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samedi, 09 juillet 2011

A la voix de Kathleen Ferrier

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Toute douceur toute ironie se rassemblaient

Pour un adieu de cristal et de brume

Les coups profonds du fer faisaient presque silence,

La lumière du glaive s’était voilée

 

Je célèbre la voix mêlée de couleur grise

Qui hésite au lointain du chant qui s’est perdu

Comme si au-delà de toute forme pure

Tremblât un autre chant et le seul absolu

 

O lumière et néant de la lumière ô larmes

Souriantes plus haut que l’angoisse ou l’espoir

O cygne, lieu réel dans l’irréelle  eau sombre

O source, quand ce fut profondément le soir !

 

Il semble que tu connaisses les deux rives,

L’extrême joie et  l’extrême douleur.

Là-bas, parmi ces roseaux gris dans la lumière,

Il semble que tu puises de l’éternel.

 

(Yves Bonnefoy  Hier régnant désert, 1958)

Video : Kathleen Ferrier (1912 - 1953),   “Che faro senza Eurydice”, Gluck  


22:42 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (24) | Tags : yves bonnefoy, poésie, littérature, gluck, musique, kathleen ferrier | | |

jeudi, 16 juin 2011

Recueillement 2

« Sois sage, ô ma Douleur… » Parole de poète qui me remonte en mémoire devant la beauté discrètement figée d'un lac artificiel, au parc de la Tête d’Or, à Lyon. Les travaux commencèrent en 1857, l’année que Baudelaire édita les Fleurs du Mal. Ce n’est pas la seule analogie, d’ailleurs, que je trouve entre ce recueil si célèbre et ce parc si fameux, sans doute pour m’être jadis récité dans ces allées les vers que j’étudiais dans le lycée non loin de là, vers naturels et apprêtés comme ces bosquets et ces jardins botaniques. L’oxygène est frais, tout autour de ce banc. Oies, canards, cygnes font querelle à la surface de l’eau. La ville en son affairisme quelconque s’est éclipsée.

 « Sois sage… », donc.  Parole d’un être capable d’identifier son mal, de quelque bord qu’il soit, au point de le nommer. Non seulement de le nommer, mais de le déterminer, même : ma, d’un lien réservé d’ordinaire à l’intime : ma chère ou ma chérie, ici soudain chargé de n’inscrire qu’un  rapport étroit, précis à la douleur, une sorte de quotidienneté. Et puis cet impératif, ordre ou prière, on ne sait, recommandation, espérance… « Que Votre Nom soit sanctifié », murmure-t-on à Dieu, au subjonctif.  Ici, à la douleur, sois sage. Etrange vœu.

Bien sûr, au centre de l’hémistiche, trône ce ô lyrique, et, ma foi, très Second Empire, telle la rocaille, non loin, où s’écume le clapotis. Est-il véritablement signifiant ? « Ô, ma Douleur ! » A ce point, à cette césure qu’il fait sonner à la manière d’un clairon, ce ô n’est-il là que pour fermer le e de l’adjectif, en réduire un peu la  sagesse ?

« Sois sage, ô ma Douleur… »

Pour de bon, s’agit-il vraiment d’être sage ? Ou bien plutôt tranquille, c’est-à-dire docile, doux tel un enfant qu’on vient de gronder. « Tiens-toi  plus tranquille », combien de fois ne l’ai-je pas entendu, gamin, ou bien aussi : « Sois gentil ». Est-ce que cela peut exister, une gentille douleur ?

 

Une douce douleur, plutôt, nous y voilà. 

Qu’est-ce donc qu’une douce douleur, sinon une douleur qui s’est tue - une douleur matée par la grâce de l’injonction, vaincue par la force du subjonctif -, une absence de douleur, telle, dira Mallarmé (cet autre massif produit par le Second Empire), « l’absente de tout bouquet », la douleur que le vers brutalement a tirée du Néant.

Qui réclamait le soir ? Qu’est-ce que le Soir, sinon l’apaisement, l’anéantissement, le néant ? Ce soir, il descend, le voici, et il n’est que douceur, atmosphère obscure et enveloppante.  La ville se rend. Se peut-il que cette fin heureuse fût réclamée par la douleur ? Non, par le poète, assurément. C’est à lui qu’il vient d’adresser ce tu presque léger : « Tu réclamais le soir ? ».

Et moi, sur ce banc, c’est pareil. Une atmosphère obscure parait monter des eaux. En plein midi, je ressens dans la remémoration de ce vers comme le soir de ma douleur, et je ne peux que me reconnaitre parmi ces quelques-uns auxquels cette chute porte non pas le souci par lequel se clôt la strophe,  mais bien plutôt la paix

Avec une douceur étudiée, comme dans un sentier plein d’arômes, nous sommes passés de la douleur au souci, quand ce n’est pas, pour les plus heureux d’entre nous, du souci à la paix. Une fleur, véritablement, que ce mal qui s'est amoindri, jusqu'à se taire.  L’horizon, là, paraît dégagé malgré la voie ferrée. L’île, on pourrait, dans un tel recueillement, l’imaginer inviolée. Il y a bien des silhouettes de promeneurs faufilées entre ce lac lumineux et ma douleur dorénavant apaisée, ceux-là ne dérangent plus rien du spectre du poète vif et murmurant :

 

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« Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci. »


dimanche, 12 juin 2011

Telle une antithèse baroque

Frêle sont l’instant du bonheur,

Lourd, le lieu du malheur

Dans la durée comme dans l’espace

Mais constant l’un de l’autre

Arrimés, amarrés.

