Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

vendredi, 15 novembre 2013

Des bien-pensants au XXIe siècle

Nous sommes loin, à présent, de La grande peur des bien-pensants, tant l’univers intellectuel du pays s’est dégradé. Pas facile, dès lors, de parler de bien-pensants, car cela nous ramène à la Libre parole de Drumont, et au magnifique essai que lui consacre Bernanos en 1931. Bernanos, comme d'autres, a été étrillé par tous les points de vue binaires et outrageusement simplifiés de la propagande officielle, passé sous les fourches caudines de BHL et de sa très puante Idéologie française qui lui valut les remontrances de son maître, Raymond Aron, mais lança sa carrière de bien-pensant alors même que le grand simulacre mitterrandien qui devait aboutir à Maastricht se mettait en place dans la carnavalesque et pluvieuse fête de la Bastille de mai 81.

La bien-pensance, dans les milieux bobos , qu’ils soient tendance NKM ou tendance Hidalgo,  c’est une posture de circonstance, qu'on adopte au fil des conversations, une sorte de convenance sociale qui n'est jamais non plus dénuée de religiosité. Voyez Edwy Plenel . C'est pourquoi n'importe quoi peut devenir de la bien-pensance, dès lors que la conviction s'estompe et que la nécessité intellectuelle du combat est remplacée par le consumérisme de salon ou l'opportunisme du journaleux. On n'est donc  - au moins pour la pose - pas très loin de Flaubert et de ses idées reçues, de Bloy et de ses lieux communs. Relisons, à propos de cette bien-pensance, ce qu’a écrit Bernanos  dans la conclusion de son essai de 1931 :

« C’est bien plus profond qu’il faut chercher  le germe vénéneux. Car la guerre des démocraties, la guerre des peuples, la guerre universelle a voulu son langage universel, lui aussi œcuménique. Pour le constituer, elle a pillé le spirituel comme le reste, fait débiter par tronçons à la vitesse maxima des rotatives une sorte de métaphysique à la fois puérile et roublarde, dont les mots les plus vénérables, Droit, Justice, Patrie, Humanité, Progrès, sortaient marqués d’un signe et d’un matricule, comme des bestiaux – au point que nous les vîmes servir depuis, avec une égale docilité, les convoitises américaines et le pacifisme hypocrite des banques »

« La dépossession progressive des Etats au profit des fortunes anonymes de l’Industrie et de la Banque, cet avènement triomphal de l’argent, qui renverse l’ordre des valeurs humaines et met en péril l’essentiel de notre civilisation s’est accompli sous les yeux d’hommes qui ont gravement hoché la tête, ou parlé d’autre chose »

Si aujourd’hui la gauche, bien plus que la droite, est saisie en flagrant délit de bien pensance, et se découvre nue et gangrenée par elle, c’est parce qu’elle a accepté l’ordre économique de l’Europe, l’affaiblissement de l’Etat, le sacre de la finance et du FMI, qu’elle a consolidé de ses propres mains la nouvelle économie qu'à présent elle dénonce dans toutes les instances où elle a été au pouvoir, tout en souhaitant se garder je ne sais quelle âme risible pour se préserver de je ne sais quel fascisme.

Elle a, comme la droite sarkoziste qu’elle vénère et vomit à la fois, renié le vote des Français de 2005. Elle s’est assise sur la légitimité populaire. Elle l’a conspuée.Tous ses discours pseudo-moraux sur la justice comme sur l’antiracisme, sur la démocratie comme sur l’honnêteté de ses élus (on n’a même plus besoin de citer les affaires pour les voir s’enfoncer dans le marais des sondages), sonnent dès lors creux, faux. Autrement dit, atrocement bien-pensants. Un chapelet de vœux pieux qui ne tolère même plus l’humour et serait à deux doigt de légitimer la censure, sous le règne du valeureux Valls et de l’hystérique Taubira.

Ramenées à une proportion inédite de 15%, les côtes de popularité du sordide pingouin et de tous ses ministres brailleurs ne sont que le reflet  de l’ineptie de ce discours insupportable et faux. Et de son impact sur une population relativement éduquée, exaspérée de s'entendre dire que son principal problème est d'être homophobe, xénophobe et raciste, tout en étant taxée à tous les étages de l'impôt.

Alors cette population les attend au coin de l'isoloir.En vain, me direz-vous, car l’Etat médiatico-policier triomphera toujours.Hélas, je le crois aussi.

