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vendredi, 12 mars 2010

Bruits de chiottes

2010940337_small_1.jpgDans un café. Tous trois sont trentenaires. Deux filles, un garçon : bien propres sur eux, tous trois. Deux jus de fruits et une bière en bouteille. On parle à voix presque basse. Dehors, le soir tombe :

-    - Elle serait, dit l’une, avec un chanteur, et lui avec une secrétaire d'Etat.

-    - Tu l’as entendu dire aussi ?

-    - Il y a eu des coups de fil à Europe Un. D'autres au J.D.D. Ils cherchent à étouffer le truc.

-    - Et depuis longtemps ?

-    - Cela fait six mois qu’ils ne sont plus ensemble.

-    - Une secrétaire d'Etat ? dit le gars

-    - Et un chanteur, confirme l’une des filles

-    - Ça c’est un scoop ! répète le gars

-    - Une conversation de nanas… rigolent les deux autres.

-    - En tout cas Europe un a bien reçu des menaces… Et The Sun en a causé...

Dans un coin, l'écran plat, dont le patron a coupé le son. Y défilent les mêmes images en boucle. Sur la bande déroulante de news, celle-ci ne s’y trouve pas. C’est rien qu’une rumeur de bistrot. Un bruit de chiottes, comme on dit.

19:11 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : communication, politique, actualité, société, europe un | | |

jeudi, 11 mars 2010

Le parti des abstentionnistes

C’est ce que les partis ont trouvé de plus filou pour enrôler les abstentionnistes dans leur univers frelaté : cette expression ridicule, fausse et tordue : le parti des abstentionnistes. Je ne sais quel communicant véreux en profondeur a créé l’expression : un de gauche, un de droite ? un petit copain du centre ? Je ne me souviens pas, non plus, depuis quand on la répand à profusion dans les medias pour forcer la main de l’électeur. Voter étant, de ce point de vue, la seule attitude normale, civique, responsable, celui qui ne l’adopte pas n’est donc récupérable qu’au prix de cette contorsion sémantique absurde : lui aussi serait membre d’un parti, lui aussi aurait une opinion enrolable, il serait membre du parti des abstentionnistes. Les fumiers !

fumee.jpgCela s'inscrit dans le paradigme d’une idéologie puante (comme beaucoup d’autres, venue des USA), le comportementalisme. De la même façon que vous seriez fumeur ou non fumeur, vous vous retrouvez ainsi votant ou non-votant ; ces gens-là, souvent adeptes de l’hygiénisme physique et moral au moins autant que de l’hygiénisme politique, vous expliqueront toujours que vous êtes réductible à ce que vous faites, comme le petit bourgeois est réductible à ce qu’il possède, l'animal à ce qu'il chasse. Pour ma part, j’ai tour à tour fumé et non fumé au moins autant que j’ai voté et non voté, bu et non bu, sans me définir pour autant comme un fumeur ou un non fumeur, un votant ou un abstentionniste, un gars sobre ou un alcoolique.

Abstenir : du latin abtinere, tenir éloigné. S’abstenir : se tenir éloigné…

Une attitude unanimement réprouvée, tant le vote est devenu, jusque dans les aspects les plus futiles de la société du spectacle, à la fois un jeu et une mise en scène de soi ; il n’est qu’à compter le nombre de fois où l’on sollicite, ici et là, de jeux stupides en sondages inutiles, votre implication, participation, point de vue, solidarité – appelons ça comme on veut – à l’édifice prétendument commun…

Je n’irai pas voter dimanche parce qu’au final les deux partis qui se retrouvent au second tour mènent sur le fond la même politique depuis des décennies. Ces deux partis n'ont-ils pas tous deux été créés, d'ailleurs, pour être, à toutes les strates de la participation citoyenne, de gigantesques et efficaces usines électorales ?  Et qu’au premier tour les listes prétendument dissidentes, d’un bord comme de l’autre, ne font, in fine, que servir la soupe aux deux autres. Servir le nombre. On se compte.

Je n’irai pas voter parce que je n’ai aucun intérêt à voir au pouvoir untel plutôt qu’untel.

