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dimanche, 08 février 2015

De l'individualisation de tout

C’est drôle, ces gens qui, pour parler d’un livre ou d’un auteur disent : « c’est sympa ». Ils prononcent rarement cette sentence en raison de leur goût propre,  ou du caractère plaisant de ladite œuvre, mais plutôt au nom de la conformité de cette œuvre avec quelque chose de plus vaste et de plus indéfini, un courant, une tendance dans lesquels ils se mirent et se distinguent, rarement davantage. C’est sympa parce qu’en réalité, ça grenouille dans la même mare que moi, ça brasse les mêmes vagues, sans faire plus de remous en moi-même.  Cela ne me dérange pas, au fond, de lire ce truc. Je m’y reconnais.  Ça m’avantage, comme un vêtement qui m’irait bien. On est fort éloigné du mot d’Henri Massis, affirmant qu’un grand roman n’est jamais là pour résoudre un problème, mais au contraire, pour en poser un. Ou de celui de Char, attribuant au poète authentique la qualité de suprême contradicteur.

J’ai vu apparaître ce phénomène de lecture niaise  avec la montée en puissance d’un certain marketing littéraire assimilant la littérature (ou ce qu’il en reste)  à d’autres divertissements de ce qu’on commença à nommer l’entertainment.  Pêle-mêle, dans un fourre tout propice à établir un marché, musique, jeux vidéo, livres. C’est l’époque où on commença à voir des tronches d’écrivains sur les quatrièmes de couverture comme sur les pochettes de disques, v’savez, col ouvert ou mèches folles. Le triomphe de cette insane culture pour tous, qui n’est rien d’autre que la culture individualisée, c’est à dire l’individualisation des pratiques culturelles allant de pair avec leur massification.  Les deux  vouées au plus immédiat des consumérismes : je n’écoute, je ne vois, je ne lis que ce qui est communément aimable, estampillé sympa sur le moment.  Le livre du moment, c’est tout dire.

Si un auteur n’est pas estampillé sympa ou aimable par votre libraire préféré, son abord est plus compliqué. Les critiques  (ou ceux qui en tiennent lieu)  ont inventé pour lui une nouvelle case, la case réac. Réac, c’est ce qui sans être totalement sympa demeure malgré tout tolérable, voire estimable. Une autre facette du moi social s’y exprime  néanmoins. Un autre aspect de cette individualisation du monde, qui fait que les lecteurs du Monde et ceux du Figaro constituent deux castes, ceux des Inrokuptibles et de Valeurs actuelles deux galaxies, et pourtant habitent dans des appartements similaires, se nourrissent des mêmes produits, se croisent sur les mêmes trottoirs, conduisent les mêmes bagnoles, pour l’équilibre parfait du morose vivre ensemble.

 

De moins en moins de lecteurs vont chercher nourriture chez des auteurs qui a priori ne penseraient pas comme ce qu’eux croient penser. Pour eux, parmi les vivants et les morts, seuls demeurent les Bons et les Mauvais. Pour n’avoir lu ni les uns ni les autres, ils vous imagineront du bon côté s’ils vous voient en compagnie de  René Char, du mauvais s’ils vous surprennent avec Henri Massis.  La propagande politique, c’est le moins qu’on puisse dire, n’affine pas le goût des gens, n’élève guère leur sensibilité à l’autre, ne nourrit guère leur esprit. Et la France, de plus en plus soumise à la propagande au fur et à mesure que la zone l'engloutit, n’est plus un pays de lettrés.  La pensée n'y est plus qu'affaire d'opinions, la religion de points de vue, comme le sexe - le divin sexe - n'est plus qu'affaire de genres. Le sociétal a tout consumé. C’est peut-être pour ça  - et seulement pour ça – qu’elle me plait de moins en moins et que je comprends ceux qui ont décidé ou décident de la quitter bien que, comment penser le contraire, elle demeure mon triste pays blessé.

 

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campagne de I24, la France dans le monde

22:10 | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, rené char, henri massis, france, entertainment | | |

jeudi, 05 septembre 2013

Le loriot de septembre

« Et la couleur est seule 

  A chanter ses chansons. 

  Apaisement. Silence »,

écrit Richepin dans le poème qu’il consacre à Septembre (l’écouter PAR ICI). C’est peu dire que les politiciens ne prennent jamais les poètes au sérieux, ni ne les écoutent autrement, que dans le cadre d’une religiosité feinte. Pourtant ils tiennent à ce que les enfants apprennent leurs poésies à l’école, comme ils font du macramé ou de la morale laïque. Dans l’Antiquité, la poésie et la guerre pouvaient marcher de pair, voyez Homère et Virgile. 

