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lundi, 01 décembre 2008

Les Illuminations (1)

Nous pénétrons à petits pas dans ce mois de décembre, tout empli d'ambiguïtés, lequel voit à Lyon sa première quinzaine occupée à fêter Les lumières. C'est sous le mandat de Raymond Barre, c'est à dire assez récemment, que la vieille fête des Illuminations s'est mutée en fête des Lumières. Occasion, grâce au témoignage de plusieurs auteurs et romanciers, de (re) découvrir plusieurs témoignages de ce que cette fête fut, de 1852 (date de sa création) jusqu'à nos jours. Premier souvenir littéraire de la fête des Illuminations à Lyon, celui de l'écrivain Marcel E Grancher (1888-1976), romancier, journaliste et éditeur, qui repose à présent à Loyasse. Le célèbre San Antonio (Frédéric Dard) fut, il y a longtemps, son secrétaire et fit ses classes ainsi que ses débuts à ses côtés :  

 

- Cead793f2a4aa7f1da25ec85b8551d449f.jpg soir nous sortons, dit mon père. Nous allons voir les Illuminations.

 - Les Illuminations ?

- Oui, expliqua ma mère. En l'honneur de la Vierge, toutes les fenêtres seront, ce soir, garnies de petits verres de couleurs dans lesquels brûleront des bougies.

 Je battis des mains.

-Pas toutes les fenêtres, grogna mon père. Certaines fenêtres...

- Comment fis-je, soudain inquiet ? Pas toutes ? Et les nôtres ?

 - Pas les nôtres, dit ma mère.

- Pourquoi ? 

- Parce que ton papa est un mécréant. 

- Parce que ton papa aime la logique, rectifia mon père. Peut-il importer à la Vierge que' le commerce de la chandelle soit particulièrement florissant ?

Nous n'en partîmes pas moins. Peu d'illuminations dans les rues populaires, mais, en revanche, une véritable débauche sur les voies les plus aristocratiques : cours Morand, avenue de Noailles, place Morand.  « Ce n'est encore rien, apprécia mon père. Vous verrez les quartiers riches, Bellecour et Perrache. Et c'est très bien ainsi. Je comprends assez que l'on remercie Dieu quand il vous a donné quelque chose. Mais, quand on n'a pas un sou... »  Le spectacle était ailleurs, admirable, de toutes ces façades sévères, éclairées de bas en haut par les lumières multicolores, que faisait danser le vent. Extasié, je m'en emplissais les yeux. Les magasins n'avaient pas voulu être en reste, et la plupart d'entre eux exhibaient des étalages amoureusement fignolés. Place des Jacobins, à l'angle de la rue de l'Ancienne-Préfecture, un marchand de beurres et œufs battait tous les records : dans une énorme molette dorée, il avait sculpté une réplique exacte de la basilique. Rien n'y manquait, même pas la ridicule tour métallique qui déshonore ce très beau paysage. On ne s'en battait pas moins pour approcher. Ayant piétiné maintes chaussures, je pus parvenir tout contre la vitrine. Je faillis y être aplati et mon père dut jouer de ses bras de géant pour m'arracher de là, d'autant qu'afin de partir, je me débattais de toute ma jeune énergie.

Pour me consoler, on me conduisit sur la quai de la Saône, d'où l'on voyait flamboyer, en haut des jardins de l'Antiquaille, les traditionnelles inscriptions : Lyon à Marie  et Dieu protège la France. Cela ne m'amusa pas. Je préférais le marchand de beurre. Pourtant, le clocher de l'ancienne chapelle était bordé d'une dentelle de feu. Pourtant des flammes de bengale embrasaient par instant la Vierge de Fabisch. Pourtant, au flanc de la colline, le Grand Séminaire, le pensionnat des Lazaristes et, plus bas, l'Archevêché et la cathédrale rivalisaient de guirlandes étincelantes. Cependant, un cortège de gens qui ne prisaient sans doute pas les   Illuminations, parcourait le quai en chantant l'Internationale et en conspuant la calotte. 

- Ils ont tort, dit mon père, qui savait tout. On ne doit jamais protester contre une tradition.

Or, celle-ci remontait à 1852...  Depuis, et en des sentiments différents, j'ai revu bien des fois la bénédiction de la ville et la fête du 8 décembre. Que l'on pense ce que l'on voudra, l'une et l'autre constituent, à tout le moins, de bien curieux spectacles. Et uniques au monde, que je sache ! Ailleurs, on ne manquerait pas de battre monnaie en de semblables occasions. On ferait de la publicité. On organiserait des trains spéciaux. Chez nous, rien de tout cela. Nous avons la pudeur de ne pas attirer l'étranger à nos manifestations locales. Après tout, c'est bien mieux comme cela. 

 

Lyon de mon cœur, de Marcel E Grancher, fut publié en octobre 1940. C'est davantage un recueil de souvenirs qu'une autobiographie. Marcel E. Grancher fut un auteur mineur mais prolixe, à la fois de reportages, de romans policiers et de romans à la veine réaliste. Un peu plus loin, dans ce même récit, il rappelle les échauffourées qui, au début du vingtième siècle, ont parfois opposé catholiques et laïcards.

