vendredi, 11 juin 2010
Le spleen de l'usine
Des portails fermés des usines
Où sont entrés matin les ouvriers habiles
Des cours fétides des entrepôts
Du parfum criard des cantines
Des vélos des automobiles en files
Des fenêtres fumées des bureaux
De l’aspect m’as tu vu des vitrines
Où se mêle au charme l’outrance servile
Des cent bruits brassés des bars et des bistrots
Du multiple bouquet de faces anonymes
Du geste inconscient et fier de la ville
Des néons graffitis affiches journaux
J’entends sourdre la plainte quotidienne
Des hommes vers la paix
Car je connais la mienne.
09:43 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, poèmes |
jeudi, 20 mai 2010
Le pain cher
C’est grâce au théâtre, et à une leçon d’articulation, il y a lurette de ça, que j’ai découvert Gaston Couté. Du patois versifié, dans lequel chaque phonème compte, en effet. Des mots pour macher du Réel. C’était dans les années quatre vingts. Chez un bouquiniste, je trouvai les 4 volumes édités par le Vent du ch’min. Ils sont toujours là, avec en couverture, leurs dessins de H.G. Ibels. Et toujours ce même impact, lorsque je cède à ce chant. Le Pain Cher, ci-dessous, est, lui, écrit en français. Rare chez ce poète beauceron.
Tout le fumier des scandales,
Tel celui dont nous voyons
Les ordures qui s'étalent,
N'engraisse pas les sillons ;
Et cette baugée intense
Que viennent d'accumuler
Les porcs de la Préfectance
Ne fait pas pousser le blé !
La moisson sera mauvaise...
L'épi rare et languissant
A mûri mal à son aise
Dessous un soleil absent.
Et - conséquence fatale
De ce lamentable été -
Le pain, dans la capitale,
Va, sans doute, être augmenté ?
Oui, le pain dont l'âme entière
Est toute pleine d'amour,
Le pain blanc de la prière,
Notre pain de chaque jour !
Le pain vaudra cher la livre
Cet hiver, annonce-t-on :
On aura du mal à vivre
Avec ce sacré brichton (1).
Dans bien des pauvres ménages
La femme ira (faut manger ! )
Mettre les meubles en gage
Pour payer le boulanger.
Les mêmes, dans la cuisine,
A la place du buffet,
Danseront la capucine
A l'heure où l'on doit bouffer.
Mais un jour, le philanthrope
De la Tour Pointue (2) aura
L'heur de piquer sa syncope
Devant un tel embarras :
Il enverra vers le père,
Gréviste ou manifestant,
Tous les flics de son repaire
Pour l'assister à l'instant...
Sur le pauvre, en large averse,
Des pains tomberont alors
Plus lourds que ceux du commerce
Et qui tiennent mieux au corps !
(Gaston Couté)
21:29 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : poèmes, poésie, littérature, gaston couté |
mardi, 18 mai 2010
Lézard
Pis on grandit sans
Qu'on les perde :
Ainsi, moi, j'aime bien roupiller,
J'peux pas travailler,
J'en foutrai jamais une secousse,
Même pas dans la rousse
Ni dans rien.
Pendant que l'soir, ej' fais ma frape,
Ma soeur fait la r'tape,
Et c'est bien.
Alle a p'us d'daron, p'us d'daronne,
Alle a plus personne,
Alle a qu'moi.
Au lieu de soutenir ses père et mère,
A soutient son frère,
Et puis, quoi ?
Son maquet, c'est mon camarade:
I' veut bien que j'fade
Avec eux.
Aussi, ej' l'aim', mon beau-frère Ernesse,
Il est à la r'dresse,
Pour nous deux.
Ej'm'occupe jamais du ménage,
Ej'suis libre, ej' nage
Au dehors,
Ej'vas sous les sapins, aux Buttes,
Là, j'allong' mes flûtes,
Et j'm'endors.
On prend des manières à quinze ans,
Pis on grandit sans
Qu'on les perde :
Ainsi, moi, j'aime bien roupiller,
J'peux pas travailler,
Ça m'emmerde.
