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vendredi, 03 septembre 2010

Fin de partie aux Terreaux

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Rue d’Algérie, au numéro 20, une librairie existe à Lyon depuis 1880. Pour moi, pour vous, pour tous les Lyonnais, c’est la librairie des Terreaux, que tiennent depuis trente ans l’éditeur Jean Honoré et son épouse Elisabeth. Après tant d’autres, après Péju, après les Nouveautés, elle va définitivement fermer ses portes, le 15 octobre 2010. On le savait depuis déjà six mois. Mais cette fois-ci, c’est signé. Il y a donc, m’a-t-on dit, des affaires à réaliser dans le mois à venir : 20 %, 50% selon les rayons et les étages, en sciences humaines, histoire, beaux-arts et varia.

Bien sincèrement je pense que la disparition de cette librairie-bouquinerie n’est pas une affaire pour la ville. Spécialisée dans l’histoire et la littérature régionale (Lyonnais, Forez, Beaujolais et tout le  Rhône-Alpes) la librairie de Jean Honoré est bien connue des amateurs pour les rééditions de Puitspelu, de Maynard, de Béraud.  Puitspelu c’est, bien entendu, le disctionnaire de la grande côte, dictionnaire du parler lyonnais, concentré drolatique et inspiré de l'esprit lyonnais : « Emerveillé par l'humour et la force de cet ouvrage qui, à travers le langage présente toute une région, j'ai cherché à le rééditer en arrivant à Lyon, en 1980 », raconte l'éditeur. En dix jours, les 2.000 exemplaires ont été épuisés. « C'est le miracle lyonnais, une incroyable aventure ! Le téléphone n'arrêtait pas de sonner et la porte de la librairie, de s'ouvrir sur un public très populaire de concierges, d'épiciers, etc. Pour faire ce score, il ne faut pas que des bobos ou des intellos ! De toute façon, j'ai toujours dit : Lyon est le meilleur public de France pour sa ville ». Plus de 16.000 exemplaires ont été réédités à ce jour et le succès ne s'est jamais démenti. « Ça va bien plus loin qu'un dictionnaire : c'est un livre à poser sur sa table de chevet ; on en lit quelques pages tous les soirs et on s'endort comme un bienheureux ! », affirme Jean Honoré.

Au 20 rue d’Algérie, en face de cet arrêt de bus où se succèdent les spécimens des lignes 1, 6, 13, 18, 19, 44…  il y aura désormais comme un vide indéniable, un trou béant, une réelle absence. La ville, un peu plus, aura égaré sa mémoire, ainsi qu’une part de son histoire et de son identité. Les libraires érudits s'y faisant de plus en plus rares.

Si vous ne connaissez pas la librairie, si vous n’y avez jamais mis les pieds, pour un mois et demi, il est encore temps : on y respire le bouquin, le conseil averti, la trouvaille imprévue et rare parmi les épuisés.

 

 

Librairie des Terreaux

20 rue Algérie
69001 Lyon

Tél. : 33 04 78 28 10 69  & 06 03 25 22 61
E-Mail :
librairiedesterreaux@wanadoo.fr

Horaires : 10h-12h 14h-19h
Fermeture dimanche et lundi

samedi, 17 juillet 2010

Cinq cents francs...

Le cinq cents francs, dit Rose et Bleu, demeure l'un des billets les plus larges qu'on n'ait jamais imprimé en France. Pas large comme mon avant-bras, mais presque...A ma connaissance, il n'y a bien que le Flameng 5000 francs qui fut plus gourmand que lui en papier. La première fois que j'en ai tenu un exemplaire entre les mains  (car c'est malgré tout un billet assez courant, consultable dans l'album de n'importe quel numismate courtois) j'ai pensé immédiatement à ces armoires en bois, hautes et cirées, qui emplissaient naguère les chambres de nos aïeux dans les épaisses bâtisses de nos provinces. Et à leurs draps rugueux. Aux parfums de lavaande. A ces hauts buffets sculptés, dont le chêne sombre "très vieux a pris cet air si bon des vieilles gens".