Aucun intérêt particulier non plus à faire partie du nombre. Je n’irai pas voter parce que je ne suis membre d’aucun parti, et surtout pas de celui des abstentionnistes.

Ne pas donner sa voix, pour sauver sa parole.

mercredi, 10 mars 2010

Pour saluer Paul Virilio

« La nature de l’échange change, aussi bien dans sa dimension interpersonnelle que dans celles des moyens de diffusion de masse. L’informatique (au sens de stockage instantané des divers types d’informations) a fondamentalement modifié la signification de l’information. Aucune, désormais, ne peut être neutre ou sans valeur dans une époque systémique où le fragment prend son sens de l’ensemble. Puisque la nouvelle la plus banale est indispensable à la perfection structurale du système, il faudra désormais exploiter la banalité comme on exploitait l’originalité, l’exceptionnel, le bizarre… Nous serons donc inévitablement épiés, testés, écoutés, soupesés, reniflés, sondés… et ce sera moins notre personnalité qui intéressera l’interlocuteur que le détail sans importance que nous lui apporterons, fragment qui en prenant place dans l’ensemble systémique, le complètera comme un puzzle, un puzzle jamais terminé d’ailleurs. Un peu comme ce collectionneur qui possède toutes les pièces d’une collection à l’exception d’une seule, et ressent ce manque comme une imperfection, l’Etat recherchera auprès de nous avec une fébrilité toujours plus grande la pièce manquante que nous pourrions lui refuser, sans même le savoir le plus souvent. Voilà la dernière conversation, la vérité n’est plus qu’un piège. Comme l’excès modifie le sens des actions, celui de l’Etat moderne pervertit la vérité des rapports sociaux. L’excès est désormais dans les gestes les plus ordinaires, dans la quotidienneté le plus simple, il nous faut maintenant nous méfier de ce qui n’était rien. En période d’outrance, d’excès généralisé et totalisé, il n’y a plus de vices ou de vertus, tout est foncièrement vicié, la disparition même de la guerre comme de la paix au profit de la crise est bien significative, ici, d’un bouleversement dans le statut social. »

Paul Virilio. La délation de masse, U.G.E. 10/18 cause commune, n° 1, 1975, p 38-40

 

 

Ces lignes furent écrites en 1975... Il y a quelque chose de la lucidité de cet homme avec quoi je me sens en réelle empathie.  Autre chose devant lequel j'éprouve une certaine réserve. Comme si cet optimisme qu'il évoque à la fin de cette video ne me paraissait  que rhétorique. Mais qu'importe.  Pour saluer Paul Virilio, 9 minutes et quelques d’intelligence avec lui, évoquant « l’université du désastre » :

 


Interview de Paul Virilio
envoyé par obole_le_nain_malin. Enregistrement de janvier 2009

20:06 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : paul virilio, l'université du désastre, société, philosophie | | |

lundi, 08 mars 2010

Une femme qui écrit

« Les femmes, je le sais, ne doivent pas écrire;

J'écris pourtant,

Afin que dans mon cœur au loin tu puisses lire

Comme en partant.

 

Je ne tracerai rien qui ne soit dans toi-même

Beaucoup plus beau:

Mais le mot cent fois dit, venant de ce qu'on aime,

Semble nouveau. »

 

On la baptisa sournoisement la « prolétaire des Lettres ». Il se peut que ce fût aussi une forme d’hommage. Avec les gens qui n’ont jamais côtoyé la pauvreté qu'en paroles, sait-on jamais? Sous sa plume, cette phrase terrible, aux accents d’un Léon Bloy féminin : «ce mot de fer : argent ». Marceline Desbordes naquit le 20 juin 1786 à Douai, d’un père ourdisseur et peintre d’armoiries, que la Révolution avait ruiné. A douze ans, elle partit avec sa mère Marie Catherine en Guadeloupe, dans l’espoir d’y rejoindre un « riche cousin » : mais ce dernier était mort entre-temps, et Marie Catherine périt bientôt de la fièvre jaune. Restée seule, Marceline apprit le métier de comédienne (spécialisée dans les rôles d’ingénue) puis de cantatrice, métiers qui lui permirent de se produire de Bruxelles à Paris pendant quelques années. Le romantisme affleure durant ces premières années du siècle, et l'existence de Marceline va se dérouler dans une succession d’aventures, de déboires, de déconvenues, tant professionnelles que sentimentales, d’errances et de deuils.

