Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

samedi, 07 décembre 2013

Molly Bloom et les Illuminations

On dirait que le TNP est devenu une gigantesque machine à divertir le troisième âge ! Que de têtes chenues et de crânes dégarnis, tandis que la salle Jean Bouise s'emplit peu à peu. Dehors, c’est le commencement de la fête des Lumières. Du haut en bas du cours Emile Zola, une seule « bouche » de métro demeurait ouverte à chaque station, avec des agents de sécurité et des barrières pour guider la foule. La nuit tombée, l’asphalte luisant, longtemps que je n’avais pas fait le trajet Terreaux-Gratte-Ciel à pinces.  L’hôtel de ville de Villeurbanne, cierge de sucre toujours aussi impeccablement stalinien, devant les petites cabanes de Noël en bois de part en d’autres de l’avenue Henri Barbusse.

Sur scène, à présent, un lit en partie défait attend la performance. Anouk Grinberg relance ici sa Molly Bloom, avant de se retrouver une fois encore aux Bouffes du Nord à Paris.  Joyce, tout de même ! Je regarde autour de moi : Le symbole même de l'avant-garde littéraire des années trente n’intéresserait-il plus dorénavant que des seniors ? Comme la roue tourne ! Autour de moi, on ne que parle d'amis au cimetière, de frère a l'hôpital, de chute dans l'escalier. C’est alors que se pointe un garçon de salle qui insiste lourdement sur le fait que nous devons tous éteindre nos portables. Devant un parterre aussi hirsute et insoumis, ça fait sourire. A moins qu'il ne le juge, ce public, trop distrait, étourdi... «L’actrice, dit-il, a besoin de concentration ». Le chapitre 18 qui conclut en une phrase de monologue le roman de Joyce, on s'en doutait… 

Puis Anouk Grinberg commence : « Oui puisqu’avant il n’avait jamais… » Ici, tout tient dans la restitution de ce texte qui doit surgir du corps même jusqu’à ce « j’ai dit oui » de la fin « je veux bien Oui. ». Du corps même. Et sans vulgarité. Gageure que seul l’instant de chaque mot – non pas de chaque phrase – mais de chaque mot, comme il vient à la fois à la bouche et à l’esprit – a rendu possible. Quand au bout d’une heure habitée, peuplée, hantée par ce Dublin et ces personnages avec lesquels le lecteur averti d’Ulysse est familier, et que le profane découvre comme naturellement, Anouk Grinberg vient saluer, ce qui l’unit à la salle un bref instant est une vérité première : Le texte de Joyce n’est ni hermétique ni abscons.  Il est vous, moi, elle, dans le flux de l’esprit. Les rappels fusent. Yeux de feu, bonheur, la comédienne. Une réussite. Puis on se retrouve en marche vers le métro, seul dans la nuit.

théâtre,tnp,jean bouise,molly bloom,anouk grinberg,fête des Lumières,lyon,illuminations,

© Pascal Victor – Artcomart

« Le voilà, le plus beau moment du théâtre, disait Béraud, quand on rentre à pied chez soi ». Quand la représentation a été aussi juste, c'est vrai. On se sent alors encore empli d'une présence dont on sait qu'elle tardera à s'évaporer. Pourtant, ce soir, un autre spectacle tourne en boucle par la ville. Du contemporain balourd. Lyon n’est plus qu’un gigantesque parc d’attraction, aux allées/rues gardées par des agents municipaux et des CRS. Inhibition/exhibition. Me demande ce que James Joyce écrirait à propos de ces cohortes d’adultes, se pressant par les rues obscures d’une projection sur façade à une autre. Tous ces monologues qui se heurtent et se bousculent. Mais les lumières en boucle anesthésient le flux de la pensée. N’en disent rien, sinon Oooh ou Aaahhh, ou bien c’était mieux l’année dernière, et puis passer à une autre attraction. Gosses portés sur les épaules. Doigts tendus, de ci de là. Ainsi tassés les uns contre les autres, au pas, de files en files. Étrange rencontre que celle de Molly Bloom et ce commerce de lumières, projeté à ciel ouvert.