Un cliché - un lieu commun - prétend que l'homme d'antan planquait volontiers là sa fortune, sous ces piles de linges odorants et jaunes, ou bien au fond de tiroirs emplis de médaillons, de mêches, de dentelles flêtries,  plutôt que de la confier à ces voleurs de banquiers. L'heureux bougre, que personne n'obligeait à ouvrir un compte  pour toucher le fruit de son travail quotidien !  Il pouvait palper son billet avant de s'endormir, en goûter tout le craquant, en savourer l'arôme ! L'heureux bougre, qui n'était jamais tenu à glisser une carte VISA dans un de ces distributeur qui font le rectangle au coin des rues. Homme sans codes, sans barres  et sans reproches. Portons à nos narines ce type de billet : quelques-uns sentent encore le thym, la lavande ou la naphtaline de l'armoire qui grince, du buffet du vieux temps dont les tiroirs ferment mal, mais qui savait bien des histoires et geignait lorsque s'ouvraient lentement  ses grandes portes noires.

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Des billets comme celui-ci, mon voisin me disait l'autre jour qu'il devait ben s'en tapir encore quelques-uns sous des lattes de parquets ou bien des faux plafonds. Je voyais son regard s'éclairer à cette idée. Avait-il quelque lieu en tête ? Vu la dégringolade du pouvoir d'achat et tout ce qu'on entend ou lit un peu partout à ce sujet, vu l'agonie du franc  ( il paraît que par ci par là on en ressort ...) , la Banque de France vous en donnera 0,76 euro l'exemplaire. Pas de quoi aller bien loin... Quand on songe que le  cinq cent francs rose et bleu fut le billet de Sully Prudhomme, des notables de Normandie, d'Ardennes ou d'ailleurs.

Les figures allégoriques roses et bleues qui s'y profilent n'ont-elles pas divine allure? N'aguichent-elles donc pas l'oeil aussi bien que des geishas, telles des madones de squares de sous-préfectures, squares où tout est correct, les arbres et les fleurs ... ? A bien y regarder, il y a du rimbaldien, en effet,  dans ce billet défunt : Coupure où tout est correct, les figures et les fleurs..., de ce Rimbaud qui confessa tout d'abord aimer les images idiotes et les enluminures, et finalement, en fin d'inspiration, les billets de banque...

 L'esthétique est donc placé au service de l'ordre, puisque tous ces massifs, ces guirlandes d'arabesques bleues furent disposées là dans le seul but de compliquer la tache des faux-monnayeurs de l'époque. La cartouche initiale date de 1868. Elle est dessinée par Chazal et gravée par Maurand. Deux ans tout juste avant la défaite de Sedan, l'exil de Napoléon III, la débâcle racontée par Zola. Arthur commençait tout juste à remplir ses premiers cahiers : On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans, et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade... Surtout quand, par un coup du sort peu heureux, on n'a jamais de billets comme celui-ci dans les poches...  Siècles passent. Les régimes défilent. Mais quoi, finalement, change ? Qui a jamais vu la plus grosse coupure en euros ( c'est laquelle, au juste ? ) traîner dans le fond de sa commode Ikéa ?

18:15 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : rimbaud, littérature, société, culture, billets français | | |

