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jeudi, 19 décembre 2013

Les Halles des Cordeliers

La bonne bouffe avait jadis son temple place des Cordeliers, à Lyon. L'un des premiers films des frères Lumière, titré La Place des Cordeliers à Lyon n'est rien d'autre qu'un plan fixe sur ces anciennes Halles, devant lesquelles passent et repassent des bonshommes, des fiacres et des charrettes. La boustifaille va de nouveau être à l'honneur à l'occasion de ce que l'Empire de la consommation appelle Les Fêtes. Et ce, dit-on à la télé, malgré la crise. Consommer, détruire par l'usage. Histoire de militer un peu pour le recyclage, j'en profite donc pour republier ce billet de 2009 tant il est vrai, malgré la sournoiserie présidentielle, que rien n'a vraiment changé depuis.


Lors du réaménagement complet du quartier Grolée et de la place des Cordeliers, le préfet Vaisse avait prévu dès 1852 la création d’un vaste marché couvert entre la rue Buisson (Antoine Salles depuis 1962) et la rue Claudia, lequel marché couvert se transforma en Halle lorsque les commerçants obtinrent l'autorisation de laisser en permanence leurs bancs et balances. En 1858, l’architecte Tony Desjardins fit sortir de terre la structure métallique du pavillon dont l'inauguration eut lieu le 1er mars 1859. Le bâtiment eut tout juste le temps de devenir centenaire avant que le maire Pradel n’ordonnât en 1970 sa destruction à l'occasion du réaménagement des Halles dans le nouveau quartier de la Part-Dieu. L'ancienne halle fut donc démolie en janvier 1971, alors que l’actuelle, qui prit depuis le nom de Paul Bocuse, était inaugurée le mois suivant.

Je me souviens fort bien de ce vieux pavillon qui, dans le temps de mon enfance, était synonyme de fêtes pour le palais. De la Croix-Rousse, nous descendions à pieds pour chercher les repas de Noël, ceux de Pâques ou de Jour de l’An. Cette ancienne Halle se trouvait en face du Grand Bazar (autre bâtiment que la fièvre destructrice des maires de Lyon n’aura pas épargné). Face à face, à présent, un Monoprix en verre fumé et un parking à étages auront remplacé, en plein cœur du deuxième arrondissement, ces témoins d’un dix-neuvième siècle à la Zola, fait de Bonheur des Dames et de Ventre de Paris.  Pour les faire revivre sous nos yeux, voici quelques clichés extirpés des collections de la Bibliothèque municipale (le fond Sylvestre, principalement) et surtout un document mi-littéraire mi-publicitaire, extrait de l’autobiographie de l’écrivain Marcel E Grancher, lequel peut se targuer d'avoir été le patron de San-Antonio, ça ne s’invente pas, puisqu’il connut l’étrange destin d’avoir eu Frédéric Dard tout jeune comme secrétaire.

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Vue du quartier Grolée sous le Second Empire, juste avant les travaux évoqués par Béraud dans la Gerbe d'Or
Face à l'église Saint-Bonaventure, on s'apprête à construire les anciennes halles,
 à présent déjà détruites...

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Le pavillon Desjardins, qui a depuis cédé la place à un parking et à une banque

 

 

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Mai 68 : Sans le savoir, le pavillon Desjardins vit ses derniers instants. Pas à cause des émeutiers

qui dressent la barricade devant sa porte... Comme quoi les saboteurs

ne sont jamais ceux qu'on croit.

 

 

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En face, l'ancien Grand bazar, reconverti en blockaus de verre fumé
 
 
 

« Si vous cherchez les pyramides de légumes, l’agitation semblable à celle qui, toute la nuit, anime le carrefour Montmartre-Rambuteau ; les bistrots où, les mornes jours d’hiver, viennent échouer les fêtards ; les porteurs odorants et forts en gueule, alors, il nous faut aller quai Saint-Antoine (1). Nos Halles à nous sont quelque chose de différent et de mieux. A Paris, on se nourrit ; à Lyon, on déguste. A l’arrivage massif, par tonnes, par tombereaux, nous opposons la qualité, le choix, la variété. Voyez ces poissons frétillant encore, ces volailles dodues, ces champignons sentant la forêt mouillée, ces viandes, ces fromages, ces cochonnailles, ces beurres : tout cela provient de notre porche et glorieux voisinage, l’Ain, le Charolais, la Bresse, les deux Savoies, l’Isère, la Haute-Loire.