Mais la guerre technologique a brisé ce lien essentiel : le lyrisme des politiciens n'est qu'une obscénité linguistique, une sorte d'usurpation, car à présent, ni la guerre ni la poésie ne fondent plus la cité. Parce que la guerre n'est plus un combat de corps à corps où pourrait s'immiscer quelque loyauté, mais un jeu cynique et politicien avec la vie d'autrui et les caprices de l'opinion. Relisons ces trois vers de René Char, poète et guerrier à sa façon, qui écrivit le 3 septembre (décidément) 1939 ce poème, le loriot. On ne peut mieux dire l’incompatibilité moderne entre guerre et poésie :

« Le loriot entra dans la capitale de l’aube

L’épée de son chant ferma le lit triste

Tout à jamais prit fin. »

Alors pourquoi nous parle-t-on de lyrisme à propos du discours des va-t-en guerre ? Béraud l'a aussi dénoncé, ce lyrisme de faussaires, en rappelant dès son retour du front, des armes chimiques, justement : la guerre n'est pas un sujet de littérature. Me demande ce qu'il penserait de tous ces députés, des absents comme des présents, jouant à donner des avis sérieux sur une réalité que ni eux ni moi ne saurions imaginer dans nos existences molles et avachies. Je me demande ce que c'est que de vivre à Damas aujourd'hui, d'entendre ces menaces de lointains pingouins entretenus, jouant avec une force qui n'est pas loyale, qui n'est pas leur, de ressentir dans toute sa fibre la précarité de soi, de sa maison, de ceux qu'on aime. A cette pensée, je me sens comme un gadget inutile, et je considère tous ces faux puissants que l'Occident et sa technologie ont inventé, comme des êtres sans chair ni substance, même pas des usurpateurs, du vide, du vent. Et vraiment, il me prend le mal de Dieu.

05:04 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : septembre, poésie, rené char, jean richepin, littérature | | |

mercredi, 26 septembre 2012

L'étang me dure

Après, tu n’auras rien à dire. Tu te répètes beaucoup, en attendant. Mots, comme des petits pas. Combien, prononcés ?

Ca te fera tout drôle, quand tu n’auras plus rien à dire. En fait, c’est déjà le cas. Plus rien à dire ou personne à qui parler ? Cela revient au même, au fond.  Silence dans un caisson.

La jeunesse, disions-nous l’autre jour à la cantine, ne supporte plus la lenteur. Ni dans les livres, ni dans les films, ni dans l’existence réelle. Mais elle s’accommode étonnement bien de la répétition. Nous de même, qui avons vieilli.

La répétition serait-elle moins ennuyeuse que la durée ? Sévère question de point de vue. La répétition fait en tout cas plus illusion que la durée. Intermittence, prisme affecté du  postmoderne. Les hachures de l’instant qui font mine de. La durée, elle, jamais rien. Je préfère la durée.

Jadis, j’ai appris à vivre, à lire, à penser dans son étang. Je ne me figure pas la durée autrement que comme un étang. L’étang me dure, faute d’éclair.

Pauvre drôle, quand cesseras-tu  de répéter par-dessus ton épaule ceux que tu as lus ? Ils se sont beaucoup répétés avant de cesser de durer. La littérature serait une sale farce, tu vois, si tout n’était l'énigme…

littérature,poésie,rené char

Aldine, Canal à Venise

06:33 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, poésie, rené char | | |

vendredi, 10 décembre 2010

A me regarder, ils s'habitueront

La campagne médiatique pour l'élection présidentielle a donc commencé. Tandis que DSK joue le dieu absent, Sarkozy le dieu occupé ailleurs, Ségolène Royal et Martine Aubry ont enfourché leur vélo de campagne pour sillonner la banlieue. Marine le Pen a les yeux déjà posés sur les aiguilles du chrono et accuse Michel Drucker, le (vieux) gendre des familles, de faire de l'ostracisme à son encontre. Le palpitant feuilleton pour la désignation du prochain sous-préfet de l’Elysée a commencé.

« A me regarder, ils s'habitueront », a lancé Ségolène durant son pas de danse à Cergy, reprenant à son compte le troisième aphorisme de Rougeur des Matinaux de René Char :

« Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront ».

Le « ils » se trouve en italiques dans la version du poète.

Je ne sais ce que le poète aurait pensé de cette métamorphose en slogan de son aphorisme. 

La resucée qu’en fait Ségolène est assez équivoque. S’agit-il d’assimiler sa promotion personnelle à un combat politique comparable à celui du maquis en pleine Résistance ?  S’agit-il d’une auto-exhortation ironique ? S’agit-il d’un jeu de salon, du genre Précieuses Ridicules (Oyez gens de banlieue comme je suis cultivée...) ?

Cette intrusion du discours poétique assujetti à un discours auto-promotionnel (on ne peut même pas dire un discours politique au stade où nous en sommes de non-programme) met mal à l’aise. Elle avoue sans complexe à quel niveau de narcissisme se pose le débat, et à quel point l'électeur, simple sujet de ce ils, n'est désormais plus qu'un spectateur qu'on méprise.

Arrête ton Char, Ségolène, c'est affligeant.