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mercredi, 16 octobre 2013

Langage, qui le possède

Es-tu bien sûr que ta gorge s’emplit de tes propres mots

Quand vous dévalâtes le chemin vers l’eau sans taches

Et que tu lui déclaras ta flamme ?

« Je ne veux pas de mots inventés par quelqu’un d’autre », disait Hugo Ball

Orgueil, déraison, sagesse ?

Peut-être eut il mieux valu, tel l’évêque magique de Zurich,

Lui dire ; jolifanto bambla o falli bamblagrosβiga m’pfa habla horem

Qui sait ? Le quiproquo eût peut-être été moindre

En biaisant l’arbitraire du signe aussi fauvement..

Mais tu lui dis je t’aime, simplement je t’aime

Comme tu avais vu faire, entendu dire, senti en toi

 

Le mot  et tant pis si, en s'imprégnant du temps,

Il déroula sous tes pas le tapis de la mort,

Langage, qui le possède ?

22:34 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : hugo ball, dada, littérature, poésie | | |

lundi, 16 septembre 2013

Les escargots

Manger un escargot, quand on connaît l’animal, lent, silencieux, translucide, a quelque chose de peu glorieux.

Pour en avoir trop ramassés durant mon enfance, j’ai toujours du mal à commander des escargots au restaurant. Des escargots au beurre persillé, c’est pour moi tout sauf un plat de luxe. C’était jadis, comme les poissons ou les grenouilles de la rivière, la boustifaille des fins de mois.

Ils jeûnaient des semaines dans des filochons aux mailles d’acier. Puis dégorgeaient dans des bassines, les uns sur les autres, tassés dans l’eau salée. Nous les lavions alors à grande eau, leur dernier bain, une fête, dansant doigts frêles dans leur bave, avant de rejoindre leur tombeau, le grand faitout sur la cuisinière de fonte. Saisi, en les contemplant dans l’eau où se formaient des bulles, de l’expérience de leur mort. Saisi. Comme de voir dans l’arrière-boutique du voisin boucher le cochon égorgé, son cri, le sang qui goutte en filets.

Armés de couteaux, nous séparions fastidieusement le bon grain de l’ivraie, la merde entortillée du comestible. La vieille chantait du Léo Marjane et l’enfant souriait. Les petits corps gris, démoulés de leur coquille, gisaient à présent, rigides et immobiles dans un torchon en point Vichy.  Pour quelques secondes encore, le souvenir d’avoir été un animal flottait comme un ange sur leurs formes rétractées. On commençait la persillade. Ils se métamorphosaient peu à peu dans le monde des hommes, jusqu’à devenir leur nourriture.

22:01 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : escargots, littérature, cuisine, souvenir | | |

jeudi, 05 septembre 2013

Le loriot de septembre

« Et la couleur est seule 

  A chanter ses chansons. 

  Apaisement. Silence »,

écrit Richepin dans le poème qu’il consacre à Septembre (l’écouter PAR ICI). C’est peu dire que les politiciens ne prennent jamais les poètes au sérieux, ni ne les écoutent autrement, que dans le cadre d’une religiosité feinte. Pourtant ils tiennent à ce que les enfants apprennent leurs poésies à l’école, comme ils font du macramé ou de la morale laïque. Dans l’Antiquité, la poésie et la guerre pouvaient marcher de pair, voyez Homère et Virgile. 

Mais la guerre technologique a brisé ce lien essentiel : le lyrisme des politiciens n'est qu'une obscénité linguistique, une sorte d'usurpation, car à présent, ni la guerre ni la poésie ne fondent plus la cité. Parce que la guerre n'est plus un combat de corps à corps où pourrait s'immiscer quelque loyauté, mais un jeu cynique et politicien avec la vie d'autrui et les caprices de l'opinion. Relisons ces trois vers de René Char, poète et guerrier à sa façon, qui écrivit le 3 septembre (décidément) 1939 ce poème, le loriot. On ne peut mieux dire l’incompatibilité moderne entre guerre et poésie :

« Le loriot entra dans la capitale de l’aube

L’épée de son chant ferma le lit triste

Tout à jamais prit fin. »

