lundi, 27 juillet 2009
Jean Reverzy, Lyon & la "chose littéraire"
Le 9 juillet 1959, (il y a de cela cinquante ans), Jean Reverzy mourait soudainement, à l’âge de quarante-cinq ans. Nous allons quitter le mois de juillet 2009 dans quelques jours, et, à ma connaissance, la ville de Lyon et ses prétendues instances culturelles seront passées à côté de cet anniversaire. En ligne, je ne trouve qu’un mince article du Progrès. A moins qu’une lecture confidentielle n’ait été organisée à la sauvette par quelques obscurs bénévoles dans un bistrot associatif ? Tandis qu’à Saint-Brieuc, par exemple, il y a un lycée Louis Guilloux, un boulevard Louis Guilloux, un prix Louis Guilloux – & je suis le premier à reconnaître que l’œuvre de cet écrivain mérite cette reconnaissance, alors qu’à Manosque, il y a un centre Jean Giono, un collège Jean Giono, ici, à Lyon, il n’y a rien, rien, rien… Jean Reverzy, Louis Calaferte, Henri Béraud, voyez-vous, mesdames messieurs, ça n’a jamais existé. Ce qui existe, ici, c’est Aulas et Bocuse. Et puis les Nuits Sonores, Tout le Monde dehors, et autre vacarme intempestif… Je retrouve ici trois citations de trois autres auteurs, passés eux aussi à la trappe, et je m’attriste de voir à quel point elles pourraient être d’actualité :
« La Chose littéraire a toujours semblé ici une sorte de maladie honteuse et le fait de bohêmes entachés de sadisme ! »
Tancrède de Visan, Sous le Signe du Lion, 1935
« Chez nous, on n’a pas l’enthousiasme très bruyant, surtout lorsqu’il s’agit de littérature. »
Marcel Grancher, Vingt ans chez Calixte, 1940
« Ces deux mots, gloire et talent, bannis de la langue lyonnaise, étaient considérés comme des vocables anarchiques, qui menaçaient la discipline des boutiques et des maisons de commerce, la suprématie des coffres-forts. »
Gabriel Chevallier, Chemins de solitude, 1946
Pour Béraud, même s’il n’est pas recevable (le fut-il pour Céline ?), on vous sort l’argument de la collaboration. Renault, Berliet, les Lumière, Guitry, Bousquet, tant d’autres, n’est-ce pas, on ferme les yeux. Mais Béraud, cinquante ans après, ah ! crime de lèse majesté. Il paraît donc normal que les articles de Gringoire éclipsent la Gerbe d’Or, Les Lurons de Sabolas, Ciel de Suie, Qu’as-tu fait de ta jeunesse, livres auxquels un adolescent de dix-sept ans a fort peu de chance d’avoir accès. Quant à la boulangerie natale, elle n’est même pas honorée d’une plaque.
Mais Reverzy, a-t-il collaboré ? Quel mal ont fait Le Passage, Place des Angoisses, Le Mal du Soir ? Pas de rue non plus à ma connaissance, un petit square dans le troisième, m’a-t-on dit… Ce n’est pas que je sois un fada des commémorations, expositions, plaques de rues et tutti quanti. Mais je constate que c’est, dans ce peuple d’amnésiques incultes et mickaël-jacksonnisés que nous sommes devenus, une façon efficace d’entretenir la mémoire, de solliciter des rééditions, des travaux universitaires, des intérêts particuliers, de la curiosité, de la vie, quoi ! Et je dis que je préférerais vivre dans une ville qui conduirait son touriste de Perrache aux Jacobins en le promenant de la rue Jean Reverzy à la rue Henri Béraud, plutôt que de le balader en terrains connus, de la rue Victor Hugo à la rue Emile Zola. Mais non : la municipalité et les édiles lyonnaises vont ainsi : pépères et consacrées, sans risques ni remous, de loges en buffets et d’alcôves en salons, accessoirement de droite à gauche, en vérité, bien au centre, n'est-ce pas : c’est triste, tout sauf littéraire, à vrai dire.