Mais c’est bien l’ironie de toute cette mascarade, que le seul vote qui  puisse sauver la démocratie aux yeux de gens dont on ne s’attendait pas qu’il en fût un jour ainsi, soit celui dont la réputation est d’être le moins démocratique ! France, patrie des droits de l'homme, ha ! ha ! voilà où mènent,  après trente ans de langue de bois, trente autres années de bien-pensance. Je n'ai jamais songé que l'avenir était effrayant. Mais il est en effet, plus que jamais, obscur. 

dimanche, 07 avril 2013

La mesure de l'information

On le sait depuis l’ingénieur Shannon, la mesure d’une information tient à son degré d’apparition dans une chaine de probabilités donnée. Comme il était statistiquement peu probable qu’un ministre du budget chargé de traquer la fraude fiscale fût lui-même un fraudeur fiscal, on dira donc que le fait qu’il en soit un ne fut une information stupéfiante que pour ceux qui croient en la vertu de leurs élus ; pour les autres (les plus nombreux, qu’on dit atteints de populisme), la corruption des élites n’est pas une information nouvelle, mais bel et bien un fait avéré depuis longtemps.(1)

Dès lors, si l’on veut cacher sa propre corruption, il convient de rétablir « l’offense à la vertu républicaine » dans son caractère de rareté initiale, qui fait d’elle (pour certains) une information exceptionnelle : ce qui revient à exagérer considérablement l’opprobre jeté sur le fauteur de troubles.  C’est la stratégie adoptée par le président, le premier ministre, le gouvernement : on comprend quel est leur intérêt.

Shannon explique aussi que ce qui tue l’information, c’est le bruit. L’affaire Cahuzac se prête à merveille à une manipulation des esprits assez grossière, mais peut-être rassurante pour le plus grand nombre : en déplaçant la question sur le terrain moral (on fait beaucoup de bruit sur ce terrain) on oublie aussi le caractère politique de l’événement. Un président permet ni plus ni moins à un escroc de diriger le Budget du pays pendant presque un an. Faute professionnelle grave qui, dans d’autres pays aurait pu soulever une procédure d’impeachment.  D’où l’intérêt, malgré les risques encourus, de substituer au tous incompétents, le tous pourris. Et de partir en croisade contre la corruption. La manœuvre semble être en train de réussir

De leur « boite à outils », les communicants du président s’apprêtent à sortir de nouveaux « éléments de langage » pour les enfants que nous sommes à leurs yeux. Après la rhétorique du « changement », ils avaient, en effet, prévu celle du « choc » Le président avait lui-même annoncé « un choc de simplification ». L’affaire Cahuzac intervenant, ils sortent donc un nouveau tour de passe-passe ; voici venu  le temps du « choc de moralisation », que tous les medias, avec une servilité tragique, ne cessent de vendre.


Ce qui peut inquiéter le citoyen, c’est que, malgré la proximité de l’élection, nous avons affaire à une équipe déjà aux abois, engluée dans une spirale qui n’est pas, contrairement à Cahuzac, celle du mensonge, mais plutôt celle de l’incompétence. Une équipe qui, de surcroit, va confondre jusqu'au bout son destin et le destin du pays (On se souvient de la prostate du président, réélu coûte que coûte en dépit de tous les reniements,un cas d'école). 

Edwy Plenel, qui monnaye avec beaucoup de subtilité le dosage de l’information et la notoriété de Médiapart, promet pour tantôt de fracassantes révélations. Si ces révélations demeurent à la mesure de ce qu’on attend d’elles, il est probable qu’on en bouffe encore et encore, du bruit (c'est-à-dire de la célébration aussi ridicule qu’intempestive de la vertu républicaine).

On murmure l'annonce d'un référendum (2) sur une question de ladite moralisation. Le moyen est grossier, ils ne reculeront devant rien pour rafistoler la confiance en berne et la légitimité en question. On se rappelera de la phrase d'Alain : "Le plus grand abus de la force est sans doute d'exiger l'assentiment" (3) Et tout ça pourquoi ? Pour masquer, quoi qu’il arrive, l’incompétence politique de l’équipe et du président au pouvoir, dont l’impopularité dans les sondages n’est plus, depuis longtemps, une information. 


(1) Il n'est pas nécessaire d'aller jusqu'à la corruption financière pour être, au sens populaire, un pourri. Dans La Trahison des Clercs, Julien Benda évoquait la corruption intellectuelle qui est amplement suffisante...

(2) Non, pas sur le mariage gay, ce ne serait pas constitutionnel paraît-il... (ah ah ah !)

(3) Alain, Nuances de l'humiliation, in Convulsions de la force, 1939