L'histoire retient que le fils qu’elle eut de son amant, Henri de Latouche, est mort à l’âge de 5 ans en 1816, et  que des quatre enfants qu’elle eut avec son mari, Prosper Lanchantin (dit Valmore), l'aîné seul (Hippolyte) survécut (Il mourut en 1892). C’est avec ce Valmore qu’elle s’installe une première fois à Lyon, du printemps 1821 au printemps 1823, au 10 de la place des Terreaux. Embauchée par le Grand Théâtre (l’actuel opéra), elle interprète l’Agnès puis la sage Eliante de Molière. On l’applaudit également dans des mélodrames d’époque, dont des pièces de Scribe. En 1827, le couple est de retour à Lyon et s’installe au n°1 place Sant-Clair, puis au quatrième étage du 12 rue de la Monnaie, d’où elle assiste en novembre 1831 au soulèvement des canuts. Une véritable passion l’a liée à cette ville, où soufflaient alors les plus violentes colères populaires du pays, et que traversait une authentique tentative intellectuelle pour conduire à son terme la décentralisation littéraire et artistique. Elle put y tisser un vrai réseau d’amitiés : Léon Boitel (1806-1855), le peintre Antoine Berjon (1754-1843), le poète Etienne-François Coignet (1798-1866), l’historien François Collombet (1808-1853). Du n°1 de la rue de Clermont (à présent rue Edouard Herriot), elle contemple durant quatre jours, enfermée et horrifiée chez elle, la seconde révolte de 1834 et les répressions sanglantes qui en découlent. 

Lyon devient alors pour elle  la ville de toutes les douleurs : « J’ai trop souffert de Lyon et à Lyon pour ne pas y être attachée », écrira-t-elle à Léon Boitel, en 1838 : un contexte social plus que rude, une vie de comédienne harassante, mais un climat d’exaltation intellectuelle et artistique des plus fervents. On doit à la ténacité de Jean Butin et de la République des Canuts que le nom de Marceline Desbordes -Valmore, que n’honorait aucune rue, ait été donné à la récente médiathèque de Vaise dans le neuvième arrondissement, et qu’une plaque lui soit dédiée au jardin d’Ivry à la Croix-Rousse.

desbordes_valmore_nadar.jpg

Marceline a vécu dans la misère, le romantisme et la foi : « Les pauvres se secourent les uns les autres » répétait-elle souvent. De sa poésie, Baudelaire a écrit : « Personne n’a pu imiter ce charme, parce qu’il est tout original et naïf ». Et un peu plus loin, dans le même article de ses Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains : « Mme Desbordes-Valmore fut femme, fut toujours femme et ne fut absolument que femme ; mais elle fut à un degré extraordinaire l’expression poétique de toutes les beautés naturelles de la femme » Dans l’esprit de Baudelaire il faut sans aucun doute entendre, parmi ces beautés naturelles, un certain nombre de clichés, que le féminisme du siècle suivant aura beau jeu de pointer du doigt : et notamment ce que Baudelaire appelait la « capacité à souffrir », qui fut d’ailleurs durant tout ce siècle aussi chrétienne que féminine. Capacité qui transparait tellement sur ce visage d’un autre temps, et comme d’un autre univers, lequel, parce qu’il me rappelle celui de certaines aïeules sur de vieilles photos de famille, où je ne les vis jamais qu’un missel en main, me surprend, me glace, me bouleverse tellement : les mitaines en soie noire, ces larges robes longues et noires dont les canuts tissaient, pour quelques sous la journée, le tissu dans leurs hauts immeubles légendaires, cette écharpe nouée dans un geste austère et coquet. Et bien sûr, cette expression, qui fut celle de tant d’humains de ces générations-là, gens oubliés du dix-neuvième siècle, tous les captifs, tous les vaincus qui n'eurent pas même la possibilité d'écrire la moindre ligne, de jouer le moindre rôle, et de graver leurs traits dans le camaïeu du moindre daguerréotype.

