mardi, 05 février 2013
Père
Le chemin vers la dissémination lui semblait encore long
Tant la poussière, les crachats, s’accrochaient aux talons
Il parcourut d’un regard fier la rondeur des collines
Que striait jusqu'au soleil le tracé droit de sa route
Tu les retrouveras, songea-t-il,
Ta femme,
Ton fils,
Ton travail,
Ta maison,
Ta lignée,
Ta race.
Lorsqu’il s’étendit contre le fer,
Il ressentit la douceur de l’édredon
Imprégnant toute sa chair
Son sexe comme au premier éjaculat
Se fit poignard, immense de chaleur
Et brûlant de lumière.
Il ne parvint à rien contenir
De la joie limpide qui flambait
De violence natale.
Un monde né d’un tel coup de reins
Qui pourra le démembrer, se dit-il,
Des votes de l’assemblée sénile
Ou des fioles folles des laboratoires marchands?
Alors, éclat de bonheur
Ivre et comme fondu de durée,
Il terrassa d'un geste le travestissement odieux de leur monde
En répandant ces mots.
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mercredi, 09 janvier 2013
Une compagnie indéterminée
On voit plusieurs types de solitaires : certains méticuleux, presque maniaques, rangeant tout derrière eux comme pour ne laisser aucune trace de leurs faits et gestes, de leur passage. D’autres moins soignés, qui laissent volontiers après leur repas traîner leur assiette sur la table, une cuillère dans l’évier, un lit non fait…
Les premiers ont l’air d’attendre sans cesse quelqu’un, dont l’ordre qu’ils s’imposent est une forme d’accueil inconscient ; les autres ont fait d’eux-mêmes ce quelqu’un, et de leur négligence un souci constant de feindre sa compagnie.
On ne vit jamais, autrement dit, ni complètement sans l’autre ni non plus en la compagnie véritablement de soi-même.
photo Blanc & Demilly
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jeudi, 20 décembre 2012
Ode à l'autobus
Lieux de passage, l’autobus, lieux rares et communs.
Dans les bus plus qu’ailleurs, les gens sont solitaires. Même accompagnés, ils ont l’air d’être tout seuls dans les gestes qu'ils font, les vêtements qu'ils portent, les choses vagues qu'ils pensent.
Ces itinéraires quotidiens, de leurs domiciles à leurs lieux de travail, semblent aux tréfonds de leurs regards métaphores d’une trajectoire plus enfouie, souffle du premier berceau, souffle du dernier lit. Chair de chacun livrée toujours seuls. Cahots qui se répètent.
Beau métier que celui des chauffeurs de bus, tourneurs en ronds infinis, transporteurs de destinées d’un terminus, l’autre. Leur solitude, aussi. Convoyeurs de chair quotidiens, livreurs à l’arrêt qu’on leur demande. La qualité d’un chauffeur de bus est la feinte (t’emmènent vraiment quelque part, crois-tu ?) et la discrétion (où tu finis, s’en fichent…)
On ne fleurit pas assez les autobus. On ne les enduit pas assez de parfums, ni ne les décore de tableaux. On ne considère pas assez les chauffeurs de bus. Je ne veux pas dire socialement (le social, quelle embrouille...) mais métaphysiquement.
L'autobus est peut-être l'une des rares choses qu'on attend chaque jour. L'une des dernières. Rien que pour ça, malgré sa dégaine, il force le respect.
Robert Harris - Bus in black and white
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lundi, 17 décembre 2012
La péniche en feu
Par la vitre du bus qui les emmenait à la gare, tous deux jetèrent sur la carcasse calcinée d’une péniche sur le Rhône un regard qui songeait. La veille, un rideau de fumée et de suie envahissait tout le quai, les flammes galopaient sur le pont. Un bref instant, leurs yeux se croisèrent, animés par un long sourire : celui, pour la première fois depuis longtemps, d’un souvenir véritablement vif et commun.
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lundi, 03 décembre 2012
Les passagers du pont
C’est à la fois court et long, une existence. Régulièrement, tout s’y dérobe. On ne peut y demeurer vif sans les ponts. Eux seuls permettent le passage d’un âge à l’autre, sans faillir à la vue du précipice qui se prolonge.
Passer le pont, c’est durer. Activité banale et simple, que tout un chacun traduit chaque matin en lançant, l’esprit embrumé, des « ça va ? » à la cantonade.
Au début de son voyage, l’homme croit volontiers que le pont n’est pas le but en soi. Il s’imagine qu’en en passant quelques-uns, il atteindra toutes sortes de destinations, par ci, par là, qu’importe. Il sera quelque part. Là où conduisent ces foutus ponts doit bien avoir un foutu nom.
Au centre de sa vie, il comprend que les seuls lieux qui donnent sens à sa route sont les ponts eux-mêmes. Sur quelque pont qu’il s’achemine, ce sera toujours le pont du doute. Il creuse alors ses premières rides. Et prend ses premières précautions.