Jadis, c'était la fête des Illuminations. Marie/Molly. Le consentement final qui clôt les 18 chapitres d'Ulysse est pensé, lui, telle une épiphanie. Dans la lumière diffuse qui rebondit de colonne en colonne à l'intérieur de l’église saint-Nizier, là où des badauds croisent des paroissiens et des fêtards, c'est le peuple d'aujourd'hui. Pas que des têtes chenues et des crânes chauves, non. On pourrait presque se croire, quelques secondes durant, perdu au détour d'une page du Dublin de Joyce. Paradoxalement, c'est bien le seul endroit de la ville : des Molly Bloom, y en a partout autour de moi. Des Leopold aussi. Des Stephen, des Milly et des Buck Mulligan. Vieux, jeunes. Des passés, des à venir. Une race immuable, les personnages. Je ressors. Sur le parvis de l'église, des marchands de vin chaud. Une épopée qui dure encore...

Molly Bloom, avec Anouk Grinberg,

jusqu'au 14 décembre 2013, TNP Villeurbanne, 20.00, durée 1h15

du 14 au 24 janvier 2014, Bouffes-du-Nord, Paris


jeudi, 05 décembre 2013

Laurent Aigon, pilote

Au début il y a ce reportage. « Une petite maison au milieu de la  forêt, dans le Médoc » Ça commence tout minou minou, très cosi, tout conte de fées.  Crise du logement, le cockpit tient à peine dans la chambre des enfants. Ca rend le héros sympathique : d’autant plus qu’il le dit lui-même « il garde les pieds sur terre, il s’amuse ». Nous itou, bon public. » Et comme l’ami Jean Marc le souligne, « il faut coller à la réalité ». Collons donc. On se doute que « cet ingénieur amateur qui travaille dans la restauration » a acquis ses compétences quelque part. Ou donc ? Dans une école d’ingénieur, bien sûr.  Vous allez voir que le détail a son importance.


Laurent souhaite développer son activité. Il a raison. Comme le dit la belle Perette du Pot au lait,  qui ne fait des châteaux es Espagne ? «  Picrochole, Pyrrhus, la Laitière, enfin tous, autant les sages que les fous ».Laurent, c’est un peu les deux. C’est ce qui fait son charme. Indéniable, le charme. Et puis quand on est court logé, c’est comme quand on est court vêtu. Surtout en temps de crise. Il le rappelle, il a les « pieds sur terre » mais s’adresse aux gens qui «rêvent d’aller en l’air ». Ce mec, c’est un peu l’homme de Vitruve. Vous allez comprendre : Beaucoup de grosses entreprises du secteur aéronautique ont contacté ce passionné qui passe sur le JT un jour. Un jour, coup de fil d’une entreprise qui ne bosse pas dans l’aéronautique. Ou alors un aéronautique très spécial. Et ça donne ça. Remarquablement efficace, la petite musique de fond. Prêtez lui une oreille attentive : 

 

Dans le spot, on ne parle plus d’école d’ingénieur, vous l'avez remarqué, mais uniquement de restauration. En revanche il est question  d’erreur d’orientation. L’école française l'a empêché de devenr pilote. Elle fait mal son boulot, si si ! tout le monde le sait. D'ailleurs Pisa a dégradé la note, comme S&P : 25ème, c'est pas jojo jojo pour l'héroïque patrie des Droits de l'Homme. Je me souviens avoir il y a longtemps dit ça, à des élèves partis faire les foutus tests PISA :

« - Vous formalisez pas les ptits gars, c’est pas noté ! C’est pour l’OCDE, profitez-en ; vous pouvez répondre n’importe quoi aux tests!

- Vraiment Monsieur, ils m’avaient dit ?

- Vraiment !»