05:45 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : aristide bruant, lézard, argot, poèmes, chanson |
mercredi, 12 mai 2010
L'imprimatur des bêtes sauvages
L’errant au poil fauve s’approche, se détourne, reparaît. Son menton interroge, ses flancs hésitent. Il associe sauvagerie et mendicité. Je songe à ces demi-poètes devenus hommes de lettres en quête de succès.
Il cache ce qu’on lui jette et revient, il refait surface à l’improviste, au détour d’un talus. Il chasse le cadeau… Il me prendra jusque dans la main un os assez gros. Tel propriétaire voisin le photographie puis se fait photographier avec lui.
Malgré sa discrétion, une implicite puis soudaine légèreté d’ombre qui lui permet d’apparaître puis de disparaître rapidement (sans du tout courir) nous manifestant sa lourde et superbe queue d’hiver, je ne vois plus sa beauté.
Elle me saisit tellement quand je surprends les bêtes sauvages – biches, cerfs, chamois ici même, qui traversent avec un tel incognito les pentes, s’effacent toujours. Elles ont un abîme dans les yeux dès qu’elles nous aperçoivent et se sauvent.
Se sauvent, oui. Qu’est-ce qu’elles emportent ? Un autre monde et la beauté introuvable dont elles nous ont laissé l’impression par cette allure où s’est profilée la peur… et une si inviolable différence.
Dès qu’elles s’apprivoisent, c’est fini. Il leur manque le grand frisson du paradis antérieur. Où on ne mourait pas car on ne savait pas qu’on mourrait... Nous, c’est cette connaissance que nous leur apportons. On a perdu le miracle de vivre, d’être toujours dans l’éternel. Et ainsi la beauté, comme l’amour, est liée à la mort. Et tout est lié à la mort nous masquant quelque chose qui a eu lieu avant elle.
Ecrire, c’est retrouver l’imprimatur des bêtes sauvages
Maurice Chappaz, « 22 août » (extrait) La Pipe qui prie et fume, 2008
06:18 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : poésie, littérature, maurice chappaz |
jeudi, 06 mai 2010
Le bon ordre dans la cité
Notre ville ne périra jamais par l’arrêt de Zeus et les desseins des bienheureux dieux immortels, car la gardienne au grand cœur, fille d’un père puissant, Pallas-Athénée, étend son bras sur elle. Ce sont les citoyens eux-mêmes qui, par leur sottise, esclave des richesses, veulent détruire la grande cité ; les chefs du peuple ont un esprit injuste ; ils sont près de subir de grandes épreuves, à cause de leur excessive démesure ; car ils ne savent pas contenir leurs désirs insatiables, ni prendre avec mesure et dans le calme les plaisirs du festin qu’on célèbre. Ils s’enrichissent en s’attachant à des actions injustes ; ils n’épargnent ni les biens sacrés, ni les biens publics, et volent, par rapine, l’un d’un côté, l’autre ailleurs ; ils n’observent pas les principes vénérables de justice ; la déesse se tait, mais elle garde en elle-même la notion de ce qui se passe et de ce qui s’est passé, puis à son heure elle ne manquera pas de venir et de punir.
Telle est la plaie incurable dont, maintenant, est envahie cette ville entière qui rapidement est tombée dans une vile servitude ; celle-ci a réveillé la révolution et la guerre qui dormaient et beaucoup d’hommes ont péri dans leur aimable jeunesse. A cause de ses ennemis, cette ville si aimable se ruine rapidement dans les ligues de partis, chères aux hommes injustes Tels sont les maux qui tourmentent le peuple et, parmi les pauvres, il en est beaucoup qui s’en vont vers une terre étrangère, vendus et chargés de honteuses chaînes. Ainsi le malheur public vient sous le toit de chaque citoyen, et les portes de la cour ne peuvent pas l’arrêter ; il saute par-dessus le mur élevé et trouve immanquablement sa victime, même si elle cherchait refuge dans une chambre reculée, au fond de sa maison.
Solon, « Le bon ordre dans la cité », - 594 avant JC.
