précisait-il, chaque tombe est telle un hiéroglyphe de la pensée. Il plissait les paupières humides de quelque réminiscence :
« -quelle pitié, l’abandon de ces travées... L'abandon de ce siècle…
-1822... Deux ans avant Louis, fis-je alors remarquer.
-C’est exact, me dit mon spirituel guide, retroussant contre sa nuque son col de fourrure de martre élimé. Puis, comme si ma remarque l’avait ramené à la réalité :
-Nous ne trouverons pas Louis parmi ces allées… »
Il eut l’air presque désolé. Le pavé est froid soudain. Rentrons.
Je le quittais un peu plus tard, devant une colonne Morris de la rue des Pyrénées.
Et jamais ne le revis, bien que, à chaque fois que je passais devant la tombe de Gérard, s’y lût encore la trace du soin que cet étonnant et chimérique ami y avait déposé.
Photos : tombes de Gérard de Nerval et d'Honoré de Blazac, Père Lachaise à Paris
(1) L’épitaphe d’Anna de Noailles (extrait des Eblouissements), particulièrement poignant : Hélas, je n’étais pas faite pour être morte !
(2) Tous les amants du Père Lachaise savent qu’Honoré et Gérard se font face. Honoré et Mme Hanska d’un côté. Gérard seul de l’autre.
Voir sur Vaste Blogue un billet de Tanguy Simon sur Balzac, lequel à vrai dire, motiva l'écriture de celui-ci.
ICI : toute la Comédie Humaine...
15:38 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : père lachaise, littérature, louis lambert de balzac |
vendredi, 11 décembre 2009
CapharnaHome
Imaginez que vous vous installez sur le divan de votre psychanalyste, lequel, au lieu de vous suggérer de vous parler de votre mère, vous murmure : « parlez-moi de votre maison ». Vous allez dire que cela revient au même et certains auteurs, parmi tous ceux qui ont participé à l’écriture de ce recueil, vous donneront raison. Sans divan ni objectif thérapeutique, ils ont creusé et mis au jour des vieilles bâtisses où flottent des odeurs d’enfer ou de paradis perdu...
aNTIDATA, CapharnaHome ( Nouvelles de Michel Besnier, Isabelle Doleviczényi, Christophe Esnault, Malvina Majoux, Gilles Marchand, Charlotte Monégier, Benjamin Peurey, Bertand Redonnet, Olivier Salaün, Roland Thevenet )
A paraître le 15 décembre
14:20 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : capharnahome, andidata, littérature, nouvelles |
jeudi, 10 décembre 2009
Les mémoires de Sarkozy
Pal Sarkozy de Nagy-Bocsa, le père de Nicolas, s’est rendu à 81 ans dans le petit village de Alattyan en Hongrie. C’est ce village qui abritait l’ancien château familial à 100 kilomètres à l’est de Budapest. Cette visite est destinée à affiner son autobiographie, laquelle devrait paraître en 2010
Nul doute qu’un mémorialiste hors pair est né. Nulle doute qu’une plume exceptionnelle et qu’un destin digne d’intéresser l’Histoire se sont soudainement ensemble dévoilés.
En attendant le premier roman de Jean ?
07:24 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : sarkozy, alattyan, littérature |
mardi, 08 décembre 2009
Le 8 décembre du temps des OTL
On ne me refera pas : je suis ainsi. J’ai besoin du recul et de la distance. Une sorte de presbytie intellectuelle fait que je ne comprends la qualité des choses que de loin, et que je ne n’accède à l’appréciation de leur juste valeur qu’à travers le souvenir. L’instantané, en trois mots, me casse les pieds. L'ici et maintenant, érigé en système, l'éphémère en figures, ou en langage, me glacent le sang. J’ai donc besoin du temps qui a passé et de sa valeur accomplie, comme un ivrogne de son alcool ou le funambule du fil sur lequel il chemine, en équilibre. Comme d'une véritable perspective. Les choses ne me paraissent magnifiques et belles que vues de loin. Il en va ainsi de ces 8 décembre anciens, sur lesquels le grand vent du tourisme mortifère et de la globalisation commerciale n’avait pas encore soufflé, comme du reste. Dame, la ville ne possédait alors même pas son métro ! Songe-t-on que, dans nombre de rues quasiment vides (de piétons comme d'automobiles), la véritable marche à pied était alors encore de mise ?