Marceline s’éteignit le 23 juillet 1859. Cette année-là, le fier Haussmann créait les 20 arrondissements de Paris, et les grands travaux qui concerneraient également toutes les villes de France continuaient à balayer sans ménagement l’ancien monde et ses occupants. Ce regard de Marceline est bien tout autant celui du vieux Paris ou celui du vieux Lyon, jeté de ces vieux faubourgs où, écrivit Baudelaire dans ce magnifique poème dédié à Hugo qui a pour titre Le Cygne, «tout pour moi devient allégorie», et qui s’achève par une évocation « aux captifs, aux vaincus » placée sous la garde l’Andromaque, mais qui tout autant aurait pu l’être sous celle de Marceline...

dimanche, 07 mars 2010

Il faut voter

Je reviens tout juste du marché où, entre autre routine, j’ai vu les militants se mêler au piétinement marchand des chalands pour tenter de leur fourguer leurs prospectus électoraux. Pas l’air très convaincus, les militants, de l’un ou l’autre front! Je ne leur jetterai pas la pierre : comment être convaincu par quiconque dans un tel manège ? Je me suis arrêté devant la petite école où je suis censé aller voter dimanche prochain. Ai zeuté vite fait toutes les affiches, les unes après les autres. Du regard faussement candide de Begag (Modem) à celui dur et fermé de Gollnish, (FN) de l’air parvenu de Grossetête (UMP) à celui, (grand)paternaliste de Meirieu (Ecologie) ou rigide de Queyranne (PS). Sans compter la pléiade d’anonymes sur diverses listes… Vous me direz que dans la société du spectacle, on ne vote pas pour des hommes, hein, mais pour des idées... C'est ça, c'est ça... Je me suis dit qu’en politique, je n'avais jamais vu déloger des fripouilles que par d’autres fripouilles qui prenaient leur place. Un beau lieu commun, certes. Mais qui vaut bien cet autre-ci, « Il faut voter »…  J'entendais, hier, l'inénnarrable Besancenot expliquer (après avoir dit qu'il était fier d'être facteur)  que l'ennemi de son parti anticapitaliste, c'était le parti des abstentionnistes... Je republie, du coup ce billet, daté du 9 mars 2008.

AffichesMetroPetit.JPGCelui-ci a la vie dure et la peau solide. Il faut voter ! Je connais gens de toutes sortes et de toutes générations, capables de vous l'asséner en toute occasion. Si vous ne filez pas droit, vous êtes un mauvais citoyen !  Mauvais ! Vous ne songez pas à tous ces nobles esprits, à tous ces braves gens, à tous ces sacrifiés et ces martyres qui sont morts pour la démocratie ! Eh, dites ! Si vous n'aviez pas eu la chance extraordinaire d'être leur con-citoyen, si vous étiez né dans l'un de ces pays de sauvages ou de malheureux qui ne connait pas l'élection, ah ! ... Vous vous rendriez compte de votre égoïsme, de votre insouciance... Non! non ! Il faut voter, il faut y aller. Même blanc ! Mais il faut se déplacer.

Ce catéchisme républicain ignore pour commencer que le droit de vote n'est pas un devoir.   Remarquons bien que la confusion entre droit et devoir, (comme celle entre individu et citoyen, client et consommateur, choix et option...) est monnaie courante autour de nous. Cela ne signifie pas que j'aie le devoir impératif de voter : d'ailleurs il m'est arrivé de voter au moins aussi souvent qu'il m'est  arrivé de ne pas voter, à des élections de toutes sortes. Et je dois dire que j'ai plus souvent regretté d'avoir voté que regretté de ne pas avoir voté. Toute une génération (celle d'Elections / pièges à cons) semble avoir à ce point viré sa cuti qu'elle culpabilise les plus jeunes aujourd'hui. Dans un de ses poèmes, Gaston Couté décrit ces chars à bans de moribonds qu'on traîne à la maison commune pour déposer dans l'urne au jour dit le bulletin sacré. Aujourd'hui, ce ne sont plus avec des bulletins de morts ou de moribonds qu'on bourre les urnes (encore que…), mais avec des bulletins de téléspectateurs. Est-ce un progrès ? Car on ne déloge des fripouilles du pouvoir que pour en mettre d’autres à leur place...

