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lundi, 22 mars 2010

Au platane

texture-ecorce-platane_3591.jpgA en croire Favre d’Eglantine et son calendrier révolutionnaire, aujourd’hui, deuxième jour du mois de la régénération (germinal) serait la journée du platane. Quand j’étais gosse, saisi comme tout le monde par de puerils protocoles, je me plaisais à desquamer les ocelles de son tronc, en tirant sur les bouts d’écorce à ma portée. Un claquement sec. Puis, je humais l’odeur imprégnée sur mes doigts par cette matière brune, tel le tabac interdit. C’était mon jeu des rues, comme celui des plages était de laisser traces de mes pas sur le sable,  celui des rivières de faire des ricochets d’un bord à l’autre, avec le caillou le plus plat.

Ou bien de faire claquer l'un contre l'autre les galets descellés du rivage, encore humides et parfois boueux.

Impossible d’évoquer le platane sans un mot de ces cohortes de lui, qui bordent nationales et départementales. Le platane, indissociable vigile que balayaient nos phares nocturnes des virées sur les routes, puissante et fidèle sentinelle. Celui de la RN5 autour du tronc duquel vint s’encastrer la voiture qui conduisait Camus, un lundi 4 janvier, à 13h 55 : jeux d’enfants, tragédie. Et puis aussi ceux de Saint-Rémy, centenaires et noueux, que peignit Van Gogh. Tableaux. On dit qu’Hippocrate y donnait ses consultations à Cos, et que de son bois, Ulysse avait fait le cheval de Troie. On dit. On dit…. J’aime surtout le silence familier des grands platanes citadins, qui bordent les boulevards et ferment les impasses. Leur silence, qui n’est pas le moindre de leur Charmes.


à André Fontainas.

 

Tu penches, grand Platane, et te proposes nu,
            Blanc comme un jeune Scythe,
Mais ta candeur est prise, et ton pied retenu
            Par la force du site.

Ombre retentissante en qui le même azur
            Qui t’emporte, s’apaise,
La noire mère astreint ce pied natal et pur
            À qui la fange pèse.

De ton front voyageur les vents ne veulent pas ;
            La terre tendre et sombre,
Ô Platane, jamais ne laissera d’un pas
            S’émerveiller ton ombre !
  
Ce front n’aura d´accès qu´aux degrés lumineux
            Où la sève l’exalte ;
Tu peux grandir, candeur, mais non rompre les nœuds
            De l’éternelle halte !

Pressens autour de toi d´autres vivants liés
            Par l’hydre vénérable ;
Tes pareils sont nombreux, des pins aux peupliers,
            De l’yeuse à l’érable,

Qui, par les morts saisis, les pieds échévelés
            Dans la confuse cendre,
Sentent les fuir les fleurs, et leurs spermes ailés,
            Le cours léger descendre.

Le tremble pur, le charme, et ce hêtre formé,
            De quatre jeunes femmes,
Ne cessent point de battre un ciel toujours fermé,
            Vêtus en vain de rames.
 
Ils vivent séparés, ils pleurent confondus
            Dans une seule absence,
Et leurs membres d´argent sont vainement fendus
            À leur douce naissance.

Quand l’âme lentement qu’ils expirent le soir
            Vers l’Aphrodite monte,
La vierge doit dans l’ombre, en silence, s’asseoir,
            Toute chaude de honte.

Elle se sent surprendre, et pâle, appartenir
            À ce tendre présage
Qu’une présente chair tourne vers l’avenir
            Par un jeune visage…

Mais toi, de bras plus purs que les bras animaux,
            Toi qui dans l’or les plonges,
Toi qui formes au jour le fantôme des maux
            Que le sommeil fait songes,

Haute profusion de feuilles, trouble fier
            Quand l’âpre tramontane
Sonne, au comble de l’or, l’azur du jeune hiver
            Sur tes harpes, Platane,

Ose gémir !… Il faut, ô souple chair du bois,
            Te tordre, te détordre,
Te plaindre sans rompre, et rendre aux vents la voix
            Qu’ils cherchent en désordre !
 
Flagelle-toi !… Parais l’impatient martyr
            Qui soi-même s’écorche,
Et dispute à la flamme impuissante à partir
            Ses retours vers la torche !

Afin que l’hymne monte aux oiseaux qui naîtront,
            Et que le pur de l’âme
Fasse frémir d’espoir les feuillages d’un tronc
            Qui rêve de la flamme,

Je t’ai choisi, puissant personnage d’un parc,
            Ivre de ton tangage,
Puisque le ciel t’exerce, et te presse, ô grand arc,
            De lui rendre un langage !

Ô qu’amoureusement des Dryades rival,
            Le seul poète puisse
Flatter ton corps poli comme il fait du Cheval
            L’ambitieuse cuisse !…

Non, dit l’arbre. Il dit : Non ! par l’étincellement
            De sa tête superbe,
Que la tempête traite universellement
            Comme elle fait une herbe
 !

 

Paul Valéry  - Charmes

05:14 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : poésie, littérature, favre d'églantine, paul valéry, albert camus, platane | | |

Commentaires

Ah je ne connaissais pas ce mot d'"ocelles" et n'avais jamais lu ce poème de Valéry, merci Solko pour ce billet.

Écrit par : Sophie | lundi, 22 mars 2010

Quoi ? Quoi ? "Desquamer les ocelles ?"

Voyou !

Écrit par : Alceste | mardi, 23 mars 2010

@ Alceste : Tiens ! Vous revoilà vous ? C'est le printemps qui vous fait sortir des égouts ? Je suis bien aise de retrouver votre mauvaise humeur et votre tempérament bileux. En cette période d'endormissement, ça fait grand bien et j'arracherais bien encore une ou deux ocelles rien que pour le plaisir d'entendre votre voix.

Écrit par : solko | mardi, 23 mars 2010

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