Et cette espèce de disponibilité absolue que l’on demande à présent aux transports en commun eût semblé incongrue ; les lignes OTL (Office des tramways lyonnais) ne pratiquant l’abonnement que ligne par ligne, accordant à la limite un abonnement groupé pour deux, on était voyageur autorisé sur la ligne 13 ou sur la 28, et pour le reste, basta ! Le moyen de transport le plus efficace pour qui voulait arpenter les quartiers demeurait encore ses deux jambes. C'est comme ça que je les ai arpentées, les rues de Lyon, en même temps que, des deux yeux et de tout mon imaginaire, les pages de mes livres. Car Lyon tout autant devenait, au gré d'un détour, le Paris de Balzac, le Dublin de Joyce, le New York de Dos Passos. Le grain de la pierre ne figurait rien d'autre, en ces temps non dysneylandisés, que la rêverie que le promeneur projetait dessus.
Quant aux Illuminations… Nulle fourmilière, nulle ruche, nulle rue ou place congestionnées. Je crois bien qu’une ou deux étoiles accrochées à une guirlande aux ampoules globuleuses suffisaient à notre enchantement de mioches. C’était un monde qui ne se représentait encore qu’en noir et blanc et se serait affolé d’une débauche de lumière aussi surnaturelle qu'inconsistante. Il se trouvait pourtant, ce monde là, déjà moderne et démesuré par rapport à un autre, perdu, & dont nous entretenaient de vieux peintres qui posaient au matin leurs chevalets, sur la pierre d'un quai pour s'y laisser raconter des histoires par les pierres des ponts, tout en captant de leurs pinceaux la fugacité d'un rayon de lumière qu'ils gravaient sur la toile.
Cliché : La rue Edouard Herriot, Blanc & Demilly
07:33 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : fête des lumières, lyon, 8décembre |
lundi, 07 décembre 2009
Procedo, cessi, cessum, ere
Procedo, cessi, cessum, ere : aller en avant, s’avancer – faire des progrès réussir… Pour comprendre un phénomène, toujours revenir à l’étymologie. C’est une règle d’or. La notion de la procession, avant même d’imposer celle d’un regroupement collectif, insiste sur l’idée d’une progression, les deux termes possédant un étymon commun.
La manifestation, du latin manifesto, vise quant à elle à rendre palpable, à montrer (ou encore, dans un sens théologique à révéler). Dès lors, au contraire de la procession qui met l’accent sur un but, une direction, la manifestation vise au déploiement ostensible du nombre de la force.
S’il est aussi une marche organisée, le cortège (de l’italien corteggio, faire la cour) l’est autour de quelqu’un (une mariée, un leader…). On se forme en cortège autour d’un haut personnage, ainsi mis en valeur. Tout autre est le défilé, issu du latin filum, et du franc fil, lequel ne semble prendre en compte que l’aspect formel des choses, encore que devenu militaire, il soit capable de prendre un sens plus démonstratif..
Le mot marche signifie tout à la fois l' empreinte et le fait de marcher. C’est donc sur l’idée de mouvement collectif que le mot marche insiste, qu’elle soit militaire ou funèbre. La marche est, par ailleurs, volontiers identitaire. La déambulation, la promenade, l’errance, autres termes qui suggèrent une certaine nonchalance, un plaisir pris, seul ou en petits groupes. Le dernier terme suggérant, par ailleurs, l’idée d’une quête ou bien celle d'une aventure.