 Ils étaient revenus complètement enchantés, les chérubins. Elle est comme ça, la France, aussi. Il faut que l’international le comprenne. Emplis de branleurs et de blagueurs pour l’éternité, des pas sérieux pour un franc. Là ! En même temps, si tous les profs font comme toi m’expliqua doctement un jour une collègue à monture Afflelou... Bon où en étions nous ? A Pisa 

A Pisa et à Peillon, l'autre petit gars à monture. Il a dorénavant le feu vert de l'internationale, la lutte finale, tralala, pour porter le coup de grâce à Grenelle. Vous avez remarqué, sur le spot, quand il est question d’aller à l’école, où Laurent Aigon se dirige d'un clic, d'un seul,... Google, bien sûr ! Eh ! c'est la formation de demain. L'homme de Vitruve, vous disais-je. cet Aigon, Google ne s'y est pas trompé. Google ne se trompe jamais. D’ailleurs en vrai ce n’est même pas Laurent AIgnon qui a construit le cockpit. Trop humain malgré son regard d'acier. Trop français, le frenchie ! Lui, il ne fut qu’un exécutant et nous le raconte dans sa success-story d'un ton déjà professionnel. Vous l'avez un peu écouté yeux dans les yeux, devant son placard en formica ? Le poing levé : «  c’est ça qu’y’m’faut. Je veux faire la même chose que ça… » 

Non; le vrai créateur, la vraie école, c’est Google. Et le libéralisme a de belles ressources, bien qu'on ait voté tous ensemble tous ensemble contre le vilain président des riches Sarkozy. C’est pour ça que Peillon veut des connections dans les hameaux les plus reculés, qu’il a dit le ministre à bésicles. Tables de la Loi. ...Si si ! Toutes nos têtes blondes fabriqueront des cockpits d'avions plus vrais que nature et les mamans seront très fières. Plus vrai que celui d'Aigon, car on n'arrête pas le progrès, la ritournelle est bien connue. Quelqu’un a dit « fais de ta vie un rêve. J’ai simplement pris un rêve et j’en ai fait ma vie ». En rhétorique, ça s’appelle un chiasme.  En philosophie, un sophisme. En marketing, Une trouvaille, convenons-en. Chez Google, on a de sacrées ressources pour innover... Les gens qui croient qu'un syndicat de profs peut lutter contre ça se trompent. Un syndicat de profs ne peut que collaborer. C'est bien connu. 

Laurent AIgon, pilote, donc; C'est la fin du spot. Après la télé-réalité, une campagne d’un nouveau genre. La pub-réalité ! Fera date, cette campagne. Vends ta vie pour en faire un spot publicitaire. Après le biopic, le biopub. Comme quoi, ça mène à tout, Annie Ernaux. Après tout, nos vies sont-elles quelque chose d’autre ? Depuis que L’Oréal nous a appris que nous le valions bien, les marques nous aident à trouver notre place dans le monde. Nous aident à décompresser, être fun, à vivre ensemble dans la normalité conflictuelle du libéralisme. Un peu comme les saints d'autrefois, les pauvres saints à longues figures qui s’ennuient dans nos chapelles parce que plus personne n'osent les prier, et dont elles ont pris la place ! Beau et triste, comme du Barthes.

 N’empêche. A Aigon, il manque une aile, ou un l, c'est selon, pour être vraiment impérial. Aller le chercher chez Google, c’est prendre un peu le risque de perdre tout ce qui fait le charme du français, le e muet. De finir gogol. Pour quelques temps encore, moi, je préfère l’école, qui l'a gardé son e, à travers toutes ses réformes. Plus pour longtemps.. Quand PISA  et ses dignes valets locaux auront fini de la  jeter à bas au nom de leur slogan d'égalité, il ne restera rien d’autre aux parents électeurs qu’un simple choix. Un choix ? Une option, plutôt, pour les classes moyennes saturées de taxes de la belle zone euro : «Fiston, pour réaliser tes rêves, tes passions, et tout le blabla qui va avec, ça sera Google ou le privé. Le méchant privé, l’école libre, tu sais bien, celle dont Tonton voulut un jour la peau, et où tous ses ministres mirent leurs mouflets en douce. Tu choisis ?

Tu sais plus qui c'est, Tonton ?  Un monsieur qui pilota jadis l’Élysée. C'est sous son règne que l'histoire a commencé. Il y a laissé un clone en fonction. Il faut toujours que demeurent vives les forces de l'esprit...» 