 

« A Lyon, le 8 décembre 1903, au cours d'une bagarre entre manifestants et contre-manifestants, un soyeux, nommé Boisson, venait d'être tué. On n'arrêta l'assassin que trois mois après. C'était un coiffeur de la rue Robert qui, entre deux coups de tondeuse, professait des opinions anarchistes. Il s'était servi, pour frapper, du bec de cane de sa porte... »

 

 

07:44 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : lyon, illuminations, fête des lumières, littérature, marcel grancher | | |

Commentaires

Votre blog illumine ma vie depuis que je vous ai découvert il y a quelques jours.
L'histoire de votre "Lyon" m'intéresse beaucoup, c'est passionnant de même tous vos billets.
A vous lire

Écrit par : La Zélie | lundi, 01 décembre 2008

@ La Zélie : Merci beaucoup de cet enthousiasme. Bonne lecture, donc et bienvenue.

Écrit par : solko | lundi, 01 décembre 2008

Voilà un merveilleux commentaire de Zélie! à votre billet sur les Illuminations, elle déclare que vous "illuminez" sa vie? mon dieu la Zélie, c'est ce que j'aurais voulu dire si j'en avais eu l'idée! c'est magnifique! Solko vous êtes la basilique dans la molette dorée, les flammes de bengale sur la Vierge de Fabisch, les guirlandes étincelantes sur la cathédrale! La Zélie, merci. Solko merci (et j'espère bien que vous allez dire sur ce ton que j'entends d'ici: "n'en jetez plus"!) Espérons que la suite du billet vient vite vite toujours avec l'Internationale en filigrane

Écrit par : Sophie L.L | lundi, 01 décembre 2008

@ Sophie : J'ai bien des défauts mais, contrairement à une certaine Ségo en laine, je ne me prends pas pour la Madone !

Écrit par : solko | lundi, 01 décembre 2008

Il me semblait connaître beaucoup de choses sur le 8 décembre mais j'ignorais les bagarres avec les anti-cléricaux.
Récemment encore les laïcards ont essayé de faire interdire la banderole lumineuse "Merci Marie" qui d'ailleurs n'a pas été allumée l'an dernier.
J'attends donc avec impatience d'autres révélations...
Excusez-moi d'être moins lyrique que vos précédents lectrices !

Je regrette un peu que ce festival des lumières, aussi splendide soit-il fasse disparaître nos humbles lampions.

Écrit par : Rosa | lundi, 01 décembre 2008

J'aime beaucoup, dans le texte de Grancher, la logique du père.

Écrit par : Pascal Adam | mardi, 02 décembre 2008

Je ne serai pas lyrique cher Solko, car je lis studieusement (comme une écolière avec son petit cahier à grands carreaux) vos billets sur le 8 et les illuminations , moi qui le prend en route (le 8) à coups de petits "canon" dans son côté "vitrine" et liturgie modern style... En fait le 8 décembre est aussi très interessant en ce moment ... Si vous marchez la nuit dans Lyon , vous verrez des petits hommes dans l'ombre tirer des grands fils electriques... Ils sont les artisans de la grande affaire et n'auront pas les remerciements.
le 8 décembre ce n'est plus la vierge fêtée mais la fée electricité que l'on honore ... Nous avons besoin de relier tout cela aux origines ... Et vous le faites très bien, ça donne un autre sens à l'évènement. (un sens que je préfère)... Alors, juste merci.

Écrit par : frasby | mardi, 02 décembre 2008

@ Rosa : L'humble lampion finira par triompher de la démesure, vous verrez, vous verrez. Le spectacle de Bellecour, prétendument grandiose, est déjà à l'eau, paraît-il ! Ces abrutis ont pensé à tout, sauf au temps qu'il fait, ce qui coûte, je crois, la bagatelle de 130 000 euros. Pendant ce temps ...

Écrit par : solko | mardi, 02 décembre 2008

@ Pascal Adam : Mon père "qui savait tout"... Celle du fils n'est pas mal non plus.

Écrit par : solko | mardi, 02 décembre 2008

@ Sophie : Le suite vient à petits pas, comme dans les feuilletons d'autrefois. Avec le meilleur pour la fin, forcément !

Écrit par : solko | mardi, 02 décembre 2008

@ Frasby : Avez-vous des nouvelles d'Alceste ? Je me fais du souci pour lui.

Écrit par : solko | mardi, 02 décembre 2008

Grancher a écrit un très beau livre sur la faillite de la fabrique, qui s'intitule "La soierie meurt". Pour le reste, c'est vrai que ses romans sont passés de mode et vieillissent mal.

Écrit par : S.Jobert | mardi, 02 décembre 2008

Mais Grancher a trop cédé à la facilité de plume. C'est un journaliste, pas un écrivain. Sur ce terrain, il a été littéralement pulvérisé, d'ailleurs, par Frédéric Dard. Là, pour le coup, l'élève a dépassé le maître. Au moins, San Antonio est drôle, là où Grancher ennuie, même si j'ai rencontré des collectionneurs.

Écrit par : Marcel Rivière | mardi, 02 décembre 2008

@ S.Jobert : Oui, "la soierie meurt" est un document très sérieux de Grancher. Je crois qu'il est écrit sur le coup de l'affectation réelle, et je suis d'acord avec vous, la plupart des romans de cet auteur sont mauvais

Écrit par : solko | mardi, 02 décembre 2008

@ Marcel Rivière : Pulvérisé par San Antonio, c'est le mot, en effet !

Écrit par : solko | mardi, 02 décembre 2008

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