Ces subtils distinguos sont d’actualité à Lyon, où quatre millions de marcheurs aussi désoeuvrés que bon enfant emplissent jusqu’à saturation les rues de la ville et les chambres de ses hôtels : autre visionnaire, Philippe Muray (à lire, Désaccord parfait, Tel Gallimard n°305), créateur de « l’homo festivus » dont voici un extrait franchement savoureux :
« Le touriste cherche à voir les choses comme elles étaient avant le tourisme, autrement dit avant lui-même. Il souhaite qu’on lui offre à contempler ce qui n’existe plus du fait de sa présence. L’une des particularités d’Homo Festivus est de se nier en tant qu’Homo Festivus, de refuser de se concevoir dans son environnement disneylandisé, pour mieux s’imaginer vivant et évoluant dans un univers de toujours un décor pittoresque infantilement authentique. D’où lui-même serait absent, puisque c’est lui-même qui le voit. Cette négation est à elle seule un facteur de comique sans fin. »
Le soir du 8 décembre, à Lyon, il y aura probablement peu de manifestations, puisque l’heure n’est plus aux démonstrations de force pour ou contre la calotte. Peu, également de cortèges. Les défilés, les déambulations, les marches et les processions seront multiples, hasardeuses et improvisées. Dans certaines rues et places, il risque d’y avoir de véritables engorgements de moutons (de Panurge aurait dit Rabelais.) Car de toutes les marches, celle des troupeaux de touristes, adeptes forcés du parcours fléché et de la signalétique municipale, est la plus étrange à regarder et, surtout, la plus facile à manipuler.
Pour réagir face au caractère mercantile de la fête, l’Association Les Petits Lyonnais – laquelle s’est donnée pour but de ne pas égarer l’histoire de la ville en chemin – organise le 8 décembre à 21 h, place Antoine Vollon (2ème arrondissement) une montée aux flambeaux traditionnelle de la colline de Fourvière, qu’elle a intitulée LUGDUNUM SUUM, suivie d’une dégustation de vin chaud devant la plus belle vue de Lyon. Tout comme les Lyonnais éclairant ce soir-là leurs lampions, il leur sera sans doute difficile à eux aussi d'échapper au spectacle collectif et à la grand-messe médiatisée et, comme il se doit, sous contrôle, puisque la plus grande partie du centre-ville est sous surveillance video. Mais le coeur, dirons-nous, le coeur et la jeunesse y seront.
De fait, tous les gens qui sont passés par ici le savent, avec ses deux collines et ses deux fleuves, ses raidillons, ses ponts, Lyon est une ville conçue pour la marche. L'on regrette qu’il faille l’arrivée juteuse de tant de touristes pour que la municipalité en interdise l’accès aux automobiles. Que de merveilleuses et nonchalantes promenades dois-je à ses quartiers et ses rues ! Devant les cartes postales anciennes, j’ai souvent rêvé aux errances qui s’accomplissaient jadis en ces rues vides d’automobiles, errances à deux ou promenades de solitaires dont on trouve encore trace dans ces romans ou récits qui ne s’achètent plus que chez les bouquinistes : Tancrède de Visan (Sous le Signe du Lion), Joseph Jolinon (Dame de Lyon), Gabriel Chevallier (Chemins de solitude)… Les marcheurs qui apprécient la fête en cours ont besoin d'une gouvernance. Aussi seront-ils plus sensibles à la poésie du guide touristique et à la dramaturgie du syndicat d'initiative qu'à celle de ces vieux livres Qu'ils trouvent, après tout, leur compte, dans cette débauche de technologie et de non-sens. Car nous pataugeons réellement dans du non-sens, et si quelqu'un n'est pas d'accord, qu'il parvienne à me prouver le contraire avec des arguments véritables, autres qu'économiques. Mais le technicien qu'on a implanté en nous est toujours satisfait, autant qu'un aveugle, d'être ainsi pris en charge. Le rêveur, le poète, qui logeait là avant l'atroce greffe, c'est une autre affaire.
Photos : Le pont Bonaparte et le côteau de Fourvière, avant (cliché de Domini) et après (cliché de Dutey) le passage de la basilique, collections de la bibliothèque municipale de la Part-Dieu... Sur les deux photos, la primatiale, chapeautée de son vieux toit, heureusement disparu.
