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vendredi, 20 mars 2015

La Queue chez Alexipharmaque

Merci à Alexipharmaque pour son commentaire en deux temps de La Queue, dont cet extrait qui me touche tout particulièrement : "Un livre, aussi, écrit par un vrai connaisseur de la langue française, qui a fait le pari d’adapter le style de son écriture au contenu du récit – variable donc suivant les moments, comme les couleurs des jours et des saisons".  Parce que c'est vrai, soumettre le style au contenu, c'est faire le contraire de ce que le siècle précédent a promu sous le gant de fer des structuralistes, c'est à dire plier le contenu à la toute puissante, à la sacro-sainte forme, et c'est un des grands plaisirs de l'écriture de se laisser couler ainsi, de méandre en méandre ...  

(se la couler douce ?)...

 

18:31 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alexipharmaque, la queue, le bug, littérature, roman, thévenet | | |

mercredi, 18 mars 2015

L'homme aux bijoux

Un homme vivait avec des bijoux soigneusement planqués dans les tiroirs de sa commode, par-dessous ses pantalons, ses chemises et ses caleçons. Chaque soir, avant de s’étendre pour la nuit, il les contemplait avec une joie qui le réconfortait des déconvenues de ses mornes journées perdues au bureau, à effectuer ce que ses collègues appelaient comme lui des tâches ingrates.

Au fur et à mesure que s’écoulaient les années, leur éclat perdait en luminosité. Il ne s’en rendait pas vraiment compte, tant son plaisir de les retrouver de retour chez lui était grand. Il se saisissait alors d’une bague ou d’un collier, souriant de contentement à cette vue, avant de reposer délicatement sous une pile de vêtements son trésor.

La sagesse eût voulu qu’il assurât ces merveilles auprès d’une compagnie de bon renom. N’habitait-il pas un modeste deux-pièces, au neuvième étage d’une tour des plus ordinaires des quartiers  périphériques, là où les vols étaient fréquents et les policiers depuis longtemps démissionnaires ? Il n’avait même pas pris soin, comme le couple de retraités qui logeait au-dessus, et dont il entendait certains soirs les pas furtifs au-dessus de sa tête, de se munir d’une porte blindée...

Littérature,poésie

 

Quiconque eût imaginé que dans le tiroir branlant de cette commode en pin, à l’intérieur de ce vulgaire logis de banlieue, se trouvait une fortune aussi abondante que peu protégée l’eût traité  de fou, assurément !  Pas même une carabine au-dessus de son lit, pour le cas où un intrus...???   Mais lui souriait, assuré de ne courir aucun risque. Il connaissait le pouvoir tout particulier de ces bijoux-là, de n'être visibles que des morts…

06:09 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, poésie | | |

mardi, 10 mars 2015

La Queue, on en parle...

queue-1.jpg

La Queue, on en parle ICI & ICI , ICI & ICI

20:52 Publié dans Des Auteurs, Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : la queue, littérature, bug, thévenet | | |

dimanche, 22 février 2015

L'absente de tous bouquets

 « À quoi bon la merveille de transposer un fait de nature en sa presque disparition vibratoire selon le jeu de la parole, cependant : si ce n’est pour qu’en émane, sans la gêne d’un proche ou concret rappel, la notion pure ?

  Je dis : une fleur ! et hors de l’oubli où ma voix relègue aucune couleur, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets. »

 

Frappé – suffit pour cela de quelques lignes de Mallarmé relues – du peu de goût, d’enclin, d’affection de ce présent infect pour la poésie, la qualité vibratoire du son, la résonance absolue du signe en l’esprit dans la richesse et la tension de tout son arbitraire. Race maudite nous voici devenus, race plusdite même, race sans poètes tandis que les mots de la tribu mallarméenne un à un jetés à l’encan sont mis en procès dans l’imaginaire populaire par l’infectieux agent politicien.

Quelques lignes d’une langue non point morte mais tue, à l’heure que le jeu de la parole se borne au vent imbu du dire et que la notion pure se retire, et que le concret bat tambour, ignare et assourdissant !

Oserai-je même dire : une fleur, de peur que sitôt ne frappe à ma porte la salopette d'un livreur du Monoprix, son bouquet éteint à la main, vide de tout risque et stupidement présent sur la page où nul ne l’aurait désigné ?

 

A quoi bon donc cette merveille du pur poème, sinon la protection d’un son dans l’écrin de la suggestion, infime et seul écran face à la honte déjà toute bue dans le calice du signe de l'horreur de demain ?

