jeudi, 18 octobre 2012
Pour peu
Ce qui compte tient en peu de paroles, peu d’êtres, peu d’objets.
Superflu, redondance n’ont pas de sens quand le nécessaire est si rude à conserver.
L’art est la bonne attitude
08:00 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, poésie |
mercredi, 26 septembre 2012
L'étang me dure
Après, tu n’auras rien à dire. Tu te répètes beaucoup, en attendant. Mots, comme des petits pas. Combien, prononcés ?
Ca te fera tout drôle, quand tu n’auras plus rien à dire. En fait, c’est déjà le cas. Plus rien à dire ou personne à qui parler ? Cela revient au même, au fond. Silence dans un caisson.
La jeunesse, disions-nous l’autre jour à la cantine, ne supporte plus la lenteur. Ni dans les livres, ni dans les films, ni dans l’existence réelle. Mais elle s’accommode étonnement bien de la répétition. Nous de même, qui avons vieilli.
La répétition serait-elle moins ennuyeuse que la durée ? Sévère question de point de vue. La répétition fait en tout cas plus illusion que la durée. Intermittence, prisme affecté du postmoderne. Les hachures de l’instant qui font mine de. La durée, elle, jamais rien. Je préfère la durée.
Jadis, j’ai appris à vivre, à lire, à penser dans son étang. Je ne me figure pas la durée autrement que comme un étang. L’étang me dure, faute d’éclair.
Pauvre drôle, quand cesseras-tu de répéter par-dessus ton épaule ceux que tu as lus ? Ils se sont beaucoup répétés avant de cesser de durer. La littérature serait une sale farce, tu vois, si tout n’était l'énigme…
Aldine, Canal à Venise
06:33 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, poésie, rené char |
vendredi, 14 septembre 2012
A nul autre objet que celui-ci
Cela faisait longtemps qu’il n’en avait pas tenu un entre les mains, ni que son regard n’avait glissé dessus. Il en avait cherché un specimen heureux dans tous les magasins de la ville, avec tout d’abord une avidité de bonne augure, laquelle s’était muée lentement en une sorte de désarroi fatigué, trop long, trop dur, trop nombreux à se ressembler, à lui masquer la pièce unique. Il crut qu’il avait paumé le flair de chien qui le tenait des heures entières à la chasse jadis, jusqu’à la débusquer, la rareté, sans même avoir à trop tripoter ces piles ni croiser ces rayons uniformes Peut-être aussi l’usure du désir, de la connaissance, de la volonté, de la vie…
L’objet n'était-il par ailleurs en train de se métamorphoser sous leurs yeux à tous, tout comme la cire aurait dit Descartes dénonçant les pièges de la sensation ? Changeant de forme, l’objet changeait de rythme : Et si, se disait-il comme une excuse à sa paresse, tout n’était que affaire de pulsations ? On avait beaucoup annoncé la fin, prédit ce qui arriverait, et qu’un silence opaque finirait par recouvrir la lande déconfite ; l’objet en question, n'était-il pas plus adéquat de lui refuser pour quelque temps encore son attention, son regard, son esprit ?
Il rentra chez lui les mains vides.
Sébastien Stoskopff, Nature morte
20:58 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, poésie |
mercredi, 12 septembre 2012
Sans titre
Les plus belles journées de l’été finissant
On bosse depuis quelques jours seulement
Le long d’un quai te découvre flânant
Tu rêves d’une poésie facile qui t’emporterait
Loin des mots du présent par cette Saône allant
Le courant leste jusqu’à la mer
La misère, te dis-tu, la misère
Comme le gras, le gras, le sale, le sale, la misère
Cache la misère
Que de silence, de lenteur en ce fleuve, cette rivière
Sa courbe aussi efficace qu’ordinaire
Le long des quais leur voyage à tous en ces ans
Tel aussi file sous ce ciel ouvert
Ton pas de déjà-venu le long du sentier vert
Ta rage fonce comme RER
Jusqu’à l’amphi bondé chaque siège était cher
Et l’avenir ardent
Or quel démon guette encore ce tournant ?