samedi, 05 juin 2010

La ligne courbe de Thonet

Trente ans avant que l’Art Nouveau n’ait précisé toutes ses conceptions esthétiques et entériné partout le triomphe de la ligne courbe, le prussien Michael Thonet (1796-1871) mettait au point dans son petit atelier une méthode révolutionnaire pour courber le bois, grâce à laquelle il dispensait l’artisan du travail de découpe et de profilage, d’assemblage et d’emboitement. Sa technique consistait simplement à immerger des lames de bois mort dans de la colle et de l’eau bouillantes, puis de les placer dans des moules aux formes galbées. Après refroidissement, le bois retiré des presses conservait la forme souhaitée. Ayant observé que c’est le taux d’humidité qui faisait la différence entre les fibres de bois mort et celles de bois vivant, il affina peu à peu son système et s’appliqua à recréer en quelque sorte le cycle biologique en régénérant le bois privé de sève avec de l’eau bouillante puis en le faisant sécher dans la rêverie de ses arabesques. Ses meubles remportèrent un succès immédiat et, après avoir obtenu de l’empereur François-Joseph le privilège « de travailler en courbe toutes sortes de bois par un procédé chimique ou mécanique », il devint un industriel réputé dans toute l’Europe.

La reine de son catalogue fut bien cette fameuse Thonet n°14, fille de la Thonet n°4 en hêtre courbé. C’est le café Daum à Vienne qui, à partir de 1850, lança sa carrière héroïque.  Là, au fil de sa longue existence, elle accueillit les plus augustes fessiers,  dont ceux de Peter Altenberg, Franz Werfel, Sigmund Freud, Léon Trotsky, Stefan Zweig, lequel dans son très beau livre Le Monde d’hier écrivit :  «Vienne était, on le sait, une ville jouisseuse, mais quel est le sens de la culture, sinon d’extraire de la matière brute de l’existence, par les séductions flatteuses de l’art et de l’amour, ce qu’elle recèle de plus fin, de plus tendre, de plus subtil ? »  Ne dirait-on pas qu’il parle de l’art de tordre le bois inventé par Thonet ?

Zweig consacre plusieurs lignes à ces cafés viennois emplis de la 14, précisément.

thonet.jpg« Le meilleur endroit pour nous instruire de toutes  les nouveautés restait le café. Les cafés, à Vienne, constituent une institution d’un genre particulier, qui ne peut se comparer à aucune autre au monde. Ce sont en quelque sorte des clubs démocratiques accessibles à tous pour le prix modique d’une tasse de café et où chaque hôte, en échange de cette petite obole, peut rester assis pendant des heures, discuter, écrire, jouer aux cartes, recevoir sa correspondance et surtout consommer un nombre illimité de journaux et de revues. (1) Dans un bon café de Vienne, on trouvait non seulement tous les journaux viennois, mais aussi ceux de tout l’Empire allemand, des français, les anglais, les italiens et les américains, et en outre les plus importantes revues d’art et de littérature du monde entier, Le Mercure de France aussi bien que la Neue Rundschau, le Studio et le Burlington Magazine. Ainsi nous savions tout ce qui se passait dans le monde, de première main ; nous étions informés de tous les livres qui paraissaient, de toutes les représentations, en quelque lieu que ce fût, et nous comparions entre elles les critiques de tous les journaux ; rien n’a peut-être autant contribué à la mobilité intellectuelle et à l’orientation internationale de l’Autrichien que cette facilité de se repérer aussi complètement, au café, dans les événements mondiaux tout en discutant dans des cercles d’amis ».

 

Mobilité, orientation : ferais-je de la ligne courbe de Thonet une allégorie de l’intelligence, de la grâce, et de la culture ? Pourquoi pas ? Car il existe sûrement un lien entre la culture d’un homme et, comme l’évoquait Montaigne, le siège sur lequel il pose son cul. Elles étaient en tout cas fort aimables, ces Thonet art nouveau par toute l'Europe répandues, et je les ai à mon tour, et bien après Zweig, fort aimées. On voit passer parfois leurs pieds fins et leur teinte élégamment boisée lors d’une vente de  bric et de broc. Pour une enchère d’une quinzaine d’euros, si  personne n’insiste dans la salle murmurante, on peut  ramener chez soi un spécimen de ce témoin irremplaçable et irremplacé de ce que fut l’Europe, au point culminant de sa culture.

