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vendredi, 05 mars 2010

Il ouvrit la porte et sortit (3)

Il sera de toute manière de plus en plus difficile de l’ouvrir, cette porte, et de foutre vraiment le camp. Me souviens comme hier de ces files d’hitchhikers à la sortie de toutes les capitales  d’Europe, et pourtant, quelle irréalité, ce souvenir, devant ce qu’aujourd’hui a fait de nous : radars, caméras de surveillance, ceintures et portiques de sécurité… Quelle irréalité que ces amas (comment dire autrement), le routard et son sac !  Et cette porte vers l’Orient, route de l’Inde d’avant mister Khomeiny. Il me semble parler du lointain temps de Nerval et ce n’était que celui du shah d’Iran. Je me souviens avoir rencontré dans un parc à Venise l’un de ces personnages qui, eux, la faisaient vraiment la route – quand nous nous n’étions que des lycéens en vadrouille, mais aussi ô combien rêveurs (on disait : un routard, et leur putain de guide n’existait pas encore) - qui évoquait les bistrots d’Istanbul, puis ceux de Kaboul, où se trouveraient facilement des camions pour les très longs trajets. Des camions dont la porte était encore la voie la plus sûre pour traverser sans encombre la Yougoslavie ou la Bulgarie. Me demande s’il est encore en vie, cet homme-là. Curieux de penser cela : et s’il est encore en vie, il doit être septuagénaire… J'en sais d'autres qui ne sont pas revenus.

on-the-road-during-the.jpgEn ces temps-là, (oui, pour quelques ans encore à peine), la porte était entrouverte. Des séquelles de mythologies s’évadaient par en-dessous, quelques relents de Kerouac, par les mailles desserrées d’un filet distendu, et nous étions quelques milliers à humer cela, cet air qu’on souhaitait alors justement sans devenir, si grisant, si vif, que ce fût devant la silhouette pâtissière de Sainte-Sophie ou celle de la petite sirène de Copenhague, la vitre d’un bar blême de Saint Pauli ou les ruelles du port de Samos : Tous ne se souvenaient sans doute pas qu’avant Kerouac, il y avait eu Nerval, mais qu’importe ! Que même, nous avait prévenus un bon vieux professeur de Lettres à la mode d’antan, qu’avant Nerval, Montaigne…  Sur la route, tous n’étaient pas grisés par les mêmes parfums, mais on the road, tous allaient. Et la simple évocation du GPS –sordide boussole de l’infirme voyageur, du castré  à jamais – nous aurait horrifiés, comme celle des menottes du prévenu ou cette autre du boulet du forçat.

Ouvrir la porte… Sortir…

 

 

06:31 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : voyages, littérature, routes | | |

Commentaires

Le GPS, serait-ce pour les gens qui ne veulent pas se perdre, parce qu'ils n'ont pas envie de se trouver...

Écrit par : nauher | vendredi, 05 mars 2010

"L'œil suit les chemins qui lui ont été ménagés dans l'œuvre" (phrase de Klee citée en exergue de "La vie mode d'emploi").

Dans l'abord de nos villes, où qu'elles soient, où voulez-vous poser les yeux ? Où est le sens ? Comment inventer son chemin ?

Je plaide pour le GPS qui atténue les souffrances de la pauvre désorientée que je suis. L'ai d'ailleurs pas beaucoup utilisé...

Écrit par : Michèle | vendredi, 05 mars 2010

@ Nauher : Oui. Ce que le touriste ne peut plus vivre en voyageant, c'est ce que nous avons vécu alors, le sentiment d'engager une quête, même si elle était illusoire (et mimétique car j'avais la tête vraiment emplie de ces récits de voyage du XIXème, Nerval au premier chef). Je n'avais alors, il faut le dire aussi, jamais voyagé "en images" auparavant, comme n'importe quel gamin de huit ans l'a déjà fait de nos jours devant un nombre incalculable d'écrans.
Le monde est à présent bouclé, comme l'un de vos billets l'a fort bien dit récemment. Et nous avec.

Écrit par : solko | vendredi, 05 mars 2010

@ Michèle :
Comment inventer son chemin ?

"Je regarde au-delà des murs de ma prison
Et je vois l'aventure à mon amour fidèle
Qui m'ouvre grand les bras et toujours me rappelle
Alors, comment ne pas poursuivre l'horizon ?"

Un quatrain de ces vers de mirlitons que j'écrivais alors, et qui m'aidaient sans doute à "tenir le coup" sur terre.

Écrit par : solko | vendredi, 05 mars 2010

Oui il est des voyages et des horizons impossible à lire sur une carte géographique ou encore un guide plus ou moins formaté...Votre poème le dit aussi je crois. Un peu comme si aujourd'hui plus qu'hier le cheminement était inversé à tout point de vue: la saturation des voyages organisés et de l'exostisme omniprésent entre autres font que les routes de l'imaginaire, gage de voyage intérieur, sont alors bien plus satisfaisantes et fécondes.
Le GPS réduit définitivement notre horizon, c'est loin d'être une boussole: difficile de se situer réellement avec cet outil qui limite pratiquement l'espace à un point et l'aplatit en quelque sorte..Certes c'est pratique mais il ne remplace pas un plan ou une carte et l'effort de le lire.

Écrit par : Marie-Hélène | dimanche, 07 mars 2010

@ Marie-Hélène: Vous avez dit le mot juste, oui, effort. Quand ils auront supprimé tout effort, ils auront supprimé toute liberté.

Écrit par : solko | dimanche, 07 mars 2010

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