06:57 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : fête des lumières, illuminations, philippe muray, 8décembre |
samedi, 05 décembre 2009
La dé-fête des lumières
Pour comprendre en quoi cette dixième fête des lumières lyonnaise est tout sauf réjouissante, il faut relire ce passage lumineux de L'Enseignement de l'Ignorance (Jean Claude Michéa, Climats - 1999) :
C’est ainsi par exemple qu’en septembre 1995, - sous l’égide de la fondation Gorbatchev – cinq cents hommes politiques, leaders économiques et scientifiques de premier plan constituant à leurs propres yeux l’élite du monde, durent se réunit à l’Hôtel Fairmont de San Francisco pour confronter leurs vues sur le destin de la nouvelle civilisation. Etant donné son objet, ce forum était naturellement placé sous le signe de l’efficacité la plus stricte. Des règles rigoureuses forcent tous les participants à oublier la rhétorique. Les conférenciers disposent tout juste de cinq minutes pour introduire un sujet : aucune intervention lors des débats ne doit durer plus de dix minutes.
Ces principes de travail une fois définis, l’assemblée commença par reconnaître – comme une évidence qui ne mérite pas d’être discutée – que dans le siècle à venir, deux-dixièmes de la population active suffiraient à maintenir l’activité de l’économie mondiale. Sur des bases aussi franches, le principal problème politique que le système capitaliste allait devoir affronter au cours des prochaines décennies put donc être formulé dans toute sa rigueur : comment serait-il possible, pour l’élite mondiale de maintenir la gouvernabilité des quatre-vingts pour cent d’humanité surnuméraire, dont l’inutilité a été programmée par la logique libérale ?
La solution qui, au terme du débat, s’imposa comme la plus raisonnable fut celle proposée par Zbigniew Brezinski sous le nom de tittytainment. Par ce mot valise, il s’agissait tout simplement de définir un cocktail de divertissement abrutissant et d’alimentation suffisante permettant de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète .
Il convient ensuite de se souvenir qu'en septembre 1995, Raymond Barre vient d’être élu maire de Lyon. Il appartient, comme on peut le voir sur ce lien ou sur cet autre, à la commission Trilatérale fondé par Zbigniew Brzezinski en 1973 «club encore plus impénétrable que le Siècle, qui regroupait en 1992 environ 350 membres américains, européens et japonais, et qui constitue un des lieux où s’élaborent les idées et les stratégies de l’internationale capitaliste. »
Depuis 1989, Michel Noir avait déjà développé cette politique d’éclairage des ponts et de certains bâtiments, qui avait séduit les Lyonnais.
Le 8 décembre 1999, pour le 10° anniversaire du plan lumières, on testa un éclairage exceptionnel : Illumination de l'hôtel de ville, illumination du théâtre des Célestins. La fête fut étendue au week-end précédent ou suivant. Elle durerait désormais 4 jours et fut baptisée « Fête des Lumières ». Un battage médiatique en bonne et due forme sur les chaînes nationales assura le succès de cette première opération
Ainsi redéfinie, elle s’inscrit dans la stratégie commerciale de la ville de Lyon, au même titre que le foot-business qui assure à l'OL une série de sept championnats. Aujourd’hui cette fête à dix ans. Elle n’a, contrairement à tout le discours traditionnel qui la sous-tend (voir plus bas des récits littéraires de plusieurs écrivains du XXème siècle) plus grand-chose de lyonnais sinon qu’elle se déroule dans les rues de cette veille capitale des Gaules, dont la pierre et le pavé sont pris en otages avec tous ses habitants.
Dans le numéro de Lyon citoyen de décembre 2009 (gratuit mensuel en papier glacé de 40 à 50 pages distribué dans toutes les boites aux lettres), le roué Gérard Collomb, successeur de Raymond Barre et 7 fois champion de France avec le non moins rusé Aulas, inclut sa présentation du programme de l’édition 2009 à un appel pour le moins ridicule à être tous « ensemble pour 2016 » (voir page 7 sur le lien plushaut) . Curieusement, deux manifestations caractéristiques du programme défini en 1995 s’y retrouvent instrumentalisées au profit d'un auto-sacramental dont nous commençons à être las : le divertissement et le foot comme programme de gouvernance…
Dans le même numéro, on découvre un interview de Stéphane Bern venu faire la pub du maire de Lyon, et qui affirme tranquillement que la fête « devient de plus en plus culturel. » On y trouve un programme des « événements » qui du 5 au 8 vont transformer la ville en une gigantesque crèche, à l’intérieur de laquelle la déambulation silencieuse de millions de badauds s’effectue en rangs serrés, d’un show tournant en boucle à un autre show tournant en boucle.
