mercredi, 16 décembre 2015
Je suis romain
C’est à l’aversion de Charles Maurras pour Clémenceau, alors président du Conseil, qu’on doit toute l'intelligence de ce texte, « Je suis romain ». Clémenceau, qui venait de faire passer la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, avait lancé son tonitruant et scolaire : « Serons-nous la France de Rome ou celle de la Révolution ? » Le chef de l’Action Française y répliqua en soulignant la romanité intrinsèque au seul véritable nationalisme historique de la France.
L’actuel Premier Ministre – ou du moins ses conseillers en communication – puise, on le sait, sa rhétorique souvent binaire chez ce moustachu Clémenceau. Or je l’imaginais tout à l’heure vociférant à l’Assemblée, à la suite d'un énième attentat qui aurait conduit le pays à des débats inimaginables quelques décennies auparavant : « Serons-nous la France de l’Islam ou celle de la Révolution ? »
Une boutade ? A peine… Et je me demandais quel Maurras aurait alors le front suffisamment spirituel et la volonté suffisamment inflexible pour se lever et défendre notre vieille souche catholique face à ces deux Terreurs, par nos temps post modernes, brandies, et de jeter à la face des Bartolone et autres barbares démocratiques qui occupent le Palais Bourbon ce qu’il jeta alors à celle de Clémenceau :
05:37 Publié dans Là où la paix réside, Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : catholicisme, romanité, france, nationalisme, république, maurras, clémenceau, bartolone, marc sangnier |
dimanche, 10 novembre 2013
Le canard déchainé
Je ne sais trop quelle folie commémorative s’abat sur nous. La frontière est toujours tenue, dans ce genre de manifestations, entre recueillement et travestissement, mémoire et lieu commun, symbole et spectacle. Dans Ce que j’ai vu à Berlin, Béraud raconte que les Allemands ont regretté de n’avoir pas avoir eu l’idée du soldat inconnu avant nous. Car même s’il ne le dit pas en ces termes, Béraud démontre que le soldat inconnu est une géniale opération de communication voulue par Clemenceau. Anne Méaux dira la même chose à propos de la Libération de Paris et de la descente des Champs par De Gaulle. La communication politique- propaganda - naît vraiment au vingtième siècle, l’ère des médias, même si l’Eglise et les Rois ont toujours su pratiquer l’art du spectacle. Nous sommes, avec le media moderne, dans le différé et le retransmis, ce qui change la donne aussi bien dans la création du spectacle que dans ses effets.
On nous annonce donc un calendrier commémoratif. Le Goncourt de cette année, que je n’ai le temps ni de lire ni de chroniquer, a ouvert cette vaste entreprise de marketing. Mieux vaut relire Paul Lintier et Galtier-Boissière, sans aucun doute. Ou même Tardi. La guerre de Troie eut son Homère. Celle de Quatorze aura eu sa multitude de copistes, signe qu’elle fondait un nouveau monde ; c’était la première fois qu’on utilisait aussi systématiquement l’arme chimique, et qu’on pratiquait avec tant de véhémence le fameux bourrage de crânes. Le Canard Enchaîné, dont la dernière Une raille les velléités commémoratives de l’actuel président demeure le dernier journal à tradition polémique, parmi tous ceux qui naquirent de la contestation de la grande Muette d’alors. Signe qu'une certaine presse, dont on apprend dans les écoles de journalistes que le respect de la ligne éditoriale doit être la seule lettre et le cirage de pompes de la politicaille le seul esprit a, hélas, mis fin à la libre parole, au nom du mythe absurde de l'objectivité et de celui, au moins aussi absurde, de la République .
21:36 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : béraud, lintier, tardi, canard enchaîné, littérature, polémique, clemenceau, anne meaux, soldat inconnu |
dimanche, 21 septembre 2008
Les disparus du pont Mouton
A la sortie du tunnel de la Croix-Rousse à Lyon, du côté de l'ancien faubourg de Vaise, un pont barre de son tablier d'acier de plus de soixante mètres l'ouverture du paysage vers le nord, là-même où la Saône, alanguie et courbée, un peu lasse de son épuisante traversée du Forez, agite son éventail avant d'effectuer une entrée seigneuriale dans la cité. Et comme non loin se trouve un arrêt de bus ("Pont Mouton") beaucoup continuent à donner à ce pont, lorsqu'on parle de lui (remarquez bien que c'est un sujet de conversation incontournable) ce nom-ci de Mouton.