 

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Portrait de Stéphane Mallarmé par Manet, 1876

dimanche, 15 février 2015

Marie ma exaucée

A l’intérieur de la chapelle de la Vierge de Fourvière à Lyon, le vingtième ex-voto en comptant du bas sur le deuxième pilier droit arrête le regard : Marie ma exaucée. Comme beaucoup d’autres, il date du Second Empire.

Gravée dans le marbre, la faute d’orthographe n’est pas sans en rappeler une autre, tracée avec du sang de 1991, le fameux Omar m’a tuer de Ghislaine Marchal.

Sans doute fut-elle laissée là pour témoigner de la ferveur populaire envers la Vierge, à qui Joseph Fabisch venait depuis peu d’élever une statue.

Marie ma exaucée : il y a donc, se dit-on tout d’abord, comme un marqueur de classe et de ferveur dans la disparition de l’apostrophe. On pense aussi aux progrès tout relatifs de l’esprit humain de l’époque de Napoléon III à l’an 2011, tant les « ma » pour des « m’a » et les « tuer » pour les « tué », sans compter les « mon » pour les « m’ont » et autres laideurs sont légions dans les copies d’étudiants du XXIème siècle. Evolution, vous avez dit évolution ?

En même temps, je ne sais plus quel linguiste rappelait que toute faute individuelle de langage, si horrible fût-elle, était motivée par une signification parfois presque consciente. Le regard s’attarde à nouveau sur le propos, au tiers supérieur du pilier : Marie ma exaucée.

On songe que ce ma pourrait aussi bien être un déterminant possessif, et qu’ainsi ce serait fort joli : Marie ma exaucée, comme Marie ma bien aimée. Dans cet emploi, exaucé serait un participe passé substantivé juxtaposé ; évidemment cela contrarie l’idée première de l’ex-voto puisque c’est Marie qui a exaucé le vœu de la personne qui le fit graver. Or Marie sujet ne peut devenir objet du vœu.

Cependant, se souvient-on, Marie ne fut-elle pas aussi exaucée ? Si l’on en croit le splendide Magnificat, nulle personne ne le fut même mieux qu’elle. La faute nous fait ainsi passer d’un vœu exaucé, celui de la personne qui commanda l’ex-voto, à un autre, celui de la fille d’Anne et de Joachim. .

Certes, c’est sans compter sur la règle qui veut que devant un nom féminin commençant par une voyelle, pour éviter un hiatus disgracieux, on emploie les formes masculines (mon, ton, son, au lieu de ma, ta, sa : Ma femme, mais mon épouse). Il eût donc fallu graver Marie mon exaucée.

Mais la faute, justement,  prend un caractère poétique qui commence à me charmer.

J’imagine cette lyonnaise de la deuxième partie du XIXème, une mère de famille à fois pieuse et bonne-vivante, dans le genre de celles qui faisaient leur marché sur le quai Saint-Antoine et qu’on voit sur les tableaux de petits maîtres dans certaines brocantes. Longue jupe de coton, fichu noué, chaussures entre la sandale et le sabot, dans cette ville où l’on allait encore beaucoup à pieds.

Et puis son garçon soudain saisi d’une mauvaise grippe, ou quelque chose de plus grave encore du côté des parents, du mari, et voilà que tout s’arrange, les détours d’une vie. J’imagine les longues visites qui précédèrent l’heureux dénouement, les montées à Fourvière comme disaient alors les petites gens du centre ville, dans cette chapelle emplie non pas d’Histoire raisonnée, mais d’histoires murmurées, devant ce retable baroque où  trône encore cette Vierge en bois vêtue d’étoffes chatoyantes,  et dans la cire des cierges d’antan, elle sent l’odeur du petit Jésus, ça, c’est l’expression des curés d’antan.

Pour qui sait lire, il y a tout cela, plus même dans cette faute. 

Le garçon, un compagnon lourdaud qui d’une main rugueuse la grava définitivement, cette faute, dans l’atelier d’un faubourg,  pensant probablement à sa belle à lui, sa bien aimée, Marie ma exaucée. Après, c’était trop tard. Il faut imaginer aussi le moment où un prêtre maigre et sérieux finit par découvrir la faute. Au prix que coûtait le  marbre, on jugea que ce n’était pas si grave, que le Seigneur, c’est bien connu, ne regarde pas le degré d’instruction de ses ouailles. Et on fixa quand même cet objet de reconnaissance parmi les autres, qui demeure (le vingtième en partant du bas sur le deuxième pilier droit), comme un témoignage, un testament.