Alors pourquoi nous parle-t-on de lyrisme à propos du discours des va-t-en guerre ? Béraud l'a aussi dénoncé, ce lyrisme de faussaires, en rappelant dès son retour du front, des armes chimiques, justement : la guerre n'est pas un sujet de littérature. Me demande ce qu'il penserait de tous ces députés, des absents comme des présents, jouant à donner des avis sérieux sur une réalité que ni eux ni moi ne saurions imaginer dans nos existences molles et avachies. Je me demande ce que c'est que de vivre à Damas aujourd'hui, d'entendre ces menaces de lointains pingouins entretenus, jouant avec une force qui n'est pas loyale, qui n'est pas leur, de ressentir dans toute sa fibre la précarité de soi, de sa maison, de ceux qu'on aime. A cette pensée, je me sens comme un gadget inutile, et je considère tous ces faux puissants que l'Occident et sa technologie ont inventé, comme des êtres sans chair ni substance, même pas des usurpateurs, du vide, du vent. Et vraiment, il me prend le mal de Dieu.

05:04 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : septembre, poésie, rené char, jean richepin, littérature | | |

dimanche, 01 septembre 2013

Septembre, leur fiction

L’aube de ce matin annonce celle de septembre, magnifique, quand tout se tait

Dans la fraîcheur alpine de l’automne en train de tourner sur les toits

Le sens des jours. Les abus de l’été vont cessant

Il faut garder au cœur cet instant pour avancer plus loin sauf

Dans la reprise des hommes  qui aspirent à l’événement

Le  séisme des  crises et le bruit des bottes hantent à l’horizon

Leur fiction

Comme si pour se hisser au plus haut degré de leur  histoire

Les petits gouvernants  étaient à jamais nostalgiques de notre mort

Dans l’amas déliquescent de sociétés de peuples et d’événements

Mais leur histoire n’est pas celle de ce matin dont la chair frémit vers le recommencement

Qui mènera les racines des arbres et le museau humant des bêtes par le prochain hiver

Et à qui seul je donne le nom et reconnais le pouvoir de permanence.

07:10 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : septembre, poème, littérature, lyon | | |

lundi, 20 mai 2013

Ecrire, dormir peut-être

J’écris, j’écris, j’écris. En ce moment-même, je passe l’Atlantique dans la salle à souper des troisièmes classes du New Amsterdam, qui quitta Southampton un lendemain de Pâques 1957. Sur l’escabeau, mon chat veille. Mon chat est un veilleur qui ne prononce jamais le moindre mot, mais qui, plus fidèle que moi-même à ce projet, me le rappelle lorsque je suis sur le point de l’oublier. Il est, sous son poil gris, un veilleur épais de silence. A cause de la couleur de sa robe, il porte un nom d’écrivain, qui n’est pas difficile à deviner.

S’il ne sait pas ce que j’écris, je me demande, moi, ce qu’il fabrique, quand il dort.

littérature,écriture


18:32 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : littérature, écriture | | |

mardi, 07 mai 2013

Comme le miel, du soleil coule

“And the sun pours down like honey”, chante Cohen. Ce que Graeme Alwight traduit par : « comme du miel le soleil coule » (passage des guillemets britanniques aux guillemets gaulois, s’il vous plait.)

Vous remarquez avec moi que « coule » est meilleur que « pours down ». Bel effet, aussi, de placer le comparant (miel) avant le comparé (soleil). Moins plat que l’inverse (« le soleil coule comme du miel »)

Reste, selon moi, un problème de détermination. Pour inverser parfaitement les deux termes de la comparaison, il faudrait aussi inverser leurs déterminants ;  ça donnerait : « comme le miel, du soleil coule ».

Voilà. Comme ça, it would be very good…

Un autre passage, dans la version française, pose problème : “And Jesus was a sailor”, qui devient « Il était un pêcheur ». Cette fois-ci, la question n’est plus seulement d’ordre stylistique, mais d’ordre religieux, avec la disparition du nom propre (perte) et la polysémie du mot pécheur/pêcheur, en français (gain ?)

