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samedi, 14 juin 2014

Dieudonné, la cyberhaine et la quenelle lyonnaise

Dieudonné passe à Lyon dans un désintérêt total, titre Lyon Capitale. Désintérêt du public non pas pour son spectacle, qui affichait complet hier soir dans une salle de 3500 places (l’Amphithéâtre) mais pour ceux qui, en termes aussi inconscients que provocateurs, ont naguère appelé à son boycott : Vigilance 69, par exemple, qui exigea auprès du préfet de Lyon l’annulation du spectacle en ces termes : « Lyon ne doit pas être le lieu de tous les rassemblements fascistes et antisémites ». Ou l’inénarrable monsieur Patrick Kahn (1), porte parole de la Licra Rhône-Alpes, qui ayant tout juste réussi à réunir un millier de personnes devant la préfecture du Rhône mercredi soir, engage toute sa rhétorique contre ce qu’il nomme plaisamment « la cyberhaine », et ne craint pas d’évoquer la peur que Lyon ne devienne une plate forme de l’extrême droite ». Collomb appréciera.

Tous ces amalgames ne sont pas uniquement ridicules, ils sont malfaisants. Car ces associations qui attaquent sans cesse Soral, Dieudonné, voire Zemmour, c'est-à-dire un savoyard,un noir et un juif, feraient bien mieux d’aller écouter de plus près de ce qui se dit dans certaines salles de prières de l’Islam radical. Mais leurs leaders ne semblent pas pressés d’identifier où se trouvent les racines de la nouvelle judéo-phobie qu’ils dénoncent et qui, malgré les chiffons rouges qu’ils agitent jusque dans les ministères, est heureusement loin d’être majoritaire en France.

Parmi ces allégations stupides et de mauvaise foi, la première est d’assimiler le spectacle de l’humoriste franco-camerounais à un meeting. Car la différence entre les deux est facile à repérer : dans un meeting du PS ou de l’UMP, on se fait littéralement chier. Dans des meetings plus partisans, comme ceux de Le Pen ou de Mélenchon, flottent certes  des parfums de lyrisme suranné. La France de Jeanne d’Arc contre celle de Louise Michel pour pousser la caricature. Mais enfin, on  rigole rarement, convenons en. Chez Dieudonné, on rigole. C’est ce qui fait la différence entre un meeting et un spectacle.

Mais de quoi rigole-t-on au juste ? Sans tout le tapage médiatico-politicien orchestré autour de sa personne, j’avoue que je ne me serais jamais rendu dans un de ces concerts, n’ayant suivi que de fort loin ses démêlés avec le CRIF depuis son fameux sketch chez Fogiel. Mais, vu la grande confiance que j’accorde aux divers porte paroles de l’establishment, je préfère constater par moi-même, plutôt que d’avaler des fadaises à la cuillère, comme si on nous faisait vivre dans une  incessante campagne électorale.  

J’ai passé une bonne soirée, au sein d’un public qui reflète bien cette France à plusieurs vitesses de 2014, dans laquelle faire rire de la ligne officielle est devenu une gageure. Car, faut-il le rappeler, un bon comique est quelqu’un qui fait rire non pas de l’autre, mais de soi-même. Or comment faire rire cette France aseptisée d’elle-même ? Cette France écartelée entre les discours, dont ses dirigeants se gargarisent, sur la sacralité d’un prétendu universalisme républicain, les guerres dans le monde qu’ils mènent au côté de l’Otan, et les politiques communautaristes à visée électoraliste qu’ils conduisent en sous main ? Cette France qu’on déclare en haut lieu frileuse, anxieuse, honteuse, populiste (ce que l’adjectif haineux partout répandu prétend reprendre en un seul mot) ? Comment la faire rire, sinon, comme la tradition la plus moliéresque le veut, en riant de ses peurs, de ses phobies, de ses mœurs ?  Dieudonné énerve en haut lieu, il ne ferait  « plus rire personne » ont affirmé BHL et Manuel Valls. C’est que son humour brise un à un tous les poncifs de l’idéologie sociétale dominante,  dans laquelle son public a été élevé, et dont il semble qu’il soit plus que las.