Toute faute d’orthographe étant, au même titre qu’un trope, un écart, n’est-elle pas aussi, d’une certaine façon, une figure poétique ? Dans ses Etudes de style, le philologue Léo Spitzer évoque cette « linguistique behavioriste, antimentaliste, mécaniste, matérialiste, qui voudrait faire du langage ce qu’il n’est pas : un agglomérat sans signification de choses inertes, un matériel verbal mort, des habitudes des paroles automatisées ».  Pour évoquer la stylistique qu’il pratique, il parle de la « signification interne » que prennent les mots et les figures de style de chacun. Sûr qu’il il y aurait rajouté les fautes, le vieux maître, s’il avait su, ou vu, ces piliers bruissant d’autrefois qui soutiennent la chapelle de Fourvière.

Car avec cet ex-voto insolite, nous sommes à la croisée d’une prière et d’une foi, d’une histoire singulière effacée et d’une civilisation qui perdure, d’un dire aussi beau que maladroit :

Marie, exaucée,

m’a exaucée.

Marie ma exaucée.

jeudi, 12 février 2015

Saint Félix honoreras chaque année que Dieu fera

sticker-felix-le-chat.jpgUn soleil éclatant répand sa lumineuse tiédeur sur la ville de Lyon pour la saint Félix. Les gens cultivés ne sont pas sans savoir que c’est le prénom que porte le joyeux héros de La Queue. Il paraît qu’on l’a enfin retrouvé, mais cet original qui déteste les postures demeure à surveiller comme le lait sur le feu car malgré son grand âge, il a pris soin de ne pas perdre de l’œil son enfance, profitant des leçons de son père adoptif comme de celles de Kerouac ou de Lazareff. Je souhaite donc à cet être de papier bonne fête et longue vie, sous les auspices de lecteurs attentifs. De la lointaine église de la basilique Sainte Anne de Kodeń en Pologne, la relique du crâne de son saint-patron, par doux hasard ou providentielle grâce rencontrée  (c’est selon), veille de loin sur son fabuleux destin. Et par le monde, le pote félin qui porte le même prénom que lui court encore...

reliques de FELIX.jpg

Relique de saint Félix à Kodeń

 

10:08 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : félix, koden, littérature, la queue, le bug | | |

mercredi, 11 février 2015

Gérard de Kerouac, héros religieux

Visions de Gérard est un titre pluriel : Kerouac y entretient son lecteur autant des Visions qu’il recomposa de son jeune frère Gérard (mort à neuf ans alors qu’il n’en avait que quatre) que de celles, surnaturelles, qu’il prête à Gérard lui-même, un ange parmi les anges. Publié en septembre 1963 chez Farrar, Strauss & Cudahy après un retentissant refus de Malcom Cowley, le livre a été très mal accueilli. « Trop compliqué pour des lecteurs courants » (1) En décalage trop apparent, surtout, avec le mythe du beatnik déjà outrageusement exploité par les éditeurs et les journalistes.

Ce Visions de Gérard fut, de tous ses « livres sur Lowell » celui duquel Kerouac parla avec le plus de ferveur. Dans une lettre à Neal Cassady, il confesse adresser toujours des prières à Gérard, comme à Jésus-Christ, à Bouddha et à son père Leo (2), dont il dit dans une autre lettre à Stering Lord qu’il visite régulièrement les tombes (3).

Le livre naquit en janvier 1956, « un grand livre bien triste, écrit-il à Gary Sinder, sur la vie et la mort de mon petit frère Gérard dans les années 20, un livre bouddhiste, funéraire, sombre, pluvieux » (4)

Kerouac dit alors bouddhiste, il dira plus tard catholique. Dans une lettre à Fernanda Pivano datée de début 1964, il se plaint alors en ces termes de Ginsberg et de Corso : « Ils sont devenus tous les deux des fanatiques politiques, tous les deux ont commencé à me vilipender parce que je ne partage pas leurs opinions politiques et eux et leurs amis me rendent malades. Je veux que vous sachiez que Visions de Gérard publié l’année dernière représente le début de ma nouvelle perception de la vie, un retour strict à mes sentiments du début à Lowell, ceux d’un Catholique franco-canadien de Nouvelle-Angleterre et d’une nature solitaire » (5)

Une rupture, donc, qui s’affirme tel un nouveau début, ou plutôt, tel un retour vers le commencement de soi, et la solitude dans laquelle la mort du frère le laissa : « C’était un saint, mon Gérard, avec son visage pur et tranquille, son air mélancolique, et le petit linceul doux et pitoyable de ses cheveux qui retombaient sur son front et que la main écartait de ses yeux bleus et sérieux ». En composant le croquis de ce visage pur du frère perdu, on ressent qu’il s’agit pour l’homme abimé de reprendre pied dans une émotion heureuse parce que liminaire, celle de l’enfance, comme le confirme cette réflexion livrée plus tard dans un interview : « I have a recurring dream of simply walking around the deserted twilight streets of Lowell, in the mist, eager to return to every known and fabled corner.  A very eerie, recurrent dream, but it always makes me happy when I wake up. » (6)