Cet article est une republication de celui de l'an dernier :
Jean Reverzy est né l'an 1914, au commencement d'une guerre qui allait enflammer la planète entière, bouleverser une première fois la face du monde, et dont son père ne revint jamais. "Depuis la mort lointaine de mon père, nous habitions, ma mère et moi, un appartement à façade dont les fenêtres s'ouvraient sur ce désert investi par la Médecine". Ce désert, c'est la place Bellecour, qu'il immortalisera dans Place des Angoisses. "Je crois, écrit-il dans l'un de ses premiers textes qui date de 1931, "à l'originalité de ma mélancolie". Quelle formule ! Pour une vie entière, Reverzy définit dans cette phrase un véritable programme d''écriture, dont l'œuvre dense et brève qu'il compose à Lyon sera la matière exigeante, minutieuse. Un premier roman achevé, Le passage, obtient en 1954 le prix Renaudot et le révèle au grand public. C'est l'histoire d'un homme revenu de Tahiti pour mourir à Lyon, sa ville natale. "Crever", dit-il. Œuvre difficile, presque clinique, dans laquelle il suit les derniers instants de son personnage, comme à la recherche de "l'originalité d'une mélancolie". Et ce, jusqu'à l'agonie finale. Et ce, jusqu'au passage. Mais Palambaud ne livrera, malgré l'éviscération totale qu'il subit tel un objet consumé entre les pattes des médecins, aucun secret particulier " J'aurais pu à notre dernière rencontre, celle qui venait de s'achever, toucher du doigt son cœur, ses poumons, son foie, tout ce qui paraissait le composer et qu'il n'avait jamais vu, et tout cela ne m'avait rien appris. Nous étions passés l'un près de l'autre comme deux étrangers, comme deux animaux d'une espèce différente. En vain, je cherchais un sens à des mots que nous avions échangés, au contact de nos mains qui s'étaient serrées, aux rencontres de nos regards." Une originalité si profonde, donc, et si propre à chacun, qu'elle ne se rencontre pas, ne se partage pas. Mais elle fonde une quête, assigne à la littérature une mission tout aussi noble que celle dont se revendique avec orgueil la médecine : non pas soigner, mais comprendre, ou tout du moins ressentir.
La mort. La mort est au centre du travail de Jean Reverzy. Qu'il soit médecin ou écrivain, il demeure "le compagnon des agonisants" ( Ecrivain, note-t-il dans son cahier : métier de moribond). "Car l'agonie peut durer une seconde ou des années : elle commence à l'instant où l'homme croit sa mort possible; la longueur du temps qui l'en sépare n'importe, et quiconque a saisi le sens de l'écoulement, du passage, est perdu pour les vivants. Et du jour où la mort triomphe et s'installe en maîtresse dans un cerveau, c'est pour abolir - à l'exclusion d'un exact sentiment de fluidité de l'existence - toute lutte, tout désir, toute affirmation de soi et aussi toute angoisse." (Le passage, ch. 12). René Char, l'un de ses contemporains, écrivit un jour : "La lucidité est la blessure la plus proche du soleil". Combien cet aphorisme pourrait s'appliquer à Reverzy !
Le narrateur de "Place des Angoisses" n'est-il pas (comme d'ailleurs celui de Ciel de suie d'Henri Béraud, autre roman lyonnais) un médecin des pauvres ? Il y a dans ce deuxième roman un passage éclairant où les deux vocations de Reverzy, médecine et écriture, paraissent se frôler, se conjoindre. Le médecin se trouve chez un ouvrier du quartier "Sans-souci", son secteur de prédilection. L'ouvrier vient de mourir : quels mots offrir à la veuve, près de lui : "Je n'avais encore rien dit, et décidai de ne rien dire. Certes, je crois au pouvoir de paroles simples, mille fois redites, perfectionnées par l'usage, machinales et cependant nuancées, qui tout en promettant la guérison ne découragent pas trop de mourir. Chacun a la maladie qu'il mérite et la maladie ressemble à celui qu'elle a frappé. Les pauvres redoutent l'espérance; le bonheur leur fait peur ou les offense; et leur maladie résignée, sombre, sans hargne, est à leur image. Mon langage s'accorde à leurs tourments. Mais il est vain de haranguer les morts."