Tenir bon. Quelle que soit sa ténacité, un pont plus retors à passer rompra un jour ses planches sous le fil de ses pas. Ce bel équilibre de vivre dont il ne doute plus faillira à son tour.
Lequel et pourquoi ?
Questions trop ardues, pour de simples passagers de ponts.
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mardi, 20 novembre 2012
Oublie pas
Rien de nouveau, sur les bancs de l’Assemblée nationale : ça éructe, jappe, braille, parlotte. Ca se justifie, ça complaisance et ça rouche-caillonne des Yaka et des c’est la fôt’au-gouvernement-précédent. La France a perdu son triple A, l’andouillette a gardé tous les siens. Le contraire serait désolant. Il parait que les chirurgiens en ont assez d’être disent-ils payés comme des plombiers. A l’heure de l’homme-machine, qu’attendent-ils d’autre, de toute façon ? Z’ont fait des études disent-ils, et alors ? Bientôt tout le monde, à un ou deux ans près, fera des études de chirurgien. Même les putes se disent travailleuses. Travailleuses du sexe comme d’autres du bistouri. Vaut plus grand-chose, les études. Y’a ka aligner tout le monde sur le même salaire, un même salaire pour tous, un même diplôme pour tous, un même mariage pour tous, une même bagnole pour tous, un même logement pour tous, un même neurone pour tous. No discrimination. Pendant ce temps-là de plus en plus de gueux roupillent et somnolent devant leurs gobelets au marché. Bientôt plus personne n’aura la pièce. Que des puces. La même pour tous. On dit que les pauvres se méfient des riches mais c’est faux. Les pauvres se méfient des pauvres qui leur ressemblent toujours trop. S’en sortir, ça a toujours été leur mot.
Parfois le cœur te soulève et t’as l’envie de tout tourner en dérision et de tout rendre, comme après un gros repas. Logique. Derrière les grilles du cimetière, c’est l’oubli massif. On disait jadis que les morts dormaient, c’est désormais eux qui murmurent qu’on est tous tombés, les vivants, dans un profond sommeil. Entends-tu, les murmures des morts ? Comme ça repose l’esprit des conneries des vivants ? Un profond sommeil, une lourde amnésie qui coûtera cher d’en sortir. Tous ensemble, tous ensemble. N’en sortirons qu’un par un. Leur enfance encore vivante ou morte sur le dos, tout dépend.
Oublie pas.
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mercredi, 14 novembre 2012
Le guide du démocrate
Soudain retentit le générique des Dossiers de l’écran, et, comme si s’ouvrait un rideau, le spectacle peut commencer. Conçu à la croisée de deux textes, Le Guide du démocrate d’Eric Arlix et Jean Charles Massera et We are l’Europe de Jean Charles Massera, il prend forme au croisement de deux partis-pris scénographiques :
- une succession de croquis montrant un couple d’homo democraticus aux prises avec la réalité de leur banale survie en société démocratique post-moderne d’une part ;
- les conseils ironiques d’un tonitruant démocratiseur, à mi chemin entre le coach et l’expert d’autre part, qui tantôt les observe et tantôt se mêle à leur existence.
Dans l’entrelacs de ces deux jeux, le spectacle trouve rapidement un véritable rythme, grâce notamment à l'interprétation des trois comédiens, qui tient la route sans défaillir un instant.
Le démocratique a-t-il tué la démocratie ?
Cette question tient lieu de lancinant fil d’Ariane pour coudre entre eux l’ensemble des tableaux. : celui de la météo et celui de la cantine, celui de la télé réalité et du story-telling politique, du sexe d’autant plus triste qu’il est libéré, de la convivialité d’autant plus feinte entre membres d’une même tribu qu’elle est inexistante partout ailleurs, des déboires d’un quotidien pour la survie bricolée, également éprouvés par des mâles et des femelles pris en sandwich entre le dernier Goncourt et le pamphlet d’Hessel… Car les personnages que la création aux Ateliers de Délétang propose sont imbibés à part égale de deux éléments contradictoires : les sons, les images et les lieux communs dont la société du spectacle les abreuve (nous abreuve) ; les concepts dont la tradition critique de la société du spectacle les a emplis (nous a emplis). Comme ils semblent n’être plus en mesure d’adhérer ni à la société du spectacle ni à sa critique, mais contraints de les subir tour à tour comme le côté pile et face d’un même conditionnement démocratique, leur état de non adhésion au Réel, qui constitue à la fois leur force et leur faiblesse, devient rapidement le ressort de l’intrigue.
Cela engendre beaucoup de bruit, trop sans doute pour eux qui, entre espérance et lassitude, renoncements et questionnements ne tiennent visiblement plus en place, comme des enfants Ainsi est-ce au spectacle de leur infantilisation (notre infantilisation) que nous sommes conviés. Le théâtre de Deletang met ainsi en scène les mésaventures de la pensée critique aux prises avec « la mondialisation des échanges et des informations », la pensée critique n’étant plus dans les démocraties modernes qu’une modalité d’échange et un mode d’information de plus, une des formes conventionnelles et obsédantes du vide. La scénographie et le décor montrent avec une joyeuse efficacité l'impasse dans laquelle la mise en relation des lieux communs produits conjointement par la société du spectacle et par sa critique placent les personnages (et les spectateurs).