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(1)  en 1913, le Café central de Vienne en proposait 250 à ses clients

19:08 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : stefan zweig, littérature, europe, thonet, café daum, vienne, culture, art nouveau | | |

dimanche, 01 novembre 2009

Etre en avance sur son temps

Il est un rien plaisant de lire dans Lyon Citoyen ( le magazine gratuit  d’information et de propagande de la politique culturelle de la ville de Lyon) que la même équipe municipale qui s’apprête à céder l’Hôtel Dieu à un repreneur privé «affirme son attachement à la pensée humaniste » à l’occasion d’une exposition consacrée à Etienne Dolet pour le 500° anniversaire de sa naissance (1)

Il est par ailleurs amusant de voir qu’au lieu d’essayer de comprendre en quoi Etienne Dolet fut vraiment un homme de son temps, ce qui est la seule question vraiment digne d’intérêt, la communication de la Ville de Lyon insiste sur le fait qu’il fut « tragiquement en avance sur son temps »…

Ce lieu commun, depuis si longtemps asséné à propos de tout et de n’importe quoi, dit bien le narcissisme idiot de notre temps, de notre monde, et de notre société qui se croit avec une imbécilité rarement égalée le centre ou le devenir de tout.

Au fond si Dolet est intéressant aux yeux du rédacteur de l’article, c’est parce qu’il « paya de sa vie sur le bûcher ses idées progressistes ».

 

Toute cette terminologie si pontifiante et si bête est usée. Et c’est parce qu’elle est devenue insignifiante qu’elle fonctionne comme fonctionnent ces panneaux signalétiques qu’on reconnait de loin : parking, urinoir, rampe pour handicapés…

Toute cette pensée anesthésiée, cette non-curiosité véritable de l’autre convient si bien à l’époque.

Comme au fond nous conviendront ces bâtiments historiques partout reconvertis, derrière lesquels les repreneurs feront leur business, et dont le citoyen lambda se contentera,  pour au fond  se croire cultivé, de photographier en quelques secondes la façade restaurée, juste avant de remonter dans le car.

 

Tout cela pue tellement la mort, la charogne.

 

Ah j’oubliais, pour affirmer son attachement à la pensée humaniste, la ville de Lyon a non seulement soutenu l’exposition organisée par la Bibliothèque Municipale, l’association laïque des amis d’Etienne Dolet et l'Université Lyon 2 (2) mais elle a aussi émis un timbre à son effigie et acquis une édition originale (on ne sait de laquelle de ses œuvres, et d’ailleurs demandez à n’importe qui de vous dire ce qu’il a écrit …)

Quid de l’Hôtel-Dieu ?

(1)Exposition sur  ETIENNE DOLET du 12 novembre au 4 décembre, bibliothèque municipale de la Part-Dieu. 

(2) Tout ce qui est dit là concerne bien entendu la communication municipale à propos de cette exposition et ne présume en rien de la qualité ou de la non qualité de ladite exposition.

 

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10:06 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : etienne dolet, culture, lyon, hôtel-dieu | | |

mercredi, 30 septembre 2009

L'hôtel Dieu dans les flammes du pognon

La vitesse à laquelle le monde change est proprement terrifiante. TCL, poste, CNP … Chacun se retrouve obligé de défendre face au  rouleau compresseur   en route des biens, des droits, des acquis…. Chacun, seul, ou plus ou moins. De quelles causes, de quels combats, de quelles valeurs faudrait-il qu’en permanence nous soyons solidaires, vigilants veilleurs ?  Les démissions là aussi se multiplient.

Dans un tel contexte, qui va réagir à cette information proprement surréaliste, concernant le dôme de l’Hôtel-Dieu à Lyon ?