L'école, c'est l'avenir du monde, ton avenir fiston. Et donc, que vive longtemps Laurent Aigon, et qu'il vole bien, loin, et partout, le bon pilote de Google.

mardi, 03 décembre 2013

S'en prendre aux mots

Se traiter de Goebbels ne vaut pas mieux que se traiter de Pétain, de Staline ou de Kim Jong II.

Moi, la question que je pose à tous, c'est à quoi ça rime de vouloir interdire des mots, de légiférer à ce point nos existences que la parole devient un délit, de se laisser à ce point infantiliser par des malotrus et des cyniques. A quoi ça rime de confondre les mots et les choses, et quel type de maux (sans jeux de mots) bien plus grave ce genre de décisions d'un autre âge cela peut-il créer ?

Le premier étant de vivre dans un entre-soi dans lequel l'autre a été réduit au même par un sacré coup de force, ce qui est un comble pour tous ces gens de gauche qui prônent le multiculturel et la tolérance. C'est du multiculturel à leur effigie.

S'en prendre aux mots est une attitude puérile, c'est croire à la pensée magique, le contraire d'un acte adulte, intelligent et civilisé.

André_Gill_-_Madame_Anastasie.jpg


00:04 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (78) | Tags : censure, antiracisme, taubira, france, culture, littérature | | |

vendredi, 15 novembre 2013

Des bien-pensants au XXIe siècle

Nous sommes loin, à présent, de La grande peur des bien-pensants, tant l’univers intellectuel du pays s’est dégradé. Pas facile, dès lors, de parler de bien-pensants, car cela nous ramène à la Libre parole de Drumont, et au magnifique essai que lui consacre Bernanos en 1931. Bernanos, comme d'autres, a été étrillé par tous les points de vue binaires et outrageusement simplifiés de la propagande officielle, passé sous les fourches caudines de BHL et de sa très puante Idéologie française qui lui valut les remontrances de son maître, Raymond Aron, mais lança sa carrière de bien-pensant alors même que le grand simulacre mitterrandien qui devait aboutir à Maastricht se mettait en place dans la carnavalesque et pluvieuse fête de la Bastille de mai 81.

La bien-pensance, dans les milieux bobos , qu’ils soient tendance NKM ou tendance Hidalgo,  c’est une posture de circonstance, qu'on adopte au fil des conversations, une sorte de convenance sociale qui n'est jamais non plus dénuée de religiosité. Voyez Edwy Plenel . C'est pourquoi n'importe quoi peut devenir de la bien-pensance, dès lors que la conviction s'estompe et que la nécessité intellectuelle du combat est remplacée par le consumérisme de salon ou l'opportunisme du journaleux. On n'est donc  - au moins pour la pose - pas très loin de Flaubert et de ses idées reçues, de Bloy et de ses lieux communs. Relisons, à propos de cette bien-pensance, ce qu’a écrit Bernanos  dans la conclusion de son essai de 1931 :

« C’est bien plus profond qu’il faut chercher  le germe vénéneux. Car la guerre des démocraties, la guerre des peuples, la guerre universelle a voulu son langage universel, lui aussi œcuménique. Pour le constituer, elle a pillé le spirituel comme le reste, fait débiter par tronçons à la vitesse maxima des rotatives une sorte de métaphysique à la fois puérile et roublarde, dont les mots les plus vénérables, Droit, Justice, Patrie, Humanité, Progrès, sortaient marqués d’un signe et d’un matricule, comme des bestiaux – au point que nous les vîmes servir depuis, avec une égale docilité, les convoitises américaines et le pacifisme hypocrite des banques »

« La dépossession progressive des Etats au profit des fortunes anonymes de l’Industrie et de la Banque, cet avènement triomphal de l’argent, qui renverse l’ordre des valeurs humaines et met en péril l’essentiel de notre civilisation s’est accompli sous les yeux d’hommes qui ont gravement hoché la tête, ou parlé d’autre chose »

Si aujourd’hui la gauche, bien plus que la droite, est saisie en flagrant délit de bien pensance, et se découvre nue et gangrenée par elle, c’est parce qu’elle a accepté l’ordre économique de l’Europe, l’affaiblissement de l’Etat, le sacre de la finance et du FMI, qu’elle a consolidé de ses propres mains la nouvelle économie qu'à présent elle dénonce dans toutes les instances où elle a été au pouvoir, tout en souhaitant se garder je ne sais quelle âme risible pour se préserver de je ne sais quel fascisme.