Les ambiguïtés de la tolérance, avec le mariage pour tous et la marchandisation des corps, tout d’abord : Comme Cabu riait jadis du beauf en slip kangourou sautant sa bourgeoise pour la trousser en cinq minutes avant de ronfler, Dieudonné se paye la tête du couple d’homosexuels blanc, parti en Afrique pour acheter un enfant à adopter, et à qui un trafiquant d’organes et de bébés noirs dit : « méfiez-vous, ici on n’est pas homophobe, mais homophage » ;

Le rôle de l'école, et de l’histoire officielle qu'on y enseigne, ensuite (avec le chapitre à lire « toujours le même »). Un petit gosse noir s’en plaint à son père. Le père excédé dit alors à son fils « va au moins à la récréation ». C’est du très bon Petit Nicolas à l'envers, qui se paye la tronche de l’éducation citoyenne et du credo antiraciste qui la sous-tend.

Les comiques officiels,- et l’on pense à Jamel Debbouze, qui soutint jadis Dieudonné, et qui danse à présent en solo avec Hollande. L"humoriste n'hésite pas à se gausser de son ancien compère Elie Semoun qui peine à remplir les salles, malgré la promo dont il bénéficie sur tous les plateaux télé, et les réductions en comités d’entreprise. Plus généralement, lorsqu'il aborde la question du comique et de la censure, de la censure et du pouvoir, de la réussite et de l'argent, mettant en lumière les liens entre comique et compromission, on comprend vite tout ce que Dieudonné dérange dans le petit univers du show-business;

Dieudonné expliqua un jour dans une interview qu’il aimait que « les racines du rire soient dérangeantes »  En filigrane, donc, sur ceux qui incarnent le pouvoir de la loi (huissiers, juges, Conseil d’Etat, Valls, Hollande) et de la vertu moralisante (sionistes et francs-maçons), Dieudonné tape sans concession et sans discrimination.

Le caritatif bisounours en prend aussi pour son grade lorsqu’il termine sur l’évocation de Romain, l’adolescent cancéreux qui roula dans la farine l’association Make a wish, et se paie le luxe – en hommage au panache de ce dernier– de faire « une quenelle dans le fion de la peur ». Il fait alors chanter « Hollande l’entends tu, qui se glisse dans ton c… la quenelle… » à tout son public, comme Le Luron en son temps faisait chanter « L’emmerdant, c’est la rose... ». A la manière d’un formidable Bruant nègre, il dresse le rire (faute de mieux) devant la duplicité du pouvoir en place, qui feint de ne jamais assumer la brutalité de son autorité et l’hypocrisie de sa compassion à géométrie variable. On pense à la querelle entre Molière et les faux-dévots, à l’interdiction dont l’histoire littéraire nous apprit qu’elle fut si vaine du Tartuffe, et l’on se demande sous quelles conditions Valls, prétendument si habile communicant, a pu tomber si stupidement dans le piège du soutien inconditionnel aux desiderata du  CRIF.

Pendant ce temps là, justement, le même Premier Ministre s’inquiète du risque qui «existe que Marine le Pen soit présente au second tour ». Ha ha ! Ce qui existe, il l'a parfaitement compris, c’est le risque qu’un socialiste (en l’occurrence lui-même) ne s'y trouve pas ! Car c’est une erreur, une grossière erreur à long terme, la pire que puisse faire un  politique, de s’en prendre à un comique populaire.

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(1) Déclaration de Patrick Kahn, qui permet de comprendre pas mal de faux semblants : « Pourquoi assiste-t-on à une condamnation unanime des récents propos de M. Le Pen – ce qui est très bien – alors qu'il y a une telle indifférence avec un mec comme Dieudonné qui dit des choses cent fois pires ? » 

vendredi, 01 novembre 2013

Le gardien d'amphithéâtre

Depuis bientôt vingt ans, un même homme garde le dépôt mortuaire de l’hôpital Saint Gaspard. C’est parce qu’il ne supportait plus la promiscuité des vivants - ses pairs, que le gardien d’amphithéâtre avait trompé leur compagnie. Avide de quelque chose qui fût à la fois une faille et un salut, désireux d’éconduire l’uniformité de leurs mœurs, la fadeur de leurs désirs, la rudesse de leurs goûts, lassé du pli impeccable que prenaient leurs opinions, il s’était peu à peu épris de celle, unique et irremplaçable, des morts.