« L’aliénation du spectateur au profit de l’objet contemplé s’exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit. Plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et son propre désir. L’extrémité du spectacle par rapport à l’homme agissant apparaît en ce que ses propres gestes ne sont plus à lui, mais à un autre qui les lui représente. » écrit Guy Debord dans la 29ème remarque de sa Société du Spectacle : Dirait-on pas qu’il est venu se promener à Lyon ces dernières années ?
La promotion gratuite de l’événementiel sera assuré entre autres par de nombreux blogueurs qui se précipiteront dans les rues pour remplir d’images leurs pages et leurs colonnes. Dans tout cela ne percera jamais l’ombre d’une analyse ni l’ombre d’une critique du moins sur le fond et l’histoire de cette manifestation.
La lecture du programme est cependant éclairante, si l’on peut dire.
En pas moins de 23 pages, on détaille les manifestations inspirées par la municipalité avec la collaboration des associations de quartier (bénévoles ou bien plus ou moins subventionnées) enrôlées dans la préparation de la fête, dans tous les quartiers et arrondissements de la ville : Presqu’île, vieux Lyon, colline de Fourvière, Croix-Rousse, parcours au fil du Rhône, Montchat, Duchère, Gerland… Quelle belle et touchante unanimité...
Il faut attendre la 24ème page pour qu’on signale, sous un titre pour le moins ambiguë (Autour de la Fête) les événements religieux (veillée spirituelle et accueil, montée aux flambeaux avec le cardinal Barbarin, et liste des messes à Notre Dame de Fourvière.)
La fête traditionnelle se trouve ainsi excentrée et satellisée « autour » de la fête technologique, laquelle par ailleurs ne cesse de revendiquer sur les dépliants touristiques sa filiation avec elle, qui lui sert de caution. Paradoxe du spectacle, aurait dit Guy Debord. Magnifique illustration de l’entertainment, également, tel qu’il fut définit à l’origine par ses concepteurs. La tradition, tout comme l’innovation technologique, se retrouvent récupérées et instrumentalisées à peu de frais dans une opération qui n’est plus que politico-commerciale, et qui ne manquera pas de servir de communication au staff électoral de la mairie .
Aux Lyonnais qui sentent confusément qu’on leur a dérobé « leur fête », demeure la liberté d’allumer quelques lampions déposés sur le rebord d'une mélancolique fenêtre. Même ceux-là, hélas, n’auront d’autre alternative que d’être récupérés par le spectacle, puisque que comme le dit dans sa langue de coach simpliste et de mage inspiré le mégalo-maire de Lyon (qui s’apprête à vendre l’Hôtel-Dieu par ailleurs) dans son opuscule de propagande municipale : « Le soir du 8 décembre posons des lumignons sur le rebord de nos fenêtres ; tout en perpétuant notre tradition nous montrerons à quel point nous pouvons nous mobiliser et participer. L’avant-veille le 6 à 19 heures, nous avons rendez-vous avec le feu d’artifice reporté le 14 juillet en raison des intempéries ; il aura toute sa place lors de la Fête des Lumières. Ensemble, nous allons revivre cette fête, passion au cœur. La passion, celle qui engendre l’enthousiasme dont dons avons tant besoin… »
( On croirait entendre Zbigniew Brezinski – voir plus haut- troublant, non ?)
A partir de ce soir, tout le périmètre du centre ville sera fermé. Il n'y a bien que les commerçants qui se frottent les mains devant cette grand messe du commerce. La piètre équipe municipale également, qui gère l'image de la ville comme si c'était une entreprise, et qui n'a plus à présenter à la population que ce genre d'événementiel pour redorer son blason. Pour le reste, la plupart des gens que je connais me disent : "vivement le 9 !"