Pour ma part, j'aime beaucoup cette photo de lui, qui provient du fonds de la bibliothèque de la Part-Dieu. On l'y voit lecteur de livres, davantage que de corps malades, lui qui dans Nécropsie, un texte datant de son internat à l'hôpital de la Croix-Rousse, proclamait déjà : "J'affectais involontairement l'amour de la médecine, alors que James Joyce était le dieu que j'adorais." D'après Jean-François, son fils, Reverzy conserva peu de livres auprès de lui, peu de meubles, également, dans le deux-pièces proche de son cabinet, qu'il habitait au moment de sa mort. "Le seul lieu de lecture qu'il sacralisait était le bibliothèque municipale de Lyon", où il se rendait souvent le dimanche. "Je regarde, écrit-il dans son journal, le 6 septembre 1957, sur un rayon de la bibliothèque, les deux livres que j'ai écrit; ils sont là, tout petits, serrés d'un côté par Edgar Poe, et de l'autre par les 32 volumes des œuvres complètes de Bossuet : si les bouquins ont une vie, ils doivent se sentir mal à l'aise. Pour leur donner plus d'importance, j'ai mis à côté des traductions. Mais cela ne fait pas encore très gros quand je donne le coup d'oeil du propriétaire."
Une oeuvre courte, certes, qui remplit tout de même un volume de la Collection Mille et une Page de Flammarion, les textes inédits offrant un éclairage décisif sur le projet qui la sous-tend, la quête de cette "originalité" que le monde des vivants compromet singulièrement.
"La ville de Lyon, écrit Jean François qui commente les textes de son père (1), jamais nommée, est au centre de l'oeuvre de Reverzy. Il avait avec la vieille cité gallo-romaine un lien organique et quasi-fusionnel. On pourrait dresser une cartographie de ses oeuvres autour des différents points cardinaux : la place Bellecour et la Croix-Rousse, Saint-Jean et la place des Terreaux, et plus loin les Brotteaux et le parc de la Tête d'Or, enfin Montchat et Villeurbanne." Jean Reverzy est mort en 1959, à quarante-cinq ans. On vient de passer, dans une souveraine indifférence, l'anniversaire des 80 ans de la naissance de Louis Calaferte. Tout laisse à penser que le cinquantenaire de la mort d'Henri Béraud passera tout autant inaperçu en octobre. Reverzy sera-t-il mieux loti, l'an prochain ? Pourquoi la ville de Lyon ignore-t-elle à ce point ses grands écrivains disparus ? Croit-elle donc en avoir vu naître tant que ça sur son sol humide ? N'a-t-elle pas remarqué que Béraud supporte largement la comparaison avec Giono, Jolinon avec Mauriac, Reverzy avec Camus, Calaferte avec Le Clezio ? Pour conclure ce trop rapide billet, quelques lignes de Reverzy sur Lyon, la ville ingrate entre toutes :
.« J’étais à Lyon sur les quais du Rhône et sous des platanes extrêmement parfumés. Le soleil se tenait entre d’extraordinaires images dont le relief et l’incandescence me stupéfiaient et à droite de la colline dont la seule image me rappelle l’odeur délicieuse des vieux bouquins de piété. Je me souviens que le Rhône découvrait de longs bancs de cailloux d’une blancheur absolue… Mais n’oubliez pas qu’à l’horizon fondait de l’or et de l’or… Or moi, fumant des cigarettes américaines ou plutôt buvant leur arôme, je regardais passer ces lumières; toute l'après-mdi, j'avais vagabondé dans un parc public dans une débandade de fleurs et d'arbres dont je ne sais le nom, et que réfléchissaient d'étroits canaux. Ce parc m'était autrefois un refuge alors que, maintenant, son seul souvenir m'afflige et m'attriste : car il semble trop riche, trop parfumé, et m'y promener deviendrait pour mon esprit une torture mortelle. Mais en septembre 32, je l'aimais vraiment et aussi, en peu d''heures, j'avais commis de grave excès de couleurs et surtout de parfum; Dans la lumière inquiète et blanche du sunset, je vis s’éclairer des fenêtres ; ça et là tremblèrent de minuscules cristaux rouges. Un mystérieux esprit m’envahit, que j’appelle le Mal du Soir. »
(1) Jean Reverzy, Oeuvres Complètes, 1001 pages, Flammarion, Paris 2002.