 

09:23 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : politique, élections régionales, ps, ump, modem, europe ecologie, front de gauche | | |

samedi, 06 mars 2010

Loin de Kant

La sauvagerie est l'indépendance à l'égard de toutes les lois. La discipline soumet l'homme aux lois de l'humanité, et commence à lui faire sentir la contrainte des lois. Mais cela doit avoir lieu de bonne heure. (...) Nous devons donc nous accoutumer de bonne heure à nous soumettre aux préceptes de la raison. Quand on a laissé l'homme faire toutes ses volontés pendant sa jeunesse et qu'on ne lui a jamais résisté en rien, il conserve une certaine sauvagerie pendant toute la durée de sa vie. Il ne lui sert de rien d'être ménagé pendant sa jeunesse par une tendresse maternelle exagérée, car plus tard il n'en rencontrera que plus d'obstacles de toutes parts, et il recevra partout des échecs lorsqu'il s'engagera dans les affaires du monde.

Kant - Traité de Pédagogie

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Kant - vers 1790 - Le peintre est anonyme.

00:02 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : kant, traité de pédagogie, éducation, école | | |

vendredi, 05 mars 2010

Il ouvrit la porte et sortit (3)

Il sera de toute manière de plus en plus difficile de l’ouvrir, cette porte, et de foutre vraiment le camp. Me souviens comme hier de ces files d’hitchhikers à la sortie de toutes les capitales  d’Europe, et pourtant, quelle irréalité, ce souvenir, devant ce qu’aujourd’hui a fait de nous : radars, caméras de surveillance, ceintures et portiques de sécurité… Quelle irréalité que ces amas (comment dire autrement), le routard et son sac !  Et cette porte vers l’Orient, route de l’Inde d’avant mister Khomeiny. Il me semble parler du lointain temps de Nerval et ce n’était que celui du shah d’Iran. Je me souviens avoir rencontré dans un parc à Venise l’un de ces personnages qui, eux, la faisaient vraiment la route – quand nous nous n’étions que des lycéens en vadrouille, mais aussi ô combien rêveurs (on disait : un routard, et leur putain de guide n’existait pas encore) - qui évoquait les bistrots d’Istanbul, puis ceux de Kaboul, où se trouveraient facilement des camions pour les très longs trajets. Des camions dont la porte était encore la voie la plus sûre pour traverser sans encombre la Yougoslavie ou la Bulgarie. Me demande s’il est encore en vie, cet homme-là. Curieux de penser cela : et s’il est encore en vie, il doit être septuagénaire… J'en sais d'autres qui ne sont pas revenus.

on-the-road-during-the.jpgEn ces temps-là, (oui, pour quelques ans encore à peine), la porte était entrouverte. Des séquelles de mythologies s’évadaient par en-dessous, quelques relents de Kerouac, par les mailles desserrées d’un filet distendu, et nous étions quelques milliers à humer cela, cet air qu’on souhaitait alors justement sans devenir, si grisant, si vif, que ce fût devant la silhouette pâtissière de Sainte-Sophie ou celle de la petite sirène de Copenhague, la vitre d’un bar blême de Saint Pauli ou les ruelles du port de Samos : Tous ne se souvenaient sans doute pas qu’avant Kerouac, il y avait eu Nerval, mais qu’importe ! Que même, nous avait prévenus un bon vieux professeur de Lettres à la mode d’antan, qu’avant Nerval, Montaigne…  Sur la route, tous n’étaient pas grisés par les mêmes parfums, mais on the road, tous allaient. Et la simple évocation du GPS –sordide boussole de l’infirme voyageur, du castré  à jamais – nous aurait horrifiés, comme celle des menottes du prévenu ou cette autre du boulet du forçat.