06:47 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) |
samedi, 01 septembre 2012
La clé
De toutes leurs habitudes, ils constataient que l’une des plus difficiles à « faire passer », comme disent les faiseuses d’anges, c’était celle de conserver des objets dans des tiroirs, des placards, voire des recoins plus extravagants, pour le cas où…
Ils s’étaient dit que, dans la société du tout jetable, cela tenait peut être du reflexe familial, un résidu du comportement des grand-mères de l’ancien temps programmées pour recycler jusqu’à la croute des fromages émiettées pour des oiseaux sur le rebord de la fenêtre, et conserver leurs voiles de mariées sur le dernier rayon de hautes armoires aux senteurs de romarin.
Eux, en quelques décennies et avec l’insouciance du pas de marelle, ils étaient passés d’un temps où l’usage des choses fondait des coutumes à un autre où il faisait tourner le commerce en brassant du folklore. Et parmi ces objets conservés sans qu’on sache pourquoi, le plus remarquable restait la clé.
Les clés de tous les anciens appartements qu’ils avaient tour à tour habités au fil de leurs déménagements intempestifs dus à une vie professionnelle fort agitée - clés dont les locataires postérieurs avaient probablement changé les serrures - reposaient tels de poétiques trophées au fond d’un aquarium au centre du salon.
Des clés qui n’ouvraient plus rien et qu’ils n’osaient cependant jeter, parce qu’ils se murmuraient au fond d’eux-mêmes qu’elles demeuraient les objets les plus poétiques de leur traversée de l’ennui en ce bas monde, de leur existence aussi incomprise qu’incompréhensible à l’heure de fermer les yeux.
09:55 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, poésie |
samedi, 11 août 2012
16 & 16 = 32
Emplir presque à ras de café noir un bol tout blanc
Sans savoir si on l’engloutira tout entier
Puis des murmures familiers : tu ne vas pas dormir ce soir
Leur opposer qu’avec ce bol s’apprête à l’envol
Sa propre plume sur quelque feuille blanche
Car le vol de la nuit qui débute
Se soucie comme d’une guigne des tableaux où s’affichent
En linéales rouges telle ou telle capitale
Non, ignorance même de ce que je veux dire
Ni peux lire en cette mare ronde de café
Qui a quelque chose à dire né dans ce fief sans relief
Juste envie d’essayer tel Michel en sa librairie
La jeunesse instantanée demeure le privilège de l’écrivain
Pharmacopée de son imaginaire
Tirant pied de nez à tous les dogmes
Tout comme la première fois
De laquelle toi parles-tu il y en eut tant
Première fois que tu perçus la lenteur en parfum de la Saône
Que le jus de pêche engloutie à l’arbre s’égoutta à ton palais
Que malgré le midi vif le soleil cessa de t’éblouir -oh c’est toujours
La première fois quand tu l'écris tel ce legs
« O mon crâne étoile de nacre qui s’étiole »
Et comme elle ou comme lui tu souris sûr que Saussure
Aima Rrose Sélavy le pauvre Lelian et son impair aussi
Qui s’éteignit au 39 rue Descartes chez une ouvrière de la Belle
Jardinière non loin de la cloche de la Sorbonne ce bol
Fol « Qui toujours à neuf heures sonne
Le salut que l'ange prédit»
Un adieu digne de François dont le lent Lais clamait déjà
Ce qu’aucun né d’ensuite ne parvint à mieux clamer
Qu'assigner sens au dire n’est guère plus sain qu’y mettre fin
Ce dont nous sommes malades autant que vierges et heureux
22:19 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : verlaine, villon, desnos, rrose sélavy, poésie, littérature |
mardi, 07 août 2012
Garder le frais
Dans les fermes du Beaujolais, il y avait toujours une pièce close. Les meubles des beaux parents s’y recueillaient tout l’an, de nombreux bibelots aussi, des tapis, des tableaux. Dans le reste de la demeure vaquaient les vivants. La maîtresse de la maisonnée, dans un haussement d’épaules, veillait non loin de la porte à ce que personne n’y entrât, surtout pas les gosses ni les chats. Il fallait, disait-elle, « garder le frais ». : L’expression m’est restée.
Nous vivons un été clément. Les séquences anticycloniques, comme grimacent les godillots de la météo, ont été suffisamment réduites pour que nos nuits d’été ne perdent pas leur fraîcheur essentielle. C’est quand le soleil dérobe aussi la nuit que les organismes demeurent démunis, interloqués, suffoquants. C’est alors qu’il faut garder le frais.