Elle a, comme la droite sarkoziste qu’elle vénère et vomit à la fois, renié le vote des Français de 2005. Elle s’est assise sur la légitimité populaire. Elle l’a conspuée.Tous ses discours pseudo-moraux sur la justice comme sur l’antiracisme, sur la démocratie comme sur l’honnêteté de ses élus (on n’a même plus besoin de citer les affaires pour les voir s’enfoncer dans le marais des sondages), sonnent dès lors creux, faux. Autrement dit, atrocement bien-pensants. Un chapelet de vœux pieux qui ne tolère même plus l’humour et serait à deux doigt de légitimer la censure, sous le règne du valeureux Valls et de l’hystérique Taubira.

Ramenées à une proportion inédite de 15%, les côtes de popularité du sordide pingouin et de tous ses ministres brailleurs ne sont que le reflet  de l’ineptie de ce discours insupportable et faux. Et de son impact sur une population relativement éduquée, exaspérée de s'entendre dire que son principal problème est d'être homophobe, xénophobe et raciste, tout en étant taxée à tous les étages de l'impôt.

Alors cette population les attend au coin de l'isoloir.En vain, me direz-vous, car l’Etat médiatico-policier triomphera toujours.Hélas, je le crois aussi.

Mais c’est bien l’ironie de toute cette mascarade, que le seul vote qui  puisse sauver la démocratie aux yeux de gens dont on ne s’attendait pas qu’il en fût un jour ainsi, soit celui dont la réputation est d’être le moins démocratique ! France, patrie des droits de l'homme, ha ! ha ! voilà où mènent,  après trente ans de langue de bois, trente autres années de bien-pensance. Je n'ai jamais songé que l'avenir était effrayant. Mais il est en effet, plus que jamais, obscur. 

dimanche, 10 novembre 2013

Le canard déchainé

Je ne sais trop quelle folie commémorative s’abat sur nous. La frontière est toujours tenue, dans ce genre de manifestations, entre recueillement et travestissement, mémoire et lieu commun, symbole et spectacle. Dans Ce que j’ai vu à Berlin, Béraud raconte que les Allemands ont regretté de n’avoir pas avoir eu l’idée du soldat inconnu avant nous. Car même s’il ne le dit pas en ces termes, Béraud démontre que le soldat inconnu est une géniale opération de communication voulue par Clemenceau. Anne Méaux dira la même chose à propos de la Libération de Paris et de la descente des Champs par De Gaulle. La communication politique- propaganda -  naît vraiment au vingtième siècle, l’ère des médias, même si l’Eglise et les Rois ont toujours su pratiquer l’art du spectacle. Nous sommes, avec le media moderne, dans le différé et le retransmis, ce qui change la donne aussi bien dans la création du spectacle que dans ses effets.

On nous annonce donc un calendrier commémoratif. Le Goncourt de cette année, que je n’ai le temps ni de lire ni de chroniquer, a ouvert cette vaste entreprise de marketing. Mieux vaut relire Paul Lintier et Galtier-Boissière, sans aucun doute. Ou même Tardi. La guerre de Troie eut son Homère. Celle de Quatorze aura eu sa multitude de copistes, signe qu’elle fondait un nouveau monde ;  c’était la première fois qu’on utilisait aussi systématiquement l’arme chimique, et qu’on pratiquait avec tant de véhémence le fameux bourrage de crânes. Le Canard Enchaîné, dont la dernière Une raille les velléités commémoratives de l’actuel président demeure le dernier journal à tradition polémique, parmi tous ceux qui naquirent de la contestation de la grande Muette d’alors. Signe qu'une certaine presse, dont on apprend dans les écoles de journalistes que le respect de la ligne éditoriale doit être la seule lettre et le cirage de pompes de la politicaille le seul esprit a, hélas, mis fin à la libre parole, au nom du mythe absurde de l'objectivité et de celui, au moins aussi absurde, de la République . 

