Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

vendredi, 04 décembre 2009

Une rencontre

A Feuilly & Bertrand, prolongement de leurs commentaires...



C’était, dira-t-on, il y a un certain temps. Aussi bien, il semble que ce fut hier. Je donnais alors des cours du soir à des assistants de langue dans une université accueillant des étrangers. Vous savez : des étudiants venus d’un peu partout pour faire la conversation aux lycéens, en parallèle de ce que ces derniers font avec leurs professeurs respectifs. C’était une déjà vieille université, bordant le Rhône. Emplie d’étudiants de tous les continents, venus étudier le droit, le commerce international…  Mais là n’est pas le sujet. C’était encore l’hiver. Un soir de mars, dieu de la guerre. Plus précisément un mercredi 19 mars, quelques heures avant que George Bush (vous avez déjà oublié ? Tout passe si vite… C’était avant l’ère Obama…) ne commence à pilonner Bagdad…

Dans l’amphi d’à côté, j’avais repéré un groupe d’étudiants en droit international qui quittaient les lieux vers 20 heures, en même temps que moi, mais souvent s’attardaient pour discuter dans les cours intérieures et par groupes de quatre ou six, sous les galeries. Ce soir-là, alors que je m’apprêtais à quitter les lieux, un groupe  s’était formé autour de l’un d’entre eux, lequel paraissait à la fois très énervé et comme hanté par une sorte de sérénité. Je m’approchais. A cette époque, on l’a peut-être oublié, partout, on ne parlait que de ça : Bush et Saddam, Saddam et Bush, l’Irak et les armes de destruction massives…

Je m’approchais du groupe, une quinzaine d’étudiants rassemblés autour de l’individu charismatique qui, parlant un français impeccable, les haranguait.

« Vous les Français, vous êtes stupides », disait-il …

Et à ce mot, je tendais l’oreille, m’approchais.

« Vous êtes bêtes ! Mais bêtes ! Vous croyez à ce que vous lisez dans les journaux. Vous croyez que Saddam Hussein est un dictateur. Mais ce n’est pas vrai.  C’est grâce à lui que je suis ici. C’est son gouvernement qui finance mes études. Vous croyez… »

Il faisait froid, la nuit urbaine qui n’est jamais la nuit absolue mais toujours ce jour sale jetait sur les visages aux traits tendus des jeunes gens qui l’écoutaient une lueur blafarde. Je n’exagère rien. Nous étions à quelques heures des premiers bombardements. Et ce garçon qui devait avoir peut-être vingt-trois ou vingt-cinq ans, toujours dans ce français que la plupart des lycéens gavés de technologie ne savent aujourd’hui plus ni lire ni écrire, ce garçon irakien, qui est peut-être aujourd’hui mort, nous disait :

« Je rentre chez moi pour défendre mon pays. Mais avant de partir, je veux vous dire à vous autres Français quelque chose. Je veux vous dire que vous êtes devenus très bêtes. Vous croyez à ce que vous disent les Américains dans les journaux. Ils vous disent qu’en Irak, ils vont pour chercher du pétrole. Et vous les croyez. Ils vous disent que Saddam est un dictateur. Et vous les croyez. Mais Saddam n’est pas un dictateur : Saddam est un irakien, et vous ne comprenez rien au peuple d’Irak.  Saddam est un nationaliste irakien. L’irak a besoin de lui pour ne pas sombrer dans le chaos. Vous ne comprenez pas cela. Vous ne comprenez rien. Vous êtes devenus très très bêtes à croire que tout le monde pense comme vous, rêve comme vous, rit comme vous. Très bêtes. Je vais vous dire la vérité. Je vais vous dire, moi, ce que les Américains viennent chercher en Irak. Et ce n’est pas du pétrole, non… »

Et moi je l’écoutais, à quelques mètres du groupe. Il m’avait repéré, mais continuait son discours. Qu’avait-il à perdre, ou à gagner ? Il y avait une sorte de gravité dense dans l’air. Tout le monde attendait la suite, en se disant que quelques semaines, quelques mois plus tard il serait peut-être mort…

Et ce qu’il dit alors… Ce qu’il dit alors se grava en moi comme un cri du cœur, un cri d’angoisse et de révolte, une évidence, en même temps :

« … Ce qu’ils viennent chercher en Irak, c’est les hommes. Les hommes ! Notre culture. ! Nous  ! Ils veulent qu’il y ait autant de différence entre moi et mon petit-fils qu’il y en a entre vous et votre grand-père… »



Il y eut un grand moment de silence. Puis il serra les lèvres comme pour contenir son émotion.. Et il dit ceci :

« Si vous rencontrez un américain, vous devrez le manger. Le manger. Et le dégueuler tout cru après. Comme ça »

Et il cracha dans la cour de l’Université. Et ce fut sans doute l'une des dernières choses qu’il fit en France avant de regagner son pays en guerre.

 

Je n’ai pas trouvé un mot à lui dire. Je pensais à mon grand-père, enterré là-haut à Loyasse.  Puis je suis rentré à pieds chez moi.

 

Et voilà qu’à présent Obama, l’autre face de Bush,  envoie ses troupes en Afghanistan. Chaque soldat américain, dit-cet homme redoutable, portera là-bas la paix.

Et tous ceux qui  insultaient Bush ne diront rien à Obama.

Parce qu’il est « noir » ?

Parce qu’il est Nobel de la paix?

Parce qu’il est so called démocrate ?

Parce qu'il vient après ?

Ou parce que nous sommes devenus, de renoncements en renoncements, nous aussi américains ?

Et qu’au fond, il y a, c’est vrai, autant de différences entre nous et nos grand-pères qu’il y en aura entre mon inconnu de l’Université, un certain mercredi 19 mars 2003, et son petit-fils, dans une soixantaine d’années, s’il est toujours vivant…



Je ne lui souhaite pas.

12:51 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : obama, politique, guerre d'irak, saddam hussein | | |