A lire : Pavese et Reverzy http://solko.hautetfort.com/archive/2009/02/17/pavese-et-reverzy.html
12:33 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, lyon, jean reverzy, reverzy, calaferte, béraud, culture, livres |
Commentaires
Oui, un petit square dans le troisième, le long de l'avenue Lacassagne, porte le nom de Reverzy, et je crois bien qu'il y a une plaque à son nom à la Bibliothèque municipale de Lyon, dans une salle de lecture du rez-de-chaussée
Écrit par : Nénette | vendredi, 24 juillet 2009
Le souci c'est que la municipalité ne peut pas faire le souvenir: je ne suis pas très cultivé certes mais je ne connais pas cet écrivain. De même que d'autres personnes puisque la presse lyonnaise s'en désintéresse aussi.
Mais si vous voulez monter un événement avec la mairie du 7e sur le sujet, je ne demande qu'à découvrir.
Écrit par : romain blachier | samedi, 25 juillet 2009
@ Romain
"Faire le souvenir", non.
Mais assurer ou veiller à assurer sa transmission, oui. C'est même l'une de ses taches.
Je vais réfléchir à votre proposition.
Il faudrait évidemment impliquer aussi la mairie du troisième.
Écrit par : solko | samedi, 25 juillet 2009
Reverzy ! ô Reverzy ! ça fait vraiment plaisir de le croiser ici. Merci. Un auteur magnifique (un docteur magnifique) ! une oeuvre incomparable ! Ah lala ! Lyon est une ville incompréhensible ! si ingrate pour ses artistes que ça en est une honte ! (elle ignore ses artistes disparus et ses artistes en vie alors bon ! et pis zut !
c'est trop décourageant, une telle ingratitude.
Écrit par : Frasby | samedi, 25 juillet 2009
Nul n'est prophète en son pays...
Écrit par : Neriel | dimanche, 26 juillet 2009
@ Nériel : Cette ville est une ville de goujats : industriels, bétonneurs, banquiers, informaticiens, infographes, communicants, faiseurs de pognons et de boucan, etc. Ce que Béraud disait de l'ignorance dans laquelle les soyeux d'antan tenaient des peintres comme Martin, Seignemartin, Vernay, est vrai de la façon dont les entrepreneurs actuels ignorent tout des auteurs nés parmi eux. Concernant Béraud, Reverzy et Calaferte, c'est à se taper la tête contre les murs : pas d'expos, pas de conférences, pas de lieux... Ils vous font des stades Coupet ou Juninho, et un musée des Confluences qui n'arrive plus à sortir de terre tant il est couteux et laid. Sorti de là...
Mironton, mirontontaine.
Eh, oui, nul n'est prophète... Peut-être devrais-je aller chanter ma ritournelle sur l'île de Chypre; et vous tenter quelques notes?
Bon dimanche malgré tout ça.
Écrit par : solko | dimanche, 26 juillet 2009
Entièrement d'accord avec ce triste constat. On pourrait ajouter d'autres noms. Si Lyon connait un peu Louise Labé, la ville oublie de célébrer l'immense Maurice Scève. Et Joséphin Soulary ne mérite pas l'oubli total dans lequel il est tombé.
Écrit par : Nuel | dimanche, 26 juillet 2009
Bonjour à tous,
Ayant vécu mes jeunes années à Lyon et surtout pendant toute la guerre, je continue à défendre Henri Béraud , qui n'a jamais été collaborateur, C'est vrai qu'il détestait les Anglais, les Parisiens, les Allemands, les Russes...Il a écrit sur tous ces gens là. Et tous se sont bien vengés en l'accusant de collaboration...
Malheureusement il avait un contrat avec Gringoire...et il devait "pondre" un article tous les jours..." Ah !, didait-il...si je pouvais ne leur envoyer que des points et des virgules ! ! ! ! "
Oui, nous Lyonnais de coeur , nous connaissons Joséphin Soulary,Reverzy, Louise Labbé Maurice Scève, et bien d'autres Ampère par exemple...mais la littérature de Lyon n'arrive pas encore à Paris!
Écrit par : mere grand | samedi, 01 août 2009
Au niveau des grands auteurs lyonnais oubliés, nous pouvons ajouter Claude Farrère, n'est-ce pas ?
Écrit par : Space opera | mercredi, 07 novembre 2012
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