Si vous avez le temps, voici quelques témoignages d'écrivains du vingtième siècle décrivant des impressions d'enfance sur les Illuminations du 8 décembre. Des descriptions plus politiques, également, sur les luttes qui opposèrent les laïcards et les cathos. Tout ceci ne manque pas de sel, et est à suivre au fil de ces différents liens :
- témoignage de Marcel E Grancher
- témoignage de Charles Joannin et suite
- témoignage de Tancrède de Visan et suite.
- témoignage de Pétrus Sambardier
- Contre les Lumières (Solko, 2008)
- Le 8 décembre du temps de l'O.T.L.
19:13 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (22) | Tags : politique, lyon, fête des lumières, noël |
vendredi, 04 décembre 2009
Une rencontre
A Feuilly & Bertrand, prolongement de leurs commentaires...
C’était, dira-t-on, il y a un certain temps. Aussi bien, il semble que ce fut hier. Je donnais alors des cours du soir à des assistants de langue dans une université accueillant des étrangers. Vous savez : des étudiants venus d’un peu partout pour faire la conversation aux lycéens, en parallèle de ce que ces derniers font avec leurs professeurs respectifs. C’était une déjà vieille université, bordant le Rhône. Emplie d’étudiants de tous les continents, venus étudier le droit, le commerce international… Mais là n’est pas le sujet. C’était encore l’hiver. Un soir de mars, dieu de la guerre. Plus précisément un mercredi 19 mars, quelques heures avant que George Bush (vous avez déjà oublié ? Tout passe si vite… C’était avant l’ère Obama…) ne commence à pilonner Bagdad…
Dans l’amphi d’à côté, j’avais repéré un groupe d’étudiants en droit international qui quittaient les lieux vers 20 heures, en même temps que moi, mais souvent s’attardaient pour discuter dans les cours intérieures et par groupes de quatre ou six, sous les galeries. Ce soir-là, alors que je m’apprêtais à quitter les lieux, un groupe s’était formé autour de l’un d’entre eux, lequel paraissait à la fois très énervé et comme hanté par une sorte de sérénité. Je m’approchais. A cette époque, on l’a peut-être oublié, partout, on ne parlait que de ça : Bush et Saddam, Saddam et Bush, l’Irak et les armes de destruction massives…
Je m’approchais du groupe, une quinzaine d’étudiants rassemblés autour de l’individu charismatique qui, parlant un français impeccable, les haranguait.
« Vous les Français, vous êtes stupides », disait-il …
Et à ce mot, je tendais l’oreille, m’approchais.
« Vous êtes bêtes ! Mais bêtes ! Vous croyez à ce que vous lisez dans les journaux. Vous croyez que Saddam Hussein est un dictateur. Mais ce n’est pas vrai. C’est grâce à lui que je suis ici. C’est son gouvernement qui finance mes études. Vous croyez… »
Il faisait froid, la nuit urbaine qui n’est jamais la nuit absolue mais toujours ce jour sale jetait sur les visages aux traits tendus des jeunes gens qui l’écoutaient une lueur blafarde. Je n’exagère rien. Nous étions à quelques heures des premiers bombardements. Et ce garçon qui devait avoir peut-être vingt-trois ou vingt-cinq ans, toujours dans ce français que la plupart des lycéens gavés de technologie ne savent aujourd’hui plus ni lire ni écrire, ce garçon irakien, qui est peut-être aujourd’hui mort, nous disait :
« Je rentre chez moi pour défendre mon pays. Mais avant de partir, je veux vous dire à vous autres Français quelque chose. Je veux vous dire que vous êtes devenus très bêtes. Vous croyez à ce que vous disent les Américains dans les journaux. Ils vous disent qu’en Irak, ils vont pour chercher du pétrole. Et vous les croyez. Ils vous disent que Saddam est un dictateur. Et vous les croyez. Mais Saddam n’est pas un dictateur : Saddam est un irakien, et vous ne comprenez rien au peuple d’Irak. Saddam est un nationaliste irakien. L’irak a besoin de lui pour ne pas sombrer dans le chaos. Vous ne comprenez pas cela. Vous ne comprenez rien. Vous êtes devenus très très bêtes à croire que tout le monde pense comme vous, rêve comme vous, rit comme vous. Très bêtes. Je vais vous dire la vérité. Je vais vous dire, moi, ce que les Américains viennent chercher en Irak. Et ce n’est pas du pétrole, non… »