Je résume brièvement les faits : Les services hospitaliers de l’Hôtel Dieu de Lyon déménageant, on apprend dans une espèce d’indifférence molle que les corps de bâtiments  -et surtout le dôme construit par Soufflot, propriété des Hospices Civils de la ville de Lyon (dont le maire de Lyon, le socialiste et très bling-bling Gérard Collomb, est le président)- vont être vendus. S’y installeront des commerces de luxe, dans le genre de l’immonde magasin Zilli, et des hôtels internationaux. Le dôme de l’Hôtel Dieu, un hôtel de luxe ? Une succursale de l'aéroport de Dubaï ? 

Cela semble ne faire réagir personne.

Je me demande parfois si ce n’est pas moi qui déraille. Pendant que nous y sommes, transformons le Louvre ou plus exactement le Panthéon (œuvre de Soufflot également) en casino. Les machines à sous remettront, n'est-ce pas Gérard, un peu d'ambiance dans ces vieux bâtiments déserts et dans ces salles, dont les mètres carrés inoccupés demeurent tragiquement non rentabilisés.

Car c’est un socialiste, ou so call, qui annonce cela à la population. Pour mémoire.

Et c'est sous la tutelle d’un ministre de la culture glamour comme mes deux, neveu (au passage) d'un président so call socialiste (lequel président, pas davantage que ses prédécesseurs ou successeurs, n'aura été un cadeau pour le pays…. ) qui laisse faire...   Devant tant de démagogie, de cynisme, de lâcheté, je ne trouve d'autres arguments, que l'injure. Et je le dis.

Politiques de merde.

Quant à monsieur Képédékian, premier adjoint à la culture de la ville de Lyon, on se demande s'il existe vraiment, et de quelle culture il est l'adjoint.

 

Pour mémoire, également, je republie cet article du 28 janvier 2009, titré "Soufflot on se l'arrache", qui retrace l'histoire d'un des joyaux architecturaux de la ville de Lyon (ville dont Gérard Collomb et son équipe a la responsabilité), qui est (on se demande ce que cela signifie ) classé au patrimoine mondial de l'humanité  (!!!!)

Pour mémoire, enfin, voici  cette photo privée de l’Hôtel Dieu en flammes en 1944. Et je me demande s'il n’aurait pas mieux fait de cramer complètement à cette époque, le pauvre dôme de Soufflot, plutôt que de finir en chaîne hôtelière privée pour putes et maquereaux de luxe.

 

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lundi, 14 septembre 2009

Tempête dans un encrier

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A suivre par ICI

06:08 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : tempête dans un encrier, littérature, culture, actualité, écriture | | |

samedi, 12 septembre 2009

Mort de Willy Ronis

Le week end de la fête de l'Huma... Est-ce une dernière farce ? Mort de Willy Ronis, successeur de Doisneau et héritier de Brun et Demilly, à 99 ans... Un parcours, un discours, une histoire, en trois photos :

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14:02 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : willy ronis, photographie, actualité, culture, disparition | | |

samedi, 22 août 2009

Les fantomes de la charité

J'emprunte ce titre, que je trouve très beau, à Gérard Chauvy (1). Et ce pour évoquer un illustre incongru : j'ai nommé "le clocher de la Charité". Il est planté entre Rhône et Bellecour, tel un phare aussi élevé qu'éteint, et pour toujours inutile. Son étrange silhouette solitaire et connue de tous a développé un charme réellement magnétique. Parce qu'il ne sert plus à grand chose. A rien, même. Survivant indigne et obstiné, entre un Hôtel des Postes à l'esthétique stalinienne et les terrasses bistrotières partiellement bondées de la place Antonin Poncet, le clocher de la Charité est devenu au fil du temps le symbole parfaitement heureux d'un espace outrageusement gratuit, inutilisé, avec sa porte de bois à jamais close, telle une bouche qui s'est tue.  

En effet, quel passant (fort pressé ou non), sur le  parcours de la rue de la Charité, se souvient aujourd'hui des 14 corps de bâtiment et 11 cours intérieures du vieil hôpital qu'elle a longés durant quatre siècles ?