béraud,lintier,canard enchaîné,littérature,polémique

mardi, 05 novembre 2013

Une affichette dans les toilettes

Sur l’étagère dans le coin de la salle, la télé. Les consommateurs autour d’une bière ou d’un café se racontent leur journée. Un enfant qui hurle énerve tout le monde, mais personne n’ose trop s’en plaindre à la mère qui semble habituée. Les cris couvrent la jactance sur l’écran des deux B, Bayrou et Borloo, à qui il ne manque que deux nez pour ressembler à deux clowns.

Le patron s’affaire de table en table, avec sa patte de plus en plus folle. Une habituée du café trempe dans son verre de vin une biscotte. Puis elle la suce méthodiquement, en regardant chacun tour à tour. Elle porte toujours de drôles de bibis, et ses cheveux gris, gras et bouclés qui tombent sur ses oreilles lui donnent un air mi clocharde mi chien malheureux.

Une intermittente pénètre dans la salle pour placer une affichette. Contre la porte vitrée, c’est déjà bien remplie. Pas possible, le nombre d’artistes dans ce pays, pense-t-on en la regardant qui ressemble à une artiste comme un brocoli à une machine à laver. Les deux B devraient l’embaucher puisque c’est partout le cirque, la déconfiture généralisée.

Il ne se passe jamais plus de dix minutes sans que quelqu’un ne pousse la porte aux vitres opaques des chiottes. Le temps qu’on reste aux chiottes dans un café, ça pourrait entrer dans les grilles comportementales de  nos amis sondeurs. Ce dernier dépend de tout un tas de facteur : moment de la journée, âge, profession et sexe du consommateur, état de propreté des lieux…

D’un coup de menton, le patron de café signifie à l’artiste que, la porte étant entièrement recouverte, elle peut toujours si elle le désire aller scotcher son affichette aux toilettes. On voit à sa frimousse renfrognée que ça ne lui plait guère. Elle hésite. Et puis elle se dit qu’aux toilettes du moins, on est assis, l’œil fixe à attendre, plus disponible qu’en passant dans la rue.

Le chiard gueule de plus en plus fort, tandis que les duettistes centristes  ressemblent de plus en plus à des marchands d’aspirateurs  à fins de mois difficiles. Finalement l’artiste se décide. Elle passe devant la trempeuse de biscottes à l’air de chien malheureux et pousse la porte aux vitres opaques. C’est un jour de novembre ordinaire, dans le café ordinaire d’une ville ordinaire. Le temps ne passe plus, il est reconduit de jour en jour par tous les habitués des toilettes, le patron claudiquant, et les affichettes qui se chevauchent les unes sur les autres comme celles des campagnes électorales.

Ici, il semble qu'on n'attende plus rien, que quelques allocations ou subsides de l'Etat putréfié pour continuer à tremper la biscotte dans le vin avant de tirer un jour la chasse. C'est à la fois sordide et lumineux, parce qu'on sent que le mensonge n'y a pas de place. C'est pourquoi ceux qui parlent à la télé, les deux B comme les autres, ont l'air si glauques et si lointains. Peut-être qu'au fond, le spectacle de l'affichette mérite le détour. L'artiste sort au bout de plusieurs minutes, plus qu'il n'en faut pour coller un morceau de papier. Elle a l'air soulagée.

Il en faut PEU, n'est-ce-pas pour être heureux...

22:06 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : affichette, bayrou, borloo, france, politique, littérature, ennui, socialisme | | |

vendredi, 01 novembre 2013

Le gardien d'amphithéâtre

Depuis bientôt vingt ans, un même homme garde le dépôt mortuaire de l’hôpital Saint Gaspard. C’est parce qu’il ne supportait plus la promiscuité des vivants - ses pairs, que le gardien d’amphithéâtre avait trompé leur compagnie. Avide de quelque chose qui fût à la fois une faille et un salut, désireux d’éconduire l’uniformité de leurs mœurs, la fadeur de leurs désirs, la rudesse de leurs goûts, lassé du pli impeccable que prenaient leurs opinions, il s’était peu à peu épris de celle, unique et irremplaçable, des morts.