Tout comme garder le silence, ou garder la forme, garder le frais nécessite un réel entraînement. C’est presque un effort, un art. Par temps caniculaire, je songe toujours à la science domestique des fermières du Beaujolais.
Pour garder le frais, il faut tout d’abord être matinal. Quatre heures du matin, toutes fenêtres ouvertes afin de susciter le plus grand nombre de courants d’air. Parfois, l’air ne veut pas, opaque et statique. Le plus souvent, à cette heure, il consent. Chaque pièce de la maison s’emplit alors d’un baume, d’une respiration. Vers sept heures, il faut tout refermer. On peut alors se recoucher.
Pour bien garder le frais, il faut de fermes volets et de lourdes tentures. La fraîcheur et la pénombre sont deux jumelles, parfums qui n’investissent la maison que si on les y invite. Il faut éviter tout instrument électrique. Pour débusquer le chaud, on peut arroser d’eau fraiche les carreaux. Le carreau retient ce qu’on lui donne.
Après, c’est une question de mouvement. Eviter de trop remuer, de trop parler, de trop respirer : le mouvement cuit. Retenir son souffle, comme dans le mutisme des profondeurs sous-marines. Le battement de jambes des plongeurs, tel celui d’un cil, qu’à cela soit réduit tout remuement.
On comprend pourquoi les vigilantes fermières du Beaujolais veillaient si vaillamment : c’est le vivant qui chauffe et recuit, pour garder le frais il faut le bannir des lieux. Nous manquons d’espace, tous, pour garder vraiment le frais. Dans une maison à ma guise, il faudrait une pièce pour le frais, une autre pour le silence, une troisième pour le parfum. Et le reste pour nous tous.
Jacques Barçat, Alice cousant
18:51 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : littérature, poésie, lyon, france |
mercredi, 11 juillet 2012
La promesse de l'aube
La perfection n’est pas d’ce monde : ainsi s’exprime le bon sens des vieux. Le parfait, l’accompli, c’est pourtant ce vers quoi nous aspirons tous dans la fraîcheur, le silence, la contemplation ravie, la promesse de l’aube. La pulsation parfaite nous maintient ensuite à travers tous les désagréments de chaque jour.
Toute journée qui se déroule n’est que la réduction progressive des virtualités offerte par chaque aube. Les pêcheurs le savent mieux que quiconque, dont les pas solitaires et bottés frappent les premières minutes de chacune, à l’instant qu’ils s’éloignent des demeures pour gagner sans bruit les berges des torrents.
Sur les places, le soir, hommes et femmes s’amassent et boivent. La chaleur restreinte du jour les a cuits, ils ne sont plus que vide. Dans la démence de l’alcool ou du rut, leurs cris cherchent de l’absolu, comme si c’était matière. Mais ils ne trouvent que nuit.
L’aube reviendra. Un chat errant le pressent sur les toits, le corps tendu vers cette lueur qu’une lune moqueuse – oui, c’est bien l’astre travesti par excellence – lui renvoie lorsqu’il galope sur les toits.
06:58 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, poésie, aube |
dimanche, 17 juin 2012
Débat de singes & de signes
Ils n’étaient que signes, et le savaient tous deux :
la lettre et le nombre,
la syntaxe et la monnaie,
la métaphore et le commerce.
Quand la valeur de l’or
Ne s’énonça plus que sur le papier,
Le mot fit remarquer à la monnaie :
Tu n’as fait qu'imiter mon arbitraire;
L'homme, c’est par moi qu’il lui revient de s'exprimer !
Sans broncher, la monnaie répondit :
« Ils sont bien trop nombreux, désormais ,
Pour entendre de ta bouche
Ce qui n’a que du sens :
J’ai moi de la valeur !
Quelles sont tes autres armes ? »
Le mot découvrit alors
L’éclatement sidéral de son être,
La signifiance à l’infini,
A profusion, silence et musique,
Pensée, engagement, littérature...
Studieuse et cynique,
La monnaie observait ce gueux tout en sueur.
« Ta parole n’est que ruse,
Ricana-t-elle enfin :
Mon règne est ce qui est ! »
Que dire, qu'écrire, depuis ?
Ce qui n’a plus, nulle part, de sens
Mendie sur les affiches un peu de valeur !
« C’est moi qui te possède! »
Déclare, souverainement prostituée,
La monnaie, singe fait signe,
A la lettre, signe fait singe.
21:37 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, solko, monnaie, anciens francs |