On le disait maniaque : Il aimait sa tenue de coton blanc marquée à son nom, une chemisette à manches courtes boutonnée sur le devant et un pantalon qu’il ne confiait jamais à la lingerie de l’hôpital, mais qu’il se plaisait à nettoyer lui-même dans le tambour ronronnant de sa machine, rue des Marchands de Paniers; contre sa chair, chaque matin, le contact rugueux et familier de l’uniforme.

On le disait insensible : Il aimait les rudes effluves d’alcool que dégageaient, avant de s’évaporer dans ses éponges brunes, les liquides aseptisant avec lesquels il nettoyait l’acier incurvé de ses brancards : Une odeur, la même, toujours, nulle part aussi vive qu’à l’instant où, ses poings libérant leur pression, l’éponge s’enflait et en distillait l’arôme à ses narines ; arôme proprement inaltérable ; bien mieux que l’odeur de la femme ; mieux que celle du goulot ; odeur du gîte.

On le disait casanier : Il aimait les éclats de lumière des instruments multiples de ses boîtes d’autopsie, pinces, ciseaux, écarteurs, qu’il étalait souvent sur le carreau blanc, s’abandonnant longtemps devant ces ustensiles à d’improbables navigations. 

On le disait misanthrope : Ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était le froid  brusque, l’âcreté des odeurs rances, le métal étincelant des civières de ses cryptiques réduits réfrigérés. Les hôtes, qu’ils hébergeaient. Il aimait le formica veiné des portes de ses frigos. Là, seulement, lui était-il possible de dessiner, pour son usage le plus intime, le plus vivant, les contours de sa propre originalité.

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Respirer ! D’autres n’en étaient plus capables. Devant l’étendue plane de leur poitrine, il aimait le contraste de la sienne, encore palpitante. Il aimait la lenteur, le retrait du temps passé auprès de ces cadavres. Là, il comprenait la valeur, l’étreinte, la qualité et la douceur de l’acte d’aimer. De l’intérieur, seul et pour lui-même puisque nulle décision politique, nulle science, nulle prière, nul désir de changement ne sauraient jamais ranimer ces astres endommagés.

Etat de leur musculature, callosité de leur peau, emplacement de leur gras, profondeur de leurs rides, fourniture de leur pilosité : il devinait sans mal quels avaient été les contours de leur existence sur terre : la spécificité de leur métier, la garniture de leur compte en banque, le confort de leur habitat, la qualité de leur esprit, la diversité de leurs goûts, jusqu’aux contours du tracé le plus original, le plus officiel d’eux-mêmes :  les caractères qu’il imaginait, secs ou généreux, découverts ou barrés, en longues arabesques ou réduits à d’administratives initiales, de leur signature.

A chacun de ces personnages, il attribuait dans son ennui le non-lieu d’un roman, chérissant dans l’huis-clos de lui-même les battements de son propre cœur, dans le vase de son imaginaire, la cadence régulière de son souffle, l’écho bourdonnant du sang dans ses artères. Circulation. Là où ça se passe. Avec une jouissance aussi obscène que frénétique, il comprenait à quel point étaient vifs et précieux ses mains, ses doigts, qui bougeaient. Ses ongles, ses cheveux, qui poussaient.

La direction de Saint-Gaspard n’avait jamais eu à lui reprocher quoi que soit  dans l’accueil qu’il réservait aux familles ou la tenue ménagère qu’il assurait du dépôt. A l’abri d’une administration qui, pour sa ponctualité, sa discrétion, sa disponibilité (il arrivait qu’on eût besoin de lui, le dimanche) lui versait au fil des ans tout juste de quoi survivre décemment, établi dans une place qu’il occupait avec fierté et qui rencontrait à ses yeux le mérite inestimable de le maintenir en marge des vivants tout en faisant de lui l’un de ses pions les plus indispensables à leur société, le gardien d’amphithéâtre filait une existence dont les vivants ne connaissaient rien.