Traverses d’un seul corps, d’un seul âge.

Toi funambule

Du plein au vide,

Du vide au plein,

De l’un, malheur, de l’autre, bonheur.

 

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22:41 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : antithèse, poésie, littérature, listeners | | |

dimanche, 05 juin 2011

Qui sait ?

Après Benoît et son Artémis, j’accueille aujourd’hui un heureux chantre de la Charente. Certes, les strophes ne sont pas d’une égale mélodie, et quelques alexandrins sont  faux. Mais le texte contient l’écho juste et prégnant d’un romantisme à la fois idéaliste et grave, un romantisme que n’aurait pas entachée l’époque actuelle, sa veulerie, ses renoncements. L’homme qui a écrit ces vers a tenu à conserver l’anonymat. Pour paraphraser Vigny et sa Bouteille à la mer, « Il tient dans une main cette vieille campagne » dont il sait le luxe. A vous de l’apprécier :

 

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Qui sait ?

Notre mère avait dit de garder ce refuge
Pour les jours de détresse ou de calamité,
Or personne ne pense au retour du déluge,
Personne n'y croit plus, mais moi je dis « qui sait? »

Lorsque viendront les jours où l'Afrique et l'Asie
Se seront essaimées par nos villes par millions
Et qu'insidieusement, ou bien par tyrannie
Se seront répandues leurs mornes religions,

Paris débordera sur la Beauce et la Brie
Chartres et Tours ne feront qu'une même banlieue
On cherchera en vain à trouver un abri
Regrettant le bon temps que connurent nos aïeux.

Notre Dame, qui sait, aura son minaret,
On refera qui sait, la queue au  ravito
Mais à B… l'église gardera son clocher
Les légumes au jardin pousseront à nouveau.

Quand seront épuisées nos sources d'énergie,
Que pour se réchauffer il faudra faire du feu,
L'âtre sera toujours là pour des brûleries
Et l'on fera encore rouler le vélo bleu.

Qui sait s'il s'agit là de vaines conjonctures
Pour des demains lointains et des temps hasardeux...
Mais aujourd'hui déjà,  dans sa douce verdure,
Le calme charentais est un luxe fabuleux.

Juillet 2006

09:39 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : poésie, littérature, charente, vigny | | |

dimanche, 22 mai 2011

Artémis

Mai, beau mois pour un convalescent : Le taulier reconnaît modestement qu'il est un peu fatigué en ce moment. C'est pourquoi il a demandé du renfort et est ravi d'héberger ce sonnet,  à la manière de Gérard. Mais ce n'est pas du Gérard, c'est du Benoit. Voyez-plutôt : 

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« Ils reviendront, ces dieux que tu pleures toujours ! »  (Delfica, Gérard de Nerval)

 

La nature périt. L’harmonie est perdue.

Artémis ! Es-tu morte ? Ah ! C’est la voix du sang,

Ce flot noir dans mon crâne, cette hydre dansant

Qui me crie : « Oublie ! Crains le mythe, âme éperdue ! »

 

Paix ô torrent sans fin ! Reptile dans ma tête,

Tais-toi ! Serpent, redevient Caducée ! Seigneurs

Divins, dans les songes d’Endymion le pasteur

Plongez-moi ! Nuit, descend dans ma crypte secrète !

 

Mille bras me bercent. Des racines d’airain

S’étoilent. L’aigle roi siffle. Un voile se peint :

– Le sourire du ciel sur l’argentine mer –

 

De fer et d’or, en moi l’ineffable liqueur !

Ce feu soigne mon âme mais creuse mon cœur :

Hélas Artémis ! – Déesse –, tu es chimère.

 

Benoit Méheux.

09:23 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : poésie, littérature, gérard de nerval | | |

mercredi, 18 mai 2011

De loin

Un peu loin de tout ça, vraiment. Des images du monde et de son chaos. Cela fait paradoxalement du bien. Ce recul, tout en finesse. Sentiment affirmé qu’une violence inouïe, injustifiée,  dérègle de plus en plus les relations entre les individus.

A l’hôpital on prend soin. Un mode de vie, un emploi du temps, une attention à l’essentiel qui aura traversé les siècles, les âges et les modes, quand j’y pense, qui n’aura, malgré les incroyables progrès technologiques, guère changé, lorsqu’il s’agit de rendre le corps à son repos naturel, l’esprit à la plénitude de son vide, de restaurer le temps.

J’ai retrouvé ce lieu au sein duquel j’avais longtemps travaillé autrefois, comme s’il m’était demeure familière. Ce qui m’a beaucoup surpris. Et beaucoup aidé, sans doute.