Or le promeneur attentif apprend d'un vilain panneau que le susdit pont se nomme en réalité du patronyme du petit Père la Victoire, surnommé aussi le Tigre, vous savez, - oh, c'est de l 'histoire antique - le papa Clémenceau. Depuis 1952, ce pont a remplacé le plus ancien, qui joignait la place du Port à l'actuel quai Joseph-Gillet, ex quai de Serin. Ce pont Mouton datait, lui de 1865 et avait été dynamité par les Allemands en 1944. Il n'en reste pas la moindre trace, pas même dit André Pelletier dans son Histoire des ponts et Quais de Lyon (Elah 2002) "une plaque commémorative". Le Tigre aurait-il bouffé le Mouton jusqu'à l'os ?
C'est oublier la force de l'usage. Tout le monde, y compris les TCL (transports en commun lyonnais) continue à dire le Pont Mouton. Une hôtellerie, dite"logis du mouton", en laquelle logèrent plusieurs rois de France à l'occasion des entrées solennelles qu'ils firent dans leur cité de Lyon par la porte de Vaise avait jadis donné le nom à une rue qui la refila par ricochets au pont. Rien à voir avec les moutons, comme on pourrait le croire, au vu des quelques squelettes en acier d'ovins broutant que la municipalité a placés sur le peu de pelouse de l'endroit. C'est généralement devant le Logis que les membres du corps consulaires attendaient le roi pour le saluer avant son entrée spectaculaire. Située au carrefour des routes de Bourgogne et du Bourbonnais, elle était célèbre et fréquentée.
Ceux qui aiment le Pont Mouton (ça existe, des gens comme ça ?) peuvent lire un joli roman de Georges Champeaux intitulé "Le Roman du vieux Groléen". L'action se déroule dans le faubourg de Vaise des années 1900 - contemporaines de l'écriture - et narre une romance amoureuse dans le milieu ouvrier de l'époque. On y ressent bien les attentes, les émois, les pudeurs et les espoirs du petit peuple de ce temps là. Je dirais - n'en déplaise à Valéry Giscard d'Estaing qui nous fit le coup, jadis, du "Maupassant meilleur écrivain de France" - que c'est du Maupassant en plus léger, plus frais, sans les poses. On ne le trouvera, hélas, que chez de bons bouquinistes ou libraires spécialisés bien achalandés. (Honoré aux Terreaux, Diogène à Saint-Jean), ou sur le web. J'emprunte à ce roman qui date de la Belle Epoque de l'avant-Clémenceau, la description du magnifique panorama, crayonné non loin du Pont Mouton :
« Accoudé au parapet du quai, il ne se lassait pas de suivre du regard les travaux du bas-port et le mouvement de la batellerie. Et peu à peu s’établissait en lui la conviction qu’il avait sous les yeux un des plus beaux paysages de la Terre. Tout en bas, le serpentement de la rive droite de la Saône , une route de campagne qui devient le quai d’un faubourg, comme succèdent aux pimpantes villas emmitouflées de Saint-Rambert le château d’eau, les grues et les cheminées de l’Industrie. Puis c’est le tassement autour de la Gare d’Eau des vastes entrepôts aux larges toits en pente douce, d’où surgissent, puissants et harmonieux, les trois blocs équarris des minoteries. Et, emplissant le paysage de sa présence, déployant à ses pieds le geste souple de son corps voluptueux, la Saône nonchalante qui paresse et se prélasse, cependant que, rangés le long des bas-ports, les noirs remorqueurs plats, les sapines béantes, les « plattes » pavoisées du linge mis à l’étendage, les péniches pansues ceinturées d’une bande claire, avec la futaie grêle de leurs mâts aux pointes blanches de minarets, parent ses profondeurs de leurs reflets. Longtemps le père Chatard avait méconnu la beauté d’un tel spectacle. Mais voici que du fer et de la pierre comme des feuillages et de l’eau, affluait une sympathie pénétrante. Et c’était l’âme même de ce paysage composite qui commençait à l’imprégner – une âme qui mêlait au sortilège originel de la nature la majesté poignante de l’effort humain »
Pauvre Champeaux, qui se souvient de lui ? Comme les moutons qui hantent le neuvième arrondissement et bêlent de douleur au crépuscule, il fait dorénavant partie des disparus illustres de l'endroit.
08:14 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : pont mouton, vaise, lyon, littérature, clémenceau, georges champeaux |