Et moi je l’écoutais, à quelques mètres du groupe. Il m’avait repéré, mais continuait son discours. Qu’avait-il à perdre, ou à gagner ? Il y avait une sorte de gravité dense dans l’air. Tout le monde attendait la suite, en se disant que quelques semaines, quelques mois plus tard il serait peut-être mort…
Et ce qu’il dit alors… Ce qu’il dit alors se grava en moi comme un cri du cœur, un cri d’angoisse et de révolte, une évidence, en même temps :
« … Ce qu’ils viennent chercher en Irak, c’est les hommes. Les hommes ! Notre culture. ! Nous ! Ils veulent qu’il y ait autant de différence entre moi et mon petit-fils qu’il y en a entre vous et votre grand-père… »
Il y eut un grand moment de silence. Puis il serra les lèvres comme pour contenir son émotion.. Et il dit ceci :
« Si vous rencontrez un américain, vous devrez le manger. Le manger. Et le dégueuler tout cru après. Comme ça »
Et il cracha dans la cour de l’Université. Et ce fut sans doute l'une des dernières choses qu’il fit en France avant de regagner son pays en guerre.
Je n’ai pas trouvé un mot à lui dire. Je pensais à mon grand-père, enterré là-haut à Loyasse. Puis je suis rentré à pieds chez moi.
Et voilà qu’à présent Obama, l’autre face de Bush, envoie ses troupes en Afghanistan. Chaque soldat américain, dit-cet homme redoutable, portera là-bas la paix.
Et tous ceux qui insultaient Bush ne diront rien à Obama.
Parce qu’il est « noir » ?
Parce qu’il est Nobel de la paix?
Parce qu’il est so called démocrate ?
Parce qu'il vient après ?
Ou parce que nous sommes devenus, de renoncements en renoncements, nous aussi américains ?
Et qu’au fond, il y a, c’est vrai, autant de différences entre nous et nos grand-pères qu’il y en aura entre mon inconnu de l’Université, un certain mercredi 19 mars 2003, et son petit-fils, dans une soixantaine d’années, s’il est toujours vivant…
Je ne lui souhaite pas.
12:51 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : obama, politique, guerre d'irak, saddam hussein |
jeudi, 03 décembre 2009
La fosse-langue
Bel exemple de fosse-langue 1.
Le prix Nobel de la Paix a annoncé mardi devant un parterre d'élèves de l'école militaire de West Point, l'envoi rapide de 30 000 soldats supplémentaires en Afghanistan et demandé l'aide de ses alliés.
Saluée par la presse américaine, la décision d'Obama sera-t-elle suivie par les autres membres de l'Otan ? Il est vrai qu’il aurait dit que les soldats en question viennent « porter la paix. »
Bel exemple de fosse-langue 2 :
Daniel Cohn Bendit a déclaré que les plus riches des pays musulmans devraient retirer leur argent des banques suisses, vider les caisses de la Confédération, en riposte au vote sur les minarets.
Les plus riches des pays musulmans seraient donc à ses yeux de parfaits humanistes qui n’auraient, contrairement aux autres riches, pas d’argent sale à blanchir où mettre au frais dans les banques suisses, par pur intérêt personnel ? Des riches sympas, quoi ! Et pourquoi pas des militants écolos ?
Bel exemple de fosse-langue 3 :
Nicolas Sarkozy a déclaré à un syndicaliste qui s’inquiétait de la pérennité des emplois industriels en France : « on n’a laissé tomber personne »
Etc, etc, etc.
Imposture intrinsèque à tout discours politique de quelque bord qu'il soit : faiblesse du militant ou du sympathisant, de songer que de son bord à lui, il n'y aurait ni manip', ni propagande, ni corruption.
Que de la vertu...
07:31 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : obama, sarkozy, cohn-bendit |