Cet univers m’est familier. Son silence. Son attention à l’essentiel, on ne le dira jamais assez. Ses odeurs. Et même ses bruits. Ses paroles.

En le quittant, on m’a dit « au revoir monsieur », et moi j’ai dit «au revoir madame », « au revoir monsieur » à des gens qui, parmi toute une succession d’autres -une chaine humaine, une communauté de soins -, avaient contribué à me sauver la vie.

Rien moins que ça. J’ai l’impression qu’il y aura un avant et un après.


En retrouvant le monde extérieur, il m’a semblé rentrer par deux orifices, qui seraient mes yeux, dans une sorte de boite creuse et close, lointaine.

20:12 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, hôpital | | |

lundi, 25 avril 2011

El Azariyeh

Lazare s’est-il longtemps demandé ce que signifierait pour de bon sa mise au tombeau ? Métaphore extrême de chacun d’entre nous condamné à vieillir, à laisser là chaque jour un peu plus de soi, bouts d’ongles, cheveux gris, morceaux de sa peau, et ceux qui l’aiment éloignés de lui, chaque souvenir, et ceux qu’il aime, impuissants à le sauver, ferveur en allée. Ailleurs, et comme partout autour sur la planète, la Résurrection est devenue un commerce qui fait vivre en toutes langues et parler tant de monde.


El Azariyeh,béthanie,paques,résurrection,lazare,christianisme,religionMais là, en cette terre aride, elle reste malgré la division seul signe tangible, «Béthanie sera toujours Béthanie, murmura un jour Maria Valtorta, tant que la Haine ne fouillera pas en ce foyer d'amour, croyant en disperser les flammes, et au contraire elle les répandra sur le monde pour l'allumer tout entier. » Le sépulcre de Lazare dans la contrée d’El Azariyeh : C’est le nom que les musulmans ont donné au lieu. D’autres orthographes existent bien, El Aziriyeh, el-Azariyah, dont l’étymon premier, comme la vieille église a survécu : El Azariyeh, c’est bien Lazarion, le village de Lazare. « De personne d’autre, je n’ai accepté autant, que de mes amis de Béthanie » aurait dit le Christ.

Ce lieu ne garde en moi qu’une table, dont le sable blanc a recouvert la pierre. Table devenue page, page devenue sage, message auquel je me suis confié et qu’un doigt découvre à chaque fois que se dérobe le sol. Devant cette poussière qui rendit aussi vain qu’éclatant tout autre savoir, les docteurs de la foi comme ceux de la non-foi demeurent inopérants. Le silence est d’or. Et nulle part la Résurrection ne vibre d’une présence aussi compacte, que rejoint le pèlerin astral, défait de la Douleur d'exister.

mardi, 19 avril 2011

Un monde simple ?

Est-il si vain de croire, contre toute évidence - que nous vivons dans un monde simple ? Cela permet pourtant de passer au-delà de bien des signes. Un monde simple, c'est-à-dire un monde dans lequel les choses iraient de soi, couleraient de source, suivraient leur pente sans perdre leur fil, un monde tel qu’il fut nous interdit, dès l’enfance, d’y séjourner pour de bon.

L’actualité permanente, comme disent les chaînes de télé, contredit ce genre de vœu pieux formulé en nous par de lointaines comptines. Même si le diable, celui qui divise, est bien là, règne en maître, faisons cependant en sorte qu’elles gardent, ces ritournelles, la vie solide.

Il appartient en effet à chacun d’entre nous, s’il juge le festin sur terre encore digne d’attention, de tirer la chaise sous ses fesses, d’y emplir son verre et de s’y attabler à nouveau, entouré de si étranges et si nouveaux convives.

Et de comprendre une fois de plus que ce qui sépare ne brouille pas les hommes du ban entre eux, mais bien plutôt les éclats de leurs rues et de leurs mots en chacun d’entre eux, lieux-dits par lesquels les jours confus ont filé jusqu’à les conduire ici. 

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08:36 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, poésie | | |

samedi, 09 avril 2011

Jeux de maux

Le dénuement du dévouement laisse percer la sainteté à travers chaque pore. Certaines figures en sont ainsi tout éclairées jusqu’à l’heure du dénouement du dévouement. C’est alors qu’en elles, le dévouement au dénuement devient le plus extrême, forçant l’admiration jusqu’au vertige, jusqu’aux Cieux.

Le dénuement du dénouement serait ainsi la mort dans sa matérialité la plus décharnée, la plus strictement physique. L’on imagine ici les gisants médiévaux aux membres plus fluets que brindilles. Cela fait frémir. Soit.

Mais combien pire fait frémir le dénouement du dénuement. Car c'est alors une vie emplie de misères et de maux extrêmes qu'il faut imaginer alors, existence traînée jusqu’à sa fin rendue par contraste presque heureuse, sorte de Deux ex machina venu desserrer l’étau insupportable.  

Dans ce cas de figure,  le dévouement du dénouement, venu rompre l’essor fatal d’un destin sans apprêt, apparaît presque total.

 

 

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Caravage, Lazare

11:07 Publié dans Des poèmes, Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, poésie, jeux de mots | | |