On le disait maniaque : Il aimait sa tenue de coton blanc marquée à son nom, une chemisette à manches courtes boutonnée sur le devant et un pantalon qu’il ne confiait jamais à la lingerie de l’hôpital, mais qu’il se plaisait à nettoyer lui-même dans le tambour ronronnant de sa machine, rue des Marchands de Paniers; contre sa chair, chaque matin, le contact rugueux et familier de l’uniforme.

On le disait insensible : Il aimait les rudes effluves d’alcool que dégageaient, avant de s’évaporer dans ses éponges brunes, les liquides aseptisant avec lesquels il nettoyait l’acier incurvé de ses brancards : Une odeur, la même, toujours, nulle part aussi vive qu’à l’instant où, ses poings libérant leur pression, l’éponge s’enflait et en distillait l’arôme à ses narines ; arôme proprement inaltérable ; bien mieux que l’odeur de la femme ; mieux que celle du goulot ; odeur du gîte.

On le disait casanier : Il aimait les éclats de lumière des instruments multiples de ses boîtes d’autopsie, pinces, ciseaux, écarteurs, qu’il étalait souvent sur le carreau blanc, s’abandonnant longtemps devant ces ustensiles à d’improbables navigations. 

On le disait misanthrope : Ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était le froid  brusque, l’âcreté des odeurs rances, le métal étincelant des civières de ses cryptiques réduits réfrigérés. Les hôtes, qu’ils hébergeaient. Il aimait le formica veiné des portes de ses frigos. Là, seulement, lui était-il possible de dessiner, pour son usage le plus intime, le plus vivant, les contours de sa propre originalité.

amphithéâtre,morgue,toussaint,jour des morts,littérature,

Respirer ! D’autres n’en étaient plus capables. Devant l’étendue plane de leur poitrine, il aimait le contraste de la sienne, encore palpitante. Il aimait la lenteur, le retrait du temps passé auprès de ces cadavres. Là, il comprenait la valeur, l’étreinte, la qualité et la douceur de l’acte d’aimer. De l’intérieur, seul et pour lui-même puisque nulle décision politique, nulle science, nulle prière, nul désir de changement ne sauraient jamais ranimer ces astres endommagés.

Etat de leur musculature, callosité de leur peau, emplacement de leur gras, profondeur de leurs rides, fourniture de leur pilosité : il devinait sans mal quels avaient été les contours de leur existence sur terre : la spécificité de leur métier, la garniture de leur compte en banque, le confort de leur habitat, la qualité de leur esprit, la diversité de leurs goûts, jusqu’aux contours du tracé le plus original, le plus officiel d’eux-mêmes :  les caractères qu’il imaginait, secs ou généreux, découverts ou barrés, en longues arabesques ou réduits à d’administratives initiales, de leur signature.

A chacun de ces personnages, il attribuait dans son ennui le non-lieu d’un roman, chérissant dans l’huis-clos de lui-même les battements de son propre cœur, dans le vase de son imaginaire, la cadence régulière de son souffle, l’écho bourdonnant du sang dans ses artères. Circulation. Là où ça se passe. Avec une jouissance aussi obscène que frénétique, il comprenait à quel point étaient vifs et précieux ses mains, ses doigts, qui bougeaient. Ses ongles, ses cheveux, qui poussaient.

La direction de Saint-Gaspard n’avait jamais eu à lui reprocher quoi que soit  dans l’accueil qu’il réservait aux familles ou la tenue ménagère qu’il assurait du dépôt. A l’abri d’une administration qui, pour sa ponctualité, sa discrétion, sa disponibilité (il arrivait qu’on eût besoin de lui, le dimanche) lui versait au fil des ans tout juste de quoi survivre décemment, établi dans une place qu’il occupait avec fierté et qui rencontrait à ses yeux le mérite inestimable de le maintenir en marge des vivants tout en faisant de lui l’un de ses pions les plus indispensables à leur société, le gardien d’amphithéâtre filait une existence dont les vivants ne connaissaient rien.