Dans le silence, dans la lenteur, dans le retrait, il aimait. Voilà tout.

Il n’aimait pas qu’on le dérange. 

22:01 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : amphithéâtre, morgue, toussaint, jour des morts, littérature | | |

mardi, 04 novembre 2008

L'abbaye, le jardin, l'amphithéâtre

Le 8 juin 1785, le représentant du peuple Dupuis décide la formation à Lyon d'un Jardin des Plantes dans l'ancienne abbaye des Dames Bénédictines de la Déserte, située sur les pentes de la Croix-Rousse. En 1805, le tout jeune jardin est baptisé « Jardin de l'Impératrice », en hommage à Joséphine de Beauharnais qui fait don de plusieurs plantes exotiques qu'elle avait acclimatées dans son château de la Malmaison, parmi lesquelles une somptueuse collection de roses. A partir de 1831, Charles Seringe, directeur du Jardin, décide d'orienter ce dernier vers la réalisation des objectifs scientifiques de son temps : il constitue un herbier de plus de 17 000 plantes, une collection de bois utile à l'ébénisterie, rassemble une imposante collection de céréales utiles aux agriculteurs, met en place le premier étiquetage systématique et instaure un cours gratuit pour les étudiants des Beaux-arts à l'intérieur du Palais Saint-Pierre. Ravagé par un ouragan en 1853, le Jardin des plantes ferme alors ses portes. Quatre années plus tard, en 1857, profitant de l'inauguration aux Brotteaux du Parc de la Tête d'Or, Seringe transporte dans le tout nouveau jardin botanique toutes ses fragiles et précieuses collections. A partir de ces années là, le jardin des Plantes continue son développement dans ce Parc tout nouveau, fierté du préfet Vaisse, qui accueillera l'Exposition Universelle de 1876, tandis que l'ancien redevient un paisible jardin de quartier, un lieu oublié et sans histoire comme il en existe des centaines dans cette ville.

A cette époque, on savait bien qu'il y avait eu un amphithéâtre à Lyon, mais son emplacement, depuis le XVIème siècle, demeurait une énigme, l'énigme centrale de toute l'archéologie lyonnaise Le lieu était d'autant plus légendaire qu'en son enceinte avaient été martyrisés les premiers chrétiens de la communauté gallo-romaine, dont Blandine, Alexandre et Pothin. D'abord localisé à Ainay, puis à Saint-Jean, enfin à Fourvière, il fut enfin situé avec certitude grâce à la découverte de sa dédicace, sous le vieux Jardin des Plantes, devenu entre temps un jardin banal que se partageaient depuis un siècle pigeons, enfants, amoureux et nourrices. Des blocs de calcaire du midi donnant la nature du monument (un amphithéâtre), le nom des deux personnages (Rufus père et fils) ayant financé une partie de sa construction, furent exhumés et le mystère de l'emplacement de l'Amphithéâtre des Trois Gaules se trouva enfin résolu.

 

 
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Le touriste peut éprouver une déception légitime devant ce maigre réduit de terre rouge finalement exhumé, les quelques débris de gradins offerts à sa vue. C'est tout ce qui reste de la magnificence de l'Amphithéâtre des Trois Gaule qui dominait majestueusement Lugdunum sur la colline de Condate. Rien de plus lyonnais, finalement que ce bâtiment dilapidé dont les siècles et leur nécessité ont dispersé les pierres, et que l’imaginaire seul peut relever à sa guise : utilisé comme carrière afin de construire les murs de bords de Saône et bâtir les premières sanctuaires chrétiens, comme beaucoup d’autres au cours de l’histoire tumultueuse de cette ville, comme l’autel de Rome et d’Auguste, comme les églises Saint-Etienne et Sainte Croix, comme l’hôpital de la Charité, il s’est tout simplement « évaporé ».  Ce n'est pas le moindre charme de l'histoire cette ville fascinante, qu'un amphithéâtre se mue en abbaye, laquelle cède la place à un Jardin des Plantes, lequel accouche finalement du simple souvenir de l'amphithéâtre des commencements.