Les Halles de Lyon constituent une grande famille, où tout le monde se connait et, chose assez rare, tout le monde s’estime. Six heures du matin, rue Claudia. Le coin le plus joyeux, c’est le magasin des frères Besson, les mandataires bien connus. On y rit, on y plaisante, on s’y interpelle et quand Fifi et Jeannot se trouvent en verve, je vous assure que c’est quelque chose … !  Et voici, leur donnant la réplique, Georges, le roi de l’Agotiau, et Pépé des Halles, ex-entraîneur du boxeur Decico, flanqué de son Pylade Adrien de la Trinité, qu’il ne quitte d’autant moins que l’infortuné est à moitié aveugle. Un peu plus loin, un camion déverse des tonnes de porc rose et blanc. Plus loin, encore, des daubiers attendent le moment où ils pourront acheter des marchandises de second choix, qu’ils colporteront ensuite, d’étage en étage, de café en café. Dans les célèbres bistros avoisinants (chez Célestin, chez la Fifine ou chez l’un des nombreux Brunet du quartier), on discute des cours, tout en tâtant d’un beaujolais irréprochable. Puis on va s’en boire un dernier au petit Cintra, chez la mère Patri dont le passe-grain est justement réputé : le métier exige que l’on se soutienne…

Symphonie de fumets,  symphonie de couleurs !... Roseurs nacrées des poissons et des crevettes ; pourpres cardinalices des homards et des écrevisses ; ors crémeux des fromages ; chinés des grands lièvres roux ; tendres gis des perdreaux ; bruns délicats des alouettes et des grives ; Van Dick des jambons ; Véronèse des Belon et des Portugaises …

Vous marchez narines au vent… Vous humez en gourmet… Vous aspirez à pleins poumons … Et soudain vous vous apercevez que vous avez faim ! »

 

Marcel E Grancher Reflets sur le Rhône, Ed. Gutenberg, 1939

 

06:42 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : halles de lyon aux cordeliers, tony desjardins, marcel grancher | | |

lundi, 01 décembre 2008

Les Illuminations (1)

Nous pénétrons à petits pas dans ce mois de décembre, tout empli d'ambiguïtés, lequel voit à Lyon sa première quinzaine occupée à fêter Les lumières. C'est sous le mandat de Raymond Barre, c'est à dire assez récemment, que la vieille fête des Illuminations s'est mutée en fête des Lumières. Occasion, grâce au témoignage de plusieurs auteurs et romanciers, de (re) découvrir plusieurs témoignages de ce que cette fête fut, de 1852 (date de sa création) jusqu'à nos jours. Premier souvenir littéraire de la fête des Illuminations à Lyon, celui de l'écrivain Marcel E Grancher (1888-1976), romancier, journaliste et éditeur, qui repose à présent à Loyasse. Le célèbre San Antonio (Frédéric Dard) fut, il y a longtemps, son secrétaire et fit ses classes ainsi que ses débuts à ses côtés :  

 

- Cead793f2a4aa7f1da25ec85b8551d449f.jpg soir nous sortons, dit mon père. Nous allons voir les Illuminations.

 - Les Illuminations ?

- Oui, expliqua ma mère. En l'honneur de la Vierge, toutes les fenêtres seront, ce soir, garnies de petits verres de couleurs dans lesquels brûleront des bougies.

 Je battis des mains.

-Pas toutes les fenêtres, grogna mon père. Certaines fenêtres...

- Comment fis-je, soudain inquiet ? Pas toutes ? Et les nôtres ?

 - Pas les nôtres, dit ma mère.

- Pourquoi ? 

- Parce que ton papa est un mécréant. 