Ouvrir la porte… Sortir…

 

 

06:31 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : voyages, littérature, routes | | |

jeudi, 04 mars 2010

Il ouvrit sa porte et sortit (2)

Il y a, c'est vrai, des lieux, des lieux où ne souffle pas l'esprit, ou bien s'il souffle, c'est de façon univoque, pour finalement dire peu. Comme s'y trouvent peu de portes, et qu'elles sont bien gardées, l'air peu à peu s'y est climatisé au sens le plus  terne du terme, le style raréfié. Les vendeurs en uniforme sympas ont fini par se fondre avec la signalétique : on y vit sous un seul climat, toujours le même, que gardent gorilles en uniformes patibulaires et portiques électroniques couineurs. Grande surface, grande distribution. Tout y devient, le long d'escalators moroses et silencieux, TOUT, y compris le client (pardon, on dit consommateur à présent) un objet culturel, in fine, indéterminé.

Et puis il y a d'autres lieux qui vont à rebours, 5000 portes, c'est autre chose, d'autres questions, d'autres parfums, d'autres désirs, et c'est ICI.

783054244.jpg
Merci, Thomas, pour la porte.

06:42 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : midi à sa porte, littérature, librairie, photographie | | |

mercredi, 03 mars 2010

Il ouvrit la porte et sortit

Il ouvrit la porte et sortit : Cela n’a l’air de rien, mais écrire une telle phrase, ce n’est pas donné à tout le monde. Cela veut dire qu’à un moment donné, vous voulez communiquer une information dont votre lecteur a besoin pour comprendre la suite de l'histoire. Tout roman est truffé d’instant comme ça, où on est obligé d’écrire des trucs sans intérêt, sans autre intérêt que de dire. Stylistiquement, franchement, quel intérêt, une phrase comme ça ?  C’est comme Passe moi le sel. Descriptions, sommaires, dialogues... Les « bons romans » (qu’on les appelle) en sont pourtant remplis, de phrases de ce genre. Vous avez sans doute déjà fait l’expérience de saisir à la hâte, dans le métro, par-dessus l’épaule d’un de vos voisins en train de bouquiner, un passage ou un autre ? (Me direz que c’est souvent un roman de métro, hein, qu’il lit…) Et vous tombez sur ça :

objet02916img2.jpg« Elle enfila son gant en disant : » Ou bien. « Comme ils n’avaient jamais vu la mer auparavant, ils se faisaient un plaisir d’arriver ». Bon. Des trucs sans intérêt, à moins d’être plongé, vous dira-t-ton, dans le fil de la narration, comme on dit, hein… L’histoire, le suspense, la psychologie…  L'intrigue. C'est tout ça qui compte...

Mon problème c’est que franchement écrire des trucs comme : « François la vit s'avancer et fut prit d’un fou-rire », j’ai du mal. Parce que ça ne m’intéresse pas, sans doute, notre monde comme il va. Je lis ça par-dessus l’épaule de ma voisine et me demande ce qu’on en a foutre de ce type de héros romanesques, qui vivent dans un monde pareil au nôtre, ouvrent des portes, vont à la mer, enfilent des pantalons, s'aiment et ne s'aiment plus, bref, nous ressemblent tragiquement. Alors qu’un roman a besoin de se passer dans un autre monde. Un monde composé, d’un autre langage et d’une autre nature. D'une autre portée. D'une autre voix. Et d'un autre souffle. Même s'il y a la mer. Et des portes. Un roman a besoin d'un autre dire. Et dans cet autre dire, cet autre phrasé, ce qui est le plus dur à formuler, c'est justement ça : voir la mer ou ouvrir une porte...  Sans doute sommes-nous encore quelques-uns à croire cela.

En attendant, à feuilleter les trucs qui trainent à la Fnac, qu’est-ce qu’on ouvre comme porte, et qu’est-ce qu’on sort….

Et qu’est-ce que c’est intéressant !

 

 

20:16 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (37) | Tags : littérature, écriture, romans | | |