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Je ne suis pas spécialement un adepte de la mélancolie, ni de la nostalgie, ni du passéisme. Mais j'ai compris il y a fort longtemps qu'une ville n'existe véritablement qu'en esprit : à la fois dans l'espace et dans le temps, dans la chair de la pierre qui demeure comme dans celle de son histoire. Car il n'y a pas de réalité acceptable de façon brute, sans mémoire ni imaginaire. Réduire la perception qu'on peut avoir d'elles au simple espace qu'elles dévoilent au moment d'aujourd'hui, c'est abolir le charme des villes, et tel fut, tout spécialement à Lyon, le crime des bétonneurs. Décor plat, sans polysémie, simple lieu, la ville, alors, n'est plus la ville.

Voilà pourquoi j'aime ce titre ; "les fantômes de la charité". Irai-je jusqu'à croire que l'Hôtel des Postes et la place Antonin Poncet (dont négligemment, et comme dissous, évaporés dans le seul souci de nous-mêmes et dans le seul souvenir d'aujourd'hui, nous égratignons le sable rouge lorsque nous la traversons) sont hantés d'âmes errantes (celles de tant de petites mémés, de frères mendiants, de jeunes accouchées, de soldats amputés, de mendiants pestiférés, défuntés de siècle en siècle, le front en sueur et les doigts accrochés à des crucifix en ivoire ou en chêne dans le bel édifice de la charité lyonnaise d'antan?) Et pourquoi ne le croirais-je pas ?

Je suis vraiment cgranderoue20.jpgertain, en tout cas, qu'Herriot le laïc, dans le contexte politique assez tendu des années trente, a voulu la peau de la Charité, en raison du symbole qu'il représentait, celui de la vieille Aumône Générale de la cité sous l'Ancien Régime.  Herriot savait bien que le frère jésuite Etienne Martellange, qui en avait dessiné les plans, n'était pas Soufflot. Il n'a donc pas osé toucher à l'Hôtel-Dieu, en raison du dôme historique. Mais il a tenu à faire tabula rasa de la Charité. Et sans la pétition initiée dès 1932 par la Société d'Histoire de la Médecine, les Amis du musée de Gadagne, et relayée par le Nouvelliste, il n'en resterait aujourd'hui plus même plus le clocher dont je vous entretiens à présent. Car la construction nécessaire d'un nouvel hôpital (celui qui porte aujourd'hui le nom d'Edouard à Montchat) ne n’impliquait pas obligatoirement la destruction de onze cours intérieures et de quatorze corps de bâtiment historiques faisant, dans le prolongement de l'Hôtel-Dieu, un rempart de pierre ininterrompu au-dessus des eaux tumultueuses du Rhône. Les cours intérieures spacieuses - du moins celles rendues au public - sont-elles si nombreuses à Lyon ?

 

 La ville a donc perdu, comme si elle en avait des dizaines à sa disposition, un bâtiment du seizième siècle, une perspective de façades classiques qui se prolongeait en bordure de Rhône. C'est le même Herriot qui brada fort légèrement, au nom de la libre circulation des sacrées automobiles, l'ancien pont du Rhône. Les temps heureusement ont changé, et nul ne songe, avec l'expatriation prochaine des services hospitaliers hors de l'Hôtel-Dieu, de liquider dans la foulée les murs, les toits et les bâtiments. Du moins l'espère-t-on.