07:30 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : politique, europe, littérature, grèce, société, solon, crise |
lundi, 26 avril 2010
L'Ancêtre-laboureur
Passé la journée dans le Haut-Jura. Vu quelques champs de colza, de nombreux prés couverts de pissenlits, quelques vaches, des forêts, des chemins de terre, une ou deux cascades. Traversé des villages, vides. Vieilles pierres, des bâtisses, des églises, des murets, des fontaines. Revu tout cela après une semaine durant laquelle je suis resté chez moi, claquemuré presque.
Ressenti brièvement l’Ancêtre-laboureur.
Ce texte est une republication :
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Ses ancêtres, de quelque côté qu’il se tournât, avaient poussé la charrue.
Etrange, cette envie, qui leur avait fait quitter leur sillon. Je me demande à présent : était-ce l'envie de nous ?
Une lueur au loin : c'était la ville. Là-bas, des sourires carnivores et du papier-monnaie. Sourires quand même, s’étaient-ils dit. Et, bien que les pantalons de velours leur usassent l'intérieur des cuisses, ils s’étaient mis en route des sentiers jusqu'aux ateliers. Souci de prospérité ? Envie de foutre le destin par-dessus-bord ? Suivisme ? Envie de dire collectivement son mot dans l'Histoire : le peuple et ses légendes… Besoin de bouffer.
Nous nous retrouvâmes au cours de l'épisode suivant, tous entassés à plusieurs générations dans des lieux exigus au fond d'arrière-cours assez malodorantes, il faut bien le reconnaître, mais poussés au sens propre hors de nous-mêmes par une force tenace qui ne voulut plus voir dans le troupeau que des individus, force cérémoniale qui devint tant bien que mal une tradition démocratique. C'est alors que nous avons peu à peu abandonné les récits de nos ancêtres pour le discours des orateurs urbains. Alors que le passé, jusqu'alors simple, devint composé.
Certains carreaux de la cuisine étaient branlants et nous n'avions pas de chauffe-eau pour se laver. Quand les filles se dénudaient, il fallait faire le pied de grue à la porte. Mais le progrès filait sa route, et nous la sienne. Nous avons appris à lire dans les journaux. La liberté guidant le peuple. (1)
A force de se tourner vers l'avenir, nous avons oublié le passé, le plus simple comme le plus compliqué. Des brocanteurs ont vidé de nos greniers les épaves que les ancêtres y avaient laissées, pour les vendre fort cher à des collectionneurs de passage. Il fallait voir comme le plus quelconque de nos moulins à café avait l'air de les enchanter. Les imbéciles ! Adieu, les mouchoirs en dentelles brodées aux initiales d'antan qui sentaient les herbes de Provence et les doigts de nos grand mères. De vote en vote, nos mouchoirs usagés, à présent, nous les jetons.
Puis nous avons vendu les planchers de nos greniers et les culs de nos armoires à tant le mètre carré. De ponts en ponts, nous sommes parvenus enfin à la capitale. La capitale, pour nos esprits étroits, c'était presque l'Amérique ! Sur ses affiches électorales, un président de la République - je ne sais plus lequel, il y en a tellement eu - et puis c'est si commun, un président de la République ! - souriait à pleines dents.
Quand nous songions à l'ancêtre laboureur, nous pouvions nous imaginer sans frémir de ridicule que nous étions devenus des êtres civilisés. Qu'il pourrait être fier de nous, le gueux qui chiquait.
Un jour pourtant, tandis que nous vieillissions, il revint hanter nos traits peu à peu. Je ne sais quel fut le premier d'entre nous dont il se saisit.
Sous le galurin posé de guingois, la ressemblance avec sa photo écornée et jaunie - encore que nul parmi nous n'était encore capable de dire si c'était bien lui qui figurait dessus, ou bien un petit-fils ou un voisin, qu'importe en la maison commune - la ressemblance était si frappante qu'on en restait tous au perron comme saisis, hésitants à l'inviter à prendre place au repas de famille, devant une assiette de surgelés.