Que faire alors pour bousculer tout ça ? Comme le tableau final le met à jour, même le discours politique (surtout lui) est devenu un objet de marketing insipide et creux en démocratie : le guide se révèle un non guide, pas même un escroc, un individu comme un autre qui ne propose aucune solution. Dans un tel contexte et avec un sujet aussi verbeux, maintenir en vie la fonction critique inhérente à la représentation théâtrale relève du tour de force : c’est une affaire de rythme et de croisement des points de vue, une affaire d'humour aussi; Deletang y parvient malgré tout, dans le mesure où le questionnement sur la démocratie demeure réellement vivant durant l’heure et demi que dure la représentation, et jusqu' la fin, contradictoire. Le guide du démocrate mérite donc le détour. C'est aux Ateliers, rue du Petit David, c'est dense et tonique, et c'est jusqu'au 6 décembre.
©David Anemian.
Le guide du démocrate ou Les clés pour gérer une vie sans projet
Mise en scène de Simon Délétang, avec Lise Chevalier, Steven Favournoux, François Rabette. Du 13 novembre au 6 décembre 2012.
12:57 Publié dans Des pièces de théâtre, Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : le guide du démocrate, massera, eric arlix, simon deletang, lise chevalier, steven favournoux, françois rabette, les ateliers, théâtre, lyon, pensée critique |
dimanche, 04 novembre 2012
Bien dire
Quand le silence et la pénombre gagnent l’appartement, que le roulement du vent charrie au dehors de similaires instants d'enfance et qu’une pluie légère soulève des relents verlainiens, tu mesures davantage encore ta fatigue, et tout l’espace parcouru, peut-être en vain.
Dehors également, le pas de quelques fugitifs
C’est étonnant comme l’agitation qui a gagné la planète, les images et les heurts s’estompent dès l’électricité ôtée. Les bruits de la maison prennent un sens qui s'éloigne. Le repos commence.
Avec lui, la signification immédiate que tu donnes instinctivement à chaque chose, chaque son, se découvre comme suspendue. Tout ce que tu ne connais pas : C'est l'instant de tout reconsidérer à moindre peine, de respirer.
La malédiction une fois pour toutes désenclavée , il s'agit de bien dire.
21:37 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : poésie, littérature |
vendredi, 19 octobre 2012
Éloge de l'automne
« C’est la saison où tout tombe / aux coups redoublés du vent », chantait Lamartine. C’est aussi la saison des peintres. La plus belle à mon goût, et nous voici plongés au cœur de ses multiples cercles. Pour décrire le ballet de feu des feuilles d’automne, Bloy évoque « les anges gardiens d’Octobre à qui fut confiée la douce agonie de la Nature » (1).On a tant parlé de cette saison comme du « soir de la vie » ou de « l’automne des idées » qu’on doit se murmurer à chaque coucher de soi-même quelle chance on a d’en traverser un nouveau, de part en part.
En automne, juge Baudelaire, « les nuages flottent comme des continents en voyage » (2). Prosaïquement, voici donc que le ciel se prend devant nos yeux pour une mappemonde : Tous les voyages demeurent possibles, comme avant Neil Armstrong et l’empreinte profane qu’il posa sur l’imaginaire des ancêtres. Après tout, si un homme a marché sur la lune, nul homme n’a jamais posé le pied sur mes nuages.
Aux variations de l’automne, chacun d’entre nous peut suspendre « la scintillante minute de son choix » (3). Je ne suis pas coloriste. Combien d’aquarelles aurai-je accomplies par les fleuves, les cieux, les étangs qui jaillissent des pochoirs de l’automne ?
« Une feuille qui tombe a divisé l’année / de son événement léger » (4) La sordide propagande ni la rude économie ni la triste technologie des hommes ne sont donc venues à bout des charmes de l’automne, et la parole la plus juste parmi eux demeure pour l’an encore celle, comme lui renouvelée, des poètes. Dût-elle un jour s’éclipser par mauvais sort, les mayas seraient justifiés, et ce serait la fin du monde.
Eugène Brouillard, La fuite des populations devant le fléau (1917), reproduit dans l'ouvrage de D.Ranc et D.Vaginay, Eugène Brouillard, Dialogues avec la modernité, Libel, 2011
(I)Léon Bloy Poèmes en prose, «Octobre »
(2)Baudelaire, Spleen de Paris, « Les vocations »
(3) Je trouve l’expression chez Marius Marmillon, dans un article sur le peintre Ravier publié dans le numéro 61 de la revue Résonances en 1957.
(4) Paul Valéry, Poésies, « Equinoxe »
10:12 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, poésie, léon bloy, paul valéry, baudelaire, eugène brouillard |