- Parce que ton papa aime la logique, rectifia mon père. Peut-il importer à la Vierge que' le commerce de la chandelle soit particulièrement florissant ?

Nous n'en partîmes pas moins. Peu d'illuminations dans les rues populaires, mais, en revanche, une véritable débauche sur les voies les plus aristocratiques : cours Morand, avenue de Noailles, place Morand.  « Ce n'est encore rien, apprécia mon père. Vous verrez les quartiers riches, Bellecour et Perrache. Et c'est très bien ainsi. Je comprends assez que l'on remercie Dieu quand il vous a donné quelque chose. Mais, quand on n'a pas un sou... »  Le spectacle était ailleurs, admirable, de toutes ces façades sévères, éclairées de bas en haut par les lumières multicolores, que faisait danser le vent. Extasié, je m'en emplissais les yeux. Les magasins n'avaient pas voulu être en reste, et la plupart d'entre eux exhibaient des étalages amoureusement fignolés. Place des Jacobins, à l'angle de la rue de l'Ancienne-Préfecture, un marchand de beurres et œufs battait tous les records : dans une énorme molette dorée, il avait sculpté une réplique exacte de la basilique. Rien n'y manquait, même pas la ridicule tour métallique qui déshonore ce très beau paysage. On ne s'en battait pas moins pour approcher. Ayant piétiné maintes chaussures, je pus parvenir tout contre la vitrine. Je faillis y être aplati et mon père dut jouer de ses bras de géant pour m'arracher de là, d'autant qu'afin de partir, je me débattais de toute ma jeune énergie.

Pour me consoler, on me conduisit sur la quai de la Saône, d'où l'on voyait flamboyer, en haut des jardins de l'Antiquaille, les traditionnelles inscriptions : Lyon à Marie  et Dieu protège la France. Cela ne m'amusa pas. Je préférais le marchand de beurre. Pourtant, le clocher de l'ancienne chapelle était bordé d'une dentelle de feu. Pourtant des flammes de bengale embrasaient par instant la Vierge de Fabisch. Pourtant, au flanc de la colline, le Grand Séminaire, le pensionnat des Lazaristes et, plus bas, l'Archevêché et la cathédrale rivalisaient de guirlandes étincelantes. Cependant, un cortège de gens qui ne prisaient sans doute pas les   Illuminations, parcourait le quai en chantant l'Internationale et en conspuant la calotte. 

- Ils ont tort, dit mon père, qui savait tout. On ne doit jamais protester contre une tradition.

Or, celle-ci remontait à 1852...  Depuis, et en des sentiments différents, j'ai revu bien des fois la bénédiction de la ville et la fête du 8 décembre. Que l'on pense ce que l'on voudra, l'une et l'autre constituent, à tout le moins, de bien curieux spectacles. Et uniques au monde, que je sache ! Ailleurs, on ne manquerait pas de battre monnaie en de semblables occasions. On ferait de la publicité. On organiserait des trains spéciaux. Chez nous, rien de tout cela. Nous avons la pudeur de ne pas attirer l'étranger à nos manifestations locales. Après tout, c'est bien mieux comme cela. 

 

Lyon de mon cœur, de Marcel E Grancher, fut publié en octobre 1940. C'est davantage un recueil de souvenirs qu'une autobiographie. Marcel E. Grancher fut un auteur mineur mais prolixe, à la fois de reportages, de romans policiers et de romans à la veine réaliste. Un peu plus loin, dans ce même récit, il rappelle les échauffourées qui, au début du vingtième siècle, ont parfois opposé catholiques et laïcards.

 

« A Lyon, le 8 décembre 1903, au cours d'une bagarre entre manifestants et contre-manifestants, un soyeux, nommé Boisson, venait d'être tué. On n'arrêta l'assassin que trois mois après. C'était un coiffeur de la rue Robert qui, entre deux coups de tondeuse, professait des opinions anarchistes. Il s'était servi, pour frapper, du bec de cane de sa porte... »

 

 

07:44 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : lyon, illuminations, fête des lumières, littérature, marcel grancher | | |