A quelques mètres sous le carreau, là, sous nos pieds, c'était encore la terre, son domaine, son sillon. La terre, qu'il pointait du doigt. Deux ou trois siècles étaient passés, guère plus. Suffisamment pour balayer tous nos savoirs et de vent établir nos domaines. Son regard était, malgré cela, et malgré la grande fatigue, et toute sa vieillesse, demeuré confiant et droit. Nous n'eûmes plus, dès lors, qu'à attendre (attendre, nous avions perdu, entre autres, cette habitude...) qu'il ouvrît la bouche, nous demandant plein d'effroi en quel patois il articulerait son premier mot, de quel geste il accompagnerait sa première sentence
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(1) Tiens, je signale au passage, même si ça n'a rien à voir (mais quel hasard !), qu'aujourd'hui lundi, c'est l'anniversaire de la naissance d’Eugène Delacroix .
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Il n'est donc pas totalement incongru de placer en vis à vis ces deux photos, celle de l'Ancêtre-Laboureur, et la reproduction du maître tableau d'Eugène, romantique bâtard du rusé Talleyrand. Cliquer sur le nom d'Eugène là au-dessus pour une (re)lecture du billet de cent...
00:00 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, poème, poésie, labour, laboureur, ancêtres |
mercredi, 14 avril 2010
L'échouement
C’est un monde sans suite, sans fondement
Un monde où chacun, dès qu’il le peut, prend le fauteuil de l’autre
Un monde dur, et sans reconnaissance,
Un monde où la compétition s’est emparée des mains, des pieds, de chaque organe
Chacun au final pour y survivre
N’a que son cri
Voilà qui promet de jolis concerts, le printemps revenu,
Et de furieuses débauches
Parmi les dépecés.
Pas d’inquiétude pour autant : le pouvoir central a déjà prévu les podiums et les stades
Et vend à chacun des billets d’entrée au prix le plus fort.
C’est un monde qu’on aimerait voir changer.
Mais le pourra-t-il ? Le saura-t-il ?
Tandis que les plus malins s’enrichissent
C’est précisément ceux-là même qui prétendent aux plus grands changements
Qui ont durci sa nature et arrangé l’imposture centrale.
09:49 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, photographie, sylvain lagarde |
lundi, 22 mars 2010
Au platane
A en croire Favre d’Eglantine et son calendrier révolutionnaire, aujourd’hui, deuxième jour du mois de la régénération (germinal) serait la journée du platane. Quand j’étais gosse, saisi comme tout le monde par de puerils protocoles, je me plaisais à desquamer les ocelles de son tronc, en tirant sur les bouts d’écorce à ma portée. Un claquement sec. Puis, je humais l’odeur imprégnée sur mes doigts par cette matière brune, tel le tabac interdit. C’était mon jeu des rues, comme celui des plages était de laisser traces de mes pas sur le sable, celui des rivières de faire des ricochets d’un bord à l’autre, avec le caillou le plus plat.
Ou bien de faire claquer l'un contre l'autre les galets descellés du rivage, encore humides et parfois boueux.
Impossible d’évoquer le platane sans un mot de ces cohortes de lui, qui bordent nationales et départementales. Le platane, indissociable vigile que balayaient nos phares nocturnes des virées sur les routes, puissante et fidèle sentinelle. Celui de la RN5 autour du tronc duquel vint s’encastrer la voiture qui conduisait Camus, un lundi 4 janvier, à 13h 55 : jeux d’enfants, tragédie. Et puis aussi ceux de Saint-Rémy, centenaires et noueux, que peignit Van Gogh. Tableaux. On dit qu’Hippocrate y donnait ses consultations à Cos, et que de son bois, Ulysse avait fait le cheval de Troie. On dit. On dit…. J’aime surtout le silence familier des grands platanes citadins, qui bordent les boulevards et ferment les impasses. Leur silence, qui n’est pas le moindre de leur Charmes.
05:14 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : poésie, littérature, favre d'églantine, paul valéry, albert camus, platane |
jeudi, 18 mars 2010
Le tisserand
Paul Sérusier 1867-1927 Le Tisserand 1888
François Villon, Le Testament - XXVIII
06:22 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : paul sérusier, françois villon, tisserand |