 Il ne s’agit évidemment pas d’une réminiscence, puisque le narrateur de ce bref récit est l’enfant qui vient de naître et assiste, impuissant et sans la comprendre, à l’agonie de son frère à peine plus âgé que lui. Le programme narratif tient plutôt de la  recréation de soi, au sein de l idéal de sainteté qui est au cœur même du projet beatnik de Kerouac, et qui sert au plus près le sentiment d’être pleinement soi.

A l’aune de la mort de son frère, transfiguré par les détails qu’il en couche sur le papier, l’écrivain mesure la vanité de sa carrière, la vanité de son écriture, la vanité de toute vie : « et la seule raison pour laquelle j’ai repris mon souffle pour mordre en vain avec le style ce grand aiguillon au crayon utilisable et indéfendable, c’est Gérard, c’est l’idéalisme, c’est Gérard, le héros religieux ». Kerouac, assurément, a imaginé dès son plus jeune âge l’écrivain – le beatnik –tel un héros religieux. Son parcours dans l’Amérique matérialiste et brutale tint d’un chemin de croix que masquerent les succès de la Beat Generation : C’est avec Visions de Gérard qu’il devint le contradicteur de sa propre légende, et vraiment, avec ce petit livre aux antipodes de Sur la route, le plus crument, le plus fidèlement soi-même.

 

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1 Lettres choisies 1957-1969, à Robert Giroux, 18 avril 1963

2 Lettres choisies 1957-1969, à Neal Cassady, fin octobre 1957

3 Lettres choisies  1940-1956, à  Gary Snider, 17 janvier1956

4 Lettres choisies 1957-1969, à Fernanda Pivano, début 1964

5 Lettres choisies 1957-1969, à Robert Giroux, 9 septembre 1964

6 Book News from Farrar, Straus, & Cudahy, Inc. Empty Phatoms: Interviews and Encounters with Jack Kerouac. Ed. Paul Maher, Jr. New York: Thurder’s Mouth Press, 2005.  223

dimanche, 08 février 2015

De l'individualisation de tout

C’est drôle, ces gens qui, pour parler d’un livre ou d’un auteur disent : « c’est sympa ». Ils prononcent rarement cette sentence en raison de leur goût propre,  ou du caractère plaisant de ladite œuvre, mais plutôt au nom de la conformité de cette œuvre avec quelque chose de plus vaste et de plus indéfini, un courant, une tendance dans lesquels ils se mirent et se distinguent, rarement davantage. C’est sympa parce qu’en réalité, ça grenouille dans la même mare que moi, ça brasse les mêmes vagues, sans faire plus de remous en moi-même.  Cela ne me dérange pas, au fond, de lire ce truc. Je m’y reconnais.  Ça m’avantage, comme un vêtement qui m’irait bien. On est fort éloigné du mot d’Henri Massis, affirmant qu’un grand roman n’est jamais là pour résoudre un problème, mais au contraire, pour en poser un. Ou de celui de Char, attribuant au poète authentique la qualité de suprême contradicteur.

J’ai vu apparaître ce phénomène de lecture niaise  avec la montée en puissance d’un certain marketing littéraire assimilant la littérature (ou ce qu’il en reste)  à d’autres divertissements de ce qu’on commença à nommer l’entertainment.  Pêle-mêle, dans un fourre tout propice à établir un marché, musique, jeux vidéo, livres. C’est l’époque où on commença à voir des tronches d’écrivains sur les quatrièmes de couverture comme sur les pochettes de disques, v’savez, col ouvert ou mèches folles. Le triomphe de cette insane culture pour tous, qui n’est rien d’autre que la culture individualisée, c’est à dire l’individualisation des pratiques culturelles allant de pair avec leur massification.  Les deux  vouées au plus immédiat des consumérismes : je n’écoute, je ne vois, je ne lis que ce qui est communément aimable, estampillé sympa sur le moment.  Le livre du moment, c’est tout dire.