Dans le silence, dans la lenteur, dans le retrait, il aimait. Voilà tout.

Il n’aimait pas qu’on le dérange. 

22:01 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : amphithéâtre, morgue, toussaint, jour des morts, littérature | | |

jeudi, 31 octobre 2013

L'illustre français

J’ai relu aujourd’hui une trentaine de pages des Illustres Françaises de Robert Challe, dans l’édition nouvelle publiée en 1991 chez Droz par Deloffre et Cormier ; j’avais lu et annoté cette œuvre il y a longtemps, puis je l’avais totalement oubliée. Et au bout de quelques pages, sans doute à cause de l’enchantement que procure le rythme de ces phrases  dont la syntaxe cherche à coller à chaque instant soit au sentiment, soit à l’action, il m’a semblé n’en avoir quitté que d’hier la lecture.  

En revenant à moi après une petite heure passée dans ces pages, je me suis interrogé en silence sur la magie de cette langue française qui venait de m’unir aussi intimement à cet auteur dont rien d’autre ne reste sur Terre, que ses mots. Considérant l’état actuel du pays, la vacuité de la vie politique et éditoriale, la précarité de la pensée, la nullité des arts et des modes, la grossièreté et l’irréligiosité des hommes et des femmes,  la fatuité de tout un chacun, je me suis demandé ce qu’un homme du XVIIème siècle comme lui trouverait à revenir parmi nous aujourd’hui : et je me suis dit qu’il ne trouverait sans doute rien, ni honneur ni prestige ni beauté.

 Mais qu’au contraire ce que quelqu’un du XXIe siècle comme moi trouvait à revenir en sa langue demeure d’une saveur irremplaçable, inégalée. C’est le français à la fois populaire et savant, dont la syntaxe à peine détachée du tronc latin ramasse à pleine propositions les mots de la rue. Pas un seul terme technique ni administratif.  Pas la moindre abstraction, du moins grossière et vaniteuse comme celles dont nous nous gargarisons à présent.  Ce sentiment de légèreté n’est sensible qu’au fil de la lecture, grâce à l’oubli progressif de l’immondice linguistique dans lequel la contemporanéité plonge notre esprit.

Et en même temps qu’elle est oxygène par sa  pureté, je me disais que cette langue perdue est aussi squelette par son maintien : le maintien, c'est-à-dire l’appui ferme et constant sur la consonne et la voyelle fermée, c’est évidemment ce qui manque le plus au français d’aujourd’hui, imprécis, pauvre et confus à force de s’être disloqué au contact de la presse, de l'audiovisuel et de la traduction. Les gens de cette époque, dont la raison était frottée dès leur plus jeune âge à la langue du droit comme à celle des Écritures, allaient sans grand mal d’un autre train, tout cela est certain. 

 

illustres françaises,robert challe,littérature,romans,


00:02 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : illustres françaises, robert challe, littérature, france, culture, romans | | |

mercredi, 16 octobre 2013

Langage, qui le possède

Es-tu bien sûr que ta gorge s’emplit de tes propres mots

Quand vous dévalâtes le chemin vers l’eau sans taches

Et que tu lui déclaras ta flamme ?

« Je ne veux pas de mots inventés par quelqu’un d’autre », disait Hugo Ball

Orgueil, déraison, sagesse ?

Peut-être eut il mieux valu, tel l’évêque magique de Zurich,

Lui dire ; jolifanto bambla o falli bamblagrosβiga m’pfa habla horem

Qui sait ? Le quiproquo eût peut-être été moindre

En biaisant l’arbitraire du signe aussi fauvement..

Mais tu lui dis je t’aime, simplement je t’aime

Comme tu avais vu faire, entendu dire, senti en toi

 

Le mot  et tant pis si, en s'imprégnant du temps,

Il déroula sous tes pas le tapis de la mort,

Langage, qui le possède ?

22:34 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : hugo ball, dada, littérature, poésie | | |