Gérard Chauvy : Lyon Disparu, 1880-1950, Editions lyonnaises d'art et d'histoire

 

 Autre bâtiment lyonnais disparu : l'Amphithéâtre des Trois Gaules

 

08:41 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : charité, lyon, histoire, culture, edouard herriot | | |

lundi, 27 juillet 2009

Jean Reverzy, Lyon & la "chose littéraire"

Le 9 juillet 1959, (il y a de cela cinquante ans), Jean Reverzy mourait soudainement, à l’âge de quarante-cinq ans. Nous allons quitter le mois de juillet 2009 dans quelques jours, et, à ma connaissance, la ville de Lyon et ses prétendues instances culturelles seront passées à côté de cet anniversaire. En ligne, je ne trouve qu’un mince article du Progrès. A moins qu’une lecture confidentielle n’ait été organisée à la sauvette par quelques obscurs bénévoles dans un bistrot associatif ?  Tandis qu’à Saint-Brieuc, par exemple, il y a un lycée Louis Guilloux, un boulevard Louis Guilloux, un prix Louis Guilloux – & je suis le premier à reconnaître que l’œuvre de cet écrivain mérite cette reconnaissance, alors qu’à Manosque, il y a un centre Jean Giono, un collège Jean Giono, ici, à Lyon, il n’y a rien, rien, rien…  Jean Reverzy, Louis Calaferte, Henri Béraud, voyez-vous, mesdames messieurs, ça n’a jamais existé.  Ce qui existe, ici, c’est Aulas et Bocuse. Et puis les Nuits Sonores, Tout le Monde dehors, et autre vacarme intempestif… Je retrouve ici trois citations de trois autres auteurs, passés eux aussi à la trappe, et je m’attriste de voir à quel point elles pourraient être d’actualité :

 

« La Chose littéraire a toujours semblé ici une sorte de maladie honteuse et le fait de bohêmes entachés de sadisme ! »

Tancrède de Visan, Sous le Signe du Lion, 1935

 

« Chez nous, on n’a pas l’enthousiasme très bruyant, surtout lorsqu’il s’agit de littérature. »

Marcel Grancher, Vingt ans chez Calixte, 1940

 

« Ces deux mots, gloire et talent, bannis de la langue lyonnaise, étaient considérés comme des vocables anarchiques, qui menaçaient la discipline des boutiques et des maisons de commerce, la suprématie des coffres-forts. »

Gabriel Chevallier, Chemins de solitude, 1946

 

 

Pour Béraud, même s’il n’est pas recevable (le fut-il pour Céline ?), on vous sort l’argument de la collaboration.  Renault, Berliet, les Lumière, Guitry, Bousquet, tant d’autres, n’est-ce pas, on ferme les yeux.  Mais Béraud,  cinquante ans après, ah ! crime de lèse majesté. Il paraît donc normal que les articles de Gringoire éclipsent la Gerbe d’Or, Les Lurons de Sabolas, Ciel de Suie, Qu’as-tu fait de ta jeunesse, livres auxquels un adolescent de dix-sept ans a fort peu de chance d’avoir accès. Quant à la boulangerie natale, elle n’est même pas honorée d’une plaque.

Mais Reverzy, a-t-il collaboré ? Quel mal ont fait Le Passage, Place des Angoisses, Le Mal du Soir ? Pas de rue non plus à ma connaissance, un petit square dans le troisième, m’a-t-on dit… Ce n’est pas que je sois un fada des commémorations, expositions, plaques de rues et tutti quanti. Mais je constate que c’est, dans ce peuple d’amnésiques incultes et mickaël-jacksonnisés que nous sommes devenus, une façon efficace d’entretenir la mémoire, de solliciter des rééditions, des travaux universitaires, des intérêts particuliers, de la curiosité, de la vie, quoi !  Et je dis que je préférerais vivre dans une ville qui conduirait son touriste de Perrache aux Jacobins en le promenant de la rue Jean Reverzy à la rue Henri Béraud, plutôt que de le balader en terrains connus, de la rue Victor Hugo à la rue Emile Zola. Mais non : la municipalité et les édiles lyonnaises vont ainsi : pépères et consacrées, sans risques ni remous, de loges en buffets et d’alcôves en salons, accessoirement de droite à gauche, en vérité, bien au centre, n'est-ce pas : c’est triste, tout sauf littéraire, à vrai dire.

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12:33 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, lyon, jean reverzy, reverzy, calaferte, béraud, culture, livres | | |