Si un auteur n’est pas estampillé sympa ou aimable par votre libraire préféré, son abord est plus compliqué. Les critiques  (ou ceux qui en tiennent lieu)  ont inventé pour lui une nouvelle case, la case réac. Réac, c’est ce qui sans être totalement sympa demeure malgré tout tolérable, voire estimable. Une autre facette du moi social s’y exprime  néanmoins. Un autre aspect de cette individualisation du monde, qui fait que les lecteurs du Monde et ceux du Figaro constituent deux castes, ceux des Inrokuptibles et de Valeurs actuelles deux galaxies, et pourtant habitent dans des appartements similaires, se nourrissent des mêmes produits, se croisent sur les mêmes trottoirs, conduisent les mêmes bagnoles, pour l’équilibre parfait du morose vivre ensemble.

 

De moins en moins de lecteurs vont chercher nourriture chez des auteurs qui a priori ne penseraient pas comme ce qu’eux croient penser. Pour eux, parmi les vivants et les morts, seuls demeurent les Bons et les Mauvais. Pour n’avoir lu ni les uns ni les autres, ils vous imagineront du bon côté s’ils vous voient en compagnie de  René Char, du mauvais s’ils vous surprennent avec Henri Massis.  La propagande politique, c’est le moins qu’on puisse dire, n’affine pas le goût des gens, n’élève guère leur sensibilité à l’autre, ne nourrit guère leur esprit. Et la France, de plus en plus soumise à la propagande au fur et à mesure que la zone l'engloutit, n’est plus un pays de lettrés.  La pensée n'y est plus qu'affaire d'opinions, la religion de points de vue, comme le sexe - le divin sexe - n'est plus qu'affaire de genres. Le sociétal a tout consumé. C’est peut-être pour ça  - et seulement pour ça – qu’elle me plait de moins en moins et que je comprends ceux qui ont décidé ou décident de la quitter bien que, comment penser le contraire, elle demeure mon triste pays blessé.

 

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campagne de I24, la France dans le monde

22:10 | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, rené char, henri massis, france, entertainment | | |

dimanche, 25 janvier 2015

La Queue

 

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Je ne sais trop en quelles contrées je me réfugiais quand j'ai écrit ce roman... ni comment j'en revenais. Mon chat dormait le plus souvent juste à mes côtés. Toutes tentures tirées, l'appartement demeurait lourdement calme. Parfois, j'errais par les trottoirs de cet Athènes tumultueux aux murs barbouillés de tags, celui-là même qui a voté aujourd'hui ; parfois je longeais les rues tranquilles du vieux Bruxelles ou les boulevards ensommeillés du pauvre Paris... Ou bien encore les vastes avenues du Manhattan des années cinquante, en compagnie de ce bon Kerouac dont j'aurai lu pour l'occasion (presque) toute l'œuvre [et découvert le splendide Visions de Gérard ]...  Non, je ne saurai dire moi-même, au fil de cette écriture fondue au quotidien, quels sentiers perdus de mon adolescence fugueuse j'empruntai à rebours jusqu'à Decize, ni non plus en quels fossés de cet aujourd'hui absurde et déréglé dont - tout en l'aimant malgré tout -  je dressais la satire, je m'embourbais, furieux tel un un fauve trompé, trahi. Au pays des anciens Francs, je fis de Pierre Lazareff et de Madame Rachou de véritables soldats lumineux, et de la catastrophe du Mans en juin 1955 une sorte de Guerre de Troie de nos ridicules temps modernes délités en zone euro. Mais j'aurais tort de les maudire encore et encore, ces mauvais temps-là, je m'y suis bien amusé à porter leur queue, comme mon héros avait appris à le faire lors de son joyeux dépucelage non loin du petit personnage de Capiello...

 

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 Je me souviens, bien sûr, de cette visite  au Louvre d'avril 2013 (déjà ? L'écriture tient le temps, empêche qu'il ne s'éparpille trop de travers, c'est par là qu'elle demeure malgré tout salutaire...) Je désirais que ce roman sortît d'une toile de La Tour, parce que depuis toujours ce maître lorrain sur lequel tout a déjà été dit m'accompagne et m'enrobe de ses toiles à chaque moment cuisant. La Tour, c'est un monde qui ne sera plus. Au sein du pavillon Denon, la salle qui lui est dévolue resta déserte, d'ailleurs, vide ce matin-là telle la coquille d'une noix dévorée - tous les queutards en pantacourts s'étant entassés devant la Joconde pour y faire des selfies - et j'hésitai longtemps d'un tableau à l'autre avant de jeter mon dévolu sur le Saint Sébastien pleuré par Irène. J'hésitai longtemps, comme guidé par les vœux intérieures de ce roman désireux de croître, alors encore à pousser. Mais à quoi bon en rajouter davantage? Ce serait risquer l'extravagance de la posture.