La question est trop épineuse, presque insoluble. Surtout par les sales temps qui courent.

Les deux versions, à présent, celle de Cohen puis celle de Graeme Alwight : 



00:05 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : stylistique, poésie, suzanne, léonard cohen, graeme allwight | | |

samedi, 13 avril 2013

Le marteau

Perdu une petite heure en salles des  ventes, hier,

Dans la métaphore baroque du monde,

Tel qu’il se tient, coi sous nos rides.


Les garçons de salle, les commissaires priseurs, les antiquaires et les brocanteurs sont toujours les mêmes,

Même vocabulaire et mêmes protocoles, mêmes lieux et mêmes sièges

Tout juste tous ont-ils pris quelques narquoises semaines :

Ils sont les mêmes mais subrepticement sont devenus un peu autres.

Ils sont en train de passer.


Les objets, eux, issus de nouvelles maisonnées,

Autres lustres, autres  livres, autres meubles, autres toiles mis à la criée,

Vieux et démodés

Trahis par leurs défunts propriétaires :

Ils sont autres mais subrepticement ont l’air d’être un peu les mêmes.

Ils sont en train de rester.


Etrange jeu de possession à chaque coup de marteau :

Etres qui siégent passeront

Objets qui passent demeureront


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11:21 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : salle des ventes, littérature, poésie, lyon | | |

dimanche, 10 mars 2013

Au risque de l'humide

1. C’est un fait avéré qu’à des inconnus, mieux vaut toujours ne confier que le plus rétracté de soi-même, car la méduse ici partout régnante a tôt fait de transformer le beau corps des enfants en oblongues civières, striant de files acérées les corridors carrelés jusqu’aux derniers monticules. Et les socles où bruissent les néons des villes dans le soir, et les vapeurs orangées où nichent ses violentes demeures,  n’ont qu’une allure (jamais très rassurante) de repos.

2. Elle campe dans l’ouragan. Elle virevolte, inassouvie, dans la fournaise de l’ornière, où la poudre est assoiffée. Elle file et l’ocelle de ses yeux, toujours en avance d’une crainte, d’un soupçon ou d’un rire, se saisit de qui lui tourne le dos. Moi, je suis devenu criard pour moi seul, à son contact. C’est par ce cri, évidemment, que me traîne la mort.

3. Regarde : J’ai placé au fond d’un lac le bûcher de mon existence. Malgré ma précaution, des bribes calcinées de charbon s’assoupissent en geignent dans la profondeur des algues brunes. S’assoupit aussitôt,  au centre de l’eau verte, ce qui a trop regardé.

4. Dans la désillusion du trop souffrir, l’humide se retire inexorablement : On ne comprendra qu’au fil des mois, des ans, encore faudra-t-il accepter que la patience y soit à chaque fil écorchée, quelle métamorphose aride dérivera de la minutie de son précautionneux départ. La dislocation de mes failles eut beau donner naissance au rut des torrents qui ont balayé mes rocs, je me souviens de tout : Ce que je protège n’est pas mien dans le rite éconduit. 

 

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R.T. L'humide auteur, extrait

23:13 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, humide auteur, littérature | | |

samedi, 23 février 2013

La bonne attitude

Il redoutait  constamment qu’on lui volât quelque chose : son parapluie, son portefeuille, sa femme, ses idées. Aussi consacrait-il une bonne partie de son salaire à se munir d’infinies  précautions pour entretenir autour de lui un halo de sécurité, sans lequel il n’eût pu survivre dans la jungle : un toit et quatre murs, quelques automatismes, de nombreuses assurances, un certain nombre d'objets et certaines marottes

Son jumeau, au contraire, péchait par excès de confiance : il laissait tout traîner, tout faire, tout dire, cultivant sans chercher à le faire et le plus souvent sans même s’en rendre compte une façon d’être absent au monde, à tout, à tous, à toutes, que ceux qui le connaissaient mal prenaient pour du dédain. Ce n’était que sa ruse à lui pour conserver le bonheur. 

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Colonne d'Olomouc à Prague

crédit photo Strogoff

21:17 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, poésie | | |